République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 3139
Proposition de motion de Marc Saudan, Raphaël Dunand, Masha Alimi, Jacques Jeannerat, Laurent Seydoux, Djawed Sangdel pour un soutien au programme de dépistage du cancer du sein après l'introduction du TARDOC
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 19 et 20 juin 2025.

Débat

La présidente. Nous passons à la dernière urgence, soit la M 3139, qui est classée en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à M. Saudan, auteur du texte.

M. Marc Saudan (LJS). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, certains ont mentionné hier dans cet hémicycle, lors de la discussion sur la politique publique de la santé, que la prévention devait être notre préoccupation première. Le bénéfice pour la population du programme de dépistage du cancer du sein par mammographie n'est pas à démontrer. Ce programme effectue près de 16 000 mammographies par an en partenariat avec les radiologues privés, sous l'égide de la Fondation genevoise pour le dépistage du cancer.

Or, ce programme risque d'être mis à mal par l'introduction de TARDOC, qui va remplacer TARMED - je vous rassure, je ne vais pas faire un cours là-dessus. Cette tarification a pour but de rendre la facturation plus simple et plus moderne en diminuant la rétribution des actes techniques par rapport à celle du temps passé auprès des patients. Pour les examens radiologiques, cela va faire baisser le tarif de la mammographie de 156 à 113 francs, ce qui n'est pas contesté car l'évolution de la technique justifie cette baisse. Cependant, ce même tarif introduit une différence entre un examen de dépistage et un examen de diagnostic: pour le dépistage, ce tarif descend à 76 francs, soit une baisse supplémentaire de 37 francs qui s'ajoute aux 43 francs déjà retranchés pour cet examen. On peut donc craindre de voir les partenaires radiologues privés se retirer de ce programme, n'acceptant pas le tarif de 76 francs. Certains diront: il faut discuter avec les assurances ! Croyez-moi, pour l'avoir fait sur la taxe d'urgence et les assurances complémentaires, il sera difficile de trouver un assureur qui acceptera de payer plus.

Alors que demande la motion ? La première invite demande au Conseil d'Etat de voir déjà avec le Conseil fédéral pour éventuellement changer cette anomalie dans TARDOC et que les deux examens soient payés la même chose. Cela aura sûrement peu d'effet, d'où la deuxième invite, qui est une invite escalier, si vous voulez: elle demande à revoir le règlement existant qui fixe le tarif de cet examen de dépistage, en accord avec les assureurs et les radiologues. Je vois mal les assureurs accepter de payer plus, je vous l'ai déjà dit; ainsi, la troisième invite demande d'inclure dans le futur budget une éventuelle subvention supplémentaire pour combler cette différence entre les tarifs de diagnostic et de dépistage - je rappelle que ce n'est pas pour donner plus d'argent aux radiologues, mais simplement pour corriger cette anomalie dans le tarif afin de sécuriser ce programme en cas d'échec des négociations. C'est la raison de la demande d'urgence et de vote sur le siège.

La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Marc Saudan. Merci. Certains voudront peut-être renvoyer la motion en commission, mais je vous mets en garde, car même si l'efficacité de notre commission de la santé a été louée ce matin, avec les sessions du Grand Conseil, les vacances et la sortie - votre sortie, Madame la présidente (L'orateur rit.) -, nous aurons au maximum neuf séances de commission d'ici la fin de l'année, avec de nombreux objets en attente. Comme on dit: mieux vaut prévenir que guérir - et dans ce cas, prévenir sauve des vies. Merci, Madame la présidente.

Mme Jacklean Kalibala (S). Mesdames et Messieurs les députés, la question de la tarification des mammographies de dépistage a déjà été posée au Conseil fédéral en avril 2024. Dans sa réponse, le Conseil fédéral évoque les rumeurs portant sur leur mauvaise rémunération - je cite: «Une comparaison directe entre TARMED et TARDOC de la mammographie avec dépistage [...] n'est pas possible, car il n'y a pas de transfert 1 : 1 de positions tarifaires entre les deux structures. A la différence de TARMED, dans TARDOC, les frais administratifs d'exécution du programme de dépistage ne sont pas compris dans la mammographie de dépistage, mais sont facturables au moyen d'autres positions tarifaires. En outre, la facturation de différents traitements ou examens, comme ceux liés au dépistage du cancer du sein, comprend souvent plusieurs positions tarifaires en fonction de l'intervention spécifique.»

On parle aujourd'hui de la mammographie, mais, en réalité, la tarification de plusieurs examens radiologiques a été revue à la baisse dans TARDOC, notamment parce que, avec les avancées technologiques et l'intelligence artificielle, le temps nécessaire pour réaliser ces examens a été largement raccourci et ne justifie plus de telles dotations. J'ai fait l'exercice pour vous, Mesdames et Messieurs les députés: j'ai fait la simulation dans TARDOC et il y a effectivement plusieurs codes de facturation supplémentaires, spécifiques pour l'évaluation et l'assistance médicale lors de la mammographie de dépistage. Il n'est donc pas dit qu'il y aura une différence en défaveur de la mammographie de dépistage dans la facture finale.

