République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 novembre 2024 à 20h30
3e législature - 2e année - 7e session - 38e séance
R 1038-A
Débat
Le président. Nous passons à la seule urgence de la session, à savoir la R 1038-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je cède le micro à M. Romain de Sainte Marie. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Monsieur le député, vous avez la parole !
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Je ne vous avais pas entendu me donner la parole ! Mais effectivement, je vois que la lumière de mon micro est allumée !
Le président. Je l'ai dit deux fois !
M. Romain de Sainte Marie. Ah, je n'avais pas entendu. Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution contient deux demandes centrales: d'une part, «reconnaître l'Etat de Palestine» et d'autre part, et après amendement, «déployer tous les efforts possibles en vue d'instaurer une paix juste et durable entre Israël et la Palestine, en s'inspirant notamment de "l'Initiative de Genève"».
C'est une résolution qui aborde un conflit qui suscite passablement d'émotion et qui est malheureusement en train de s'étendre dans toute la région. Je dirais que ce texte a un but véritablement pacifiste, à savoir une paix durable.
La commission des affaires communales, régionales et internationales a procédé à deux auditions. En tant que rapporteur, j'en salue la qualité. Nous avons auditionné M. Jean-Daniel Ruch, ancien ambassadeur de Suisse en Israël, et Mme Micheline Calmy-Rey, ancienne présidente de la Confédération et plus particulièrement conseillère fédérale chargée du Département fédéral des affaires étrangères. Ils ont tous deux salué l'importance de cette résolution. On entend souvent dans ce parlement des critiques quant à ce type d'objet, notamment en matière internationale. Lors des deux auditions, il a été salué à quel point ce texte pouvait être utile, notamment au vu de l'importance de notre canton dans le monde et du rôle de la Genève internationale.
Cet élément est ressorti sous la forme de l'esprit de l'Initiative de Genève, qui a justement voulu apporter cette solution à deux Etats et la prôner, notamment en créant deux ONG de chaque côté de la frontière, l'une en Palestine, l'autre en Israël, pour promouvoir une paix durable et une solution à deux Etats.
Il faut savoir qu'en 2022, le DFAE s'est retiré du financement de ces deux ONG, qui étaient issues de l'Initiative de Genève, ce qui relève l'enjeu pour la Suisse d'agir sur le plan international et dans le cadre du multilatéralisme. Le financement de ces deux ONG a été immédiatement repris en 2022 par les Etats-Unis et par l'Union européenne.
L'enjeu de la Genève internationale est également ressorti, celui pour notre canton et la Suisse de se positionner en faveur du multilatéralisme.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.
M. Romain de Sainte Marie. Merci, Monsieur le président. Cette résolution va dans ce sens, à savoir celui d'une paix durable, mais est également conforme au rôle de la Genève internationale.
Enfin, pour terminer, Monsieur le président, cette résolution amène une solution pacifiste et durable. Ces deux invites - et surtout la reconnaissance des deux Etats - représentent en effet une solution qui est malheureusement l'inverse de ce qu'on voit aujourd'hui, où on constate simplement que les partis extrémistes dictent l'agenda politique, entraînant l'explosion du conflit que l'on connaît. Ce sont les raisons pour lesquelles, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission vous invite à accepter cette résolution.
M. Yves Nidegger (UDC). Chers collègues, il s'agit de nouveau d'une résolution adressée à l'Assemblée fédérale - vous savez, ces objets qui provoquent essentiellement des haussements d'épaules agacés à Berne. Ce n'est pas la compétence du Parlement fédéral de reconnaître ou de ne pas reconnaître les Etats, puisque celle-ci revient au Conseil fédéral.
La Suisse, lorsqu'elle reconnaît quelque chose, ne reconnaît jamais un pays, jamais un peuple, jamais une organisation; ce que la Suisse peut reconnaître, c'est exclusivement un Etat. Un Etat, ça a une définition parfaitement claire en droit international: c'est une autorité, qui doit être effective, sur un territoire précis et sur une population précise.
Alors évidemment qu'on va tous le regretter, parce que depuis la fondation d'Israël par les Nations Unies en 1948, il devait y avoir deux Etats, et ce n'est toujours pas le cas. L'Etat palestinien devrait exister, mais il n'existe pas. Simplement, si vous envoyez... On a le droit de penser que c'est injuste et que ça devrait être autrement. Mais l'idée que le canton de Genève adresse à une autorité qui n'est pas compétente pour cela, à savoir l'Assemblée fédérale, la demande de reconnaître - ce que l'Assemblée ne peut donc pas faire - un Etat qui n'existe pas...
Aujourd'hui, vous n'avez pas d'autorité; c'est quoi, l'autorité effective qui règne sur ce qu'on pourrait appeler la Palestine ? C'est quoi, le territoire incontestable de la Palestine ? La plupart de ce qui devrait être palestinien est occupé en ce moment. Il n'y a donc pas d'autorité palestinienne qui puisse régner sur ces territoires-là. Quant à la population, elle est en train de se réfugier un peu partout.
