République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 13410-A
Rapport de la commission des transports chargée d'étudier le projet de loi de Gabrielle Le Goff, Thierry Cerutti, Skender Salihi, Ana Roch, Christian Steiner, François Baertschi, Sandro Pistis modifiant la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC) (H 1 31) (Pour permettre aux chauffeurs de taxi de mettre leur véhicule professionnel en conformité avec les exigences de la loi quant aux émissions de CO2)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 29 et 30 août 2024.
Rapport de majorité de M. Pascal Uehlinger (PLR)
Rapport de minorité de Mme Gabrielle Le Goff (MCG)

Premier débat

Le président. Nous passons au PL 13410-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Monsieur Pascal Uehlinger, vous avez la parole.

M. Pascal Uehlinger (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous parlons ici de la modification d'une loi qui est très, très, très ancienne, car elle date du 28 janvier 2022 ! Elle a fait l'objet d'un processus d'adoption assez long. Aujourd'hui, cette loi n'est modifiée que sur une disposition, à savoir l'article 18, alinéa 2, selon lequel afin de limiter progressivement les émissions de CO2, les voitures utilisées doivent remplir différents critères. La première étape voulait que dès le 1er juillet 2024, les voitures aient une efficacité énergétique correspondant aux catégories étiquette-énergie A, B, C ou D. On a vu qu'avec les délais de recours, l'application de cette première étape s'est révélée difficile. La conseillère d'Etat, avec l'aval de ses collègues du gouvernement, a finalement dit que l'application de cette disposition allait être repoussée et que le point de départ de cette loi serait celui de la deuxième étape. Celle-ci prévoit que dès le 1er juillet 2027, les voitures en question aient une efficacité énergétique correspondant à la catégorie étiquette-énergie A. La dernière étape est que dès le 1er juillet 2030, ces véhicules n'émettent plus de CO2.

La modification proposée par ce projet de loi consiste à repousser au 1er juillet 2035 l'exigence de ne plus émettre de CO2. Il s'agit donc d'un retour en arrière dans la transition énergétique et tout ce qu'on peut mettre en place dans notre société pour l'atteindre. En plus de cela, nous avons reçu des garanties du Conseil d'Etat. Même pour la deuxième étape, on s'est rendu compte que pour certains types de taxis ou de véhicules lourds, des déplacements pouvaient être problématiques. La conseillère d'Etat s'est aussi engagée à communiquer et à continuer de discuter avec les professionnels de cette branche; elle a indiqué que courant 2026, elle reviendrait vers eux pour leur exposer la réalité des problèmes présents à ce moment-là.

Nous avons une deuxième problématique aujourd'hui, et je pense qu'exercer une certaine pression via ces échéances représente aussi pour l'Etat le défi de mettre suffisamment de bornes de recharge pour ces professionnels. In fine, si on commence à délayer ces échéances, la pression pour mettre ces bornes et équiper l'Etat, la Ville de Genève et le canton se fera moins forte et la transition sera plus lente et difficile.

Quand j'ai commencé dans ma branche d'activité il y a vingt ans, on m'avait dit que le lendemain ou le surlendemain, les voitures feraient comme les avions, qu'elles suivraient des bornes le long des grands axes routiers. Dix ans après, aucune borne n'était installée sur les routes, et les voitures conduisaient toutes seules sur des autoroutes ou des routes principales. Cela signifie que personne ne peut dire à quelle vitesse et comment va évoluer la technologie. Est-ce que demain le métier de chauffeur de taxi sera comme aujourd'hui ? Aura-t-il évolué ?

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

Pascal Uehlinger. Oui, merci, Monsieur le président. Est-ce que demain les voitures pourront se déplacer sur des distances de 1000 à 2000 kilomètres avec des batteries qui utiliseront de nouvelles technologies ? On n'en sait rien. Moi, je pense qu'en fin de compte, pour ce projet de loi, il est urgent d'attendre. La loi qui a été adoptée à une large majorité à l'époque et qui, je vous le rappelle, date du 28 janvier 2022 est évidemment en vigueur et peut être appliquée aujourd'hui avec un certain pragmatisme. J'en ai terminé, Monsieur le président.

Mme Gabrielle Le Goff (MCG), députée suppléante et rapporteuse de minorité. Le PL 13410 propose de surseoir temporairement à l'entrée en vigueur des obligations irréalisables prescrites à l'article 18, alinéa 2, de la LTVTC. Rappelons que cette disposition prévoit une réduction drastique et progressive imposée par l'Etat des émissions de CO2 depuis trois mois, qui frappe l'ensemble des véhicules taxis et VTC du canton, avec une interdiction de circuler pour les véhicules de cette catégorie qui émettent le moindre gramme de CO2 à compter du 1er juillet 2030.

