République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 13258-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier le projet de loi de Rémy Pagani, Jean Batou, Olivier Baud, Pablo Cruchon, Pierre Vanek, Jean Burgermeister, Caroline Marti, Sylvain Thévoz, Grégoire Carasso, Badia Luthi, Salika Wenger modifiant la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) (LDTR) (L 5 20) (Rendons automatique la loi actuelle d'expropriation du droit d'usage d'appartements locatifs laissés abusivement vides)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 12 et 13 octobre 2023.
Rapport de majorité de M. Cyril Aellen (PLR)
Rapport de minorité de M. Thomas Bruchez (S)

Premier débat

Le président. Nous passons au PL 13258-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité de M. Cyril Aellen est repris par M. Jean-Pierre Pasquier, à qui je cède la parole.

M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je vais vous demander, Mesdames et Messieurs, de faire un petit retour en arrière: nous sommes le 15 mars 2023, notre ancien collègue Rémy Pagani pénètre illégalement dans un immeuble de la Vieille-Ville et squatte un appartement avec des membres de son nouveau parti, l'Union populaire. Sans doute nostalgiques des années 80 et du mouvement Rhino, acronyme de «retour des habitants dans les immeubles non occupés», le squatter sexagénaire et ses camarades effectuent des travaux de peinture sous les flashs et micros des journalistes.

Vous l'avez compris, Mesdames et Messieurs, il s'agit d'un coup médiatique en pleine campagne électorale pour le Grand Conseil. C'est ainsi que le premier signataire de ce projet de loi, M. Rémy Pagani, dépose ce texte visant l'expropriation temporaire automatique du droit d'usage d'appartements locatifs laissés vides. Il est donc légitime de se demander si ses motivations sont véritablement d'ordre législatif ou si elles sont plutôt d'ordre électoral.

Aujourd'hui, le rapporteur de minorité nous rappellera certainement que dans les années 80, des logements étaient laissés vides pour que des promoteurs s'enrichissent. Il nous dira également que malgré la loi sur les démolitions, transformations et rénovations, la fameuse LDTR, le risque que de telles situations se reproduisent est réel, et qu'il faut dès lors durcir le cadre légal. Or, la loi actuelle donne un cadre clair pour l'expropriation temporaire de l'usage des appartements locatifs laissés abusivement vides et permet à l'Etat de jouer pleinement son rôle. En particulier, l'actuel article 32 LDTR prévoit que le Conseil d'Etat peut déclarer d'utilité publique et décréter l'expropriation temporaire du droit d'usage d'un appartement.

Le projet de loi modifie les articles 31 et 32 LDTR, créant cette fois une contrainte pour l'Etat, remplaçant l'option proportionnelle actuelle par une obligation dangereuse. Le texte vise à forcer les autorités à agir face à des appartements laissés volontairement vides en rendant contraignant le processus d'expropriation temporaire, cela au mépris d'une analyse au cas par cas et de la reconnaissance d'une marge de manoeuvre pour l'Etat en fonction de la situation donnée. L'exemple qui nous est présenté du 16 Grand-Rue, dans la Vieille-Ville, montre bien la nécessité et la pertinence d'une vue globale du dossier avant toute prise de décision.

Ce projet de loi lancé par l'extrême gauche avec son idéologie liberticide et sa vision que l'Etat doit construire des logements, les attribuer, décider qui vit où et exproprier, ne fût-ce que temporairement, c'est une fois de plus une atteinte au droit à la propriété et une attaque idéologique contre les propriétaires.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Jean-Pierre Pasquier. Vouloir rendre automatique l'expropriation du droit d'usage d'appartements locatifs est totalement abusif; il convient pour chaque cas de procéder à une pesée d'intérêts et de garantir une application proportionnelle de la loi. L'expropriation est la mesure la plus brutale à l'encontre de la liberté économique, elle ne doit être appliquée qu'en derniers recours. Le Conseil d'Etat le confirmera sans doute, la base légale actuelle est suffisante pour exercer une pression sur le propriétaire en cas de besoin. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, la majorité de la commission du logement vous invite à refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Thomas Bruchez (S), député suppléant et rapporteur de minorité. Comme l'a dit le rapporteur de majorité, ce projet de loi vise à remplacer le mot «peut» par «doit» aux articles 31 et 32 LDTR, qui traitent de l'expropriation temporaire des droits d'usage des appartements locatifs laissés abusivement vides.

