République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2881-A
Rapport de la commission de l'environnement et de l'agriculture chargée d'étudier la proposition de motion de Jean Batou, Olivier Baud, Jean Burgermeister, Pablo Cruchon, Rémy Pagani, Pierre Vanek, Salika Wenger, Nicole Valiquer Grecuccio : Prenons au sérieux les objectifs du plan climat cantonal 2030 : pour un suivi bisannuel de la réduction annoncée de 60% des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 29 février et 1er mars 2024.
Rapport de majorité de M. Lionel Dugerdil (UDC)
Rapport de minorité de M. Léo Peterschmitt (Ve)

Débat

Le président. Nous en venons à la M 2881-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Monsieur Lionel Dugerdil, vous avez la parole.

M. Lionel Dugerdil (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, la proposition de motion 2881 demande un suivi bisannuel de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans notre canton. Elle s'inscrit dans le cadre du plan climat et de son objectif de réduction de 60% des gaz à effet de serre d'ici 2030. Ce texte demande que soit produit un rapport sur l'évolution de cette baisse tous les six mois. La première invite est obsolète, la deuxième est jugée inenvisageable par les départements concernés par le plan climat. Tous les départements que la commission a auditionnés nous ont tenu le même discours, et ce pour plusieurs raisons, notamment, pour la direction de la durabilité, parce qu'un rapport annuel sur l'avancement de la mise en oeuvre des 41 mesures est déjà rendu. Et pour tous les autres responsables auditionnés des départements concernés, la mise en oeuvre de cette invite serait tellement compliquée et coûteuse en investissements comme en ressources humaines qu'elle est simplement inapplicable sur le terrain.

Mais cette motion, que la majorité a jugée inutile et inapplicable, a eu le mérite de m'éclairer sur deux points: le premier est l'antagonisme idéologique des partis de gauche, qui souhaitent augmenter la capacité d'accueil de notre canton, avec pour conséquence une croissance démographique incontrôlée qui excède les capacités d'absorption de notre territoire, et qui, parallèlement, veulent diminuer significativement les émissions de gaz à effet de serre - non pas celles que nous produisons individuellement, mais celles émises par notre canton dans sa globalité. Je me permets de vous donner un petit cours de mathématiques: selon le bilan des gaz à effet de serre à Genève, un individu en génère annuellement 12,9 tonnes. Avec une croissance démographique annuelle de 6500 personnes, ce n'est rien de moins qu'une augmentation de 83 850 tonnes avec laquelle nous devons compter chaque année pour atteindre le but louable d'une diminution de 60% des gaz à effet de serre d'ici 2030.

Le deuxième point est le manque de sérieux et de crédibilité du bilan des émissions de gaz à effet de serre qu'effectue et nous présente notre administration. Mes quelques années à l'école de commerce m'ont appris qu'un bilan comportait deux éléments principaux, indispensables à sa justesse: l'actif et le passif. Dans le cas du bilan qui nous intéresse, ces deux éléments devraient être les émissions et les captations des gaz à effet de serre. Cela reviendrait à calculer les bienfaits du vélo et de la voiture électrique versus la mobilité individuelle en voitures fonctionnant au pétrole en tenant compte des émissions produites par leur fabrication et leur transport. Or, dans ce bilan, rien ! Le volet agricole ne parle que des gaz émis par l'agriculture, par nos vaches, par nos gros tracteurs, et pas une ligne ni un chiffre sur la captation effectuée par toutes nos cultures, la vigne et les prairies. Car oui, chers collègues, une vache a en réalité un bilan carbone positif lorsque ce dernier est fait avec sérieux et qu'il tient compte de tout ! A contrario, une voiture électrique a un bilan très mitigé quand on ne se limite pas à calculer les émissions qu'elle ne produit pas en roulant et à les comparer avec celles d'un Hummer. Ce bilan n'est donc qu'un outil de propagande qui n'a rien de sérieux et encore moins de scientifique !

Pour toutes ces raisons, chers collègues, la majorité de la commission de l'environnement et de l'agriculture vous exhorte à refuser cette motion.

M. Léo Peterschmitt (Ve), rapporteur de minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, tout d'abord, je tiens à corriger M. Dugerdil, qui est en face de moi: bisannuel ne veut pas dire qui revient tous les six mois, mais tous les deux ans. 2030, dans l'inertie politique de ce Grand Conseil, c'est demain. L'atteinte des objectifs environnementaux définis dans le plan climat ne se décide pas en 2030, mais se fera via la somme des mesures prises dans l'intervalle.

Pour mener une politique cohérente avec les enjeux du changement climatique et l'engagement pris par notre Conseil, il faut anticiper, suivre les effets et produire les données nécessaires. La majorité de la commission a estimé qu'elle peut se passer de faire le point régulièrement sur la base d'indicateurs; la bonne vieille politique de l'autruche a de beaux jours devant elle ! Ce refus s'inscrit dans une stratégie de dégringolade des ambitions de ce Grand Conseil en matière d'écologie orchestrée par la droite. Les objectifs 2030 n'ont pas changé, mais les votes de la majorité de ce parlement depuis les dernières élections vont à l'encontre de ceux-ci.

