République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 3116
Proposition de motion de Céline Bartolomucci, Pierre Eckert, Angèle-Marie Habiyakare, Emilie Fernandez, Yves de Matteis, Laura Mach, Uzma Khamis Vannini, Julien Nicolet-dit-Félix, Marjorie de Chastonay, Dilara Bayrak, Léo Peterschmitt, Cédric Jeanneret, Christina Meissner pour un renforcement des mécanismes de prévention et d'intervention face aux pollutions des cours d'eau genevois
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XII des 10 et 11 avril 2025.

Débat

Le président. Nous traitons la dernière urgence, à savoir la M 3116; elle est classée en catégorie II, trente minutes. La parole est à son auteure, Mme Bartolomucci.

Mme Céline Bartolomucci (Ve), députée suppléante. Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il y a quelques jours, la rivière de l'Aire a subi, selon les mots de l'office cantonal de l'eau, l'un des épisodes de pollution les plus graves de ces dix dernières années à Genève. Plus de deux cents litres d'un produit d'origine industrielle, de type soude caustique (le genre de produit parfois utilisé pour déboucher les toilettes - à tort, d'ailleurs, à cause de sa toxicité), se sont déversés dans le réseau d'eau pluviale et ont terminé dans l'Aire, causant la mort de milliers de poissons et d'une quantité incalculable de microorganismes leur servant de nourriture. Bref, une biodiversité anéantie sur plusieurs kilomètres, jusqu'à la confluence avec l'Arve, où le produit s'est dilué avec des impacts encore inconnus. Et cela ne se passe pas sur une rivière quelconque: il s'agit de l'Aire, ce cours d'eau que Genève a renaturé avec tant d'efforts et de fierté pendant plus de vingt ans. Cette renaturation, qui a mobilisé urbanistes, écologues, élus et habitants, a même valu à notre canton le Prix du paysage du Conseil de l'Europe en 2019, célébrant la vision d'un territoire où la nature est présente et mise en valeur, y compris au coeur des zones urbaines.

Les espèces aquatiques de nos cours d'eau subissent aujourd'hui une accumulation de pressions: les étiages aggravés par le changement climatique, les éclusées, la hausse des températures, la pollution, le tourisme, etc. Ce grave épisode de pollution vient s'ajouter à une spirale d'agressions qui aggrave une situation déjà extrêmement inquiétante. Les services de l'Etat ont tenté de répondre le plus vite possible à cet événement et le département a déposé une plainte pénale, ce que nous saluons. Mais notre canton ne dispose malheureusement pas de cellule pluridisciplinaire d'intervention rapide face à ce type de pollution, comme cela existe dans le canton de Fribourg, par exemple. Il n'existe pas non plus de registre public recensant les pollutions environnementales, comme c'est le cas dans d'autres pays d'Europe. Autre point important: selon l'office cantonal de l'eau, sur les 76 000 bouches d'égout existantes dans le canton, 42 000 d'entre elles donnent directement sur les cours d'eau, ce qui montre à quel point nos rivières sont exposées à la moindre négligence ou malveillance.

Cet objet s'appuie sur les bases que ce parlement a lui-même posées en adoptant dernièrement plusieurs motions plaidant pour la protection de l'Aire. Il demande de renforcer nos capacités de prévention et de réaction, mais également notre réseau d'eau pluviale. Nous avons aujourd'hui l'occasion de tirer les conséquences concrètes de ce qui restera, malheureusement, l'une des plus graves atteintes écologiques récentes sur le sol genevois. Nous vous demandons donc, chers collègues, de voter en faveur de cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Christina Meissner (LC). Mesdames et Messieurs les députés, excusez-moi de prendre la parole sur cette motion avec une certaine émotion. En effet, cela fait près de trente ans que cette renaturation de l'Aire a commencé; j'y ai participé à titre personnel quand j'étais chargée de communication pour la renaturation des cours d'eau du canton de Genève. Cela fait trente ans que l'on fait de la sensibilisation pour justement rappeler, surtout aux citoyens, que sous les grilles coule une rivière ! Mais peut-être que nous n'avons pas fait suffisamment pour sensibiliser les industriels, et il y a malheureusement encore du travail ! Ce ne sont pas les forces qui manquent: on a un service SIS, on a des inspecteurs de l'eau, on a la capacité de mobiliser rapidement. Est-ce une volonté politique qui manque en ce moment ? Je me pose vraiment la question.