Honnêtement, on ne demande pas la lune. Ce qu'on demande, c'est simplement d'enlever, au sein d'un régime de pincettes sur pincettes, la pincette de trop, celle qui empêche ce mécanisme légal de dernier recours - d'ultima ratio, comme l'a dit le rapporteur de majorité - de s'appliquer dans des cas qui pourtant remplissent toutes les conditions extrêmement restrictives.

Bon, tout ça semble peut-être très abstrait, particulièrement pour les gens qui nous écoutent ou nous regardent et qui ne connaissent pas forcément le droit du logement genevois, et c'est pourquoi je vous propose maintenant d'ouvrir toutes et tous la LDTR et de la parcourir ensemble, article par article, condition par condition... (Commentaires. Rires.) ...pour voir à quel point ce régime, comme je l'ai dit, c'est des pincettes sur des pincettes, la proportionnalité par excellence - et ça le restera avec ce projet de loi.

L'ensemble de la procédure est décrit aux articles 26 à 38 LDTR. Après une série de définitions, on entre dans le vif du sujet à l'article 30, qui prévoit que lorsque le département apprend ou constate qu'un logement est laissé vide sans motif légitime durant plus de trois mois consécutifs, il doit adresser une demande de renseignements au propriétaire, le rendre attentif aux dispositions relatives à cette procédure d'expropriation temporaire et l'inviter à indiquer dans un délai de quinze jours pourquoi l'appartement est laissé vide.

Le propriétaire n'est donc aucunement pris par surprise ou mis devant le fait accompli. Il a au contraire la possibilité de justifier pourquoi il a laissé l'appartement vide, et si ses motifs sont légitimes - on entend par légitime le fait de laisser l'appartement vide en vue d'une transformation ou d'une démolition -, alors la procédure s'arrête là.

Si au terme du délai de quinze jours le propriétaire n'a pas su apporter la preuve que l'appartement est laissé vide pour un motif légitime, le département peut - et devra, avec notre projet de loi - lui adresser une sommation en vertu de laquelle le propriétaire devra relouer l'appartement vide dans un délai de deux mois. En d'autres termes, même si le propriétaire n'a en fait aucun motif légitime de laisser l'appartement vide et a fait cela dans une optique de profit, il a tout de même la possibilité de se conformer à nouveau à la loi en relouant l'appartement, sans qu'il y ait pour lui de conséquences négatives.

Et ce n'est que si le propriétaire ne reloue pas l'appartement dans les deux mois que le département va examiner si les conditions d'une expropriation sont remplies. (Commentaires.) Si elles le sont (ce qui, à nouveau, peut ne pas être le cas, c'est dire ! Si vous voulez tout savoir, ce n'est pas le cas lorsque l'appartement se trouve dans un immeuble dont les loyers ne répondent pas aux besoins prépondérants de la population), le Conseil d'Etat peut procéder à une expropriation temporaire du droit d'usage.

Oui, vous avez bien entendu: peut ! Ce terme «peut» signifie que le Conseil d'Etat a une marge d'appréciation, qu'il peut décider d'exproprier temporairement, mais qu'il peut aussi décider de ne pas le faire. C'est clairement la pincette de trop ! Si on a suivi toute cette procédure très lourde, au cours de laquelle le propriétaire a l'occasion de se justifier et de corriger le tir, si le Conseil d'Etat estime que toutes les conditions de l'expropriation temporaire sont remplies, alors l'expropriation temporaire doit avoir lieu ! Et c'est ce que demande notre projet de loi. A nouveau, ça ne remet nullement en question le statut d'ultima ratio de cette procédure, la proportionnalité y reste absolument omniprésente.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Thomas Bruchez. Le but, c'est simplement que cette procédure, voulue par le peuple via plusieurs initiatives, puisse réellement s'appliquer dans les faits.

