République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 mars 2025 à 16h15
3e législature - 2e année - 11e session - 62e séance
M 2997-A
Débat
Le président. Nous en arrivons au dernier point à traiter en urgence. Il s'agit de la M 2997-A, dont nous discutons en catégorie II, trente minutes. Monsieur Madani, le micro est à vous.
M. Amar Madani (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette proposition de motion déposée par le PLR a occupé la commission du logement durant huit séances, c'est dire l'importance du sujet. De quoi s'agit-il ? L'objectif principal est de reconsidérer la méthode de calcul des loyers en utilisant les mètres carrés comme référence en lieu et place du nombre de pièces, méthode en vigueur actuellement dans le canton de Genève.
La première séance a été consacrée à l'audition de l'auteur, lequel a expliqué en long et en large le bien-fondé de ce texte, ce d'autant qu'il consiste à développer un projet pilote, à l'instar de ce qui se pratique dans d'autres cantons. Dans un deuxième temps, les commissaires ont entendu l'attaché à la direction générale de l'office cantonal du logement pour l'aspect technique et les usages actuels au sein du département.
L'audition suivante a été celle de la Fédération des associations d'architectes et d'ingénieurs de Genève (FAI), qui, par la voix de deux de ses membres, a affiché son ouverture à une telle démarche, surtout si celle-ci peut conduire à une amélioration de la qualité des logements ainsi qu'à une baisse du prix des loyers. Puis, nous avons reçu le président et le secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière (CGI), qui ont notamment répondu aux craintes de certains députés au sujet des potentielles intentions sous-jacentes de cet objet. Quant aux représentants de l'Association des promoteurs-constructeurs genevois (APCG), ils sont allés dans le même sens ou presque que les précédents auditionnés.
Afin que nous puissions prendre connaissance de ce qui se passe ailleurs, un juriste et un responsable technique du canton de Vaud ont participé aux travaux et exposé le système de calcul appliqué dans leurs services, qui diffère de celui pratiqué à Genève: il s'agit en quelque sorte d'un dispositif hybride fonctionnant selon un mécanisme par zones géographiques.
Le représentant du Rassemblement pour une politique sociale du logement (RPSL), lors de son audition, a manifesté son inquiétude quant aux éventuels risques du projet et rappelé que la méthode de calcul employée pour les logements d'utilité publique (LUP) est souple et prend déjà en compte les mètres carrés. Enfin, sans surprise, l'ASLOCA ne s'est pas montrée convaincue par l'utilité de cette motion ni par son potentiel à répondre à la crise du logement à Genève, bien au contraire.
Au moment des discussions autour du vote, les socialistes, LJS et les Verts ont proposé des amendements qui n'ont pas passé la rampe. Au final, la motion a été amendée par son auteur, puis acceptée par 9 oui (2 UDC, 4 PLR, 1 LC, 2 MCG) contre 6 non (3 S, 2 Ve, 1 LJS). La majorité vous invite dès lors, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter ce texte. Je vous remercie.
Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, la minorité partage la préoccupation des motionnaires face aux problématiques mentionnées. Toutefois, nous n'avons toujours pas compris - et les représentants de la majorité n'ont pas su l'expliquer - comment la modification du mode de calcul des surfaces pourrait influencer la situation.
Le changement de l'unité de mesure - passer des pièces aux mètres carrés - ne résoudra pas la pénurie de logement, ne permettra pas de construire davantage de LUP ou de faciliter l'édification d'immeubles; ce qui permettrait de s'attaquer à ces enjeux, c'est le déclassement de la zone villas en zone de développement, mesure à laquelle la majorité de ce Grand Conseil s'oppose systématiquement.
