République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 mars 2025 à 17h
3e législature - 2e année - 11e session - 59e séance
PL 12714-B et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous commençons avec l'ordre du jour ordinaire. Le premier point est le rapport PL 12714-B et PL 13337-A, dont nous débattons en catégorie II, quarante minutes. Mme Marti et M. Nicolet-dit-Félix sont rapporteurs de première et deuxième minorité sur le PL 12714, M. Fazio est rapporteur de minorité sur le PL 13337. Je donne la parole au rapporteur de majorité sur les deux projets de lois, M. Oppikofer.
M. Thierry Oppikofer (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ces deux projets de lois liés, avec quelques minimes variations, l'un datant de 2020 et émanant plutôt de la gauche avec l'appui du Centre et l'autre datant de 2023 et venant de LJS, proposent que le processus de recrutement de l'Etat prévoie des dossiers anonymes jusqu'à l'entretien d'embauche, afin précisément de préserver l'anonymat des candidates et candidats et d'écarter tout soupçon de discrimination ou de favoritisme. La commission sur le personnel de l'Etat a traité durant quatorze séances le premier texte, auquel a été ajouté le second lors des cinq dernières séances. Nous allons parler de la seconde phase de ces longs débats intervenus après le lien entre les deux textes décidé par la commission.
Monsieur le président, chers collègues, le CV anonyme paraît une excellente idée au départ. Le projet n° 2, contrairement au premier, envisage que le genre ou le lieu de résidence des candidats soient quand même mentionnés pour que l'on évite de ne plus respecter une certaine parité. Comment en effet appliquer la priorité cantonale, la parité homme-femme ou femme-homme, comment ne pas écarter sans le vouloir des candidats d'origine étrangère ou de plus de 50 ans, si l'on n'a aucune indication sur leur identité ? L'ennui est que plus les informations données sont nombreuses, plus les biais, conscients ou inconscients, peuvent se manifester.
Un projet pilote avait cours à l'Etat au moment où nos débats ont eu lieu et, avec sagesse, la commission a décidé de ne pas prendre de décision avant que Mme la conseillère d'Etat Fontanet ne vienne le présenter, ce qui fut fait quelques semaines plus tard. L'audition du directeur général de l'office cantonal de l'emploi nous avait cependant déjà permis d'apprendre qu'aucun cas de discrimination n'avait été recensé à l'Etat.
En octobre 2023, les commissaires ont bénéficié d'une présentation complète et convaincante par la conseillère d'Etat des résultats et du processus pilote destiné à être appliqué pour les recrutements de l'Etat. La procédure est simple: un contact avec l'office cantonal de l'emploi a lieu dix jours avant la publication de l'offre dans le bulletin des places vacantes, puis l'offre paraît et un test est effectué grâce à un logiciel en ligne et anonyme, le logiciel Maki. L'anonymat est ensuite levé pour les candidatures retenues... (Un téléphone diffuse de la musique.) Merci pour l'animation ! ...et les entretiens d'embauche peuvent avoir lieu. En un an, on a comptabilisé cinquante-neuf recrutements et 3800 personnes qui ont rempli le test Maki, dont les trois quarts (je vous laisserai calculer) l'ont terminé.
La conseillère d'Etat a estimé que l'anonymat plus large exigé par les projets de lois en question n'était pas souhaitable et que les outils de test anonyme par Maki étaient préférables. Elle nous a expliqué comment un système de comité de sélection, avec des recruteurs formés à éviter les biais, permettait de nous assurer que le remède à d'hypothétiques discriminations ne serait pas pire que le mal.
Malgré des amendements du PS qui allégeaient le contenu du PL 12714 et dont les rapporteurs de minorité vous diront certainement beaucoup de bien, une majorité de la commission a considéré qu'il n'existait aucune preuve de discrimination, que des mesures convaincantes avaient été prises. Il est donc inutile de surcharger davantage le cadre législatif et de compliquer le travail des recruteurs de l'Etat, dont on peut juger de la qualité, puisque en tant que députés, nous fréquentons ou auditionnons de nombreux employés de l'Etat aux compétences évidentes et souvent remarquables.
Une voix. Et c'est un PLR qui le dit !
M. Thierry Oppikofer. C'est tout dire !
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Thierry Oppikofer. Autrement dit, faisons confiance aux professionnels, n'ajoutons pas une ceinture aux bretelles - si vous acceptez cette audacieuse métaphore - et rejetons ces deux projets de lois. Voilà ce que vous recommande la majorité de la commission, qui a refusé les deux entrées en matière. Merci, Monsieur le président.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le rapporteur de majorité l'a rappelé, l'objectif de ces textes est l'anonymisation d'une partie du processus de recrutement pour éviter les biais de recrutement et empêcher les discriminations à l'embauche. Qui dit biais dit potentielles discriminations au cours du processus d'embauche.
Cette volonté s'inscrit très directement dans le sillage d'une autre décision prise par ce Grand Conseil il y a très peu de temps - en 2023 -, à savoir le vote de la loi générale sur l'égalité et la lutte contre les discriminations, dont les buts sont «la mise en oeuvre de l'égalité en droit, la promotion de l'égalité en fait, et la lutte contre [...] les discriminations directes ou indirectes fondées sur une caractéristique personnelle [...] notamment l'origine, l'âge, le sexe, l'orientation affective ou sexuelle, l'identité de genre, l'expression de genre, l'intersexuation, les incapacités, les particularités physiques, la situation sociale ou familiale, les convictions religieuses ou politiques».
Or, il existe des biais de recrutement conscients (ils ne sont heureusement pas trop fréquents) ou inconscients (ils le sont beaucoup plus); le rapporteur de majorité l'a rappelé, c'est reconnu par absolument tout le monde, notamment par les recruteurs eux-mêmes, et cela a été démontré par les études. Que sont ces biais ? Ce sont des jugements automatiques, comme on l'a dit, souvent involontaires et basés sur des stéréotypes qui émanent de la société et dont tout un chacun peut être frappé, y compris les personnes chargées du recrutement à l'Etat - ce n'est pas une critique vis-à-vis de leur travail.