Cela me mène à la dernière critique qu'on a beaucoup entendue en commission, qui consiste à dire que de toute façon, cette procédure ne pourrait s'appliquer dans aucun cas actuel, tel que celui de la rue Royaume ou celui de la Grand-Rue. Quand bien même ce serait le cas, et c'est loin d'être sûr, comme je l'explique dans mon rapport de minorité, chères et chers collègues, on n'adopte pas des lois simplement pour répondre à des enjeux actuels, on cherche aussi à trouver la meilleure solution juridique à des problèmes qui ne se posent peut-être pas maintenant, tout de suite, mais qui se sont déjà posés par le passé et qui se poseront certainement à nouveau dans le futur - même si on ne l'espère pas.

Or, ajouter ces deux «doit» nous mène clairement à une meilleure solution juridique: une solution tout aussi proportionnée, mais plus efficace et plus prévisible. C'est pourquoi je vous prie d'adopter ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)

M. Lionel Dugerdil (UDC). Le rapporteur de majorité l'a rappelé, c'est un projet de loi qui a un sens purement électoraliste, déposé durant une campagne. Les auditions du département nous ont démontré que ce qui doit et peut être fait lorsqu'un logement demeure vide sans motifs est mis en oeuvre et que les pressions nécessaires vis-à-vis du propriétaire sont exercées. Par ailleurs, je me permets quand même de rappeler au rapporteur de minorité que nous vivons encore dans un Etat de droit, que l'UDC y est attachée, tout comme au respect de la propriété et de la liberté entrepreneuriale. Pour ces raisons, notre groupe vous enjoint de refuser ce texte.

M. Philippe de Rougemont (Ve). Quand j'entends les propos du rapport de majorité - vous transmettrez, Monsieur le président -, je comprends pourquoi les gens voteront contre ce projet de loi, mais s'il vous plaît, sortons de la caricature, on est là pour parler, s'écouter et rester dans les limites du texte proposé.

Dans la situation d'aujourd'hui, les termes de ce projet de loi ne servent à rien: on ne fait pas une loi pour un immeuble, un bâtiment, on adopte une loi pour qu'elle se déploie sur plusieurs années et qu'elle ait une portée générale - je crois que ce principe rassemble tous les partis ici présents.

Si on se souvient du contexte dans lequel la LDTR a été très largement acceptée par la population de notre canton, c'était une période où il y avait jusqu'à 1500 logements laissés vides par leurs propriétaires, et les lois du marché faisaient que c'était plus intéressant de laisser son bâtiment vide pour pouvoir le vendre plus facilement, car les prix montaient. Cette situation peut se produire à nouveau. Parfois, la réalité résiste aux lois du marché, et puis on assiste à des situations dans lesquelles il y a des comportements un peu aberrants consistant à laisser des bâtiments vides. Qu'est-ce qui s'est passé à l'époque ? Des squatters sont allés se servir, c'était une sorte de prime au toupet, c'est-à-dire que si vous osiez aller occuper un bâtiment vide ou quelques appartements, eh bien c'était peu la loi du toupet.

Mais si cette situation se reproduit et que nous ne voulons pas que ce soit comme ça, mais que ce soit Monsieur et Madame Tout-le-Monde, des familles, des ménages de toutes tailles qui aient accès à ces bâtiments vides, alors nous devons voter oui à ce projet de loi, pour nous assurer que la procédure soit la suivante: l'Etat donne d'abord un préavis de situation de logements laissés abusivement vides afin d'entrer en dialogue avec le propriétaire. Ce dernier a ensuite quinze jours pour répondre, comme l'a expliqué le rapporteur de minorité. Puis, cette réponse est analysée. Si elle n'est pas jugée satisfaisante, le propriétaire a deux mois pour se mettre en conformité et offrir son bien en location. S'il ne le fait pas, alors c'est vraiment de l'abus, cette loi s'appliquant seulement en cas de crise du logement avérée.

