République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 mai 2025 à 20h30
3e législature - 3e année - 1re session - 2e séance
PL 13158-A
Premier débat
La présidente. Nous commençons le traitement des urgences avec le PL 13158-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Madame Dilara Bayrak, vous avez la parole.
Mme Dilara Bayrak (Ve), rapporteuse de majorité. Merci, Madame la présidente. Encore une fois, nous traitons d'un projet de loi somme toute relativement technique et qui touche à l'organisation du Pouvoir judiciaire. Ce texte se concentre sur le Tribunal des baux et loyers et la commission de conciliation en matière de baux et loyers, TBL et CCBL pour les initiés.
En quelques mots, le Tribunal de première instance, auquel appartiennent le TBL et la CCBL, s'est réorganisé. Il se trouve que cette démarche a été menée sans que soient consultés les entités et les partenaires sociaux que représentent la Chambre genevoise immobilière et l'ASLOCA. Ceux-ci fournissent des assesseurs, ce qui permet que des décisions de qualité soient rendues dans ce tribunal, très important à Genève, puisque vous connaissez toutes et tous les obstacles que nous rencontrons en matière de baux et loyers. Dans le domaine du logement et du droit fondamental à avoir un toit, les difficultés sont en effet particulièrement importantes.
Cette réorganisation du tribunal, justifiée par des raisons de meilleure utilisation des effectifs de juges, a eu comme conséquence de pousser certains d'entre eux qui ne le faisaient pas avant à pratiquer dans le domaine des baux et loyers, ce qui a malheureusement aussi induit, selon les partenaires sociaux, une baisse de la qualité des décisions rendues par ce tribunal. En effet, auparavant, c'étaient tout le temps les mêmes magistrats qui pratiquaient ce domaine. Or, avec cette réorganisation, on se retrouve avec des constellations dans lesquelles des juges se mettent à exercer dans ce domaine pour des temps extrêmement réduits.
Les partenaires sociaux ont sollicité leurs élus au sein de ce parlement, à savoir MM. Cyril Aellen et Alberto Velasco, et ont déposé ce projet de loi qui permet de revenir à une organisation assurant une spécialisation du TBL et de la CCBL.
Le consensus auquel nous faisons face est tout à fait inédit: il est très rare de voir l'ASLOCA et la CGI, qui sont des ennemis ou, disons, des adversaires de taille, se mettre ensemble et proposer une solution commune après avoir constaté les mêmes problèmes.
Forts de ce constat, nous avons décidé de créer une sous-commission, puisque nous nous sommes rendu compte lors des premières auditions que le Pouvoir judiciaire et les partenaires sociaux nous fournissaient des versions diamétralement opposées. Nous siégeons dans un parlement de milice, et nous avons eu toutes les difficultés du monde à déceler la version qui était la plus proche de la réalité...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
Mme Dilara Bayrak. Merci, Madame la présidente. Mais, compte tenu du fait que ces partenaires, qui sont des adversaires, pratiquent au quotidien le domaine des baux et loyers (TBL et CCBL inclus), et des retours qu'ils avaient de leurs assesseurs respectifs, le parlement a donné suite à leurs sollicitations et a créé une sous-commission.
Ensuite, celle-ci a été mise sur pause pendant quelque temps, histoire de voir si la réorganisation proposée par le Pouvoir judiciaire allait confirmer ses effets néfastes, ce qui fut le cas. Ce texte a été déposé il y a de nombreuses années, ce qui nous donne le recul nécessaire pour affirmer haut et fort que la réorganisation du Tribunal de première instance, par les effets qu'elle a eus sur le TBL et la CCBL, ne convient pas, n'est pas adéquate et ne permet pas que soient rendues des décisions de qualité, comme c'était le cas auparavant.
Dans cette situation, le Pouvoir judiciaire, qui réfute toute critique, a quand même décidé de déposer un amendement général au projet de loi afin d'en limiter les effets. Il a indiqué au parlement que s'il devait y avoir un texte, celui-ci devrait uniquement préciser que les juges affectés à la tâche du TBL et de la CCBL la pratiqueraient à titre principal. Cette notion extrêmement indéterminée n'a pas convaincu une majorité de la commission, qui s'est sentie quelque peu flouée.