Pour lutter contre eux, il existe plusieurs possibilités. La première est de sensibiliser à l'existence de ces biais et au risque de discrimination qu'ils peuvent entraîner. Toutefois, le plus simple est quand même de supprimer ce qui leur permet d'opérer et ce à quoi ils s'accrochent, à savoir les informations sur l'âge, le sexe, l'apparence physique, le nom, le lieu de résidence, etc. D'autant plus, Mesdames et Messieurs les députés, que ces informations ne sont absolument pas pertinentes pour juger de la qualité d'une candidature ou de l'adéquation à un poste mis au concours; elles ne font donc que parasiter le processus d'embauche en introduisant ces biais.
Un autre avantage de l'anonymisation pendant les processus de recrutement (il a aussi été mis en lumière par le projet pilote et l'utilisation de l'outil Maki) est que ça renforce la confiance dans l'Etat et améliore la perception qu'ont de l'Etat employeur les personnes qui y postulent.
Alors évidemment, la minorité que je représente est parfaitement consciente que certaines étapes du processus ne peuvent pas être complètement anonymisées: il n'est pas question de procéder à des entretiens d'embauche derrière un miroir sans tain et avec un modificateur de voix. Afin de clarifier les étapes du processus qui peuvent être anonymisées, nous avons rédigé des amendements. En l'occurrence, cela concerne les étapes de la postulation en tant que telle et le premier traitement des dossiers, qui serait anonymisé. L'autre aspect que nous avons introduit dans notre proposition d'amendements est le fait de prendre des mesures pour limiter au maximum les biais dans les différentes étapes, qui, elles, ne pourraient pas être anonymisées.
Pour la minorité, il est aujourd'hui essentiel d'ancrer le principe d'un recrutement anonyme dans la loi en laissant évidemment au Conseil d'Etat une marge de manoeuvre importante dans sa mise en application. Pour ces raisons, nous vous invitons à accepter le PL 12714 ainsi que les amendements que nous vous avons présentés dans le rapport de minorité. Merci beaucoup.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, on se réjouit de voir et d'entendre le PLR faire l'éloge de la fonction publique, de sa qualité, de la qualité des recruteurs, des choix qu'ils font et, partant, de la qualité générale des employés de la fonction publique et de leur travail. Je pense que cet objectif est atteint, et c'est suffisamment rare pour le saluer. Cela étant dit, je relève que tous les avantages du principe du CV anonyme visant à corriger des biais, conscients ou inconscients, ont été très largement évoqués par la rapporteure de première minorité avec un talent que je n'ai pas. Je ne vais donc pas revenir sur ces éléments.
L'objectif de ce deuxième rapport de minorité est d'apporter une nuance assez spécifique sur l'utilisation de l'outil Maki. Maki constitue une marque déposée, c'est un outil propriétaire, un logiciel qui appartient à une entreprise française et qui, au-delà de questionnaires sur les capacités métier qu'il est tout à fait légitime de présenter de façon anonyme en ligne... C'est sans doute en ligne que c'est le plus simple, le plus adéquat de mettre en place ce genre de questionnaire, si l'on veut garantir l'anonymat complet de la personne qui candidate à un poste et que l'on pourrait engager. Or, cet outil Maki propose des tests appelés tests de savoir-être, et si vous allez sur leur site (ils ne s'en cachent pas), vous remarquerez que ce sont des tests de personnalité. Les retours que l'on a eus nous laissaient toutefois dubitatifs: on peut craindre que l'algorithme contenu dans ce logiciel se substitue à l'algorithme inconscient du recruteur et ait les mêmes biais sans même que l'on puisse les identifier.
Le responsable RH du département des finances venu nous expliquer ça de façon extrêmement transparente et tout à fait convaincante dans le cadre de sa présentation nous a affirmé qu'il était parfaitement conscient de ces difficultés et qu'il ne faisait pas preuve d'un enthousiasme naturel pour l'usage spécifique de cet outil-là. Cela nous a rassurés, mais la raison qui a motivé la rédaction de ce rapport de deuxième minorité était d'ajouter cette nuance, de reconnaître les vertus du CV anonyme et de la postulation en ligne sur les aspects métier. C'est absolument incontestable et c'est pour cela qu'il faut évidemment soutenir ces deux projets de lois, le premier tel qu'amendé par Mme Marti, tout en prenant en compte ce petit point d'attention sur ces logiciels qui, en définitive, effectuent des tests de personnalité potentiellement problématiques quant à la rigueur et à la transparence de l'outil employé. Je vous remercie.
M. Jean-Louis Fazio (LJS), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le souhait de lutter contre les discriminations lors de l'embauche à l'Etat est partagé par une majorité des députés, et on s'en réjouit. En revanche, la méthode pour y parvenir diffère selon certains: c'est le jeu démocratique !
La présidente du Conseil d'Etat, Nathalie Fontanet, a bien expliqué devant la commission sur le personnel de l'Etat les enjeux et les avancées de ce dossier. Elle a en outre bien précisé que le caviardage des CV n'est plus une solution fiable, la lecture des documents étant dans ce cas trop complexe et ne garantissant aucunement la non-identification du candidat, surtout à l'interne de l'Etat, raison pour laquelle un nouvel outil d'évaluation des compétences, indépendant de l'analyse préalable des dossiers, a été mis en place. Le projet pilote a débuté en octobre 2023 et les résultats ont été présentés à la commission après onze mois d'expérimentation. Il en ressort, dans les grandes lignes, que des tests sur les compétences techniques et un autre sur le savoir-être permettent de préserver l'anonymat. Ce dernier est ensuite débloqué par le recruteur et ouvre la voie aux entretiens d'embauche.