Par conséquent, je crois qu'il s'agit vraiment d'une proposition modérée et qui est capable de répondre à un défi qui peut se présenter à nouveau à l'avenir, à savoir une situation dans laquelle des centaines, des milliers de logements sont laissés vides pour l'intérêt de très peu de gens. Ce contexte facilitera - ou félicitera - à nouveau une sorte de prime au toupet, alors que ça doit aller à Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Merci donc de bien reconsidérer votre position là-dessus et de voter en faveur de ce texte. Evitons les caricatures consistant à dire que l'Etat va exproprier tout le monde, que ça va être terrible; le texte concerne vraiment des situations très précises. Merci. (Applaudissements.)

M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, ce projet de loi est extrêmement dangereux. Il revient à dire qu'il faut faire la guerre, une guerre juridique: l'Etat devrait entrer en guerre contre les citoyens. Tu as loué, tu n'as pas loué, il faut faire ci, ça, engager du personnel, vérifier qui loue et qui ne loue pas. Si on lit le rapport, on constate que dix députés ont dit non à ce projet de loi, ce qui démontre qu'il ne suscite pas d'intérêt.

Si on fait une analyse sur le terrain, quel propriétaire n'aurait pas envie de louer ses biens, avec un taux d'intérêt de près de 4%, plus les amortissements, plus les charges ? Qui aurait le courage de garder ses appartements vides avec des conditions aussi bonnes ? Moi, je ne vois pas l'intérêt qu'aurait un propriétaire, même s'il est milliardaire ou promoteur, de garder ses biens vides en espérant les louer plus cher.

Ce projet de loi change même la mission de l'Etat, qui devrait jouer le rôle d'une régie: louer le bâtiment, envoyer des courriers, faire louer en quinze jours, en deux mois... Je pense que ce texte exagère, abuse. Le groupe LJS vous invite à ne pas entrer en matière, et même à ne pas prolonger la discussion, parce qu'il n'y a même pas d'intérêt à débattre d'un tel projet, qui ne représente aucun intérêt public, mais au contraire met en danger l'Etat ainsi que les citoyens. N'oublions pas que nous sommes dans un pays démocratique et d'Etat de droit; il ne faut pas qu'on entre dans une guerre juridique entre les citoyens et l'Etat. Je vous invite donc à ne pas entrer en matière et à raccourcir les discussions sur ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Sébastien Desfayes (LC). Je crois que mon préopinant s'est trompé quand il a dit que ce projet de loi n'avait aucun intérêt, il en a en tout cas un, c'est qu'il nous rappelle le souvenir de Rémy Pagani, nous pensons bien entendu très fort à lui ! (Rires.) Il a été mis à la retraite par la population genevoise, c'était le choix du peuple de le bouter hors de ce parlement, et nous espérons qu'il a eu le temps depuis lors de relire la Constitution fédérale, et même celle du canton de Genève, qu'il a appris ce qu'est le droit de propriété et le principe de proportionnalité.

Le rapporteur de majorité l'a bien dit, c'était évidemment un coup politique par rapport à une affaire qui n'en était pas une, parce que si l'immeuble du 16 Grand-Rue comportait effectivement des appartements vides, c'est parce qu'il y avait un recours pendant devant le Tribunal administratif, que ce dernier avait accordé l'effet suspensif et que par conséquent, le propriétaire ne pouvait ni louer ni débuter les travaux - c'était une non-affaire, instrumentalisée à des fins politiques par Rémy Pagani.

Bien entendu, il est hors de question de remettre en cause la LDTR, et je partage le point de vue du député Vert sur cette question: les logements ne doivent pas être inutilement vides, cela va de soi, mais il se trouve que la LDTR, telle qu'elle est formulée aujourd'hui, permet au Conseil d'Etat de prévenir d'éventuels abus. C'est une possibilité, ce n'est pas une obligation. Dans un Etat de droit, la nuance, le principe de proportionnalité sont des éléments fondamentaux, et je crois que jusqu'à présent, on n'a pas eu à se plaindre des interventions de l'Etat en la matière, raison pour laquelle il faut bien entendu voter non à ce projet de loi. Et puis nous pensons toujours à Rémy Pagani ! Merci.

