République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 26 septembre 2024 à 17h
3e législature - 2e année - 5e session - 22e séance
PL 13049-A
Premier débat
Le président. Nous commençons le traitement de l'ordre du jour avec le PL 13049-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je précise que le rapport de deuxième minorité de Mme Diane Barbier-Mueller est repris par M. Jean-Pierre Pasquier. Madame Renold, vous avez la parole.
Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission a refusé d'entrer en matière sur ce projet de loi dont le but est de modifier le droit de préemption prévu par la LGL. Pour rappel, le droit de préemption est le droit de l'Etat ou d'une commune de se substituer à l'acquéreur au moment de la vente d'un terrain en zone de développement. Il ne peut être exercé que pour construire du logement d'utilité publique, selon la LGL.
La majorité de la commission considère que ce texte part d'un faux constat, parce que contrairement à ce qu'il prétend, il n'y a pas d'utilisation abusive du droit de préemption. Les auditions ont permis d'établir que sur une durée de cinq ans, pour l'ensemble du territoire genevois, sur le total d'environ huit cents transactions qui auraient pu faire l'objet d'un droit de préemption, ce droit n'a été utilisé que quatre fois par l'Etat et huit fois par les communes. Le droit de préemption n'est donc, en réalité, quasiment jamais utilisé, il n'y a clairement pas d'abus et les quelques déclarations d'intentions éparses qui ont effrayé les auteurs de ce projet de loi n'ont pas été suivies d'effets.
De plus, la majorité estime que le droit de préemption est un outil important qui doit être maintenu, même après l'adoption d'une nouvelle version de l'article 4A LGZD. En effet, il y a un intérêt à ce que les communes et l'Etat soient propriétaires pour participer à l'élaboration des PLQ et faire valoir les besoins de la commune et des habitants en matière de logements d'utilité publique. Par ailleurs, le droit de préemption permet de résoudre des blocages, en évitant par exemple qu'une famille achète un bien dans le périmètre d'une zone à développer et bloque ensuite les projets de construction parce qu'elle compte s'y installer sur le long terme.
Par ailleurs, le droit de préemption est nécessaire afin de construire des LUP et des HBM. En effet, l'article 4A, alinéa 1, LGZD ne prévoit pas totalement les règles sur les catégories à construire. En pratique, les propriétaires privés réalisent le plus souvent du HM, parfois du HLM, mais jamais du HBM. Or, le besoin de logements de cette dernière catégorie croît à mesure que le marché immobilier locatif exclut les locataires des classes populaires.
Enfin, le droit de préemption permet de lutter contre la spéculation foncière. En effet, il faut savoir que le prix de vente du terrain en zone de développement n'est pas limité, mais uniquement le prix qui peut être inscrit par le promoteur dans ses plans financiers, et certaines transactions se font au double du prix fixé par l'OCLPF. A terme, le promoteur ne pourra se rattraper qu'en diminuant la qualité de ce qui est bâti.
La majorité de la commission est donc opposée à ce projet de loi qui rend les conditions d'application du droit de préemption si restrictives que cela revient à le supprimer. Ce droit est en effet déjà soumis à une procédure stricte et contrôlée, avec des délais brefs: soixante jours pour l'Etat, trente jours pour les communes. Or, le texte propose de soumettre son exercice à des conditions irréalisables: avoir un PLQ en force - ce qui n'arrivera jamais, les ventes et le droit de préemption se réalisant bien avant qu'un PLQ ne soit adopté -, un plan concret avec un crédit en force - absolument impossible à faire voter si rapidement par un Conseil municipal dans un délai de trente jours, et il est tout autant impossible de développer un projet concret en si peu de temps - et l'absence d'engagement de l'acquéreur à construire du LUP...
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
Mme Caroline Renold. Merci, Monsieur le président. ...un engagement de toute manière non contraignant, avec aucune conséquence en cas de non-respect. L'amendement qui reformule mais maintient les conditions toujours irréalisables aura également pour conséquence de supprimer le droit de préemption. En effet, il est impossible de démontrer dans un délai de soixante ou trente jours que l'objectif de la zone de développement est compromis. En plus, l'Etat ou la commune devra construire dans les dix ans, sinon il ou elle sera contraint de revendre le terrain. Or, comme chacun le sait, dans le temps de l'aménagement, dix ans, ce n'est rien; cela vise uniquement à rendre caduc tout acte de préemption qui aurait pu être réalisé.
