République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 11 avril 2025 à 16h15
3e législature - 2e année - 12e session - 67e séance
M 2957-A
Débat
Le président. Nous passons à la M 2957-A, classée en catégorie II, trente minutes. M. André Pfeffer avait déposé un rapport de seconde minorité mais il l'a ensuite retiré. Le rapport de majorité est de Mme Diane Barbier-Mueller et le rapport de minorité de Mme Danièle Magnin...
Une voix. Elle est remplacée !
Le président. Elle ne peut pas être remplacée: elle est présente ! (Commentaires.) Madame la rapporteure de majorité, vous pouvez commencer votre intervention.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. L'accord conclu entre le Conseil fédéral et la République française en 1973 est un accord propre à Genève qui régit la compensation financière des travailleurs frontaliers. Il est ressorti des auditions de nos deux conseillers d'Etat... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Le président. S'il vous plaît ! S'il vous plaît, Madame...
Mme Diane Barbier-Mueller. ...Nathalie Fontanet et Pierre Maudet...
Le président. S'il vous plaît, Madame la députée !
Mme Diane Barbier-Mueller. Vous mettez mon temps en pause, hein !
Le président. Est-ce qu'on peut avoir un peu de silence du côté du groupe socialiste ? (Commentaires.) De l'UDC aussi, mais maintenant, c'est le groupe socialiste ! (Commentaires. Rire.)
Mme Diane Barbier-Mueller. Ça vient de chez vous ! (Commentaires.)
Le président. Mais vous pouvez sortir, si vous voulez ! Parfait, vous pouvez continuer, Madame.
Mme Diane Barbier-Mueller. Merci beaucoup, Monsieur le président, c'est bien aimable. Il est ressorti des auditions de nos deux conseillers d'Etat, Nathalie Fontanet et Pierre Maudet, que cet accord est très favorable à Genève. Les autres cantons, au bénéfice d'un accord intervenu ultérieurement, soit en 1983, n'ont pas de possibilité décisionnelle et voient leurs fonds dépendre du bon vouloir de Bercy - donc de la France; je préfère être claire ! (L'oratrice rit. Rires.) Ce n'est pas le cas avec l'accord genevois: le canton perçoit ces fonds et les reverse directement à la région frontalière française, qui en dispose conformément à des séances multiacteurs tenues annuellement. Par ailleurs, la base de l'accord genevois de 1973 a permis au canton de Genève d'assurer la possibilité de télétravailler jusqu'à 40% sur le territoire français sans rétrocession à la France... (L'oratrice insiste sur les mots «sans rétrocession à la France».) ...Mesdames et Messieurs du MCG !
Cette négociation est unique et renforce l'attractivité de notre canton - sans parler des avantages économiques qui se dégagent de ces recettes. Les auditionnés ont été unanimes pour expliquer qu'une dénonciation de cet accord entraînerait des conséquences néfastes pour Genève et que le canton perdrait plus d'avantages qu'il ne pourrait en gagner, l'accord de 1973 nous étant déjà largement plus favorable que tout accord négocié depuis par les cantons voisins ! Pour conclure, je me permets un petit instant culturel en citant Jean de La Fontaine...
Une voix. Ah !
Mme Diane Barbier-Mueller. ...et sa fable «Le Héron»:
«Ne soyons pas si difficiles:
Les plus accommodants, ce sont les plus habiles;
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris. Ce n'est pas aux hérons
Que je parle; écoutez, humains, un autre conte:
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.»
Ce sont toutes ces raisons qui incitent une large majorité de la commission, Mesdames et Messieurs les députés, à vous recommander de refuser cette proposition de motion, à vous inviter chaudement à le faire.
Une voix. Bravo.
Le président. Merci beaucoup, Madame la rapporteure de majorité. M. Baertschi remplace bien Mme Magnin, et je lui passe la parole.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, l'examen de cette motion a été marqué par un manque de courage. Il est surtout marqué par un sentiment regrettable: la peur d'avoir une relation équilibrée entre Genève et les départements français frontaliers.