Face au risque que cette intention du Pouvoir judiciaire ne se concrétise pas et ne soit pas appliquée ainsi qu'elle avait été présentée dans le cadre des débats, la commission a accepté un sous-amendement à cet amendement du Pouvoir judiciaire, afin de préciser ce que voulait dire «à titre principal». Cette modification à l'amendement du Pouvoir judiciaire a été acceptée: cette version du texte prévoit que les juges affectés au TBL et à la CCBL pratiquent cette fonction à hauteur d'une demi-charge à tout le moins.
Cela constitue une notion très claire et permet au TPI - et donc au Pouvoir judiciaire - de concrétiser ce qui nous a été présenté en commission, tout en supprimant la notion indéterminée qui pourrait être appliquée de manière alambiquée, et de donner des règles claires dans ce domaine. Je le rappelle encore une fois, au vu de la crise du logement et du consensus entre les deux entités que représentent la CGI et l'ASLOCA, il était important de donner suite à ces craintes afin que la réorganisation du TPI se fasse de manière correcte et conforme à la volonté du peuple. Je vous remercie, Madame la présidente.
M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, la commission judiciaire et de la police a travaillé pendant un certain nombre de mois sur ce projet de loi; elle aurait pu très facilement aboutir à un consensus et à un vote en plénière en catégorie IV, suite à un traitement aux extraits.
Lors d'une dernière séance, nous nous sommes retrouvés face à l'amendement qu'a très bien présenté la rapporteure de majorité, qui définit en fait avec beaucoup plus de précision le nombre de personnes exerçant dans cette juridiction en fixant une quote-part de demi-charge.
Cela constitue vraiment une nouveauté dans la mesure où cet élément ne figure absolument pas dans la loi sur l'organisation judiciaire. Les seules dispositions similaires qu'on retrouve dans cette loi concernent les pleines charges prévues pour le procureur général, les premiers procureurs ainsi que les présidents et les vice-présidents des tribunaux.
Avec cet amendement, voté par la majorité de la commission, le parlement commencerait à définir de manière très précise qu'une demi-charge est présente dans une des juridictions. Cette nouveauté me rappelle l'ancienne loi sur la police, dans laquelle se trouvait la définition du nombre exact de gendarmes et de membres de la police judiciaire en fonction des différents secteurs.
Pour la minorité de la commission, ça ne va pas. Pourquoi ? Parce que cela revient à restreindre la liberté de manoeuvre du Pouvoir judiciaire en lui imposant des contraintes qui n'existent pas aujourd'hui. Il faut le laisser s'organiser comme il le veut, ainsi que cela est prévu à l'article 25 de la loi sur l'organisation judiciaire, dont je cite le premier alinéa: «Dans les limites de la loi, les juridictions règlent elles-mêmes leur organisation.»
Mesdames et Messieurs les députés, cette petite divergence au niveau de la commission a quand même toute son importance, parce que si nous commençons à définir les qualités du personnel et la manière dont il doit travailler, nous ouvrons une boîte de Pandore au sein de l'organisation du Ministère public.
Cela pourrait entraîner un surcoût et contraindre certains magistrats à quitter ces juridictions par manque d'intérêt dans la mesure où cela ne leur permettrait pas d'exercer dans d'autres domaines. Pour toutes ces raisons, la minorité vous invite à voter l'amendement qu'elle dépose et qui consiste à revenir à la proposition du Pouvoir judiciaire. Cette dernière prévoit que les juges alloués au Tribunal des baux et loyers et à la commission de conciliation en matière de baux et loyers se consacrent à titre principal à cette charge, ce qui permet de laisser au Pouvoir judiciaire la marge de manoeuvre pour s'organiser. Je vous remercie, Madame la présidente.
M. Sébastien Desfayes (LC). Madame la présidente, permettez-moi de vous adresser un grand bravo pour votre élection et pour votre magnifique discours; vous serez une digne successeure du légendaire Alberto Velasco, cosignataire de ce projet de loi avec Cyril Aellen, ce qui prouve l'ouverture d'esprit des deux intéressés.
Eh oui, Madame la présidente, il s'agit d'un texte conjoint de la Chambre genevoise immobilière et de l'ASLOCA, qui ne sont pas des ennemis, contrairement à ce qu'a dit la rapporteure de majorité, mais des partenaires dans l'organisation et le bon fonctionnement du Tribunal des baux et loyers.