Cela constitue littéralement une entrave à l'activité économique, basée sur des motifs pseudo-écologiques. En imposant par la contrainte des objectifs aussi stricts, la LTVTC plonge 3060 travailleurs et familles dans l'incertitude économique et le stress professionnel. Les autorités semblent conscientes du problème, à tel point que pour y remédier, la conseillère d'Etat Delphine Bachmann a fait une déclaration surprenante lors de son audition en indiquant qu'elle allait proposer au Conseil d'Etat de ne pas contrôler le respect du délai fixé au 1er juillet 2024, mais seulement à partir du 1er juillet 2027.

De plus, on retiendra que le canton, qui dispose d'une capacité extrêmement limitée en infrastructures pour recharger rapidement les véhicules taxis et VTC électriques, envisage donc de faire supporter le poids de sa transition écologique à une seule profession. Après les taxis et VTC utilisés comme cobayes pour satisfaire les ambitions écologiques de l'Etat, il est probable que viendra ensuite le tour de nos concitoyens, à qui l'on risque également bientôt d'interdire de conduire des véhicules thermiques à Genève.

Ce n'est pas l'Etat qui dicte l'échéancier de la transition écologique, c'est l'économie. Et dans les faits, les enjeux technologiques et économiques sont d'une telle complexité et d'une telle ampleur qu'il est absolument impossible de savoir quand ces technologies seront disponibles commercialement à un prix abordable. En revanche, l'Etat peut soutenir l'économie genevoise en s'assurant que la vie des taxis et VTC genevois ne soit pas plus difficile que celle des 2500 taxis et VTC étrangers autorisés par la PCTN à travailler dans le canton, qui, eux, ne sont pas contraints par la LTVTC.

Je vous rappelle que l'Union européenne a fixé à 2035 la date à laquelle il ne sera plus possible d'acheter de nouveaux véhicules émetteurs de gaz à effet de serre. C'est pourquoi plutôt que d'inciter les travailleurs du canton à enfreindre une loi inapplicable et inéquitable, le MCG vous recommande d'accepter le PL 13410, qui permet de reporter raisonnablement à 2035 l'entrée en vigueur des dispositions problématiques de la LTVTC. Mesdames et Messieurs les députés, merci de votre attention. (Applaudissements.)

M. Stefan Balaban (LJS). Les rapporteurs de majorité et de minorité ont relativement bien exposé la problématique, je ne vais pas répéter ce qui a été dit. Cette loi est discutée depuis 2022, il s'agit d'un sujet assez chaud. Après, il faut quand même garder en tête que cette loi est le fruit d'un de nos objectifs, le plan climat, visant à améliorer la qualité de vie de nos concitoyens. C'est un objectif noble et nous le saluons.

Aussi, nous tenons à remercier le département de l'économie et de l'emploi et Mme la conseillère d'Etat Bachmann d'avoir fait preuve d'empathie et de flexibilité en décidant de reporter l'application de la loi à 2027 - il faut quand même souligner cette flexibilité.

Cependant, il reste des zones d'ombre dans cette loi. Le problème qui n'est pas pris en compte - là, je suis surpris d'entendre nos voisins de la droite, censés comprendre l'économie ! - est le suivant: lorsqu'un chef d'entreprise, un indépendant, doit investir et acheter un actif, ici un véhicule, tout le monde sait que ça ne s'amortit pas en une année. On a besoin d'avoir de la clarté, une certitude, une vision, un regard à long terme sur notre activité. Et puis, dire qu'il n'y a pas matière à défendre les taxis et les VTC revient selon moi à négliger ce secteur d'activité sur le plan économique.

Il y a un autre aspect qui n'a pas été pris en compte dans cette loi et dans son application. Il est évident, toute personne qui prend un taxi... Dans la majorité des cas, nous avons affaire par exemple à des Toyota Prius. On sait qu'elles respectent les classes énergétiques, il n'y a donc pas de problème avec ça. Par contre, un point essentiel qui a été omis, c'est la Genève internationale et, parallèlement - on a tendance à l'oublier -, le fait que Genève est une zone importante, que les touristes y arrivent pour partir ensuite à Gstaad, à Megève. Ces gens-là n'y vont pas en calèche, ils utilisent des vans, des véhicules de huit à neuf places, et il faut transporter les skis. On fait comment pour transporter ces gens si on applique la loi en l'état ? C'est en raison de la non-prise en considération de ce segment-là que nous demandons le renvoi en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole aux rapporteurs sur cette demande de renvoi en commission, en commençant par la rapporteure de minorité. (Un instant s'écoule.) Madame, soutenez-vous le renvoi en commission ?

Mme Gabrielle Le Goff. Oui !

Le président. Très bien, la parole est au rapporteur de majorité.

M. Pascal Uehlinger (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. J'entends bien les propos qui sont tenus. J'ai pour ma part une entière confiance en Mme la conseillère d'Etat, qui nous a dit qu'elle avait bien remarqué que deux ou trois types de véhicules, dont ceux que mon préopinant a cités, étaient potentiellement une cible de problèmes pour 2027 en fonction des évolutions technologiques. C'est pour ça que je disais qu'il est urgent d'attendre le retour du Conseil d'Etat une fois qu'il aura consulté les professionnels de la branche, pour déterminer si ce sera toujours un problème en 2026 et, le cas échéant, si on fait des modifications ou pas.