Ce projet est en cours au DF et commence au sein du département de l'instruction publique. Il semble être approuvé par une majorité de candidats: une meilleure perception de l'Etat et une meilleure mise en évidence des compétences des candidats apparaissent comme des atouts majeurs parmi d'autres de ce projet pilote.
Pourtant, la présidente du Conseil d'Etat ne paraît pas prête à envisager la mise en place immédiate d'un règlement uniforme, préférant attendre trois à cinq ans pour que le projet pilote parvienne à son terme. Ce projet est concentré sur une échelle réduite de l'office du personnel de l'Etat et ne peut être imposé à tous les départements, car chaque département a son propre service RH. Avant de l'imposer à l'ensemble de l'Etat, la présidente préfère attendre l'évaluation des différents outils et de leur efficacité, la comparaison des résultats entre les recrutements réalisés par des comités de sélection avec anonymisation des candidatures et ceux réalisés avec des tests Maki, comme c'est le cas avec l'expérimentation en cours au département des finances.
Cette approche ne nous convient pas, à nous, la minorité, et nous souhaitons instaurer un règlement uniforme visant à standardiser et à anonymiser les processus de recrutement à tous les niveaux de l'Etat, cela afin de garantir que chaque recrutement soit effectué de manière cohérente et d'éviter certaines problématiques rencontrées. Il est important qu'une pratique commune traverse l'Etat dans ce domaine, et l'égalité de traitement est impérative entre tous les départements et services. Nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir les deux rapports de minorité et les amendements.
Mme Masha Alimi (LJS). Qu'est-ce que nos détracteurs disent au sujet de l'introduction du CV anonymisé ? Qu'il n'est d'aucune utilité, qu'il n'existe ni constat ni sentiment de discrimination à l'embauche dans le petit et le grand Etat et qu'il n'est nul besoin de légiférer en la matière sous prétexte de ne pas surcharger le cadre législatif.
Cela concerne la sélection des dossiers avant les entretiens, car l'entretien qui suit se fera en présentiel. Il est donc clair qu'il ne peut y avoir d'anonymat à l'embauche. Or, personne n'avouera avoir discriminé quiconque lors de la sélection des dossiers, et quoi que nous fassions et malgré le pragmatisme, nous pouvons discriminer un dossier de manière involontaire et inconsciente: nous sommes en effet conditionnés par notre vécu. Il est par conséquent impératif de limiter ce biais au départ.
Je remercie Mme la conseillère d'Etat d'avoir lancé un projet pilote pour évaluer la faisabilité de la sélection de dossiers de candidature. Nous relevons que 59 recrutements ont été réalisés avec un outil qui permet l'anonymisation des candidatures. Les candidats et deux tiers des responsables du recrutement affirment que cet outil aide à surmonter le biais du recrutement lors de la première phase de sélection.
Alors pourquoi rejeter ces projets de lois, sous prétexte qu'ils ne peuvent être imposés à l'ensemble de l'Etat ou qu'ils peuvent surcharger le cadre législatif ? Il est évident que si l'on veut garantir la sélection objective des dossiers de candidature, il faut légiférer en la matière le plus rapidement possible en vue de la mise en application de cet outil pour l'ensemble de notre administration; ça montrera ainsi que l'Etat s'engage véritablement en faveur de l'égalité et de la lutte contre les discriminations. C'est pourquoi je demande un renvoi en commission. Merci.
Le président. Madame la députée, vous souhaitez le renvoi des deux projets de lois ?
Mme Masha Alimi. Oui !
Le président. Parfait. La parole va aux rapporteurs. Monsieur le rapporteur de minorité sur le PL 13337, c'est à vous.
M. Jean-Louis Fazio (LJS), rapporteur de minorité. Je soutiens le renvoi en commission.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de deuxième minorité. A priori, il faut effectivement que la commission reprenne son bâton de pèlerin et obtienne les informations supplémentaires de la part du DF. Vous l'aurez évidemment compris, c'est cet outil Maki spécifiquement qui m'intéresse, mais je pense plus largement que les dispositions en matière d'anonymisation des postulations doivent être renforcées. Nous sommes parfaitement conscients que le département des finances a pris des dispositions, mais elles sont sans doute insuffisantes. Or, le renvoi de ces textes en commission permettrait à la fois d'approfondir nos connaissances sur la question et de vérifier que les dispositions prises par le département des finances portent leur fruit.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Je soutiens le renvoi en commission.
M. Thierry Oppikofer (PLR), rapporteur de majorité. Pour ma part, je ne soutiens pas le renvoi en commission: selon moi, les quatorze séances de commission ont déjà permis d'explorer cette question relativement à fond.
Je relève une objection formulée au cours des débats et qui figure dans les procès-verbaux et probablement dans le rapport. On disait: «On a confiance en la conseillère d'Etat, mais plus tard, ça pourrait être quelqu'un d'autre.» Pour ma part, je suis partisan de la continuité de l'Etat (je pense que le groupe PLR l'est aussi), et je ne crois pas que plus tard, lorsque nous n'aurons plus Nathalie Fontanet pour magistrate, brusquement des discriminations apparaîtront de toute part lors des recrutements à l'Etat. Je vous propose donc de refuser ce renvoi en commission. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je lance la procédure de vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 12714 et 13337 à la commission sur le personnel de l'Etat est rejeté par 53 non contre 40 oui.
Le président. Nous reprenons nos débats, la parole est à M. Dugerdil.
M. Lionel Dugerdil (UDC). Merci, Monsieur le président. Chères et chers collègues, la première cible de ces deux projets de lois est la discrimination à l'embauche. Comme on l'a rappelé, l'unanimité de la commission reconnaît l'importance de s'assurer qu'aucune discrimination n'est à l'oeuvre lors des processus d'embauche à l'Etat.