Ces deux partenaires sont arrivés à un constat assez simple et réel: le droit actuel n'est plus le droit des années 80, tout est devenu plus compliqué. Fini le temps où un avocat pouvait faire le matin des contrats d'entreprises, l'après-midi du bail, le lendemain du droit de la famille et enfin des droits réels; cette époque-là est révolue. Nous vivons dans une époque de spécialistes, et la spécialisation ne va faire que s'accroître ces prochaines années, notamment au travers de l'intelligence artificielle - mais c'est encore une autre question !
Bref, les exigences du droit ont rendu difficile pour des non-spécialistes la pratique de la charge de juge au Tribunal des baux et loyers face à des avocats qui, eux, sont d'ores et déjà des spécialistes. Alors une spécialisation est effectivement nécessaire, mais il faut aussi laisser aux juges la possibilité de se frotter à d'autres domaines du droit; c'est important pour une bonne justice, mais aussi sur un plan personnel et professionnel pour les magistrats, qui ne doivent pas être enfermés dans des carcans dont ils ne pourraient plus s'échapper.
Je crois que le compromis trouvé par l'amendement général du Pouvoir judiciaire est excellent, il laisse une toute petite marge de manoeuvre au Pouvoir judiciaire. Je pense qu'il faudrait s'en tenir à cette version originale. Ensuite, nous avons reçu un amendement de la part de Mme Dilara Bayrak; nous pourrions vivre avec cette proposition également, même si nous préférons la version originale. Quoi qu'il en soit, le groupe Le Centre votera ce projet de loi. Merci.
Une voix. Bravo !
Mme Masha Alimi (LJS). Ce projet de loi, il faut le souligner, date du 15 août 2022 et a été déposé à la suite de la réorganisation interne du Tribunal civil de novembre 2021, qui a été menée de manière unilatérale et a attribué une charge identique à tous les juges qui siègent en son sein, entraînant dans le domaine très particulier des baux et loyers une dilution des compétences et une dégradation des procédures.
Ce qui est à retenir aujourd'hui, c'est que la commission, après avoir entendu le Pouvoir judiciaire, l'ASLOCA et la Chambre genevoise immobilière, a constaté des positions contradictoires qui, à l'époque, ne lui permettaient pas de se déterminer. Elle a donc décidé de geler ce projet de loi et de laisser le Pouvoir judiciaire dans cette organisation réformée, afin d'en observer de manière pragmatique les effets dans le temps.
En 2025, soit trois ans après cette réforme initiée par le Pouvoir judiciaire, l'ASLOCA, la Chambre genevoise immobilière, l'Association des juristes progressistes et l'Ordre des avocats persistent dans leur démarche consistant à affirmer qu'il est nécessaire de renforcer la spécialisation de la juridiction des baux et loyers. Par ailleurs, l'ASLOCA et la CGI soutiennent toujours ce projet de loi tel quel, constatant que la réorganisation du tribunal ne fonctionne pas de manière optimale.
La commission a également entendu le Pouvoir judiciaire au début de l'année 2025, afin de dresser un bilan. Nous avons reçu des tas de statistiques, mais celles-ci ne déterminent en rien l'efficacité ou l'inefficacité de cette réorganisation interne. Un amendement général au projet de loi a par ailleurs été déposé; il ne nous satisfait pas en raison de son côté vague, qui, à notre sens, ne peut être mesuré efficacement.
Le deuxième amendement proposé est plus précis et permet in fine la garantie d'une meilleure spécialisation des magistrats dans le domaine des baux et loyers. C'est pourquoi Libertés et Justice sociale acceptera ce projet de loi avec le deuxième amendement, qui prévoit que les magistrats exercent leur fonction au Tribunal des baux et loyers et à la commission de conciliation des baux et loyers à tout le moins à hauteur d'une demi-charge. Je vous remercie, Madame la présidente.
M. Yves Nidegger (UDC). Chers collègues, il y a quelque chose d'assez cruel dans le fait de confier à un parlement cantonal le soin de traiter d'une matière que seuls des spécialistes et des gens qui côtoient au quotidien la juridiction des baux et loyers sont aptes à comprendre dans sa dimension concrète. Les partis se retrouvent à devoir se déterminer sur des sujets que, souvent, ils n'ont pas véritablement compris.