Au vu de tout cela, nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de voter sur le siège cette motion, qui demande de subventionner les radiologues sans preuve que les patientes seront lésées ou que le programme de dépistage sera réellement mis à mal. Merci de refuser cette motion.

M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, à quoi assistons-nous ? Nous assistons, dès à présent et par anticipation, à une manoeuvre de certaines spécialités médicales pour ne pas faire ce qui a été convenu, c'est-à-dire accepter le nouveau tarif médical, en le contestant avant sa mise en oeuvre ! Je dois dire que c'est une manoeuvre qui me scandalise, cela d'autant plus que qu'est-ce qui est utilisé pour nous sensibiliser ? Le programme de dépistage du cancer du sein. Je trouve vraiment cette démarche extrêmement discutable !

Discutons-en. S'agissant du programme du cancer du sein, je présidais la Ligue genevoise contre le cancer au début des années 1990 - j'étais très jeune - et Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat, m'a sollicité. Ensemble, nous avons lancé le premier programme pilote. La Ligue contre le cancer a financé l'évaluation; trois ans après, elle a financé la part résiduelle non prise en charge par l'assurance-maladie - la franchise - pour les femmes. Aujourd'hui, nous savons où nous en sommes: les programmes de dépistage, quand ils sont structurés au niveau cantonal, sont remboursés, hors franchise, dans le cadre de la LAMal. Je suis bien sûr extrêmement attaché à ce dépistage et ce n'est pas ça qu'il faut qu'on regarde: on doit vraiment déplacer notre regard sur la question du revenu des radiologues.

Les radiologues, Mesdames et Messieurs, ont accepté un tarif médical. Ils se tournent pourtant aujourd'hui vers nous, avec un intervenant parfaitement respectable qui est par ailleurs notre collègue député, Marc Saudan, pour nous proposer de nous faire payer - faire payer à la collectivité - une différence tarifaire. Celle-ci est réelle puisqu'ils vont probablement perdre quelques francs avec les mammographies de dépistage lors de l'introduction de TARDOC; aujourd'hui, avec l'ancien TARMED encore en vigueur jusqu'à la fin de l'année, ils se retrouvent avec des rémunérations qui évidemment leur conviennent mieux. Mesdames et Messieurs, les radiologues ne sont pas les médecins qui ont les revenus les plus bas de la profession médicale ! Je trouve donc que c'est d'autant plus scandaleux et inacceptable d'en être là aujourd'hui. Voilà pour le fond de la démarche, et il est exclu, pour le PLR, qu'on entre en matière sur cette question.

Ensuite, il y a une question de forme. Qui est compétent, en Suisse, pour négocier les tarifs ? Les partenaires tarifaires. Qui sont les partenaires tarifaires ? Les assureurs et les prestataires. Ce ne sont pas les parlements qui sont compétents - même le Conseil fédéral n'est compétent que pour enregistrer l'accord tarifaire sur lequel il y a une convergence ou, en cas de besoin, pour faire des arbitrages.

Mesdames et Messieurs, ne nous laissons pas prendre en otage par cette démarche: sur le fond, c'est inacceptable et, s'agissant de la forme, nous ne sommes pas compétents. Je vous remercie de suivre la position du PLR. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Jean-Marc Guinchard (LC). Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, je ne serai pas aussi enflammé que notre collègue Pierre Conne, mais j'avoue que je partage dans une large mesure ses appréciations, notamment sur les revenus des radiologues. TARMED, le tarif médical actuel, a été négocié pendant trente ans et il est entré en vigueur en 2004. Depuis 2004, compte tenu d'un certain nombre de failles, il a fallu s'attacher à créer un nouveau système tarifaire, TARDOC, qui devait entrer en vigueur en 2021, puis en 2022, puis en 2024; finalement ce sera, peut-être - on l'espère -, le 1er janvier 2026. Une grande différence - majeure - entre TARMED et TARDOC, c'est que TARDOC privilégie la présence auprès du patient: il revalorise donc un peu les activités des médecins de premier recours et valorise moins les activités techniques, comme celles déployées par les radiologues.

L'exposé que nous a fait notre collègue Marc Saudan montre qu'il y a un certain nombre de craintes, peut-être, mais il n'y a en tout cas pas de certitude. Je pense que cela vaudrait la peine de renvoyer ce texte en commission plutôt que de le voter sur le siège, dans la mesure où je ne suis pas certain que la majorité de ce Grand Conseil a saisi toute la subtilité du texte décrivant les activités relatives à la mammographie et l'importance de ces deux tarifs. Je vous remercie.