Néanmoins, pendant les auditions menées par la commission, le département nous a assuré que d'après les retours des partenaires du petit et du grand Etat, il n'existe ni constat ni sentiment de discrimination à l'embauche. Il est dès lors totalement inutile de surcharger le cadre législatif. Pour le groupe UDC, il faut voter deux fois non et rejeter ces deux textes. Merci.
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Ces deux objets présupposent l'idée qu'il y a une discrimination à l'embauche dans le petit et le grand Etat. Pourtant, comme l'a rappelé le député Dugerdil, le directeur général de l'OCE nous a dit qu'il n'existe ni constat ni sentiment de discrimination au sein de l'Etat. Pourquoi accorder un certain crédit aux propos de M. Charles Barbey ? Tout simplement parce que Genève est une société très très diverse. Il suffit de regarder les patronymes dans cette enceinte pour voir à quel point nous sommes différents, et c'est heureux ainsi ! Plus de 40% de la population genevoise est étrangère, et parmi les 60% restants, 70% ont soit un père soit une mère étranger, voire les deux. Nous sommes divers, et présupposer qu'à Genève... Nous ne sommes pas au Japon, dont la société est monolithique; Genève a cette diversité. Nous pouvons donc partir du principe que la discrimination à l'embauche est très rare.
En revanche, nous avons été particulièrement convaincus par le projet pilote qu'a lancé la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet, à savoir le projet Maki. Les premiers retours sont positifs et le projet permet d'ajouter une couche de sécurité pour éviter tout type de discrimination à l'embauche. Cela a été rappelé, environ 3800 personnes ont dû effectuer un test sur des compétences techniques et comportementales. Ce processus, qu'on appelle Maki, est encore en cours, et c'est très bien ainsi; il propose un type de sélection anonyme. Or, nous considérons qu'il faut aller au bout de ce processus et éviter d'ajouter une couche de complexité, une lourdeur administrative, et de corseter le processus administratif. Pour toutes ces raisons, le PLR prendra le maquis et refusera ces deux objets !
Le président. Merci, Monsieur le député. (Brouhaha.) Je suggère à une partie du groupe socialiste de se retirer - si le débat vous ennuie, s'il ne vous intéresse pas. (Commentaires.) Vous pouvez sortir pour débattre dehors, parler dehors, aller au bistrot, boire un verre ! (Commentaires.) Tout ça, c'est possible, mais laissez les députés intervenir. Merci ! Je passe la parole à Mme Bayrak.
Mme Dilara Bayrak (Ve). Merci, Monsieur le président. Je m'insurge contre le discours du PLR. On nous dit qu'il n'existe pas de preuves de discrimination et en même temps que les mesures en place sont suffisantes. Il faudrait savoir s'il y a un problème ou non ! Je ne suis pas sûre que le problème ait été compris par le PLR, mais je vous rafraîchis volontiers la mémoire. Selon un rapport publié en 2024, sur ces cinq dernières années, une personne sur six a subi du racisme, et particulièrement dans le cadre du travail. En Suisse, pays dont vous avez fait l'éloge comme étant mixte, et à Genève tout particulièrement ! Ces statistiques proviennent du Service de lutte contre le racisme.
Ce n'est pas parce qu'on a l'impression que tout va bien, ce n'est pas parce que des gens nous assurent que tout va bien et qu'aucun problème n'est constaté qu'il n'y en a pas. Aujourd'hui, il s'agit de légiférer. Il n'est pas question de l'impression ou des qualités, d'ailleurs nombreuses, de Mme Fontanet, mais pour le jour où elle partira, nous voulons une loi qui affirme très clairement qu'il existe aujourd'hui des discriminations et que nous ne les tolérons pas.
Alors j'ai bien conscience que ce Grand Conseil n'est peut-être pas très diversifié, que ce soit quant à l'origine, le genre ou l'âge. Aujourd'hui, il s'agit d'effectuer un changement de paradigme. Je peux comprendre que lorsque l'on s'appelle Oppikofer ou de Senarclens, on n'ait pas forcément subi des discriminations à l'embauche... (Commentaires. Exclamations.) ...mais j'insiste: il ne s'agit pas de légiférer à partir de l'impression de M. Oppikofer, mais à partir du vécu de toutes ces personnes qui se sont plaintes au Service de lutte contre le racisme...
Le président. Madame la députée, vous ne pouvez pas attaquer personnellement les députés. (Commentaires.)
Mme Dilara Bayrak. Je les ai cités, je ne les ai pas attaqués, Monsieur le président. (Exclamations.) Par contre, les personnes qui sont attaquées dans le cadre de leur embauche ne peuvent pas se plaindre, c'est pourquoi je me permets de plaider en leur faveur. Je pense que voter ces projets de lois, c'est justement aller dans le bon sens: cela permettra d'affirmer très clairement que la discrimination n'est pas acceptée au sein de l'Etat. J'insiste ! Il ne s'agit pas de l'impression des uns et des autres; nous pouvons être aussi bienveillants que nous le voulons, nous avons chacun nos biais. Mme Alimi l'a rappelé, nous avons des biais qui proviennent de notre vécu, de nos expériences diverses et variées. Le but n'est bien évidemment pas d'attaquer M. Oppikofer ou M. de Senarclens, mais d'insister sur le fait que peut-être, de par leur vécu, ils n'ont pas subi les discriminations que d'autres et de nombreuses personnes subissent. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Le MCG, plus qu'aucun autre parti, se bat contre les discriminations à l'embauche. (Rires.) Nous sommes confrontés chaque jour à toutes les formes de discrimination à l'encontre de résidents de notre canton, ce qui fait rire la gauche ! Il n'y a pas de quoi rire, il faudrait plutôt pleurer, quand on voit la situation que subissent les habitants de ce canton ! Mesdames et Messieurs de la gauche, vous vous moquez des habitants du canton - vous transmettrez, Monsieur le président, et demandez-leur de faire preuve d'un peu de politesse, compte tenu de la misère que subit une grande partie de la population genevoise ! Chaque jour, nous assistons à un mouvement implacable de frontaliers permis G venant de plus en plus loin, du continent européen. Voilà la principale discrimination que subissent les habitants du canton de Genève, toutes origines confondues. Bien sûr, ce ne sont pas des avocats qui touchent des honoraires gigantesques, même s'ils se disent de gauche - vous transmettrez, Monsieur le président.