Juste deux mots sur l'architecture: le droit du bail, c'est du droit fédéral, régi par le code des obligations. La procédure applicable devant ces juridictions est la procédure civile, qui est aujourd'hui fédérale. Ce qui reste aux cantons, c'est l'organisation judiciaire, et ce qui reste aux juridictions, c'est leur organisation interne.
Ici, par le biais du droit cantonal, on est en train de vouloir déterminer comment, dans le détail - parce qu'il s'agit de demi-charges, de pleines charges et autres -, une juridiction devrait s'organiser en interne. C'est un peu problématique. On est aussi en train de penser...
A un moment donné, il y a eu une réaction, d'un côté de la Chambre immobilière et de l'autre de l'ASLOCA, qui se sont montrées rétives à certaines évolutions de l'organisation de la juridiction. Du fait même qu'historiquement, ce sont elles qui fournissent les magistrats qui y opèrent - parce que ce sont elles qui en font le choix -, elles considèrent un peu cette juridiction comme leur chose, comme une entité qui leur appartient, et estiment qu'il ne faut être imprégné que du droit du bail, à l'exclusion de toutes considérations s'agissant de principes généraux du droit, pour être un bon juge dans ce domaine.
En réalité, le droit du bail, c'est du droit des obligations dans lequel le législateur a choisi son camp; il a considéré qu'il y avait une partie faible, à savoir le locataire, parce que les conséquences d'une résiliation sont pour lui plus graves que pour le bailleur, qui a plus de facilité à retrouver un locataire que le locataire n'en a à trouver un nouveau logement. On a donc orienté le droit du bail en retenant une approche où le locataire peut faire à peu près tout ce qu'il veut sans grandes conséquences et où le bailleur ne peut à peu près rien faire, parce qu'à la moindre erreur, il est sanctionné.
Sont nés de tout cela des juges qui, ne faisant que du droit du bail, ont parfois un peu oublié que les contrats synallagmatiques sont quand même un échange: je vous offre un logement, vous me payez un loyer. Si l'un des deux viole son obligation, eh bien la conséquence est pour ce dernier.
De la part des deux partenaires sociaux qui règnent en quelque sorte sur cette juridiction, il y a eu une réaction à mon sens un peu frileuse consistant à dire que la juridiction évolue dans un sens qui n'est pas le leur. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) J'entends la cloche qui sonne !
La minorité - je relève qu'il s'agit d'une minorité de six voix contre huit - vous propose de refuser cette modification, parce que ceux-là mêmes qui l'ont initiée - vous le remarquerez aux noms des signataires - sont revenus sur leur position avec le temps, lorsqu'ils ont compris ce dont il s'agissait. Laissons aux juridictions le soin de s'organiser dans le détail comme elles l'entendent. La question de la dotation des postes à temps plein ou à demi-charge est une affaire de détails organisationnels; pour le reste, laissons au droit, y compris celui dont nous avons la charge, à savoir l'organisation judiciaire, sa place, qui n'est pas celle-là. En d'autres termes, refusons ce projet de loi.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Madame la présidente, au nom de la commission judiciaire et de la police, que j'ai l'honneur de présider pour encore quelques jours, comme en mon propre nom, j'aimerais aussi vous féliciter pour cette très belle élection et vous souhaiter plein succès à la tête de nos travaux pour l'année qui s'annonce.
Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, on parle du Tribunal civil, qui, c'est simple, est composé de trois juridictions: le Tribunal de première instance, la commission de conciliation en matière de baux et loyers et le Tribunal des baux et loyers.
Que s'est-il passé ? Il y a trois ans, ce tribunal a décidé de procéder à une réorganisation interne, soit une réallocation de ses propres ressources, précisément dans l'objectif d'éviter de devoir venir nous quémander des postes supplémentaires de magistrats.
Dans le cadre des auditions conduites par la commission, le Tribunal civil a reconnu qu'il avait sous-estimé les conséquences politiques que cette réorganisation allait déclencher. Finalement, c'est dans un cadre très constructif que d'abord en sous-commission, puis en commission judiciaire et de la police, nous avons mené nos travaux sur cet objet.