M. Léo Peterschmitt (Ve). TARDOC n'est même pas en vigueur qu'on veut déjà le modifier, alors qu'il a fallu des années et des années de discussions et de très très longues négociations pour son élaboration. Ici, on a quand même l'impression que les radiologues se plaignent d'être traités, en matière de revenus, au même niveau que la médecine de premier recours. Je ne pense pas qu'il y ait eu de motion au Grand Conseil, ces dernières années, pour demander que les psychiatres puissent facturer plus la prévention financée par le canton !

TARDOC est un système très complexe. Je suis allé regarder un peu sur le site: c'est plus de 4000-5000 entrées avec des points différentiels, divers types de tableaux Excel. On n'y comprend pas grand-chose, alors vouloir faire passer cet objet en urgence, sur le siège, en nous disant: c'est hyper important, il faut voter tout de suite - en utilisant certes la mammographie, mais bon ! C'est un sujet qui est extrêmement complexe, qui a fait l'objet de centaines, voire de milliers d'heures de négociations entre différentes professions de la santé, des politiques et l'Office fédéral de la santé publique. Nous voterons le renvoi en commission; s'il est refusé, nous, le groupe des Verts, nous refuserons le texte. Merci.

Mme Louise Trottet (Ve). Je souhaite juste compléter les propos de mon excellent préopinant pour dire que si TARDOC est effectivement complexe, on ne sait même pas encore vraiment à quoi ça ressemble. Du coup, c'est d'autant plus intéressant de l'étudier un petit peu en commission.

S'agissant des différences tarifaires en médecine, je voudrais vous dire aussi que oui, il y aura toujours des inégalités et des actes qui seront plus intéressants que d'autres ! Comme généraliste, je reçois bien moins d'argent quand je vois des cas accident; est-ce que je vais voir moins de cas accident ? Est-ce que je vais privilégier les cas maladie plutôt que les cas accident ? Non ! C'est un peu plus subtil que ça, il y a également une éthique derrière et je ne pense pas que les radiologues - j'ai en tout cas une certaine estime pour eux - vont soudain arrêter de faire du dépistage parce que c'est un tout petit peu moins bien payé; et encore faut-il le prouver !

Je vous dirai aussi qu'en tant que présidente de la désormais très célèbre commission de la santé - elle a été louée à maintes reprises dans ce plénum -, je m'engage à ce que les travaux sur cet objet soient menés avec diligence s'il nous est renvoyé. Je vous remercie de votre attention.

M. Marc Saudan (LJS). Madame la présidente, vous transmettrez à mon excellent préopinant que j'estime beaucoup, M. Pierre Conne: son attaque par rapport à une prétendue manoeuvre des radiologues est totalement injustifiée. Ma crainte vient plutôt des organismes qui font le dépistage et qui sont effectivement inquiets de cette situation. Et je pense que limiter le débat au salaire des radiologues est un peu court.

Quant à la réponse du Conseil fédéral, s'agissant du programme et du versement dans le cadre du règlement des examens du dépistage du cancer du sein, il y a encore une part que je n'ai pas mentionnée d'environ 20 francs pour les deuxième et troisième lectures, qui n'est bien sûr pas comprise dans TARDOC. Etant donné la difficulté à trouver un accord sur TARDOC, le Conseil fédéral ne voulait simplement pas entrer en discussion là-dessus, ne voulait évidemment pas mettre ça en avant.

Compte tenu, effectivement, de la complexité du sujet, je demande toutefois le renvoi à la commission de la santé en prenant au mot notre excellente présidente, s'agissant de le traiter rapidement. Merci, Madame la présidente.

Mme Jacklean Kalibala (S). Je voudrais juste m'exprimer sur le renvoi en commission. TARDOC entrera en vigueur en janvier 2026; d'ici là, nous n'aurons pas de nouveaux éléments sur la mammographie de dépistage, nous ne saurons pas si elle est problématique. Au vu du temps de traitement en commission et du délai avant l'entrée en vigueur de TARDOC, je pense qu'un renvoi à la commission de la santé ne se justifie pas, même si nous aimons traiter les sujets en détail. Je pense que le politique doit seulement intervenir en cas d'échec de la communication entre les différents partenaires tarifaires et si les médecins, les centres de dépistage et les assurances n'arrivent pas à trouver un accord pour continuer le dépistage. A ce moment-là, nous aurons un rôle à jouer; pour l'instant, ce n'est pas le cas. Nous n'avons pas à intervenir sur ce sujet et le renvoi en commission sera inutile. Il faut simplement refuser cette motion. Merci. (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote sur le renvoi à la commission des affaires sociales...

Des voix. De la santé !

La présidente. A la commission de la santé, pardon ! C'est une déformation qui vient de l'habitude !

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 3139 à la commission de la santé est adopté par 64 oui contre 17 non et 1 abstention.