Pour s'y opposer, le MCG a formulé plusieurs propositions, qui n'ont obtenu aucun appui des autres partis politiques. La motion pour un préposé à la préférence cantonale, qui demande une politique forte de contrôle des engagements à l'Etat, serait une mesure efficace et indispensable.
A quoi servirait le CV anonyme contre cette pression de frontaliers qui s'infiltrent dans les emplois de l'Etat ? A rien. Pire ! Il pourrait renforcer l'engagement en masse de frontaliers. Pour Genève, le CV anonyme est une fausse bonne idée qui cache les problèmes profonds de l'engagement à l'Etat: on a un Etat qui engage massivement des frontaliers. C'est inacceptable ! Une remise en question des processus d'engagement autant à l'Etat de Genève que dans les entreprises privées est nécessaire. Il n'est plus tolérable que l'on vende des formations sur internet pour devenir frontalier en Suisse et à Genève en particulier ! Il n'est plus tolérable que le Conseil d'Etat continue à faire preuve de naïveté face à la dégradation du marché de l'emploi et continue à engager massivement des frontaliers permis G ! Pour ces raisons, le groupe MCG votera non à ces deux projets de lois ! Nous vous demandons de faire de même, mais sans illusions: nous savons l'état de déliquescence de la plupart des groupes parlementaires ! Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Mme Jennifer Conti (S). Mesdames et Messieurs les députés, le baromètre suisse des familles vient de paraître. De nombreuses familles suisses perçoivent leur situation financière comme extrêmement tendue. La tension est aussi très forte sur le marché du travail, accentuée par un contexte international brutal, et trouver un emploi à Genève relève du parcours du combattant.
En tant que députés, il est de notre responsabilité de nous assurer que chaque recrutement financé par l'argent public est uniquement basé sur les compétences et le mérite, pour garantir à la population genevoise un service public de qualité, et d'exclure tout risque d'engagement basé sur le réseau, car à l'heure actuelle, cette garantie n'existe absolument pas. Soutenir le CV anonyme revient à éliminer toute suspicion de népotisme à l'Etat. C'est pourquoi nous vous invitons à voter le PL 12714 et ses amendements. Je vous remercie.
M. Souheil Sayegh (LC). Chers collègues, ça n'aura surpris personne, Le Centre avait signé au départ le texte sur le CV anonyme, convaincu que ça partait d'une excellente idée - nous le pensons du reste encore aujourd'hui. Seulement, entre-temps, nous avons organisé des auditions et nous nous sommes aperçus que le département s'était saisi de ce texte et avait fait le job pour nous. Comment l'a-t-il fait ? Il a mis en place un projet pilote. Il est ensuite arrivé à la conclusion, qu'il nous a remise avant le dépôt de ces textes, de la synthèse, que l'anonymisation ne peut pas s'appliquer à tous les échelons de l'Etat et qu'elle ne pouvait concerner que certains postes. Alors accepter ces objets, c'est faire fi de tout le projet pilote et de tout le travail que le département a déjà effectué et qui est encore en cours, le département nous ayant promis de revenir dans deux ou trois ans avec ses conclusions.
J'entendais tout à l'heure mon excellente camarade LJS nous demander pourquoi refuser ces projets de lois sous prétexte que l'anonymisation entraînerait des tracasseries administratives supplémentaires. Pour cette raison, précisément ! C'est justement pour ce motif qu'il faut refuser ces objets: pour nous éviter ces tracasseries administratives supplémentaires.
Je relève un point passé un peu à la trappe: le département nous a expliqué que l'anonymisation aurait tendance à défavoriser les personnes moins formées, moins éduquées et celles en situation de précarité que ces textes prétendent justement vouloir défendre - c'est un député nommé Sayegh qui vous le dit, et sans particule ! Pour la deuxième étape, soit quand l'anonymat est levé, lorsqu'il s'agit de rencontrer les candidats face à face, il est crucial de travailler sur la procédure de recrutement et sur les biais de sélection si l'on veut garantir un processus objectif et donc équitable. Le département a également soulevé la question de la discrimination positive, qui ne serait pas compatible avec l'anonymisation.
Pour conclure, en raison de la complexité des procédures, du projet pilote déjà lancé et encore en cours et de la précarité éventuelle des personnes qu'on prétend protéger, Le Centre a finalement été convaincu et a choisi de refuser ces deux projets de lois. Je vous remercie.
Mme Xhevrie Osmani (S). Je suis contente d'intervenir après M. Sayegh, parce qu'il a avancé des arguments que je vais reprendre. C'est se donner beaucoup de peine que d'essayer d'infirmer des choses que des études nous montrent et nous démontrent depuis des années. On avait renvoyé ce projet de loi pour attendre les conclusions du département sur le projet pilote. Que nous montre ce projet pilote ? Huit personnes sur dix se déclarent satisfaites de l'outil, estimant qu'il permet de mieux présenter leurs compétences. Les personnes peu formées, sans expérience et précarisées sont désavantagées, ça figure dans le rapport et mon préopinant vient de le dire. Mais enfin, Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais rien vous apprendre en vous faisant remarquer que c'est déjà le cas ! Les personnes précarisées, sans diplôme et avec peu d'expérience n'ont pas une voie royale pour le recrutement à l'Etat. C'est déjà le cas: on sait très bien qu'elles sont désavantagées, même avec la procédure en cours, sans anonymisation.
