République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 septembre 2024 à 14h
3e législature - 2e année - 5e session - 24e séance
P 2169-B
Débat
Le président. Le prochain point est la P 2169-B (catégorie III). Madame Fiss, vous avez la parole.
Mme Joëlle Fiss (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le PLR a pris connaissance de ce rapport du Conseil d'Etat sur la question du deal autour des écoles aux Pâquis. Madame la conseillère d'Etat, je viens de vous écouter et j'aimerais souligner que ce ne sont pas des textes parlementaires, mais des pétitions issues de la population genevoise. Ce n'est pas nous qui identifions un problème, c'est la population qui nous demande de rendre visible un sujet. Et la raison pour laquelle on pense que la réponse apportée à cette pétition-ci ne va pas, c'est qu'il y a quand même une spécificité aux Pâquis qui n'est pas prise au sérieux, à savoir le deal de rue se déroulant dans un environnement où une zone scolaire est présente. Il y a 650 écoliers impliqués. Le marché dédié aux stupéfiants se tient vraiment sous leurs yeux, en face de la bibliothèque des Pâquis, près des cuisines scolaires.
Monsieur le président, vous transmettrez à Mme la conseillère d'Etat: il faut l'admettre, la police est très active, elle fait parfaitement son job, elle effectue très régulièrement des tours dans le quartier, il n'y a pas de problème ! Le souci, c'est que les dealers reviennent toujours, dès que la voie est libre. Je serais très curieuse de savoir pourquoi la conseillère d'Etat a écrit que «même si des débordements peuvent parfois avoir lieu, ils sont, en l'état, sans rapport avec une guerre de territoire». Cette réponse est censée rassurer les habitants des Pâquis ?! On leur dit: «Ne vous inquiétez pas, il n'existe pas de clans rivaux armés qui s'affrontent; tout va bien, il n'y a aucun souci !» Il n'empêche que récemment, un dealer muni d'un couteau s'est retrouvé près d'une équipe d'enfants âgés de 10 à 12 ans qui jouaient au foot - et ça, c'est juste un exemple parmi d'autres.
Alors qu'ont proposé les pétitionnaires ? Ce sont eux-mêmes qui le suggèrent et non pas les députés - vous transmettrez, Monsieur le président, à Mme la conseillère d'Etat. Les pétitionnaires demandent notamment la création d'un périmètre de sécurité juste autour des écoles. Le Conseil d'Etat a répondu: «La création d'un périmètre de sécurité autour des écoles des Pâquis et sur le trajet reliant les différents lieux entre eux est une thématique complexe.» Voilà... Les policiers effectuent leur travail, mais il semblerait que ce soit la volonté politique qui manque. J'ai écouté le débat précédent sur un autre thème aux Pâquis, lors duquel il a été dit que la sécurité était un problème social; eh bien non, la sécurité est un problème sécuritaire ! Ça ne semble pas être un problème de budget, puisque les policiers font ce qu'ils sont censés faire, mais plutôt une question de vision politique, de détermination, pour que soient mises en place des directives efficaces.
Mesdames et Messieurs les députés, Genève a déjà pu se débarrasser du deal. Rappelons-nous le Jardin anglais par le passé. Si c'était possible il y a des dizaines d'années au Jardin anglais, on peut aussi le faire aux Pâquis. C'est un quartier résidentiel, il faut qu'il y fasse bon vivre, dans la sérénité. C'est essentiel, surtout dans une ville où le logement manque cruellement - chaque mètre carré d'habitation à Genève compte !
Le président. Merci, Madame la députée.
Mme Joëlle Fiss. Je vous remercie, Monsieur le président. Le PLR demande donc le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat.