Ne pas quantifier la réduction des émissions est en réalité un calcul politique ayant pour but de ne pas avoir à faire face aux contradictions. Il n'y a pas d'atteinte des objectifs climatiques sans une politique de mobilité qui désengage le transport individuel motorisé, sans redimensionnement de l'économie, sans baisse de la consommation matérielle, sans changement de régime alimentaire, sans prise en compte des déterminants fondamentaux de la santé, et le tout au niveau sociétal.

Ne pas changer les normes dans ce sens, c'est agir aux marges, cela va contre l'intérêt commun, c'est spolier le patrimoine naturel dont nous avons hérité et en priver les générations futures. Malheureusement pour la droite, cette stratégie ne fonctionne pas, pire même, elle transfère le fardeau de l'action aux prochaines générations, qui non seulement subiront les conséquences de l'inaction politique, mais devront s'adapter comme elles le pourront. Le coût de l'inaction climatique s'élèverait à 1,5 milliard à l'horizon 2050, selon les projections citées le 2 juin 2021 par la conseillère d'Etat chargée du département des finances, des ressources humaines et des affaires extérieures.

Les scénarios du GIEC quantifient de manière scientifique les conséquences de différentes trajectoires climatiques; elles sont sans appel. Selon la minorité, il y a nécessité d'évaluer et de réévaluer les trajectoires environnementales de notre canton dans la durée. Etablir en 2030 que les objectifs ne sont pas atteints ne sera pas acceptable; être mis devant le fait accompli sans avoir eu la possibilité de corriger le tir le sera encore moins. Parlons de la politique écologique menée par le Grand Conseil et le Conseil d'Etat...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Léo Peterschmitt. Dans une évaluation des politiques climatiques et énergétiques des différents cantons menée par le WWF et EBP, aucun canton n'est sur la voie de l'atteinte des objectifs de l'accord de Paris sur le climat, et Genève pointe dans les parties basses du classement. Dans son programme de législature, le Conseil d'Etat parle de croissance économique pertinente et harmonieuse, la conseillère d'Etat chargée du département de l'économie et de l'emploi déclare dans son discours à la rentrée des entreprises en 2023: «Alors, entre nous, pas de débat, la croissance est nécessaire.» Puis, rassurez-vous, elle en parle à nouveau dans son discours de 2024. Le Conseil d'Etat souhaite à la fois la croissance et l'atteinte des objectifs du plan climat. Pourtant, le découplage est un leurre ! Peut-être faut-il d'abord le définir: le découplage, c'est quand les émissions de CO2 baissent et que le PIB augmente. Les pays à hauts revenus où un découplage des émissions a pu être mesuré sont rares, et, en moyenne, il faudrait que le découplage soit multiplié par dix d'ici 2025 pour qu'on atteigne les objectifs. Autant dire que c'est mal parti !

Les études montrent que la poursuite de la croissance économique dans les pays à hauts revenus est en contradiction avec les engagements en matière de climat et d'équité de l'accord de Paris. Alors qui croire ? Le Conseil d'Etat ? Le Grand Conseil ? Ou bien des chercheurs fondant leurs conclusions sur des analyses de données ? Pour faire le lien entre mon petit laïus économique et la motion, si nous souhaitons considérer le bien-être et sa résilience, il est impératif d'assurer la soutenabilité du système qui permet ce même bien-être. Faire l'impasse sur les mesures de l'impact économique et sur l'adaptation de ce système, c'est décider de condamner l'économie locale, car c'est elle qui souffrira le plus de l'inaction climatique et du manque d'accompagnement à la durabilité. Je vous invite donc à accepter cette motion ainsi que l'amendement déposé dans le rapport de minorité. Merci. (Applaudissements.)

M. François Erard (LC). Chers collègues, j'aimerais rappeler au rapporteur de minorité - vous transmettrez, Monsieur le président - que le changement ou la crise climatique n'est pas une affaire de droite ou de gauche, mais qu'ils concernent tout le monde. (Commentaires.)

Une voix. C'est juste !

M. François Erard. Ensuite, concernant cette motion, je crois que les auditions nous ont permis de constater que la majorité du travail demandé dans les invites est d'ores et déjà effectué par le Conseil d'Etat, que des rapports sont déjà en route et qu'ils seront bientôt rendus publics. Pour terminer, je dirai que ce n'est pas en pondant des rapports qu'on va résoudre le problème du changement climatique à Genève. Pour toutes ces raisons, le groupe Le Centre vous invite à refuser cet objet. Je vous remercie.