Le rapporteur prétend également qu'il n'existe aucune preuve de discrimination, mais elle est justement pointée aux pages 7 et 8 ! C'est écrit: «Du côté de la hiérarchie, deux tiers des responsables affirment que cet outil aide à surmonter les biais de recrutement, particulièrement [...]» S'ils le disent, c'est parce que ces biais existent ! En plus de ça, ils en ont conscience, puisqu'ils en ont parlé en audition !
Le député de Senarclens, lui aussi, déclare que les discriminations n'existent pas. Mais enfin, l'EPFZ mène quand même des études pour nous montrer qu'elles existent ! Sur quoi ont-ils mené ces études ? Sur la plateforme Job-Room. Je vais encore vous apprendre quelque chose: non seulement ils ont montré que ces discriminations existent, mais en plus de ça, que les recruteurs font ces discriminations quand ils ont faim ! On évaluait les moments dans la journée où les recruteurs étaient davantage susceptibles d'opérer des discriminations; c'est durant les temps de pause de midi ! Ça va tellement loin qu'on parvient même à donner des précisions sur les types de discrimination.
Si vous ne croyez pas aux discriminations dans votre monde merveilleux, apparemment vous n'aimez pas non plus les outils qui visent l'efficacité de l'Etat. Pourtant, c'est assez libéral, vous venez tout le temps avec cette rengaine. Si le département avait vraiment des réserves, il aurait pu amender ces deux textes, voire déposer un nouveau projet ou tout simplement modifier le règlement, comme le proposait un rapporteur de minorité.
En ce qui concerne l'argument de la discrimination positive, le groupe socialiste a présenté des amendements pour que des exceptions soient prévues. On peut toujours demander et renseigner une information quand il s'agit par exemple d'un secteur dans lequel les femmes sont très peu représentées. Nous avions prévu tout ça dans nos discussions en commission.
C'est bien tenté que d'essayer de rassurer le MCG sur ce point, mais apparemment il ne veut pas écouter ! Il est faux de dire que ce projet de loi contrevient à la directive sur la préférence indigène. On sait très bien que ça ne sera pas le cas, parce qu'on avertira toujours qu'on est inscrit dans un ORP ou qu'on a une assignation.
Le président. Merci, Madame la députée.
Mme Xhevrie Osmani. Ces informations ne seront pas occultées. Donc merci beaucoup d'accepter ces deux projets de lois.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'ai le privilège d'avoir le même prénom que le sélectionneur de l'équipe suisse de football ! (Rires.)
Une voix. Mais t'es moins bon !
M. Murat-Julian Alder. Je ne me sens pas spécialement discriminé, je présume que lui non plus ! Mesdames et Messieurs, je crois qu'il faut tout de même mesurer la portée de ce que nous sommes en train de faire en évoquant ces projets de lois (on a du reste eu cette discussion sur les examens anonymes à l'université): on est en train de présumer qu'à l'Etat, il y aurait une sélection raciste basée sur le nom et le prénom des candidats. Cette accusation que l'on porte contre les fonctionnaires chargés d'en recruter d'autres est quand même extrêmement grave. Aussi, permettez-moi de m'étonner de la position exprimée par la gauche sur ce sujet.
En outre, Mesdames et Messieurs, lorsqu'on veut engager quelqu'un, lorsqu'on entre dans une relation contractuelle avec un tiers, on est en droit de connaître sa personnalité. Qu'y a-t-il de plus normal que de découvrir à travers le nom et le prénom l'individualité de la personne que l'on veut engager ? Or, les CV anonymes sont de nature à discriminer davantage les personnes que vous croyez protéger. Le PLR vous invite une nouvelle fois à refuser ces deux projets de lois.
M. Amar Madani (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, pour revenir aux propos de M. Baertschi, je confirme que les expériences menées à l'échelle de la Suisse et particulièrement à Zurich et à Genève en 2006 n'ont pas été concluantes, et le projet initié par Mme Fontanet n'a pas débouché sur les résultats souhaités. Le CV anonyme peut être un moyen de lutter contre les discriminations à l'embauche, mais les résultats ne sont pas probants: lors des entretiens d'embauche, les mêmes biais peuvent se manifester. Il faudrait plutôt une campagne de sensibilisation contre les discriminations à l'embauche, et il serait nécessaire de former sérieusement les recruteurs et de normaliser ou standardiser les procédures de recrutement.
Notons que certains emplois publics peuvent nécessiter de recourir à une discrimination à l'embauche en raison de la nationalité ou du lieu de résidence. Enfin, plus généralement, le CV anonyme contrevient au principe de la préférence cantonale en matière d'embauche, chère au MCG, et représente une porte ouverte aux frontaliers. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, le MCG ne votera pas ces textes.
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur l'existence de discriminations, que ce soit à l'échelle communale, cantonale, nationale ou internationale. Les études scientifiques montrent bien qu'il existe des discriminations, sur le prénom, le nom de famille voire le lieu de résidence. Récemment, je suis allé sur le terrain, à Vernier, et de nombreux jeunes m'ont dit: «Monsieur, lorsqu'on trouve un travail, dès qu'ils savent de quel quartier on vient, on perd ces opportunités.»
Ces textes ne visent pas à effectuer des engagements sur la base de CV anonymes, mais proposent de donner la chance à des candidates et candidats de prouver leurs qualifications, d'exprimer leurs motivations. Vous le savez très bien, lorsqu'on pose sa candidature pour un certain poste, avant d'obtenir la chance de discuter et de présenter ses compétences et ses motivations, on est souvent refusé à cause du nom, du prénom ou de tout autre élément que vous avez cité.