Cela ne conduirait pas non plus à une augmentation de la mobilité locative. En effet, la raison pour laquelle les personnes occupant de trop grands appartements ne déménagent pas, c'est que le loyer de tous les logements alternatifs plus petits est bien trop cher et largement abusif. Je vous rappelle que selon une étude de Wüest Partner, 56% de la population ne peut même pas s'acquitter des loyers du marché, c'est-à-dire qu'elle ne peut même pas envisager de déménager. Pour faire face à ce problème, nous suggérons à la majorité de soutenir un contrôle général des loyers ou de permettre aux locataires de disposer d'un droit au transfert de bail, dispositif invariablement refusé au niveau fédéral par les mêmes partis.
Cette proposition de motion, au titre parfaitement mensonger, se base sur de fausses prémisses et de fausses promesses. En quoi passer à la méthode par mètres carrés permettrait-il de construire plus de logements ? En quoi le système actuel est-il si compliqué qu'il empêche le développement d'appartements ? Aucun des auditionnés en faveur du projet n'a pu citer un seul exemple concret de cette complexité, des difficultés rencontrées dans la pratique ou indiquer pourquoi le calcul par mètres carrés simplifierait les procédures.
Et ce, alors que le système légal actuel prévoit déjà une prise en compte des mètres carrés comme critère additionnel au nombre de pièces, notamment dans le RGL. Comme le département du territoire l'a confirmé en audition, «il n'y a aucun obstacle à la construction de logements plus qualitatifs et plus créatifs dans les bases réglementaires actuelles, lesquelles sont des garde-fous et non des freins». Ainsi, aucune des auditions n'a permis de démontrer qu'un système basé sur les mètres carrés permettrait la création d'appartements plus grands, de meilleure qualité ou encore plus modulables et évolutifs.
Certes, on nous a répété à longueur de temps que la pratique actuelle encourageait les promoteurs à construire de petites pièces pour rentabiliser les plans financiers. Or cela ne reflète nullement l'inadéquation de la méthode de calcul, mais bien celle du choix des propriétaires immobiliers, qui privilégient leurs profits à des habitations de qualité et qui suivent des plans uniformisés pour réduire les coûts. D'ailleurs, la Fédération des associations d'architectes et d'ingénieurs de Genève (FAI) l'a explicitement indiqué: l'outil ne fait pas le projet, c'est l'engagement du promoteur et des mandataires qui font sa qualité.
Mais surtout, Mesdames et Messieurs les députés, le mode de calcul par pièces correspond aux besoins de la population. Les habitants et habitantes veulent des pièces, pas juste des mètres carrés; ils ont besoin d'espaces privatifs pour se reposer, pour leur intimité, pour chaque membre de la famille, pour étudier. Oui, les foyers ont besoin de pièces de vie pour leurs besoins sociaux et collectifs; les familles ont besoin de pièces, et non de luxueux lofts qui risqueraient d'être construits si on abandonnait cette notion; les habitants ont besoin de pièces, et non de mètres carrés perdus dans des réduits et des couloirs.
En ce qui concerne la prétendue inégalité de traitement entre locataires qui choque tant les auteurs du texte et la majorité qui le soutient, il s'agit d'un leurre, d'un souci factice à l'endroit des locataires porté par des partis qui ne défendent que les intérêts des milieux immobiliers. Le but réel n'est pas de mettre les gens sur un pied d'égalité face aux loyers - sinon un contrôle général ferait sens -, mais bien d'augmenter ceux-ci autant que possible.
D'ailleurs, lors de la présentation du projet pilote, il a été clairement mentionné que «le but n'est pas de s'affranchir de la pièce comme espace cloisonné, mais plus pour s'en affranchir en tant que méthode de calcul d'un loyer». Par conséquent, l'objectif de la présente motion n'est pas la simplification ou le décloisonnement des intérieurs, mais bien la hausse et le décloisonnement des loyers !
La démarche entreprise dans cet objet est tout à fait prématurée; il est prématuré de mettre en oeuvre un projet pilote, puis des changements législatifs à l'issue de celui-ci alors qu'on ne connaît ni les enjeux, ni les intérêts, ni la portée législative et réglementaire d'une telle motion, qui aurait pour conséquence certaine une augmentation du loyer des appartements nouvellement construits et rénovés. Pour tous ces motifs, la minorité de la commission vous invite à refuser cette motion.
