République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 3 octobre 2024 à 20h30
3e législature - 2e année - 5e session - 28e séance
PL 13364-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au PL 13364-A, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Monsieur Vincent Canonica, vous avez la parole.
M. Vincent Canonica (LJS), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi a été étudié à la commission de l'économie. Il a pour objet de... Attendez, excusez-moi. (L'orateur consulte son ordinateur. Un instant s'écoule.) Je m'y suis mal pris. (Un instant s'écoule à nouveau.)
Le président. Que ferons-nous le jour où les ordinateurs tomberont en panne ! (Commentaires.)
M. Vincent Canonica. En panne sèche ! (L'orateur rit. Commentaires.) Ce projet de loi a donc pour but de supprimer la nécessité, pour un commerçant, de renouveler son autorisation pour la vente à l'emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac. Tout exploitant qui souhaite vendre des boissons alcooliques à l'emporter ou du tabac, ainsi que tout produit assimilé au tabac, doit obtenir une autorisation préalable délivrée par l'autorité concernée moyennant la remise d'un certain nombre de documents - environ douze. La loi actuelle prévoit que l'autorisation délivrée a une durée limitée à quatre ans et que, pour chaque renouvellement, tous ces documents - les douze - doivent être présentés à nouveau. Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, ces douze documents sont listés aux articles 3 et 4 du règlement d'exécution de la loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l'emporter de boissons alcooliques et de produits du tabac.
Ce projet de loi n'a pas pour objet de supprimer la demande d'autorisation préalable. En cas de changement d'exploitant, le repreneur doit par ailleurs se conformer aux mêmes modalités que tout nouvel exploitant. En cas de problème avec l'obtention de l'un ou l'autre document, l'exploitant risque de devoir cesser temporairement son activité; la limitation de cette autorisation dans le temps n'est pas justifiée dès lors que le règlement d'application prévoit un contrôle régulier des exploitants. Et lors de l'audition de la PCTN, nous avons bien entendu que de nombreux contrôles ont régulièrement lieu pour vérifier le respect par les commerçants des conditions de l'autorisation.
J'insiste sur le fait que cette modification législative ne s'appliquera qu'en cas de renouvellement par le même exploitant, pas en cas de changement d'exploitant. Sa teneur s'inspire de la LRDBHD, qui stipule que les restaurateurs ne sont pas soumis à l'exigence de renouvellement de leur autorisation initiale.
Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.
M. Vincent Canonica. Merci, Monsieur le président. Les deux activités sont comparables; il serait donc de bon aloi que les mêmes conditions s'appliquent. Il ne s'agit que d'une simplification administrative et les services concernés pourront toujours effectuer des contrôles en cas de doute. Le projet de loi prévoit également des dispositions transitoires pour les commerçants au bénéfice d'une autorisation, pour que celle-ci devienne automatiquement pérenne. Je reprendrai la parole par la suite, en fonction des débats qui suivront.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ceux qui ont mon âge ou plus se souviennent peut-être d'une série de dessins animés dans laquelle un petit poussin noir coiffé d'une demi-coquille avait pour refrain: «Mais c'est vraiment trop trop trop trop trop injuste !» (L'orateur prononce la citation en zozotant.) On peut regretter que certains membres de ce parlement aient ça pour guide dans l'exercice de leur fonction plutôt que les lumières de leur conscience, pour reprendre le serment que nous avons prêté en début de législature. Cette loi est vraiment un exemple archétypique de cette façon de faire de la politique que nous dénonçons, et qu'évidemment nous regrettons. D'où est-ce que c'est parti? D'un kiosquier de l'aéroport qui, alerté par certains de ses collègues vendeurs d'alcool et de tabac, estime que, décidément, devoir produire à intervalles réguliers, c'est-à-dire tous les quatre ans - les années olympiques -, une série de documents, c'est vraiment trop trop trop trop trop trop injuste ! (L'orateur prononce la fin de la phrase en zozotant. Rires.) Voilà pour le cadre.
Un projet de loi a été déposé pour supprimer la nécessité de renouveler cette autorisation et je dois vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que la commission de l'économie - en tout cas ses membres de gauche - a souhaité le traiter avec énormément de rigueur et de sérieux. Parce que nous sommes tout à fait conscients que le travail des vendeurs, des commerçants, n'est pas évident et que cette nécessité de produire quelques pièces à intervalles réguliers est peut-être trop exigeante, qu'elle nuit peut-être à leur activité, et que ce n'est peut-être pas la meilleure façon de réguler des produits pour le moins sensibles: le tabac et l'alcool. Nous avons donc désiré faire ce travail avec soin et - pour être clair - la commission nous en a empêchés !