Examinons les faits: chaque année, Genève verse 360 millions à la France, ce qui fait 3 milliards sur dix ans. C'est excessif ! L'accord signé en 1973 prévoit un prélèvement automatique de 3,5% sur la masse des salaires des frontaliers; cela correspondait à la réalité de 1973. En 2025, il est temps de revoir cet accord en tenant compte des nouveaux avantages fiscaux attribués aux frontaliers ou en se fondant, ce qui est plus juste, sur la répartition de l'impôt encaissé.
Ce qui est choquant, c'est l'attribution des montants. Par exemple, en 2023, 258 000 euros ont été versés au Groupement transfrontalier pour faire du lobbying et augmenter la présence des frontaliers sur le territoire genevois. En 2014, les électeurs genevois ont refusé, par l'acceptation de l'initiative du MCG, que les P+R français soient financés par les contribuables genevois: par un contournement cette volonté populaire, l'argent genevois de la rétrocession a servi à financer, en 2023, le P+R du terminus du tramway d'Annemasse pour 1,796 million d'euros. Pour 1,796 million d'euros, je le répète - une somme conséquente ! Sans compter le parking-relais de Perrignier pour 444 750 euros, l'échange multimodal de Saint-Julien pour 90 000 euros, l'échange multimodal de Thonon pour 180 000 euros, le parking-relais d'ArchParc pour 75 000 euros, et j'arrête la liste ici.
Pour la seule année 2023, l'Ain et la Haute-Savoie ont reçu 359 millions d'euros. Ce montant est excessif. Le Mouvement Citoyens Genevois n'est pas opposé à un versement modéré, comme c'est le cas pour les montants attribués aux communes genevoises. Mais avec cette rétrocession, nous avons des sommes qui sont d'un tout autre niveau. Il est impératif et urgent de revoir ce dispositif. Le MCG, envers et contre tous, défendra les intérêts de Genève et de ses habitants, malgré toutes les faiblesses et toutes les lâchetés. Nous vous invitons à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Guy Mettan (UDC). Je crois que s'il y a une erreur à ne pas commettre, eh bien c'est de voter cette motion ! Accepter cet objet et renoncer à l'accord de 1973 reviendrait à se tirer une balle non pas dans le pied mais carrément dans le coeur ! C'est l'accord le plus intelligent qu'on ait conclu - je m'excuse de revenir sur le mot «intelligence» - à Genève depuis cinquante ans, et même plus: depuis cinquante-deux ans. Nous sommes le seul canton suisse à bénéficier de cet accord: tous les autres cantons qui ont des frontaliers nous jalousent, nous envient, parce que nous sommes effectivement les seuls à bénéficier très largement de cet accord.
Je rappelle que le total de la masse fiscale représentée par les frontaliers... On peut discuter des frontaliers, on est tout à fait d'accord, et à cet égard, je l'ai dit, je peux partager et je partage d'ailleurs en grande partie le point de vue du MCG; mais remettre en cause cet accord serait pour nous un suicide. La masse salariale, Mme Fontanet nous le précisera, dépasse le milliard, et on ristourne seulement 350 millions - je reconnais que c'est un grand montant. Si on rompait cet accord, ce serait le contraire: il faudrait payer un milliard à la France et supplier les Français de nous restituer la part qui nous revient. Mais bonjour, Monsieur Baertschi ! C'est vous qui irez à Paris pour faire ça ? Je suis sûr que non ! (Remarque. Rires.) Effectivement !
Une voix. Il adore la France !
M. Guy Mettan. Mais si vous préférez priver les Genevois de 1 milliard et aller supplier les Français de nous verser la part qui nous revient, comme font les autres cantons...! J'avais parlé de ça avec M. Broulis à l'époque, lorsqu'il était ministre des finances, et il disait: «Nous avons toutes les difficultés du monde à ce que Bercy nous rétrocède notre part.» On a autre chose à faire que d'aller quémander le retour de notre part à Paris. Et donc pour la prospérité des Genevois, qu'ils soient chômeurs, qu'ils soient à l'Hospice ou ailleurs, par pitié, ne revenons pas sur cet accord ! Je pense que c'est une très mauvaise idée. Quand nous en avons discuté en commission, M. Golay, l'auteur de cette motion, s'est d'ailleurs dit que ce n'était finalement peut-être pas une si bonne idée que d'aller dans ce sens.