M. Marc Falquet (UDC). Je n'ai pas compris pourquoi le PLR n'a pas également renvoyé le rapport sur l'autre pétition au Conseil d'Etat, mais bon... Effectivement, ce qu'a dit Mme Fiss est vrai, la criminalité se traite par le biais de la police; vous n'allez pas désarticuler des trafics de drogue avec des assistants sociaux, vous n'allez pas lutter contre la criminalité avec des assistants sociaux. Le deal de drogue est très important et constitue une plateforme régionale puisque même les Français et tout le Grand Genève viennent se fournir à Genève. Nous avons donc un grand problème, et il n'y a pas de volonté politique de lutter contre le trafic de drogue. C'est la seule question !
Madame la conseillère d'Etat - vous transmettrez, Monsieur le président -, il faudrait effectivement que vous demandiez un budget supplémentaire en faveur de la police, pour remettre de l'ordre et reprendre le territoire, car nous l'avons perdu ! (Exclamations.) Aux Pâquis, ce sont des électrons libres, les gens font comme ils veulent, c'est un quartier totalement hors-la-loi, ce qui est inadmissible, mais apparemment le Conseil d'Etat estime que c'est acceptable. Bon, on en prend acte, les citoyens aussi en prennent acte. Voilà, c'est tout ce que j'ai à dire, car à ce que je vois, il n'y a pas grand-chose à faire. On renverra donc également ce rapport au Conseil d'Etat.
M. Sylvain Thévoz (S). On marche un peu sur la tête; on fait face à un problème de sécurité, mais avant tout à une problématique sanitaire et sociale endémique et grave avec la survenance du crack - peut-être demain du fentanyl, disent certains -, or la droite s'arcboute sur une pétition en nous faisant croire que l'enjeu consiste à la renvoyer au Conseil d'Etat et qu'il s'agit d'un problème politique. Cette même droite qui a rechigné à voter un plan crack, ce qui a fait prendre cinq mois de retard à la création d'un local pour les consommateurs de crack (à cause de cette retenue, ce dernier ne verra le jour qu'en février 2025), et qui nous fait croire qu'on a réussi à éradiquer la drogue du Jardin anglais, comme si cette consommation ne s'était pas disséminée plus ou moins dans tous les quartiers de la ville, sachant que Genève est l'une des capitales mondiales en la matière. On le constate en analysant les eaux usées: on consomme le plus de cocaïne. Donc sérieusement, la politique d'éradication, de tolérance zéro de Giuliani des années 80 à New York, qui a aussi été menée dans d'autres villes, est un échec !
Il faut changer de logiciel, Mesdames et Messieurs les députés. Il ne faut pas continuer à vouloir agir de la même façon - fermer des quartiers, mettre des barrières, faire la chasse aux consommateurs et que sais-je. Il y a un vrai problème, un vrai manque de renforcement du plan crack et un manque plus large de volonté politique. Créons-la ensemble ! Mais c'est un problème de santé des consommateurs, de suivi social - oui, Monsieur Falquet -, parce que quand les personnes n'ont pas de lieu où dormir, quand elles ne sont pas accueillies dans des sleep-in, eh bien elles tournent toute la nuit, et alors que font-elles ? Elles consomment, consomment encore, et cela devient exactement ce que vous décrivez, à savoir des situations de plus en plus à risque. Il faut donc une réflexion globale qui inclut la sécurité...
Le président. Monsieur le député, adressez-vous à la présidence, s'il vous plaît.
M. Sylvain Thévoz. ...qui inclut la sécurité, Monsieur le président. Personne ne va faire du «bisounoursisme», comme certains aiment le dire; tout le monde est conscient des enjeux. Mais nous faire croire que la solution ne sera que sécuritaire, qu'on a réussi à dégager le deal du Jardin anglais et que par conséquent il suffit de mettre un grand coup, un policier partout et des clôtures, c'est illusoire, inutile, ça coûtera cher et vous n'êtes même pas prêts à voter les budgets ! Changeons donc de logiciel, ne renvoyons pas ce rapport au Conseil d'Etat et réfléchissons ensemble à de vraies solutions, durables et pérennes, qui seront plus économiques que ce que vous proposez.