M. Amar Madani (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, quels que soient les arguments avancés par le rapporteur de minorité, le MCG exprime sa ferme opposition à ce projet de loi. Ce texte, bien que motivé par une volonté de répondre à la crise du logement, constitue un acte grave, illégal et anticonstitutionnel, qui menace les fondements mêmes de notre Etat de droit. Tout d'abord, rappelons que le droit à la propriété est un droit fondamental, garanti par notre Constitution. Il s'agit d'un principe intangible qui protège chaque citoyen contre les ingérences arbitraires de l'Etat.

En autorisant l'expropriation des logements inoccupés, cette proposition viole ce principe sacré, créant un précédent dangereux où l'Etat s'arrogerait le pouvoir de s'emparer de biens privés sans justification légitime. Ensuite, il est crucial de souligner que cette proposition, loin de résoudre la crise du logement, risque de l'aggraver. L'expropriation forcée enverrait un signal alarmant aux propriétaires et aux investisseurs, qui pourraient hésiter à placer des fonds dans des projets immobiliers, craignant de voir leurs biens confisqués par l'Etat. Une telle mesure créerait une incertitude juridique et économique qui pourrait conduire à une baisse d'investissements dans le secteur immobilier, aggravant ainsi la pénurie de logements.

Enfin, nous devons également considérer les implications sociales de cette proposition: exproprier des biens privés sans consentement est non seulement injuste, mais c'est aussi une atteinte à la liberté individuelle. Cette approche coercitive n'est pas une solution viable pour répondre à la crise du logement. Au contraire, elle risque de polariser davantage la société en alimentant les tensions entre l'Etat et les citoyens. Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, le MCG ne soutient pas ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)

M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, pour le PLR, la situation est très claire: nous avons un choix entre la position Pagani et la position Madani ! (Rires.) Nous rejoignons la position exprimée par le député Madani il y a quelques instants, et nous aurions beaucoup aimé qu'il aille jusqu'au bout de son raisonnement, en votant avec nous en faveur du projet de loi que nous avons défendu au point précédent de l'ordre du jour.

Mesdames et Messieurs, plusieurs interventions sont allées dans ce sens. Il s'agit d'un texte déposé en réaction à une situation déterminée. Or, nous sommes ici pour traiter de questions générales et abstraites, et non pas de cas individuels et concrets. Ce projet de loi a été déposé dans un contexte bien particulier, celui des élections cantonales du printemps de l'année dernière. On voit bien qu'il a été rédigé très rapidement, il fait partie de ces nombreux objets dont l'exposé des motifs est à peu près aussi long que le projet de loi lui-même.

Et puis surtout, Mesdames et Messieurs, cette proposition ignore complètement non seulement le principe de la garantie de la propriété, mais aussi son corollaire, celui selon lequel une pleine indemnité est due en cas d'expropriation ou de restriction de la propriété qui équivaut à une expropriation. En réalité, ce qui risque de se passer avec ce projet de loi, puisque le Conseil d'Etat serait forcé à exproprier, c'est que le Conseil d'Etat doive dans tous les cas engager les moyens financiers pour indemniser l'expropriation forcée qui aura été engendrée par sa décision. Cela nous mènera à une situation totalement surréaliste: à cause de ce texte, on se retrouvera finalement avec le résultat exactement inverse de celui qui était poursuivi, à savoir une expropriation systématique qui s'accompagnerait d'une indemnité systématique.

Je ne suis pas tout à fait convaincu que les auteurs aient vu ce problème-là, encore moins celui soulevé par les autres aspects du texte développés par M. Madani. Par conséquent, en désaccord avec M. Pagani, je vous invite à voter en faveur du rapport de majorité et donc à rejeter ce projet de loi. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

M. Thomas Bruchez (S), député suppléant et rapporteur de minorité. Pour tout vous dire, je trouve assez honteux et ridicule de réduire l'occupation de l'immeuble rue Royaume à une action électoraliste de l'Union populaire, comme l'ont fait plusieurs personnes ici. (Exclamations. Remarque.)