Une voix. Il ne faut pas faire parler les absents !
M. Guy Mettan. Je ne peux que dire ce que j'ai moi-même entendu, et cela figure peut-être même dans le rapport si... En tout cas, ça a été dit. (Remarque.) A partir de là, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demanderai de ne pas accepter cet objet. (Le micro de l'orateur est coupé.) Je voudrais encore rajouter un petit...
Une voix. Micro !
M. Guy Mettan. ...nous avions... Oui ?
Une voix. Il n'y a plus le micro.
M. Guy Mettan. Oh, pardon ! (Le micro de l'orateur est rallumé.) L'autre jour, nous avions les Assises transfrontalières au sommet du Salève. En discutant avec les Français, que réalise-t-on ? Eh bien, ce sont les Français qui veulent renégocier cet accord ! Pourquoi ? Parce qu'ils s'estiment, eux, lésés ! Parce qu'ils aimeraient bien que Genève applique...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Guy Mettan. ...la même disposition que l'ensemble des cantons suisses. Je ne savais pas que le MCG était complice des Français pour nous faire perdre un milliard !
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, c'est un peu désespérant et un peu agaçant de voir que le MCG a un certain nombre de problèmes de compréhension s'agissant du dossier que nous traitons.
Une voix. Soyez poli ! Soyez poli !
M. Jean-Marc Guinchard. Ce n'est pas de la malhonnêteté, je suis désolé !
La même voix. Oui, c'est malhonnête !
Le président. Monsieur le député... (Remarque.)
M. Jean-Marc Guinchard. Je constate ! (Remarque.)
Le président. Oui, mais... S'il vous plaît ! C'est moi qui préside, merci !
La même voix. Il y a un minimum de respect...
M. Jean-Marc Guinchard. Je constate que tout à l'heure... (Remarque.) ...on a cité à nouveau le chiffre de 10% du BIT, qui se base sur des sondages relatifs aux demandeurs d'emploi; on avance ce chiffre de 10% alors que le SECO se base, lui, sur les gens qui sont réellement au chômage !
Cela étant, le mécanisme a été expliqué et il a été rappelé, mais je tiens également à souligner par rapport à cet accord que Genève est le canton qui s'en sort le mieux. Souvenez-vous que M. Broulis, à l'époque où il était grand argentier du canton de Vaud, avait connu un retard de plus de deux ans dans les versements de la France ! Et il avait vraiment dû taper du poing sur la table, ce qui n'arrive pas dans notre cas puisque c'est nous qui gardons cet argent et le rétrocédons ensuite.
Entamer une négociation, c'est bien joli ! Le problème, quand on commence à négocier, c'est d'abord qu'il faut avoir des biscuits pour le faire, ensuite qu'il faut être sûr de l'issue de cette négociation. Or, je ne suis pas certain que le canton de Genève puisse sortir gagnant d'une négociation qu'il entamerait à l'heure actuelle. Je ne vois pas pourquoi on devrait rejoindre la cohorte des cantons qui se mordent les doigts d'avoir conclu des accords différents du nôtre. Franchement, si le MCG souhaite véritablement défendre Genève, eh bien il lui faut considérer que cet accord est bienvenu et que nous sommes heureux de continuer à l'appliquer. Nous refuserons donc cette motion. Je vous remercie.
M. Christian Steiner (MCG). A mon préopinant, j'aimerais d'abord rappeler qu'on ne compare pas des oranges et des bananes ! On ne prend pas le taux de chômage de l'OIT et puis le taux du SECO ! Je ne vais pas faire un long discours là-dessus.