Par conséquent, chers collègues, aussi bonne puisse être l'intention, on est de nouveau complètement à côté de la plaque. Il ne faut pas se ridiculiser une fois de plus en faisant une démonstration dont le seul but est de se sentir soi-même juste et bon, sans aucune autre considération que celle-là.
M. Christian Steiner (MCG). Effectivement, j'allais dire, c'est un long fleuve tranquille, hein ! A chaque session, il y a des résolutions à l'intention de l'Assemblée fédérale... Alors je vais rappeler que la politique extérieure est du ressort de la Confédération, selon la Constitution. Il s'avère que pour une reconnaissance, c'est même le Conseil fédéral qui est compétent.
Et en se renseignant un peu - ou alors, c'est sciemment que cette résolution a été présentée -, on constate que pas plus tard que le 4 juin, un postulat demandait à peu près la même chose et qu'il a été largement refusé. A cette occasion, on a reproché à l'auteur du postulat une atteinte à la répartition des compétences.
Donc non, ce n'est pas Genève, malgré le souhait que j'espère généralisé d'une solution, d'une paix, qui constitue la seule vraie victoire... Quant à notre position, comme cette résolution est à l'ordre du jour, on va devoir voter. (Rires.) Il y a des sensibilités différentes, et on ne peut pas faire de différence entre un vote sur le fond et sur la forme. Pour cette raison, le MCG laissera à son groupe la liberté de vote.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Pfeffer pour cinquante secondes.
M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. Il y a eu deux votes sur la reconnaissance de la Palestine aux Nations Unies. La Suisse, membre du Conseil de sécurité, s'est abstenue les deux fois. Il faut rappeler que la Suisse représente les intérêts diplomatiques et consulaires des Etats-Unis en Iran. La Suisse y représente également les intérêts du Canada et de l'Egypte.
Bref, sans la neutralité, cette activité peut être mise en cause. La neutralité est également une exigence pour la Genève internationale. Sans elle, c'est difficile d'offrir les bons offices, d'organiser des conférences, etc. Elle est aussi obligatoire pour l'exercice des Conventions de Genève.
Pour rappel, des délégués du CICR diffusent aujourd'hui même, et en permanence, les exigences et les obligations...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. André Pfeffer. ...de ces Conventions de Genève en Israël au sein de l'armée israélienne.
Le président. Merci.
M. André Pfeffer. Pour ces raisons, je pense qu'on ne peut pas accepter cette résolution. Je vous remercie.
Mme Sophie Bobillier (Ve). Nous sommes toutes et tous témoins d'un cauchemar humanitaire qui se déroule sous nos yeux en Palestine, à Gaza, en Cisjordanie, et désormais au Liban. Plus d'un an s'est écoulé depuis les attaques sanglantes du 7 octobre, et la riposte du gouvernement israélien perdure, anéantissant le peuple palestinien.
Aujourd'hui, il est de notre devoir de déployer tous les efforts possibles en faveur de la paix. Cette résolution trouve ses racines dans l'héritage humanitaire de Genève et le rôle de la Suisse dans la promotion des droits humains, du droit international humanitaire, inscrit dans les Conventions de Genève, et dans la coexistence pacifique entre les peuples.
Neutralité ne signifie ni attentisme ni passivité. La neutralité doit être active et engagée en faveur de la paix. Le travail de commission pour porter cette résolution à l'Assemblée fédérale a été déployé. M. Jean-Daniel Ruch, diplomate et ancien ambassadeur de Suisse en Israël, a rappelé que Genève dispose d'une légitimité forte en la matière. Il a souligné la pertinence de cette résolution et les bénéfices qu'elle apporterait à l'image non seulement de Genève, mais également de toute la Suisse. Mme Calmy-Rey a également été entendue. Elle a mis en lumière la portée symbolique de cette résolution, affirmant que seule une solution politique permettrait aujourd'hui de mettre fin à ce conflit, qui doit cesser immédiatement !
Les vies humaines, en particulier celles des enfants et de tous les civils, doivent être préservées. Nous devons mobiliser tous les moyens à notre disposition pour parvenir à une paix durable. La solution à deux Etats, plébiscitée par la communauté internationale depuis plus de cinquante ans, reste la voie incontournable. Cette solution, autrefois reconnue par Israël, a été progressivement écrasée par le gouvernement d'extrême droite sous Netanyahou.
Pour préparer la paix, il est urgent d'accomplir des actes concrets. La première étape consiste à reconnaître l'Etat de Palestine - une démarche déjà entreprise par des nations comme l'Irlande, l'Espagne, la Norvège ou la Slovénie. La Suisse doit suivre cet exemple, comme elle l'a fait en tant que précurseuse par le passé avec la reconnaissance de la Chine en 1950 ou celle du Kosovo en 2008.