En ce qui concerne les contrôles en zone industrielle, surtout à Plan-les-Ouates, ils sont largement insuffisants. Il y a des années de cela, j'ai demandé: ne peut-on pas mettre en place des systèmes de contrôle et de rétention pour que l'eau ne parvienne pas directement à la rivière alors qu'une zone industrielle aussi étendue que celle de Plan-les-Ouates se trouve juste à côté de l'Aire ? On m'a dit que ça coûtait trop cher ! Je rappellerai que nous avons voté aujourd'hui une augmentation de la participation du canton au fonds intercommunal; eh bien il est temps d'introduire dans ce fonds la nécessité de véritablement faire quelque chose pour que la zone industrielle de Plan-les-Ouates, à côté du quartier des Cherpines, respecte les cours d'eau qui la bordent.

Enfin, je ne pouvais pas terminer cette intervention sans rappeler tous les textes qui ont demandé à protéger la rivière, tant la qualité de son eau que sa quantité. Surtout, une rivière, ce n'est pas simplement plus d'espace, ce n'est pas simplement de l'eau en suffisance, c'est avant tout une rivière vivante ! Maurice Blanchet disait en 1941, à propos de l'Aire: «Ma rivière pue. Ma rivière, on l'a tuée. Elle est morte.» Je n'aimerais pas, après tout le travail de renaturation, tous les millions qu'on a engagés pour cette rivière, qu'on retourne à une situation vieille de bientôt plus d'un siècle ! Merci beaucoup de faire ce qu'il faut - et c'est vraiment un message politique que j'adresse à l'ensemble du Conseil d'Etat. Je regrette que M. Hodgers ne soit pas là; il a toutes les cartes en main pour s'assurer que le travail et l'argent investis depuis trente ans ne l'ont pas été pour rien ! (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Madame la députée. S'il vous plaît, le député MCG: la bouteille, en bas. (Remarque.) En bas !

Une voix. Mais ça revient au même !

Le président. Merci. (Remarque.) La loi est la même pour tout le monde, Monsieur, il n'y a pas de différence.

Une autre voix. L'eau, dans la rivière !

Le président. Dans la rivière, exactement ! La parole est à M. Erard pour treize secondes.

M. François Erard (LC). Merci, Monsieur le président. Le temps qui m'est imparti étant très court, je demanderai simplement, au nom du Centre, un renvoi à la commission de l'environnement et de l'agriculture. Je vous remercie.

M. Jean-Pierre Tombola (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, il y a quelques jours, les médias nous apprenaient la pollution de l'Aire entre le pont du Centenaire et Pont-Rouge. Les spécialistes se sont rendus sur le terrain et ont constaté qu'aucun poisson n'est vivant dans cette zone. Et il n'y a pas que les poissons qui ont été affectés ! Les vers de terre ont été tués, tout comme les crustacés, et il est fort probable que le retour de la vie dans cette partie qui a été polluée prendra des années.

Mesdames et Messieurs les députés, nous ne pouvons pas ignorer la nécessité de protéger l'environnement, qui est en lien direct avec notre cadre de vie. Le plan biodiversité 2030 nous exhorte à poursuivre le développement de notre canton, des activités économiques, mais de pair avec la protection de la biodiversité, pour préserver notre cadre de vie. Des actions ont été menées, tout a été fait depuis des années, mais on comprend très bien que cette pollution, qui est récurrente, contrevient aux efforts et aux moyens importants qui ont été consentis par l'Etat pour renaturer et faire revivre ces rivières.

Nous avons la responsabilité de protéger les rivières, nous avons la responsabilité de protéger notre environnement. Et, effectivement, s'il y a des mesures à prendre, il faut continuer les efforts qui ont été déployés jusqu'à présent, continuer à sensibiliser pour qu'il y ait une appropriation positive de la nécessité de protéger la biodiversité, qui en réalité définit aussi notre cadre de vie. Mesdames et Messieurs les députés, pour toutes ces raisons, le groupe socialiste soutiendra cette motion et vous exhorte à faire de même. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

Mme Céline Zuber-Roy (PLR). Le PLR, comme tous les Genevois, est attaché aux rivières genevoises et, en l'occurrence, à l'Aire; nous regrettons profondément la pollution qui l'a touchée. Pour ma part, je salue quand même la réaction rapide des autorités; il y a eu un dépôt de plainte et, je l'espère, on saura par la suite quelle est la cause de cette pollution. Est-ce que c'est un accident ? Est-ce que c'est malveillant ? L'instruction pénale suivra son cours.