Ensuite, quand j'entends l'ensemble des discours, je me demande: est-ce que c'est de l'ignorance ou de la mauvaise foi ? Il n'existe pas... Un accord comme celui du canton de Vaud n'est certainement pas la seule alternative à l'accord fiscal - à l'accord financier genevois, pour être précis ! Est-ce que personne n'est allé voir plus loin ? Est-ce que ce sujet n'intéresse personne, dans cet hémicycle ? On a un exemple: le dernier accord fiscal transfrontalier négocié, c'est celui de la Suisse avec l'Italie, qui a tout son sens. La Suisse prélève... Il réintroduit une double imposition qui prévoit 80% pour les frontaliers domiciliés dans un rayon de 20 kilomètres et une restitution de 40% de cet impôt aux communes ! Pour ceux qui viennent de plus loin, c'est 100% de l'impôt qui est prélevé, sans aucune restitution par le Tessin ! Ou alors une petite, et c'est également le cas du Valais et des Grisons, qui ont aussi des frontaliers.
C'est donc ça qu'il vaut la peine d'étudier en commission, et certainement pas quelque chose de pire que ce qu'il y a aujourd'hui ! Cet accord a été validé par la Communauté européenne, il a été validé par l'Italie - probablement dans la douleur, parce qu'il y a des dispositions transitoires sur plus de dix ans. Mais ça, ça vaut la peine d'être étudié. Ça, ça vaut la peine d'être chiffré. Et ça, c'est un bon principe ! Il n'y a presque plus d'échanges: il y a le versement direct d'une partie aux communes frontalières, mais pour le reste, chaque pays prélève son impôt ! Il n'y a plus de restitution: chacun prend sa part. Voilà donc ce qu'il faut étudier ! Il ne faut pas nous citer chaque fois l'exemple du canton de Vaud comme si c'était la seule option possible. Je vous remercie.
M. Cédric Jeanneret (Ve). Conformément à l'accord de 1973 entre la Suisse et la France sur la compensation financière genevoise, la CFG devrait permettre de compenser les charges publiques liées aux habitants de l'Ain et de la Haute-Savoie qui travaillent et sont imposés à Genève. Notre canton, avec son taux de croissance exceptionnellement haut combiné à un taux de naissances historiquement bas, connaît un décalage entre le nombre d'actifs et le nombre de places de travail offertes d'environ 115 000 personnes, 115 000 postes. Justement le nombre de frontaliers qui permettent à notre économie, et notamment à notre système de santé, de fonctionner !
Tout d'abord, il faut rappeler qu'il y a entre 10 000 et 20 000 demandeurs d'emploi à Genève... (Exclamation.) ...et qu'il est donc totalement erroné de désigner les frontaliers comme boucs émissaires. On a d'un côté 15 000 demandeurs d'emploi et 115 000 frontaliers de l'autre; on peut tourner les choses comme on veut, on est dans deux catégories complètement différentes. Les ordres de grandeur ne sont pas du tout les mêmes, alors arrêtez avec ce bouc émissaire des frontaliers.
Chaque année, le canton et les communes genevoises prélèvent environ un milliard à la source sur le salaire des frontaliers et en reversent un petit tiers aux communes françaises, qui ont à leur charge les services, la gestion des ressources, les infrastructures publiques, les crèches, les écoles, l'entretien des voiries, etc. Après la rétrocession, ce sont en moyenne 7500 francs par an et par salarié frontalier qui restent acquis à Genève. En valeur absolue, cet accord est donc au bénéfice complet de notre canton.