Le projet de loi comme l'amendement suppriment l'amende qui pourrait être prononcée si le vendeur n'annonce pas la vente à l'Etat comme il y est tenu, ce qui rendrait la mise en oeuvre du droit de préemption extrêmement difficile et sa violation dépourvue de conséquences. C'est pourquoi la majorité des auditionnés se sont déclarés défavorables au projet de loi, même amendé; c'est notamment le cas du département, de l'ACG, des coopératives, de la fondation de la Ville de Genève, des communes d'Onex, de Plan-les-Ouates, de Lancy et de Genève.
La majorité de la commission vous recommande donc de ne pas entrer en matière et donc de rejeter ce texte, qui est issu d'une crainte infondée, puisqu'il n'y a pas eu d'usage abusif du droit de préemption. Au contraire, son utilisation par l'Etat et les communes est parcimonieuse. Il faut rejeter ce projet de loi également parce que le droit de préemption est indispensable pour la mise en oeuvre rapide du développement et de la construction de logements d'utilité publique et parce que l'imposition de conditions irréalisables revient à supprimer ce droit. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (LC), rapporteur de première minorité. Je tiens à remercier Mme Renold pour l'excellence de son rapport, sur la forme en tout cas, car sur le fond, il y a des divergences; j'y reviendrai.
Pour commencer, le droit de préemption date de 1973 et il a besoin d'une réforme. Pourquoi ? D'abord parce qu'il est obsolète, ensuite parce que le régime actuel en permet une utilisation abusive par certaines communes, et enfin - et surtout ! - parce qu'il pénalise l'accès au logement pour la classe moyenne.
Pourquoi est-il obsolète ? Il faut se replacer dans le contexte de 1973, celui de la création de ce droit. A cette époque, une politique de logements sociaux était menée, mais il n'y avait aucun instrument qui permettait de contraindre l'Etat ou une commune, ou même des promoteurs privés, à en construire. L'idée a été de créer un instrument, à savoir le droit de préemption, pour faciliter la construction de tels logements par les communes et par l'Etat.
Cet instrument est aujourd'hui inutile parce qu'en 2020, il y a eu la «paix des braves», à savoir une réforme de l'article 4A LGZD qui impose la construction de logements sociaux en zone de développement: il faut 33% de logements sociaux, 33% de ZD LOC - ce sont des logements non subventionnés, mais à prix contrôlés pour la classe moyenne -, et enfin 33% libres, dont 20% de PPE en pleine propriété. Il est donc actuellement exigé qu'en zone de développement, sur un périmètre donné, 33% des logements construits soient des logements sociaux.
L'instrument du droit de préemption ne sert quasiment à rien. Il a quand même une utilité, sur laquelle je reviendrai, mais il a malheureusement aussi donné naissance à une pratique abusive. Et là, on nous dit que ce sont des déclarations d'intentions, qu'il s'agirait de craintes infondées, etc. - j'ai entendu ce qu'a dit la rapporteure de majorité à cet égard. Mais je vous lis simplement un extrait de l'audition par la commission d'une conseillère administrative de la commune de Lancy le 2 mai 2022: «L'art. 4A LGZD prévoit trois tiers. Toutefois, elle rappelle qu'il ne s'agit que d'un minimum et considère que l'Etat et les communes doivent par conséquent être habilités à proposer davantage qu'un tiers de LUP, lorsqu'ils en ont la volonté [...]»
Par conséquent, l'intention des communes - et en l'occurrence des communes de gauche, vous vous en doutez bien - est de mordre sur les deux autres tiers et de créer au moyen de l'exercice du droit de préemption 40%, 50%, 60% de logements d'utilité publique. Pourquoi ? Parce que quand le droit de préemption est exercé, on ne peut pas construire d'autres logements que des logements d'utilité publique.
Qui paierait l'addition de cette politique publique, parmi les contribuables ? Nul autre que les citoyens genevois de la classe moyenne, qui n'ont pas accès aux LUP. On construirait et déclasserait massivement, mais uniquement pour une certaine catégorie de la population, soit celle qui a accès aux logements sociaux. C'est absolument inacceptable et cela constitue un contournement de la volonté clairement exprimée par l'ensemble des partis du Grand Conseil lorsqu'ils ont voté l'article 4A.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.