Je pense que ces deux projets de lois représentent un message assez fort surtout dans l'administration publique: l'Etat donne une chance, une opportunité à l'ensemble des citoyens de candidater aux postes pour lesquels ils se sentent qualifiés. Le groupe LJS vous invite donc à voter ces objets ou à les renvoyer en commission pour procéder à des études et peut-être trouver des solutions en proposant des amendements pour qu'ils passent et que les citoyens, les habitants aient les mêmes chances, quels que soient leur nom ou leur lieu de résidence. Je vous remercie.
Le président. Merci bien. Nous sommes à nouveau saisis d'une demande de renvoi en commission. Monsieur le rapporteur de minorité sur le PL 13337, si vous désirez prendre la parole, vous l'avez.
M. Jean-Louis Fazio (LJS), rapporteur de minorité. Je soutiens le renvoi en commission !
Le président. Parfait. Monsieur le rapporteur de deuxième minorité ?
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Je m'apprêtais à conclure sans avoir été suffisamment attentif pour réaliser qu'une demande de renvoi a été formulée. Si un renvoi est demandé, comme avant, nous allons le soutenir.
Le président. Très bien. Madame la rapporteure de première minorité ?
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Il me semble que je n'ai plus de temps de parole, mais si vous voulez me céder le micro, je le prends volontiers...
Le président. Pour ça, vous avez la parole !
Mme Caroline Marti. Alors je recommande le renvoi en commission. Merci, Monsieur le président.
Le président. C'est enfin au rapporteur de majorité de s'exprimer.
M. Thierry Oppikofer (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Puisqu'il y a de nouveau une demande de renvoi, nous nous y opposons de nouveau. Je voulais également préciser - vous transmettrez, Monsieur le président - que pendant toute mon école primaire, on m'appelait le Chinois, alors que j'ai deux parents suisses, car j'ai les yeux un peu bridés ! (Rires.) Probablement parce que je n'ai pas eu assez d'apports extérieurs ! (Rires.) Merci.
Le président. Je vous remercie. Je mets aux voix la proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 12714 et 13337 à la commission sur le personnel de l'Etat est rejeté par 54 non contre 43 oui. (Brouhaha pendant la procédure de vote.)
Le président. On attend que le groupe socialiste ait fini de... (Un instant s'écoule.) Très bien ! La parole revient au rapporteur de minorité sur le PL 13337 pour une minute treize.
M. Jean-Louis Fazio (LJS), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, il est vraiment important qu'une pratique d'engagement commune et anonymisée soit mise en place au sein des départements de l'Etat. En effet, actuellement, chaque département a sa politique d'engagement, je tiens à le dire, et une politique différente. Il faudrait véritablement qu'une même politique d'engagement soit mise en place, et pour cela, il est nécessaire d'adopter ces deux projets de lois.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Je pense qu'il faut relever la grande honnêteté intellectuelle de M. Sangdel dans son allocution de tout à l'heure, qui, contrairement à d'autres intervenants, reconnaît que les discriminations existent. Ce n'est pas parce que l'on porte un prénom ou un patronyme étranger et que l'on a réussi que toute personne qui porte un prénom ou un patronyme étranger a autant de chances de réussir. Le biais qui agit là, c'est ce qu'on appelle le biais du survivant, le biais de la confirmation. Evidemment, toutes les personnes qui sont dans cette situation et qui réussissent à être élues et à avoir des postes à responsabilité vous diront la bouche en coeur que c'est facile, vu qu'elles ont obtenu ces postes. Pourtant, la réalité statistique, la réalité que les études scientifiques démontrent est évidemment tout autre. On se rend compte en effet sur le plan statistique que selon le physique, selon les particules ou selon la physique des particules... (Rires.) ...les situations sont extrêmement différentes.
Nous sommes conscients que l'Etat fait ce qu'il peut et fait peut-être mieux que les entreprises privées - nous lui en sommes totalement reconnaissants. Il n'empêche que le CV anonyme permet d'ôter tout doute; c'est d'ailleurs ce qui nous a été dit en commission, lorsque les projets pilotes ont été présentés avec passablement de conviction. C'est bien pour cela que ces projets doivent être généralisés.
Je finirai avec une petite anecdote. Vous avez sans doute lu dans la «Tribune de Genève» le portrait des excellents candidats au Conseil administratif. La candidate de notre parti a été présentée... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...et le journaliste a cru bon de préciser que malgré son patronyme à particule - on tourne beaucoup autour des particules, normalement ce sont elles qui tournent ! - cette personne est d'extraction populaire, habite sur la rive droite et ne correspond pas aux stéréotypes auxquels lui-même pensait naturellement. C'est la preuve que même des journalistes de grand talent peuvent faire l'expérience de ce genre de biais stéréotypés.
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Julien Nicolet-dit-Félix. Il faut évidemment soutenir cette candidate. Je vous remercie.
Le président. Bien, merci. Madame la rapporteure de première minorité, c'est à vous, mais vous disposez de vingt secondes.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Vingt secondes !
Le président. Oui. Dix-neuf, disons ! (Rires.)
Mme Caroline Marti. Oh là ! (L'oratrice rit.) Dix-huit, dix-sept ! (Rires.) Merci, Monsieur le président. On a entendu le PLR, notamment, affirmer que ce projet de loi partait du présupposé que des discriminations sont présentes à l'Etat. Non, il part de la reconnaissance qu'il existe des biais dans la société...
Le président. Merci, Madame.
Mme Caroline Marti. ...et qu'ils ont un effet sur le processus de recrutement. Pour se prémunir là contre, il faut prendre des mesures, comme celle d'anonymiser les processus de recrutement. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est au rapporteur de majorité.