Et notre canton retire bien d'autres avantages de ce système. Prenons l'exemple de la formation: les 5000 frontaliers supplémentaires qu'on engage chaque année à Genève sont formés - et bien formés, sinon on ne les engagerait pas. Une formation coûte de 200 à 250 000 francs; le calcul est vite fait, on n'est pas loin d'un milliard, qui est, chaque année, investi par nos voisins pour nourrir l'économie genevoise. Et ça, ça commence à faire sérieusement tousser la Haute-Savoie et l'Ain, qui connaissent des quasi-déserts médicaux dans une des régions de France où il y a en outre le plus de postes d'enseignants vacants - difficile de vivre avec un salaire d'instituteur français dans une région où Genève tire le coût de la vie vers des sommets parmi les plus élevés de l'Hexagone. Je ne parlerai pas de l'exemple du chômage; les Français paient chaque année à peu près un milliard également pour les frontaliers qui sont au chômage.
Alors s'il fallait renégocier la CFG pour envisager un meilleur partage du gâteau, les Vertes et les Verts vous inviteraient peut-être à voter oui à cette motion. Mais à une époque où le vivre-ensemble est menacé de toutes parts, le groupe écologiste vous invite à refuser ce texte et à apprécier le privilège que nous avons de partager le magnifique cadre de vie commun que constitue le territoire du Grand Genève, tout en cherchant à y réduire les inégalités. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Laurent Seydoux (LJS). Mesdames et Messieurs les députés, mais qu'est-ce qui se passe dans la tête du MCG, ce parti si apte à attaquer les avantages des frontaliers, alors que pour une fois nous avons un accord qui est extrêmement favorable au canton de Genève, à ses communes et à la Confédération par rapport à la zone frontalière ?
Quelques chiffres: d'abord, la masse brute des revenus des frontaliers à Genève, c'est 9,8 milliards de francs. Là-dessus, nous avons un impôt qui rapporte 760 millions de francs au canton, 255 millions aux communes et 162 millions à la Confédération. Sur ce montant de plus de 1,2 milliard, nous ne rétrocédons que 342 millions ! Et vous voulez annuler cet accord pour en négocier un nouveau qui peut nous faire tomber tout ça à zéro (comme le non-accord que nous avons avec le canton de Vaud: nous ne pouvons percevoir aucun impôt des résidents du canton de Vaud) ou attendre, comme les autres cantons frontaliers de Suisse, que Paris veuille bien nous verser une obole, cela a été évoqué, avec beaucoup de retard, alors qu'avec l'accord actuel nous maîtrisons l'ensemble des flux financiers.
Que nous réfléchissions ensemble, avec nos amis français, à ce que nous pouvons faire de mieux avec ce milliard qui reste dans la région - si on enlève les 160 millions rétrocédés à Berne -, oui, je pense qu'il y a là des choses à faire. Oui, nous devons soutenir cette région frontalière. Ceux qui souffrent le plus de la situation actuelle, ce sont les Français qui habitent et travaillent en France ! Là, il existe une vraie bombe sociale. Alors qu'une réflexion soit menée - il m'a semblé entendre que ça pouvait se faire -, que ces montants puissent être investis dans la région, oui ! Mais renégocier cet accord extrêmement favorable qui nous donne les moyens de nos actions dans la région, non ! Nous n'allons pas annuler cet accord; nous vous encourageons fortement à refuser cette motion qui ferait un cadeau fiscal important et bienvenu à Paris ! Merci, Mesdames et Messieurs les députés.
M. Yvan Zweifel (PLR). Je ne reviens pas sur les explications nombreuses qui ont été données sur le fait que l'accord actuel est probablement bien plus favorable que ce qui existe dans d'autres cantons. Rappelons peut-être le principe de base ! C'est celui, en fiscalité, de l'assujettissement illimité d'un travailleur - de n'importe qui, d'ailleurs - là où il réside. C'est-à-dire que, d'ordinaire, on paie 100% de ses impôts, d'où qu'ils viennent, là où on réside. Et puis il y a des exceptions, notamment lorsque plus de 90% de votre revenu du travail vient d'un autre pays: alors se met normalement en place un autre mécanisme, celui de l'impôt à la source, et c'est le pays dans lequel la personne travaille qui impose en partie le revenu du travail.