Le parti libéral-radical est tout à fait conscient de l'évolution de la complexité des affaires civiles, et il ne peut que saluer la réflexion à plus long terme et à plus large échelle sur une spécialisation des différentes juridictions de notre canton, mais il est aussi très attaché au principe de la séparation des pouvoirs et au respect de l'autonomie du Pouvoir judiciaire.
Oui, sur le principe, nous avons une loi sur l'organisation judiciaire, la LOJ, que certains appellent aussi la loi Olivier Jornot, pour une raison évidente, à savoir qu'il en est à l'origine - elle date de l'époque où il était député. Ce texte a la forme d'une loi pour permettre le référendum, mais ça ne veut pas dire que c'est à nous, en tant que députés, d'organiser les juridictions du Pouvoir judiciaire.
Finalement, le Pouvoir judiciaire nous a proposé un amendement, qui s'avère être un compromis et qui a été soutenu par les milieux intéressés. Et c'est à la dernière minute, lors de la dernière séance sur cet objet, que la majorité a déposé un amendement, qui n'a jamais été soumis au Pouvoir judiciaire et dont on n'a jamais pu mesurer les effets. Il ne prévoit pas tout à fait la même chose, mais je vous épargne les subtilités en la matière.
C'est pour cette raison que le PLR, aux côtés des autres formations de la droite - de la vraie droite ! (Rires.) -, vous invite à soutenir l'amendement de M. Pasquier, qui n'est rien d'autre que l'amendement général du Pouvoir judiciaire. Si toutefois le parlement rejette cet amendement, le PLR, qui est un parti constructif, ouvert et respectueux des institutions, ne demandera pas le renvoi en commission et ne refusera pas ce projet de loi. Merci de votre attention.
Mme Caroline Renold (S). Mesdames et Messieurs les députés, cela a été dit, le droit du bail n'est pas un droit ordinaire, mais un droit social qui protège la partie faible et surtout touche au besoin existentiel et au droit fondamental qu'est le logement. Avec un marché du logement genevois extrêmement tendu, la préservation de la paix du logement exige des institutions solides.
Je me permets de faire un peu d'histoire: c'est dans le climat de conflits sociaux des années 30 que les premières commissions de conciliation en matière de baux et loyers ont vu le jour. Elles étaient une réponse à une tension croissante entre bailleurs et locataires, qui existe encore aujourd'hui, dans un canton qui était alors déjà frappé par la pénurie. Le but était clair: apaiser les conflits, permettre le dialogue et éviter l'escalade.
Cette ambition a pris corps en 1978 avec la création d'une juridiction spécialisée, suite à une initiative populaire de l'ASLOCA. Cette institution a survécu à l'introduction du code de procédure civile en 2011, grâce à la mobilisation des milieux intéressés. (Brouhaha.)
La présidente. Un instant, Madame la députée. Je prie les membres de l'UDC de garder le silence. Monsieur Florey, s'il vous plaît ! Merci. Vous pouvez reprendre.
Mme Caroline Renold. Je vous remercie, Madame la présidente. Comme je disais, c'était donc une juridiction des baux et loyers paritaire, composée de magistrats professionnels spécialisés et assistés de deux assesseurs qui représentent d'une part les locataires et de l'autre les bailleurs. Une juridiction rompue au droit technique qu'est le droit du bail et sensibilisée au contexte social du droit au logement et du monde immobilier genevois. Une institution qui a prouvé son efficacité: taux de conciliation extrêmement élevé, rapidité, compétence, spécialisation des juges, dialogue entre les milieux des locataires et immobiliers.
Tout ça jusqu'en 2021, moment où l'équilibre est rompu par une décision gestionnaire du Pouvoir judiciaire, prise sans concertation des partenaires sociaux et qui supprime la spécialisation. Les juges ne sont plus uniquement affectés à la juridiction des baux et loyers, cette charge étant répartie sur l'ensemble des magistrats. La spécialisation est remplacée par une dilution des compétences et une rotation fréquente des membres du tribunal.