Et puis, une parenthèse - vous transmettrez, Monsieur le président, à Mme Natacha Buffet-Desfayes, qui revient avec une sous-motion suite au traitement d'un texte par la Ville il y a un an, parce qu'elle est tout d'un coup candidate à un exécutif communal... Sérieusement ! (Exclamations. Commentaires.) Là aussi c'est ridicule et inutile. C'est la même qui ne voulait pas voter de plan crack, donc arrêtez avec votre récupération politique à deux balles ! Il y a des gens qui sont en difficulté, qui meurent dans la rue, on doit s'en occuper, c'est d'abord une question sanitaire et sociale. Moi je fais confiance au Conseil d'Etat. Madame Kast, les policiers tournent non-stop pour faire ce pour quoi ils sont payés, à savoir de la répression, donc vous n'en aurez pas plus ! Merci. (Applaudissements.)
Mme Christina Meissner (LC). Si je prends la parole, c'est parce qu'on est face à une drogue particulière, et surtout parce que cette pétition parle d'enfants. Dans ce contexte, je crois qu'il est nécessaire pour nous d'insister, et je signalerai que ce n'est pas faute de surveillance - oui, nous avons entendu la conseillère d'Etat nous parler des patrouilles de policiers et d'agents municipaux, cette collaboration est bonne et bienvenue -, mais à l'évidence ça ne suffit pas. Vous l'avez dit vous-même, c'est le modèle en tant que tel de cette drogue, laquelle se consomme par toute petite dose, qui fait qu'il est juste impossible d'arriver à des quantités pouvant permettre des interpellations. Et pourtant, des interpellations, il y en a ! Vous l'avez aussi dit, quand on regarde les interpellations et les mises à disposition du Ministère public en 2021, 2022 et 2023, on constate que tous les chiffres sont en augmentation. Vous faites votre boulot, et j'aimerais rappeler que, si ce parlement a certes eu un moment d'égarement par rapport au plan crack, il a quand même fini par donner les moyens qui étaient prévus pour ce dernier.
J'ai donc envie de dire au sujet du plan crack qu'on veut maintenant en savoir un peu plus, connaître l'ensemble des mesures sanitaires, sociales et sécuritaires qui sont prises. Le Conseil d'Etat doit être plus précis concernant cette mise en oeuvre et nous informer des résultats de ces actions, voire des moyens complémentaires nécessaires qui pourraient être réclamés. Bien sûr, on ne peut pas vous demander de nous dire ce qu'il faudrait pour que cette baguette magique opère, mais en tout cas faites-nous savoir quels sont les moyens dont vous avez besoin. J'espère que ce parlement pourra à ce moment-là avoir la présence d'esprit d'y répondre, parce que c'est vrai que le crack aux Pâquis, ça suffit ! Pour avoir ces réponses, Le Centre votera le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Merci beaucoup.
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, comme vous le savez tous, j'habite les Pâquis. Quotidiennement, je passe par la rue de Berne et par la rue du Môle. Eh bien bravo, Madame la présidente du département: ça fait un mois - je dis bien un mois ! - que je n'ai pas vu une seule personne aux abords de l'école, ni à la rue du Môle, ni à la rue de Berne, là où il y en avait tous les soirs auparavant. Le travail a donc été fait.
D'après ce que j'ai entendu, des caméras vont être placées, cela a peut-être eu comme conséquence un déplacement du problème, mais c'est déjà une bonne chose et je voulais vous en féliciter. Néanmoins, vous le pensez bien, le MCG sera aussi en faveur du renvoi de ce rapport. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, notre groupe a déjà déposé au niveau municipal plusieurs résolutions concernant les écoles et la sécurité des enfants; cette thématique nous tient donc à coeur et nous allons renvoyer cet objet à vos services. Merci.