Ça, c'est le principe, mais pour que le principe s'applique, il faut qu'il y ait un accord ! Et le risque, si on dénonce un accord, s'il n'y a plus d'accord, c'est quoi ? Eh bien comme il n'est évidemment pas possible d'imposer le revenu des deux côtés, on prend alors le risque que le principe premier, celui de l'assujettissement illimité là où vous résidez, s'applique et que 100% du revenu du salaire suisse d'un frontalier français soit imposé en France. Ça veut dire zéro pour Genève, zéro pour la Suisse ! Ça, c'est évidemment le risque qu'il ne faut surtout pas courir.
M. Steiner nous dit: on pourrait négocier autre chose. Peut-être ! Mais aujourd'hui, cette autre chose n'existe pas ! Et vous évoquez le cas du Tessin, des Grisons et du Valais; vous avez évoqué l'effet de ce nouvel accord qui dit que 80% reste en Suisse. Mais vous n'êtes pas allé au bout de l'explication, cher collègue - vous transmettrez, Monsieur le président -, puisque cet accord dit: 80% du revenu en Suisse, basé sur le taux mondial des revenus de la personne en question, qui reste imposée sur son revenu en Italie ! Et elle devra par conséquent également payer l'impôt en Italie, mais elle en déduira... (L'orateur insiste sur le mot «déduira».) ...l'impôt à la source prélevé en Suisse, ce qui n'est pas le cas des frontaliers français à Genève, dont les revenus suisses sont imposés en Suisse et pour lesquels ils ne paient pas d'impôts en France.
Ce que vous dites est donc juste sur le principe, mais vous n'êtes pas allé jusqu'au bout; cet accord n'est pas aussi favorable que vous voulez le dire. Et quand bien même il le serait, rien ne nous garantit que ce soit cet accord-là qui s'appliquerait pour Genève. La France pourrait tout à fait dire: ben non, on ne va pas prendre celui du Tessin, on va prendre celui du canton de Vaud, de Neuchâtel, de Fribourg, du Jura et de tous les autres cantons qui appliquent l'accord de 1983 et non celui de 1973.
Mesdames et Messieurs, d'autres l'ont expliqué avant moi, nous avons aujourd'hui un accord favorable. On peut toujours espérer avoir mieux, vous avez raison, Mesdames et Messieurs du MCG ! Mais on peut aussi avoir pire ! Et gouverner, c'est prévoir: ça veut dire faire une pesée des risques, une pesée des intérêts. Aujourd'hui, cette pesée est extrêmement claire: nous avons un accord favorable. Peut-être qu'on pourrait avoir mieux, mais on pourrait peut-être - surtout - avoir pire ! Pour toutes ces raisons, il faut évidemment refuser ce texte.
M. Grégoire Carasso (S). Quel bonheur - cette fois-ci, c'est sans ironie aucune ! - d'intervenir après notre collègue Zweifel; Monsieur le président, vous transmettrez. S'agissant du volet tessinois, comment faire référence à cet exemple, comme l'a fait M. Steiner - vous transmettrez -, en ne disant que la moitié de l'histoire ! La grande différence avec le Tessin, M. Zweifel l'a évoquée et je n'entre pas dans les détails, c'est que le frontalier est imposé des deux côtés de la frontière, et donc le solde fiscal qui reste au Tessin est autrement moins important. Mentionner le 80% en faisant abstraction de tout le reste, c'est ne pas savoir ce reste ou alors le cacher, ce qui n'est franchement pas très correct.
Il y a un autre avantage du modèle genevois, unique en son genre - je ne développerai pas plus et je me concentrerai sur celui-là, si vous le voulez bien: c'est le fait que la partie reversée à la France ne va pas financer le budget de l'Etat français. Elle est réinvestie directement pour les infrastructures de la région ! Et si vous ajoutez, dans le grand ensemble «réflexion fiscale», cette dynamique financière d'un accord qui n'a que quatre articles - il tient sur deux pages, Mesdames et Messieurs -, vous mesurez la force, le courage et l'audace des élus genevois et français, de l'autre côté de la frontière, pour avoir établi à l'époque cet accord qui bénéficie plus que n'importe quel autre, dans n'importe quel autre territoire européen, à la région de manière générale et à Genève en particulier ! Soutenir le contraire... Alors oui, ça entretient une des marottes du MCG - c'est important d'avoir ses marottes, je vous le concède, mais vous êtes à la limite du ridicule dans cet exercice. Je vais m'arrêter, Monsieur le président, parce qu'une telle unanimité dans ce parlement contre le MCG devient presque gênante. (Rire.)