Le nombre de juges professionnels siégeant aux baux a triplé, ce qui a d'autant réduit leur spécialisation. Le Pouvoir judiciaire a fait prévaloir une question de gestion technocratique sur une institution établie de la paix du logement, portée par les acteurs du domaine et qui était le fruit d'un choix démocratique.
Comme on vous l'a dit, ce texte était soutenu dans sa version originale par les milieux intéressés, ASLOCA et CGI, qui, pourtant, s'entendent assez rarement sur des projets de lois, avec pour seul but de rétablir l'équilibre qui avait perduré jusqu'alors. Cette proposition continue à être soutenue par l'ASLOCA et la CGI quatre ans après l'entrée en vigueur de la réforme, car celle-ci ne satisfait toujours pas les utilisateurs.
Pourtant, le Pouvoir judiciaire insiste, et la commission judiciaire préfère malheureusement se plier à la gestion du Pouvoir judiciaire plutôt qu'au compromis légitime défendu par les locataires et les bailleurs depuis plus de quarante ans. Le texte que nous votons aujourd'hui est un mauvais compromis; il reprend quasiment l'intégralité de ce que proposait le Pouvoir judiciaire en prévoyant une demi-charge, là où il y avait auparavant une spécialisation complète.
Le parti socialiste votera ce compromis du bout des lèvres et comme pis-aller, mais en sachant que les locataires comme les bailleurs méritent mieux, à savoir le système qui était défendu par les milieux intéressés. Nous vous invitons néanmoins à voter ce projet de loi tel qu'il a été amendé en commission.
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Madame la présidente, je vous adresse à mon tour toutes mes félicitations officielles pour votre accession à ce poste important !
Mesdames et Messieurs les députés, j'ai la faiblesse de croire que lorsqu'une solution est jugée un peu moyenne par tout le monde, mais néanmoins acceptable, c'est que l'équilibre parfait a été trouvé.
Alors certes, le Pouvoir judiciaire aurait préféré un peu plus de marge de manoeuvre et les auteurs du projet de loi un peu moins, mais à l'arrivée, nous ne nous battons plus sur le principe de la spécialisation - mis à mal par une décision unilatérale, qui avait certainement ses raisons, mais qui n'avait pas à s'imposer de manière unilatérale aux partenaires de la filière des baux et loyers.
Il est piquant de constater que le processus qui a animé l'excellente commission judiciaire et de la police de notre parlement est absolument représentatif d'une conciliation, comme elle se fait tous les jours en matière de baux et loyers. Nous sommes face à des positions qui se sont rapprochées suite à un dialogue mené en parfaite entente et qui a permis la compréhension des points de vue des uns et des autres. Comme c'est parfois le cas pour le juge professionnel et les deux assesseurs de la commission de conciliation, il en résulte un accord presque abouti qu'il s'agit finalement de boucler.
Mesdames et Messieurs les députés, j'ai le plaisir d'avoir entendu presque dans tout l'hémicycle qu'il pouvait y avoir des préférences en faveur de la solution de la majorité ou de celle de la minorité, mais que, in fine, plusieurs personnes voteraient le projet de loi de compromis tel qu'il ressortirait du vote majoritaire. A mon avis, cela est symptomatique du fait que l'exercice est réussi.
Je n'ai donc plus qu'à vous remercier pour la qualité des travaux de commission, pour l'écoute mutuelle qui a prévalu, notamment entre le Pouvoir judiciaire, les députés et les milieux intéressés, qu'il s'agisse des milieux de défense des locataires ou des bailleurs, et à vous inviter, comme le dit votre serment que nous venons d'entendre, au plus proche de votre conscience, à trouver la meilleure solution de compromis pour ce projet de loi. Merci, Madame la présidente.
La présidente. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 13158 est adopté en premier débat par 92 oui (unanimité des votants).
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
La présidente. A l'article 84, alinéa 2, nous sommes saisis d'un amendement, déposé par le rapporteur de minorité, qui se présente comme suit:
«Art. 84, al. 2 (nouveau)
2 Les juges alloués au Tribunal des baux et loyers et à la commission de conciliation en matière de baux et loyers se consacrent à titre principal à cette charge.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 55 non contre 40 oui.
Mis aux voix, l'art. 84, al. 2 (nouveau), est adopté.
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 13158 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 85 oui contre 11 non (vote nominal).