M. Thierry Oppikofer (PLR), rapporteur de majorité. Ce sera très rapide, Monsieur le président. Je tiens juste à signaler qu'on ne peut pas transformer tout recruteur en robot, on ne peut pas engager quelqu'un qui n'aurait jamais le moindre biais, nous sommes tous des êtres humains; je suppose que, tel qu'il est présenté dans ces textes, le CV anonyme ne réglera absolument pas cette situation. Le groupe PLR vous recommande une fois de plus de refuser ces objets. D'ailleurs, il pourrait se sentir discriminé à force d'être pris comme référence, et généralement pas de façon positive !
Mme Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, merci de votre intérêt à traiter de ces questions. Le Conseil d'Etat vous rejoint sur votre souci d'éviter des discriminations à l'embauche. Celles-ci existent, tout simplement parce que ce sont des humains qui procèdent à l'embauche et que l'on ne peut empêcher certains biais. Il n'en demeure pas moins que les études menées au sein de l'Etat ont montré qu'apparemment, nous n'en avions pas ou que, si nous en avons, nous en avons moins qu'ailleurs.
Avec l'office du personnel de l'Etat, nous avons souhaité saisir la perche qui nous était tendue et lancer un projet pilote. Avec l'anonymisation du premier contact durant la première période, on s'est rendu compte que pendant ce projet pilote, on avait pu procéder à 59 recrutements grâce à cet instrument. 59 recrutements, Mesdames et Messieurs les députés, c'est peu ! Il n'en demeure pas moins que sur cette base, nous avons pu constater que certains engagements n'étaient finalement pas propices à l'utilisation de cet outil: pour certains recrutements qui étaient très spécifiques ou concernaient des métiers demandant des profils très techniques ou suscitant fort peu de candidatures, ce n'était pas véritablement utile. En revanche, nous avons jugé que ce dispositif était très utile en particulier pour des postes à fort volume de candidatures, parce que cela permettait de s'assurer que des personnes remplissaient certains prérequis.
Mais, Mesdames et Messieurs ! Il y a un problème de vérification, nous l'avons abordé en commission. Est-ce que les personnes remplissent seules les tests en ligne ? Est-ce qu'elles sont aidées ? Est-ce qu'elles ne le sont pas ? En outre, vous vous souvenez que nous vous avons aussi présenté la différence entre les choix effectués dans les classements opérés par l'outil et les choix finaux: dans certains cas, ils correspondaient et dans d'autres non, parce que des surprises peuvent apparaître.
L'office du personnel de l'Etat et le Conseil d'Etat ont aussi estimé que ce n'était pas la seule solution. C'est pour cela que nous avons souhaité vous demander un délai et de ne pas accepter ces projets de lois aujourd'hui. D'abord, parce que nous estimons que tels qu'ils sont présentés, ils ne constituent pas la meilleure solution. Ensuite, parce que nous avons mis en place dans différents départements d'autres moyens pour engager du personnel, d'autres moyens de recrutement, en particulier les recrutements participatifs. Ceux-ci ne se déroulent pas seulement avec un recruteur et une hiérarchie, mais avec des membres de différents départements et des membres du service. Ce n'est pas du tout une perte de temps... (Remarque.) Monsieur Fazio, je vous entends, je vous vois. ...bien au contraire ! Ça permet une meilleure intégration des personnes une fois qu'elles sont engagées ainsi qu'une meilleure compréhension des besoins transversaux et des besoins des services. Voilà ce que nous mettons en oeuvre à l'heure actuelle.
Le député Sayegh a souligné un élément important: aujourd'hui, nous souhaitons être attentifs à cette diversité dans les engagements. Vous le savez, nous avons été actifs pour qu'il y ait plus de femmes parmi les cadres. Nous nous apercevons également qu'il y a un problème de pyramide d'âge au sein de l'Etat, une grande population de fonctionnaires ayant actuellement plus de 50 ans, et ça représente aussi un risque notable que nous allons devoir gérer. Il est ainsi important de favoriser l'engagement soit de plus jeunes, soit, dans le cadre des politiques que nous menons, parfois de plus de 55 ans ou de plus de 60 ans; on se rend compte en effet qu'on attend des personnes qu'elles travaillent toujours plus longtemps, mais qu'à partir de 55 ans, il est toujours plus difficile de trouver un emploi.
Toutes ces politiques nous permettent non pas de mettre en oeuvre des politiques de choix, mais, disons, d'adopter de temps en temps certains biais pour favoriser certaines classes d'âge, un certain sexe, voire des provenances et des langues étrangères - on a besoin de langues étrangères. Mesdames et Messieurs, si vous consultez l'annuaire de l'Etat (on peut le faire dans la messagerie), vous constaterez qu'énormément de noms ont une consonance étrangère - heureusement, je m'en réjouis. Heureusement, car on sait à quel point la population de Genève a un caractère international: 40% de personnes sont étrangères - et on s'en réjouit !
Ce que nous avons demandé avec le Conseil d'Etat, c'est de disposer d'un délai, de regarder ce que nous arrivons à mettre en place et de ne pas nous corseter... (Commentaires.) ...dans deux lois selon lesquelles à partir du moment... Oui, je sais, j'ai fait un jeu de mots ! (Rires.) Il y a d'autres lois corsets contre lesquelles vous avez recouru ! Or là, vous voulez nous corseter dans des lois pour vous assurer que tous les départements appliqueront les mêmes processus ! Mesdames et Messieurs les députés, laissez-nous un tout petit peu de liberté, laissez-nous aller de l'avant avec les projets que nous menons et avec ce que nous avons envie de développer en matière d'engagement participatif. Pour toutes ces raisons, le Conseil d'Etat vous recommande de refuser ces deux projets de lois. Merci beaucoup.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Je mets aux voix l'entrée en matière sur le PL 12714.
Mis aux voix, le projet de loi 12714 est rejeté en premier débat par 55 non contre 42 oui.
Le président. Nous votons à présent sur le PL 13337.
Mis aux voix, le projet de loi 13337 est rejeté en premier débat par 55 non contre 42 oui.