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, pour continuer en quelque sorte le débat sur la précédente pétition, je veux bien vous donner encore quelques arguments pour essayer de vous convaincre, mais au final, à vous entendre... D'abord, j'apprécie que l'on constate que des efforts sont faits. Comme toujours, les efforts produisent parfois des résultats, parfois moins, mais cela ne veut pas pour autant dire qu'ils ne sont pas déployés et que la préoccupation n'est pas pleinement partagée, que ce soit par les équipes de police ou par les différents autres acteurs qui peuvent travailler sur cette problématique.
Cela étant, j'ai envie de vous proposer autre chose: pourquoi ne pas créer une commission ad hoc relative au crack aux Pâquis, voire une commission ad hoc relative au crack tout court, parce que très sincèrement, Mesdames et Messieurs les députés, la manière dont le parlement traite cette question devient véritablement compliquée à suivre pour l'administration. Comme je vous l'ai dit, il y a actuellement plusieurs objets qui ne se trouvent pas au même niveau d'avancement, qui sont traités dans différentes commissions et qui appellent des réponses jugées chaque fois trop partielles - parce qu'évidemment, il s'agit chaque fois d'un aspect qui est visé et sur lequel on répond, tous les autres éléments étant traités dans d'autres instances. Cela ne permet pas la vision globale que vous appelez de vos voeux, que je peux parfaitement comprendre et soutenir. Mais tant qu'on travaillera comme ça, c'est-à-dire par à-coups... Madame Fiss, vous avez raison - vous transmettrez, Monsieur le président -, à la base, ce n'est pas une préoccupation des députés, mais si vous décidez de renvoyer au Conseil d'Etat sa réponse, alors ça devient une préoccupation des députés puisqu'on est là dans l'entre-soi et non plus dans le concret.
Honnêtement, soyons créatifs: pourquoi ne pas créer une commission ad hoc sur cette question qui suivra les travaux, qui recevra les différents départements actifs sur cette thématique, qui sera parfaitement au courant de la progression des travaux à Quai 9, des résultats de la police sur le terrain, de l'avancement des réalisations pour la vidéosurveillance de rue autour des écoles des Pâquis ? Là aussi, Mesdames et Messieurs les députés, vous n'avez peut-être pas vu l'avancée la plus concrète et la plus importante présente dans cette réponse, à savoir que des dispositifs de vidéosurveillance vont être mis en place, les caméras sont en train d'être installées. L'argent est débloqué, les lieux sont identifiés, les accords de la Ville et de l'association des parents d'élèves sont obtenus. C'est vrai que quelques associations y sont encore opposées, mais mollement, et elles acceptent de faire le test. On a des avancées sur le terrain, et à mon avis c'est là le résultat le plus concret de cette pétition. Elle a donc déployé ses effets; elle n'a pas réussi à éradiquer le crack, c'est vrai, mais elle a permis d'obtenir des avancées sur le terrain.
Je suis entièrement d'accord de mieux informer le parlement, mais essayons alors de le faire autrement qu'en ordre dispersé: lorsque le traitement d'un texte progresse dans une commission, qu'un objet ressort d'une autre, que le renvoi est parfois voté, mais qu'à d'autres occasions il ne l'est pas, cela nous fait perdre la vue d'ensemble. Je peux reprendre ce texte et vous transmettre la réponse que je viens de formuler oralement, mais encore une fois, cela n'aura pas répondu à votre besoin d'informations, ni fait avancer le dossier sur le terrain. Il faut peut-être trouver un autre moyen de travailler sur cette question, d'en informer le parlement et de disposer de cette vision transversale, plutôt que de faire du coup par coup via des objets parlementaires qui ont leur propre vie et leur propre rythme de travail en fonction des ordres du jour des commissions ainsi que des urgences des uns et des autres.
C'est tout ce que je pouvais vous dire sur ce texte; je comprends parfaitement vos attentes, mais je ne pense pas que renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat pour qu'il rédige une nouvelle réponse permettrait de les combler. Maintenant, si c'est la volonté du parlement, on s'y pliera bien volontiers ! Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Je lance la procédure de vote sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la pétition 2169 est adopté par 56 oui contre 31 non.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la pétition 2169 est donc rejeté.