Une voix. Oh !
M. Grégoire Carasso. Si cet accord aussi unique et original a vu le jour en 1973 - et, vous me connaissez, Monsieur le président, aucune allusion à une initiative prochainement soumise en votation populaire ne m'anime -, c'est peut-être parce que Genève a historiquement toujours imposé en tenant compte du lieu de travail et du lieu de résidence. Et il est clair que si on commence à suivre le MCG dans ses délires... Si l'initiative «J'y vis, j'y paie !» était acceptée et qu'en même temps on commettait une seconde erreur en suivant le MCG pour dénoncer l'accord entre Berne et Paris relatif au canton de Genève, comment expliquerait-on aux Français qu'on devrait continuer à imposer les frontaliers qui travaillent à Genève sur le lieu de travail et non sur le lieu de domicile ? On envisage de fait (du moins certains dans ce parlement; ce sera soumis au peuple le 18 mai) de supprimer l'une des deux composantes avec cette initiative. Quelqu'un parlait de se tirer une balle dans le pied; ce projet qui se dessine, c'est deux balles dans le pied, plus une dans la tête - en tout cas si on venait à suivre le MCG. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Steiner pour cinquante-cinq secondes.
M. Christian Steiner (MCG). Merci, Monsieur le président. Ce que je proposais, c'était d'étudier un tel projet, qui est quand même l'accord fiscal le plus récent ! M'accuser d'avoir caché certains aspects, c'est... Vous pouvez lire cet accord fiscal: on le trouve sur internet, il sort tout de suite dans les résultats des recherches. Et puis son principe est simple: c'est la double imposition. L'Italie impose et la Suisse impose par ailleurs ceux qui habitent dans un rayon de 20 kilomètres selon le barème suisse, mais à 80% ! Avec ça, chacun garde donc sa souveraineté, chacun garde son indépendance. Je ne vois pas où est le problème ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste dix secondes de temps de parole.) Il suffit de lire au lieu de critiquer ou d'affirmer. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Personne d'autre ne souhaitant s'exprimer, je passe la parole aux rapporteurs. Monsieur Baertschi, vous avez la parole pour vingt-deux secondes.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Il y a quelque chose de louche à voir pareille unanimité, inévitablement. (Rires.) Il y a une alliance du grand capital... (Rire.) ...et puis d'une certaine gauche bobo, avec même le renfort plus surprenant d'une certaine UDC moscovite... (Rires. L'orateur rit. Commentaires.) ...qui soutient des majorités improbables. On peut donc véritablement se poser des questions. Mais ce qui est quand même l'élément principal de cette affaire, c'est qu'on...
Le président. Monsieur le député ?
M. François Baertschi. Oui ?
Le président. Je sais que vous êtes extrêmement minoritaire; je vous laisse encore dix secondes !
M. François Baertschi. Merci beaucoup pour votre générosité ! (Commentaires.) J'en termine; j'avais beaucoup de choses à dire et à rectifier, mais je terminerai en disant que ce qui est grave dans cette affaire, c'est qu'on soutient les frontaliers - frontaliers qui ont un effet sur le chômage, et sur le niveau des salaires également, ce qui est très inquiétant. Je vous remercie infiniment de votre bonté, Monsieur le président !
Le président. Eh oui ! Merci beaucoup ! C'est une grande bonté de ma part ! (Le président rit.) Madame la rapporteure de majorité, vous avez quant à vous pas mal de temps: cinquante-huit secondes !