M. Thierry Oppikofer (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, si vous permettez, revenons peut-être au but de la motion, parce qu'on a entendu beaucoup d'arguments dénonçant le caractère mensonger de celle-ci. Je rappelle que notre démarche est partie de deux constats. D'une part, la pénurie de logement se poursuit, la croissance démographique également.
D'autre part, une grande partie du territoire cantonal est soumise au contrôle de l'Etat encadré par différentes lois qui, toutes ou presque, utilisent la notion de pièce, laquelle est irréfragablement floue, pour calculer les plans financiers, le taux d'occupation par rapport au nombre de membres d'un ménage ainsi que le loyer. A Genève, par exemple, contrairement aux autres cantons, la cuisine compte comme une pièce.
Pour reprendre ce qu'indiquait la rapportrice de minorité - vous transmettrez, Monsieur le président -, oui, en effet, on n'habite pas dans des mètres carrés qui ne font pas partie d'une pièce; je la remercie pour cette précision, parce que plusieurs personnes se berçaient sans doute d'illusions à ce propos !
La M 2997 demande simplement qu'on détermine, par le biais d'un projet pilote, si un calcul par mètre carré ne serait pas plus juste et plus simple, ne permettrait pas par exemple une adaptabilité de la typologie du logement au fur et à mesure de l'évolution d'une famille. Une pièce peut mesurer 6 ou 9 mètres carrés, ou encore 20, 30; comme chacun le sait, on trouve actuellement sur le marché des trois-pièces plus petits que certains deux-pièces.
Un mètre carré de surface nette de plancher - et non plus brute, suite à l'adoption d'un amendement PLR: nous parlions au départ de surface brute, mais nous sommes revenus à la surface nette - fait 1 mètre carré de côté: c'est ce qu'on peut trouver de plus géométrique, de plus clair, de plus démocratique.
Cette motion, à l'inverse de ce qu'on a entendu, n'est ni de gauche ni de droite: elle a été signée par des membres de quatre partis différents, elle a été approuvée par les constructeurs, par les professionnels et par le département.
Nous ne voulons pas opérer une révolution, mais un essai; nous souhaitons tenter une expérience pour prendre ensuite une décision en toute connaissance de cause plutôt que de brandir immédiatement des slogans sur les méchantes intentions des horribles promoteurs immobiliers sans scrupules. Un exemple a même été présenté avec des intervenants à la fois publics et privés - la Ville de Genève, en l'occurrence, pour la partie publique.
Franchement, Mesdames et Messieurs, les propos qu'on vient d'entendre et de celles et ceux qui s'opposent à cet objet me font penser à la phrase d'Edgar Faure: «L'immobilisme est en marche, et rien ne pourra l'arrêter.» Eh bien, chers collègues, stoppons-le et adoptons ce texte ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Mme Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, à mon tour de suppléer le responsable du département, M. Hodgers, pour vous indiquer en premier lieu... (Remarque.) Ah, quelqu'un d'autre souhaitait encore s'exprimer ?
Le président. C'est trop tard, vous avez déjà commencé votre intervention, Madame.
Mme Nathalie Fontanet. Mais c'est égal, je peux prendre la parole après.
Le président. Non, non, poursuivez.
Mme Nathalie Fontanet. Très bien, merci. Je rappelle d'abord que les mètres carrés sont d'ores et déjà valorisés dans le calcul du loyer des logements en zone de développement. Cela étant, le département ne s'oppose pas à la réalisation d'un projet pilote qui permettra de comparer les résultats obtenus. Voilà, Mesdames et Messieurs, le département accueillera cette motion et mettra en place la mesure proposée.
Le président. Merci, Madame la présidente du Conseil d'Etat. J'invite l'assemblée à s'exprimer sur cet objet.
Mise aux voix, la motion 2997 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 47 oui contre 35 non (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)