M. Geoffray Sirolli (PLR). Vous l'aurez donc compris, on nous présente aujourd'hui un projet de loi qui souhaite renforcer encore davantage le suivi de nos objectifs climatiques: des rapports, des rapports, encore et toujours des rapports ! Réduire nos émissions d'ici 2030, comme l'a très bien dit François Erard, est à n'en pas douter une priorité pour nous toutes et tous, mais ce texte semble vouloir avant tout ajouter des couches supplémentaires de bureaucratie et de rapports. Je ne peux m'empêcher de voir là une tendance bien connue dans une partie de ce parlement, consistant à surcharger l'Etat de tâches administratives complètement inutiles, pour finalement se plaindre qu'il manque de moyens.

Au PLR, vous le savez, nous croyons au pragmatisme, à l'efficacité et au terrain. Nous savons que ce n'est pas en rédigeant toujours plus de rapports que nous allons atteindre nos objectifs climatiques. Ce qu'il nous faut, ce sont des mesures efficaces et des projets concrets. Si nous continuons à surcharger l'Etat avec des tâches inutiles, il est évident que nous ralentirons les actions entreprises et que leurs effets seront dilués.

Mesdames et Messieurs, notre groupe souhaite une politique climatique ambitieuse, mais aussi réaliste. Nous devons éviter de tomber dans le piège de la surcharge, pour ensuite pleurer en constatant que l'Etat n'y arrive plus. Plutôt que ces missions administratives inutiles, il nous faut des tâches qui comptent vraiment. C'est pourquoi, au nom du groupe PLR, je vous invite à rejeter ce projet de loi... (Remarque.) ...cette motion, pardon ! Concentrons-nous sur des mesures qui feront vraiment la différence et apporteront une réelle plus-value. Merci beaucoup.

M. Philippe de Rougemont (Ve). Quand on est sur l'autoroute, qu'on doit respecter les limites de vitesse, on regarde le compteur régulièrement, pas tous les trois ans ! Eh bien pour savoir si on réussit, si on est dans les clous quant au respect de ces objectifs qu'on s'est nous-mêmes donnés - face à l'urgence climatique, pratiquement tous les partis ici présents les avaient adoptés -, on a besoin d'utiliser un compteur de réussite. Cette motion poursuit donc un objectif qu'on aurait déjà dû se donner; on n'aurait pas dû avoir besoin de ce texte.

Deuxième chose: à Genève, on sait trouver des solutions quand on veut, comme le prouve le programme éco21 visant à juguler l'augmentation de consommation d'électricité. Cette dernière baisse chaque année depuis le début du programme. On sait aussi faire un indice de dépense de chaleur, que beaucoup de cantons nous envient. On utilise des données très simples et existantes, comme la quantité de combustible achetée et la surface de plancher, puis on divise l'une par l'autre, ce qui nous donne un rapport qui s'appelle l'IDC et qui est très simple à analyser.

On importe chaque année du pétrole, qui vient de pipelines, de Fos-sur-Mer. Il arrive à Vernier - on en parlait hier. On en importe aussi par des convois, qui apportent du pétrole à Vernier...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Philippe de Rougemont. On en importe chaque année, on peut le compter et regarder si on réussit ou pas. Donc quand on veut, on trouve - allons-y maintenant ! (Applaudissements.)

Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi sur le climat est retourné en commission, on y travaille encore, en espérant que la majorité puisse changer de point de vue et se rallier aux avis des différentes parties qui sont en train d'être consultées. Je dis ça parce que ça va être un enjeu et que c'est en lien avec cette proposition de motion.

Le plan climat, lui, est clair, concret et il pourrait être efficace. Il est à notre sens important qu'on monitore les avancées de réduction de gaz à effet de serre dans notre canton, ce qui serait peut-être aussi une manière de regarder la réalité en face. Nous soutiendrons donc ce texte dont le résultat pourrait prendre la forme d'un rapport divers tous les deux ans - ce n'est pas non plus une tâche incroyablement difficile à réaliser. Ça aurait le mérite de permettre au Grand Conseil de rester informé sur cette thématique et de réorienter si besoin les actions dans ce domaine.

On veut du concret, et cette motion permettrait d'en obtenir sur la base d'informations spécifiques. Cela aurait aussi le mérite d'être transparent face à la population, qui, elle, s'inquiète de cette problématique, et de montrer que nous nous préoccupons, à droite comme à gauche - j'ai bien entendu -, de cette thématique ! Le groupe socialiste soutiendra donc la motion ainsi que les amendements déposés - et là, je vais m'amuser à faire comme sur les bancs d'en face - par mon excellent collègue rapporteur de minorité député Vert ! (Rires.) Merci. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. En réalité, il n'y a qu'un seul amendement. Il s'agit de celui déposé par M. Léo Peterschmitt, consistant à supprimer la première invite. Je prie l'assemblée de se prononcer à son sujet.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 52 non contre 29 oui et 1 abstention.

Mise aux voix, la proposition de motion 2881 est rejetée par 55 non contre 27 oui (vote nominal).

Vote nominal