On voit toujours les députés des bancs de droite comme les méchants qui luttent contre la biodiversité et la transition énergétique; ce projet de loi a été initié par un parti vert. Je suis prêt à le voter et à le soutenir. Ce sont les Verts qui ont amené ces discussions. Il a été voté à une large majorité. Personnellement, je ne suis pas en faveur d'un renvoi en commission, mais si la majorité souhaite renvoyer ce texte, je vivrai très bien avec. A titre personnel, je trouverais assez drôle que certaines personnes souhaitent retarder la transition énergétique, surtout quand c'est eux qui ont mis la loi en place. J'en ai terminé, Monsieur le président.

Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Je vous laisserai effectivement juger de l'opportunité et de la nécessité de renvoyer ce texte en commission au vu du nombre d'amendements et des discussions. Je souhaitais juste revenir sur quelques points. Le premier, c'est que, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire un peu plus tôt dans la soirée, cette disposition relative à la transition écologique et à la contribution des véhicules professionnels à cet effet avec pour objectif d'atteindre le plan climat a été souhaitée par le parlement lors de la dernière révision de la LTVTC, votée, je le rappelle, en 2022.

Une fois que ce cadre-là est posé, je rappelle également que des recours ont eu lieu, que le Tribunal fédéral a tranché très récemment, il y a quatre mois, en faveur du Grand Conseil, déterminant ainsi qu'il était parfaitement légitime de fixer ces objectifs. Si la compétence législative est bien évidemment celle de votre Grand Conseil, celle du gouvernement est d'appliquer le principe de proportionnalité dans la mise en oeuvre de la loi. Suite à cet arrêt du Tribunal fédéral, qui tombait très peu de temps avant la première échéance du 1er juillet 2024, mes services ont commencé par faire un inventaire pour savoir où on en était dans l'atteinte de ces objectifs.

Je relève à ce propos que 70% des taxis sont aujourd'hui aux normes et respectent les exigences fixées au 1er juillet 2024. Cela représente une progression de 20% par rapport à 2020. Je pense que c'est quand même un indicateur qui démontre que quand on fixe des objectifs, cela met effectivement une pression, rend les gens attentifs et les encourage à changer leur pratique. Maintenant, très clairement, entre le moment où la loi a été votée et le moment où l'arrêt du Tribunal fédéral est tombé, un temps s'est écoulé. Durant ce temps-là, des leasings ont été renouvelés, et on comprend parfaitement qu'au vu de l'incertitude juridique, ces leasings qui n'ont peut-être pas été renouvelés dans la bonne catégorie en début d'année 2024 puissent faire aujourd'hui l'objet d'une dérogation. Mes services ont émis une directive et les situations qui pourraient se révéler problématiques sont traitées au cas par cas. En tout cas, à ce jour, on ne m'a pas remonté le cas d'un taxi à qui on aurait interdit d'exercer parce qu'il aurait obtenu, entre l'entrée en vigueur de la loi et l'arrêt du Tribunal fédéral, un renouvellement de leasing pour une voiture qui n'était pas encore tout à fait aux normes.

Ensuite, je rappelle aussi que cette même loi votée en 2022 par ce parlement a instauré la commission consultative sur la LTVTC, qui réunit l'ensemble des acteurs du domaine. Cette commission siège sous ma présidence quatre fois par année en moyenne. On y présente toutes les actualités, on y discute typiquement de l'atteinte de ce type d'objectifs. Et oui, j'ai transmis à cette même commission, au même titre que je l'ai expliqué à la commission des transports, qu'aujourd'hui, on maintenait les objectifs fixés à 2027 ainsi que le suivant - c'est ce que le parlement avait voulu -, et qu'on monitorerait, année après année, la capacité de la profession à y répondre.

Et vous avez raison, quand on se fixe un objectif, on doit se donner les moyens de l'atteindre, et c'est la raison pour laquelle nous avons également présenté au sein de cette commission l'intégralité du plan électromobilité du canton. Une task force est mise en place. L'augmentation du nombre de bornes de recharge rapide fait bien partie des objectifs. Nous travaillons en collaboration avec la Fondation des parkings et les SIG pour nous donner les moyens d'avoir une offre suffisante en 2027 pour les taxis, les VTC et les professionnels du transport.

Voilà ce que je souhaitais vous dire; au vu du nombre d'amendements et de l'état des discussions, je laisse bien évidemment au libre arbitre de votre parlement de décider ou non d'un renvoi en commission, mais si le projet devait être renvoyé, je vous transmettrais en résumé les mêmes éléments, peut-être de manière un peu plus précise. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous passons au vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13410 à la commission des transports est adopté par 71 oui contre 21 non.