Cette reconnaissance s'inscrit également dans une tradition historique, à l'image de la Savoie, qui, après sa défaite lors de la bataille de l'Escalade, a reconnu la souveraineté et l'indépendance de Genève en 1603, par le traité de Saint-Julien. Ce traité a restitué les terres occupées et garanti aux Genevois leurs libertés, notamment de commerce.
Nous devons préparer la fin de la guerre et bâtir le terrain de la paix. Pour coexister, nous devons d'abord reconnaître l'existence de l'autre. Reconnaissons la Palestine ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Je n'ai pas beaucoup de choses à ajouter à ce qu'a dit Mme Bobillier, mais je voulais quand même relever que l'UDC s'était aussi opposée à l'époque à la reconnaissance du Kosovo - nos amis kosovars apprécieront ! -, exactement pour les mêmes motifs. Or, la reconnaissance du Kosovo, c'était aussi le début de la paix dans cette région.
La Cour pénale internationale a délivré des mandats d'arrêt contre Netanyahou, contre son ex-ministre de la défense et contre un dirigeant du Hamas. Je pense que ça marque peut-être un tournant dans l'Histoire. Et ce tournant, Mesdames et Messieurs, eh bien on doit le suivre ! Le suivre, ça veut dire reconnaître enfin l'Etat de Palestine. Je rappelle que ce sentiment d'impunité qu'ont les dirigeants actuels d'Israël est aussi nourri par le fait que cet Etat n'est pas reconnu par tous les pays occidentaux. Je crois que c'est une prémisse nécessaire pour les Palestiniens, mais aussi pour qu'Israël puisse vivre en paix, et donc pour mettre fin à cette escalade de violence.
Souvenez-vous qu'à l'époque de Yasser Arafat, on disait de lui que c'était un terroriste et les plus extrémistes en Israël considéraient qu'il n'était pas un interlocuteur. Eh bien aujourd'hui, je peux vous dire que beaucoup le regrettent, parce que l'extrémisme n'a finalement fait qu'augmenter. Cet extrémisme et ce terrorisme ont également des effets dans le monde arabe en général.
Je vous prie donc de reconnaître aujourd'hui l'Etat de Palestine, pour permettre une solution de paix, mais aussi pour arrêter de nourrir ces frustrations et ces injustices. Je crois qu'il est vraiment temps de le faire. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme Renold.
Une voix. Merci, Monsieur le président...
Mme Caroline Renold (S). C'est à moi ! (L'oratrice rit. Rires.) Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, face à l'horreur du conflit israélo-palestinien, toute démarche de notre part est aussi symbolique qu'elle est essentielle. Symbolique parce que nous sommes humbles face aux faibles pouvoirs dont nous disposons face à ce conflit, essentielle et courageuse parce que nous devons assumer la responsabilité qui nous incombe.
Responsabilité en tant que ville du multilatéralisme, ville berceau du droit humanitaire, dépositaire des Conventions de Genève. Responsabilité en tant que députés et membres de la Confédération helvétique, dont la position sur ce conflit, notamment sur la non-condamnation des colonies, sur la non-reconnaissance de la Palestine et sur l'interruption du financement de l'UNRWA, a fortement entamé la crédibilité diplomatique de la Suisse et sa neutralité ainsi que sa tradition humanitaire, comme cela a été relevé par les respectés auditionnés dans le cadre des travaux de commission.
Responsabilité aussi en tant que membres de la communauté internationale, qui se doit de faire respecter le droit international, le droit humanitaire, la protection des droits humains; communauté internationale qui doit défendre les décisions de la Cour internationale de justice, qui condamne l'annexion des territoires occupés et le risque de génocide dans la bande de Gaza, ainsi que de la Cour pénale internationale, avec les mandats d'arrêt évoqués par ma préopinante.
Nous savons tous que cette reconnaissance... pardon, cette résolution ne résoudra malheureusement pas le conflit. Hélas ! Mais elle s'inscrit dans une tradition de diplomatie et de dialogue que Genève, capitale des droits humains, incarne depuis longtemps. Genève, de par sa position, est écoutée aux niveaux fédéral et international.
Reconnaître l'Etat de la Palestine, c'est affirmer notre soutien au droit international, aux droits humains ainsi qu'au droit à l'autodétermination du peuple palestinien. Reconnaître l'Etat de la Palestine, c'est un appel à une reprise des négociations sur un pied d'égalité entre Israël et la Palestine, seule solution pour une paix durable. Voter en faveur de cette résolution, c'est défendre une position cohérente avec nos valeurs, c'est dire que Genève veut que la Suisse défende une paix juste et durable et qu'elle est prête à jouer son rôle dans sa construction. Je vous prie donc de voter en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur de Rougemont, vous avez huit secondes !
M. Philippe de Rougemont (Ve). Merci ! Le conseiller fédéral PLR Ignazio Cassis appelle à une solution à deux Etats; c'est le moment de passer de la parole aux actes. Votons donc oui à cette résolution, pour l'aider à le faire ! Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous passons au vote.
Mise aux voix, la résolution 1038 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale et au Conseil fédéral par 36 oui contre 24 non et 8 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)