Le président. S'il vous plaît !

M. Thomas Bruchez. Vous pouvez m'écouter aussi ! Merci ! (Rires.) Il s'agissait d'une occupation menée par un collectif, par des personnes qui étaient révoltées de manière légitime par le fait qu'on vit dans un canton où trouver un logement abordable est un chemin de croix, où des loyers sont absolument exorbitants, et que dans ce contexte-là, on a en plus de cela des logements laissés vides dans une optique de profit. Je réitère donc que cette action était parfaitement légitime; il y a d'ailleurs eu des manifestations de soutien qui ont suivi cette occupation, ce qui montre bien qu'il s'agit d'une indignation qui trouve un large écho au sein de la population. Merci.

M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), rapporteur de majorité ad interim. J'ajoute juste quelques mots pour vous dire qu'effectivement, ce projet de loi est inutile dans la mesure où la loi actuelle est largement suffisante et appliquée avec parcimonie; la durcir, la renforcer n'apporterait rien. Il n'est en tout cas pas nécessaire de légiférer dans ce sens-là. Mesdames et Messieurs, je vous invite à refuser ce texte. Merci.

M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous invite à refuser ce projet de loi, exactement pour les mêmes motifs que ceux évoqués lors du débat précédent, à savoir que la situation actuelle convient, que la minorité - comme celle de tout à l'heure, bien que ce soit une autre minorité - n'apporte pas la preuve que le dispositif légal actuel serait insuffisant. En l'occurrence, la preuve à apporter ici... On voit que ce texte, comme le précédent, a été déposé dans un contexte particulier, pour des cas très précis. Ces deux cas n'auraient pas été traités différemment si l'Etat avait eu l'obligation de lancer une procédure d'expropriation. Pourquoi ? Pour la rue Royaume aux Pâquis, la procédure était en cours. Mais au bout d'un moment, le Conseil d'Etat ne peut pas être tenu responsable de délais judiciaires, qui se multiplient, il est vrai, à chaque étape. Cependant, à aucun moment on ne s'est trouvé dans une situation où l'immeuble était vide, les procédures avaient abouti et rien ne se passait. Ça, c'est le premier point.

Pour ce qui est de la situation de la Grand-Rue, là aussi, le propriétaire a déposé ses demandes en autorisation de construire, qui ont fait l'objet de recours qui sont montés au Tribunal fédéral - le député Desfayes l'a évoqué. Tout cela a pris des années, et quand le Tribunal fédéral a dit au propriétaire qu'il pouvait engager les travaux mais lui a ordonné de reloger les locataires, eh bien c'est l'opposition des locataires qui a empêché l'avènement des travaux et la concrétisation de la décision du Tribunal fédéral. C'est vrai qu'il est cocasse de constater que M. Pagani a finalement protesté non pas contre la mollesse de l'Etat, parce qu'il était actif, non pas contre le manque de volonté du propriétaire, parce qu'il avait déposé sa demande, mais finalement bien contre les locataires, qui avaient fait recours contre ces demandes pour certains d'entre eux, d'autres étant partis, laissant ainsi des appartements vides, sans qu'il y ait de volonté de la part du propriétaire de les laisser vides à des fins de spéculation.

Vous voyez donc que dans ces deux cas, il est malheureux d'accuser l'Etat. Parce que finalement, le fond de ce projet de loi, c'est de dire que l'Etat n'utilise pas cette possibilité: si, il l'utilise, et dans aucun des deux cas présentés, qui ont occasionné le dépôt de ce projet de loi, on ne peut conclure que l'Etat ait fait preuve de dilettantisme et ne soit pas intervenu. Dans d'autres cas, nous intervenons; en général, la menace suffit pour que le propriétaire reloue, donc on n'applique pas le dispositif et c'est tant mieux, mais il peut être utile pour rappeler à certains propriétaires qu'effectivement, en période de crise du logement, on ne peut pas laisser des logements vides. Comme tout à l'heure, le Conseil d'Etat vous recommande donc de refuser ce projet de loi.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote d'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 13258 est rejeté en premier débat par 62 non contre 30 oui.