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR), rapporteuse de majorité. J'espère que vous serez aussi magnanime avec moi ! Merci, Monsieur le président. En tant que fer de lance, apparemment, de la gauche bobo...
Une voix. Ah !
Mme Diane Barbier-Mueller. Et je m'y reconnais ! (L'oratrice rit. Remarque.) Non, non ! ...je vais juste rectifier une petite chose. Alors qu'on parle de favoriser les frontaliers, il faut rappeler les 762 millions d'impôt cantonal, soit touchés par Genève, les 255 millions d'impôt communal et les 162 millions d'impôt fédéral, ce qui fait - je vais me baser sur le calcul de M. Seydoux - 1,2 milliard au total, face aux 300 millions reversés à la région. Et là, M. Carasso m'a ôté les mots de la bouche: c'est véritablement un soutien à la région, c'est donc un développement en faveur des gens qui participent à la prospérité de notre canton. Ce ne sont pas que des frontaliers français, ce sont aussi des frontaliers suisses... (Remarque.) Non, non, ça n'existe pas ! (Rire.) ...c'est un développement au profit de la richesse économique du Grand Genève. Et s'agissant des P+R, vous avez effectivement refusé et fait refuser à la population le financement de ces parkings, et aujourd'hui on a vingt fois plus de voitures françaises à Genève que si on avait eu ces P+R.
Mme Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat. Je trouve toujours ces débats intéressants; on est un peu dans le «y a qu'à, faut qu'on». Il se trouve, Mesdames et Messieurs les députés, que lorsque nous avons renégocié les accords liés au télétravail, nous avons, entre guillemets, «ouvert» la possibilité de rediscuter de cette CFG. Nous avions ouvert cette possibilité avec l'ensemble des cantons: le canton de Genève, effectivement en position de force parce que c'est lui qui taxe - il empoche, il conserve au départ le produit de la taxation et a donc un très net avantage -, était aux côtés de tous les autres cantons qui n'ont pas ce même avantage et dépendent, cela a été dit, du fisc français, de Bercy, qui rétrocède l'argent dû quand il le veut bien. Nous nous sommes rapidement rendu compte que la situation du canton de Genève était enviable, comparée à celle des autres cantons ! Nos collègues nous l'ont dit très clairement.
Nous nous sommes également aperçus que nous avions aussi de la chance d'avoir cette entente avec la région frontalière parce que la part de la CFG qui est reversée ne l'est pas à Bercy comme cela se fait pour l'imposition des frontaliers des autres cantons, qui est conservée par Bercy, mais bien aux régions voisines pour construire et développer ensemble le Grand Genève. Ces montants ont d'ailleurs notamment servi à financer des P+R en France, que, je le rappelle, la population genevoise avait refusé de financer à l'époque. Cela paraît donc difficile de tout remettre en question aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, ce d'autant que, M. Zweifel l'a rappelé, le principe est en règle générale la fiscalisation sur le lieu de domicile. C'est parce que nous avons un accord que nous pouvons, nous, taxer l'activité des frontaliers sur notre territoire, et il y aurait un risque à remettre tout cela en question. Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous recommande de refuser cette motion.
Peut-être juste une précision pour le Mémorial: les chiffres que vous avez donnés sont ceux des comptes 2022... (Remarque.) Non: 2022 ! Les chiffres qui ont été donnés et qui figurent dans le rapport sont ceux de 2022. Je peux aujourd'hui vous donner les chiffres des comptes 2024, si vous les souhaitez, mais ils sont plus ou moins identiques: 1,246 milliard a été perçu comme impôt des frontaliers et 671 millions ont été conservés pour le canton. Ce sont donc des montants très importants, que les autres cantons ne conservent pas. Parce qu'il faut aussi rappeler, en ce qui nous concerne, que dans les autres cantons, le cadre de l'accord... Non ! Excusez-moi, ce que j'allais vous dire est tout faux et je vais donc m'arrêter là. (Rires.) Merci beaucoup !
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.
Mise aux voix, la proposition de motion 2957 est rejetée par 72 non contre 10 oui (vote nominal).