Alors, la première chose que nous avons faite, c'est examiner la liste à laquelle le rapporteur de majorité - vous l'aurez reconnu, c'est aussi l'auteur de ce projet de loi, ce qui n'est pas tout à fait respectueux de l'article 188, sauf erreur, de la LRGC, mais c'est un autre problème - a fait référence. Je vous invite à l'examiner: ce ne sont évidemment pas douze documents qui sont demandés ! Ce chiffre de douze englobe des documents qui s'excluent eux-mêmes: vous ne pouvez pas être simultanément citoyen suisse et disposer d'un permis d'établissement, vous ne pouvez pas être simultanément locataire et propriétaire de votre local. La PCTN, le seul organisme qu'il nous a été loisible d'auditionner, nous a très clairement signalé que pour les citoyens suisses résidant à Genève, le nombre de ces documents est de sept; pour les citoyens étrangers, de huit; pour les citoyens étrangers ne résidant pas à Genève, il est légèrement supérieur: au maximum de onze. Ces documents, à trois exceptions près, sont tous disponibles soit dans les registres de l'entrepreneur soit sur simple demande gratuite, comme l'extrait du registre du commerce. Il n'y a que trois documents qui doivent être commandés, avec une légère attente.
Dans l'exposé des motifs comme lors de son audition, l'auteur du projet de loi a prétendu que la PCTN avait du retard dans le traitement des autorisations. Cela relève du mensonge ! La PCTN nous a assuré que les seuls retards qu'il y a eu ont été occasionnés par l'insuffisance des pièces fournies ou les problèmes rencontrés dans leur traitement. La PCTN, je l'ai dit, a été auditionnée et nous a enjoint de ne pas accepter cette demande parce que la procédure en question est un des rares moyens de limiter le taux de fraude, qui est extraordinairement élevé dans ce canton: il dépasse 10% lorsque les achats tests portent sur l'alcool et le tabac et, vous avez sans doute lu le communiqué qui le signale, on atteint 40% d'achats illégaux lorsqu'ils portent sur les puffs, ces petites cigarettes électroniques jetables.
Je ne demanderai pas moi-même le renvoi en commission: je vais laisser mon excellente collègue Sophie Demaurex s'en charger et j'utiliserai les trois minutes qui me seront allouées pour présenter le volet santé de cet objet. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Sophie Demaurex (S), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, que dit Addiction Suisse en juillet 2024 ? «L'alcool continue d'être vendu illégalement à bien trop de jeunes en Suisse. Des contrôles d'âge rigoureux s'imposent [...]. Ce sont les constats tirés des achats tests effectués en 2023 par différentes entités publiques ou privées. Addiction Suisse a analysé ces achats tests sur mandat de l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières. [...] Globalement, les résultats ne montrent pas de réelle amélioration par rapport à 2022.» Dans 27% des cas, de la bière, du vin ou des spiritueux ont été vendus illégalement aux jeunes, soit un taux identique à celui enregistré en 2022.
Cette petite introduction pour vous dire: parlons alcool et santé puisque cette commission n'a souhaité parler que d'économie. En Suisse, 5% de personnes sont alcoolodépendantes. Un quart des jeunes qui arrivent aux urgences sont alcoolisés et vont devenir alcooliques. Miser sur la liberté et la responsabilité individuelle, c'est oublier la nature de cette substance. L'alcool fort est facile à obtenir et toujours moins cher; les admissions aux urgences avec un taux d'alcoolémie supérieur à 2 pour mille prennent l'ascenseur, et la corrélation entre ces taux et la libéralisation de la vente d'alcool est démontrée. Les mesures structurelles, à l'instar de la LTGVEAT, sont certes impopulaires, mais elles sont tellement efficaces ! Or, les lois suisses sur la vente d'alcool sont les plus libérales du monde.
Comme l'alcool est légal, on oublie que c'est aussi une drogue puissante induisant des changements sur le fonctionnement du cerveau - un cerveau en pleine maturation chez les 15-25 ans. Entre parenthèses, il semblerait que la question des drogues puissantes anime un petit peu les débats et ait animé cette arène la semaine passée - je ne pense à aucune drogue ! Je reviens à l'alcool: ne pas dramatiser mais ne pas banaliser, telle est la ligne suivie par les milieux de la prévention. Il s'agit de travailler sur les comportements et les mesures structurelles de réduction des risques, et cette loi en est une.
En résumé, l'accessibilité de l'alcool devrait réellement être prise au sérieux par ce parlement, pas uniquement sous un angle économique mais également sanitaire. Dois-je vous rappeler les motions, les pétitions, les projets de lois, les résolutions qui traitent de dépendances et de comportements à risque, comme le crack ou le tabagisme passif, déposés par les mêmes groupes qui veulent abolir les autorisations contrôlées et renouvelées par la LTGVEAT ? Aussi, je vous recommande de renvoyer ce projet de loi à la commission de la santé et d'auditionner les spécialistes du terrain, notamment Carrefour addictionS. Vous en conviendrez, chers députés, la santé ne peut pas être séparée de l'économie ou écartée par elle. Les coûts de l'assurance-maladie ne sont pas un problème à considérer uniquement sous l'angle de l'économie ou de la santé, mais sous l'angle des deux. Aussi, je vous remercie d'approuver un renvoi à la commission de la santé. Et puis, santé ! (L'oratrice lève un verre en direction de l'assemblée et boit.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole au rapporteur de première minorité - sur le renvoi en commission, Monsieur.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. La rapporteuse de deuxième minorité propose un renvoi à la commission de la santé: c'est un renvoi qui est à notre sens tout à fait opportun. Pourquoi cela ? Parce que, les plus anciens de ce parlement se le rappellent sans doute, la LTGVEAT, déposée en 2018, avait été présentée par le DSES qui était le département de la santé de l'époque. C'est une loi qui n'a pas pour but de servir ni même d'encadrer les commerçants: elle a un but de santé publique ! Elle a essentiellement pour but d'empêcher que l'alcool et le tabac, qui sont des substances problématiques, sensibles, puissent être accessibles à notre jeunesse et occasionner des excès dommageables, à la fois pour les auteurs de ces excès mais aussi pour l'entier de la société.