De notre côté, au parlement, il me semble important de renvoyer ce texte en commission. En tant que présidente de la commission de l'environnement, je souligne que nous traitons actuellement de la loi sur les eaux - il s'agit d'une réforme importante, avec une bonne centaine d'articles - et c'est dans ce cadre-là qu'on doit étudier ce qui s'est passé et voir comment on peut prévenir ces incidents, comment on peut essayer de diminuer leur occurrence. Ce texte permettra d'intégrer ces réflexions à nos travaux. Pour faire du travail de bonne qualité (parce que c'est ce qui est important: l'objectif est de faire de la prévention et de réduire ces incidents), je vous invite à envoyer ce texte en commission. Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Raphaël Dunand (LJS). Chers collègues, pour LJS, il est important de protéger nos rivières et plus particulièrement la qualité de leur eau. Il est essentiel de pouvoir réagir rapidement en cas de pollution, délibérée ou non. Cette motion demande simplement la mise en place d'outils nécessaires à cet effet, mais elle enfonce une porte ouverte.

En effet, nous disposons déjà de ces outils à travers l'office cantonal de l'eau. L'OCEau - je vous lis la page d'accueil - «contribue à respecter l'eau, à la vivifier et la partager pour soutenir le vivant par des actions cohérentes, coordonnées et efficientes fédérant les différents acteurs de l'eau et sensibilisant le public à l'importance d'une utilisation consciente, mesurée et rationnelle de l'eau». A travers quatre services - le service du domaine public lacustre et de la capitainerie, le service de l'aménagement des eaux et de la pêche, le service de l'assainissement et de la gestion des eaux, le service de la surveillance et de la protection des eaux et des milieux aquatiques -, il agit en connaissance de cause et le plus rapidement possible.

De plus, ce même office - cela a été mentionné - a engagé une refonte complète de la loi sur les eaux afin d'actualiser le texte actuel, pour répondre au mieux à ces incidents ou à ces pollutions. Evitons les doublons, les mille-feuilles administratifs qui risqueraient de compromettre la réactivité des services. Les outils existent, cela a été dit, mais ils sont malheureusement mal appliqués. Renvoyons donc cette motion en commission afin de l'examiner en coordination avec les travaux en cours. Je vous remercie de soutenir le renvoi en commission.

Le président. Quelle commission ? (Remarque.) Très bien, à la commission de l'environnement. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Magnin.

Mme Danièle Magnin (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. C'est un nouveau désastre - je dis que c'est un nouveau désastre, parce que ce n'est pas le premier qui survient dans cette jolie rivière. Pendant un certain temps, on avait pensé que les pollutions provenaient surtout de la France voisine, dont les réseaux n'étaient pas très bien aménagés. Je me rappelle une prise de parole de M. Dimier sur ce sujet; malheureusement, il n'est pas là. Moi, il me semble que c'est l'argent contre la nature ! Alors je souhaiterais que l'on mette des amendes tellement énormes que la question d'une négligence, d'un dol éventuel ou même d'un acte délibéré ne se pose plus ! Et je soutiens volontiers, au nom du MCG, le renvoi à la commission de l'environnement et de l'agriculture, mais mon souhait serait qu'on s'en occupe tout de suite. Merci.

M. Stéphane Florey (UDC). Qu'il y ait eu pollution, c'est indéniable - on l'a vu et on a pu le lire dans les journaux -, mais dire ici qu'il n'y a à peu près rien du tout, c'est juste un manque de respect pour toutes les entités qui travaillent précisément en cas de pollution, en cas de catastrophe. De nombreux contrats sont passés, même avec des entreprises privées, avec des temps de réaction maximaux; on peut citer Gaster, qui vient justement faire du pompage, quand il y a lieu, dans les fosses, les égouts que mentionnait une députée, dans les grilles d'égout, ce genre de choses. Ce sont des temps de réaction très courts.

Il convient d'étudier ce texte en commission, déjà pour vérifier que ce qui est mis en place fonctionne et possiblement l'améliorer, mais surtout pour démentir les invites de la motion, qui sont, il faut le dire ici, à peu près mensongères puisque, on l'a indiqué à plusieurs reprises, le système fonctionne relativement bien. Un accident est toujours malheureux, mais... ma foi, c'est arrivé, on ne peut qu'en prendre acte. Mais il convient, encore une fois, d'étudier cette motion en commission, et c'est pour ça que nous accepterons le renvoi à la commission de l'environnement. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 3116 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est adopté par 62 oui contre 14 non et 1 abstention.