Comme l'a dit la rapporteuse de deuxième minorité, la commission a souhaité examiner ce projet de loi également sous l'angle de la prévention des addictions en auditionnant des spécialistes de ce domaine, c'est-à-dire Carrefour addictionS. Cette demande a été présentée à deux reprises à la commission; elle a été écartée à deux reprises - la deuxième fois à égalité mais, vous le savez, cela équivaut à un non dans des débats en commission. Cela est plus que regrettable parce que cela laisse entendre que tant la LTGVEAT que ce projet de loi particulier ne doivent être envisagés que sous l'angle du confort des commerçants, dont je n'essaierai pas de réimiter l'état d'esprit.
J'irai même plus loin: en définitive, une loi relativement stricte qui cadre les commerçants vertueux les protège également ! Parce que, on l'a dit, il suffit d'aller enquêter auprès des jeunes: ils savent très bien où se procurer de l'alcool, ils savent très bien où se procurer du tabac. Ils témoignent même que certains commerçants profitent de cette loi pour surtaxer l'alcool en dehors des heures de vente légale ou pour surtaxer le tabac auprès de mineurs pour ne pas demander leur pièce d'identité. C'est un monde qui est parfaitement interlope; les commerçants qui respectent la loi doivent être protégés et il faut au contraire une loi stricte et bien établie pour écarter ceux qui ne remplissent pas les exigences minimales que la société attend d'eux. C'est pourquoi nous vous proposons d'accepter le renvoi en commission. Je vous remercie.
M. Vincent Canonica (LJS), rapporteur de majorité. Il s'agit ici d'un faux débat, parce que ramener la question du renouvellement de l'autorisation à la problématique de la consommation d'alcool ou de l'accès à sa consommation par les jeunes... Cela n'est pas lié à cette simplification administrative. C'est par les contrôles effectués auprès des commerçants que l'on peut évaluer la problématique, mais ce n'est pas lié à la délivrance ou non d'une autorisation ! Ce n'est pas en fonction de... au moment de la délivrance que l'on peut savoir si la personne va respecter ou non la loi ! C'est uniquement par le biais de contrôles. Lors de l'audition de la PCTN, elle a relevé que les commerçants dans la restauration passent un diplôme de patente, ce qui les rendrait plus honorables que ceux qui exploitent un kiosque, de par la formation les rendant plus attentifs au respect - ou pas - de la loi. Cela est un leurre; la réalité, quand on pourra maîtriser... On ne se bat pas pour favoriser la consommation d'alcool et ce n'est pas du tout l'objectif de ce projet de loi: nous sommes bien sûr absolument opposés à la consommation d'alcool, et ce n'est pas cette modification qui favorisera davantage de consommation d'alcool par les jeunes. Nous refusons donc le renvoi en commission.
Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. S'agissant du renvoi en commission, j'y suis favorable... (Protestations.) ...ne serait-ce que pour une question de forme: le Conseil d'Etat n'a pas été auditionné sur ce texte ! Les milieux concernés n'ont pas été auditionnés sur ce texte ! (Protestations.)
Le président. S'il vous plaît !
Mme Delphine Bachmann. On peut estimer qu'on se passe de notre avis - ou pas; il n'empêche que je souhaite vous rendre ici attentifs et attentives à cet état de fait.
Ensuite, je voudrais quand même revenir sur un élément: oui, pour être titulaire d'une patente, vous suivez effectivement des cours. Oui, vous travaillez aussi avec le département et la police du commerce sur la prévention des risques de consommation chez les jeunes. Et je suis persuadée que ce travail que nous menons en collaboration avec les faîtières de l'hôtellerie-restauration n'est pas un leurre ! C'est un travail de fond, parce que l'idée n'est pas d'interdire: c'est également de sensibiliser les milieux qui délivrent ou sont amenés à servir de l'alcool, de les associer à la démarche de prévention.
Je rappelle par ailleurs que le Conseil d'Etat, notamment porté par le magistrat chargé de la santé, souhaite faire - et a fait dans son programme de législature - de la prévention et de la promotion de la santé une de ses priorités. Dès lors, je vous remercie de bien vouloir soutenir ce renvoi à la commission de la santé pour que le Conseil d'Etat et les milieux concernés aient aussi l'occasion de s'exprimer sur ce qu'on appelle une simplification administrative. Et je suis favorable aux simplifications administratives, mais aux vraies, pas à celles qui visent à faciliter la distribution d'alcool au grand public. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13364 à la commission de la santé est adopté par 53 oui contre 40 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)