M. Sébastien Desfayes. Oui, merci, Monsieur le président. Et puis, je disais tout à l'heure que ce droit de préemption a quand même une utilité, raison pour laquelle il faut le réformer et non le supprimer. Il a d'abord une utilité de fait dans les négociations en zone de développement: parfois, une commune doit négocier durement avec des promoteurs, et le droit de préemption est une arme extrêmement efficace - on va dire que c'est une arme de destruction massive dans les négociations, qui permet à des communes ou à l'Etat d'imposer leur volonté lorsqu'ils discutent avec des promoteurs privés.
Ensuite, il est clair qu'en zone de développement, il arrive qu'il y ait une transaction et que l'acquéreur ne souhaite pas développer le bien-fonds transféré mais ait envie d'y rester, et c'est précisément dans ce but-là que le droit de préemption doit être exercé. C'est précisément la raison pour laquelle il est indiqué dans l'amendement que ce droit peut être exercé par l'Etat ou la commune lorsqu'il est démontré que la transaction considérée est de nature à compromettre les objectifs de la zone de développement.
Effectivement, le texte initial était sans doute très restrictif, peut-être trop - la rapporteure de majorité l'a dit, et je reconnais qu'elle l'a relevé à juste titre -, raison pour laquelle un amendement de compromis a été déposé. Je vous invite donc à le soutenir. En l'état, nous n'avons entendu aucun argument qui plaiderait en faveur d'un refus de cet amendement. C'est simplement du bon sens: lorsqu'une transaction freine le développement dans un périmètre, le droit de préemption doit effectivement être exercé, mais pour ce qui est de la protection de la classe moyenne et de son accès au logement, il est tout à fait scandaleux que ce droit de préemption soit exercé pour construire plus de 33% de logements d'utilité publique dans des communes. On dit souvent que la croissance économique de Genève, sous-entendu donc les multinationales, fait que l'on doit construire plus de logements, mais en réalité, on fait face ici à un raisonnement absolument malhonnête, car on ne construit pas pour ceux qui paient des impôts, mais uniquement pour ceux qui n'en paient pas et qui engendrent des charges pour les communes et pour l'Etat.
Il faut que tout le monde ait accès au logement, il est important de construire des logements d'utilité publique - je rappelle qu'on a actuellement plus de 20% de logements sociaux à Genève -, mais il ne faut pas oublier toutes les autres catégories de la population. Je vous invite donc à soutenir ce projet de loi ainsi que l'amendement général. Merci. (Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Ce projet de loi a été élaboré à la suite de déclarations fort inquiétantes parues dans la presse, dans lesquelles certaines communes ont annoncé leur intention de préempter tout projet immobilier se présentant sur leur territoire. C'est le cas des communes d'Onex, de Lancy et même de la Ville de Genève dans une certaine mesure.
Le rôle d'une entité publique n'est pourtant pas de se substituer au projet d'un acteur concurrent, mais plutôt d'encourager une politique de développement conforme aux attentes de ses habitants. L'Etat de Genève l'a bien compris et ne fait usage de son droit de préemption qu'en ultime recours et avec discernement. Ce projet de loi vise uniquement à maintenir des préemptions conformes à la pratique actuelle du canton et de la majorité des communes.
Il importe de rappeler le contexte: une parcelle peu ou pas densifiée dans un secteur situé en zone de développement, par exemple une villa sur un terrain de 3000 mètres carrés, peut, au moment de sa vente, faire l'objet d'une préemption par l'Etat ou par la commune.
La préemption n'intervient en principe que pour des motifs légitimes: le nouvel acquéreur compte habiter la maison alors qu'elle se trouve au coeur d'un périmètre à densifier ou l'acquéreur est un promoteur qui ne souhaite pas réaliser des logements d'utilité publique alors que les ratios étatiques l'imposent. Le terrain pourrait alors être préempté afin que l'autorité publique puisse y construire les logements sociaux nécessaires.
Il convient de souligner que, dans le cadre de l'acquisition de la parcelle par un promoteur, ce dernier a procédé à de nombreuses études afin de s'assurer que la zone est propice à un bon développement et que les coûts engendrés par la construction seront supportables pour le projet de développement fixé par l'Etat. Ces frais d'étude sont entièrement à sa charge et représentent un des risques pour le promoteur. Toutefois, il se trouve que, depuis quelques années, certaines communes ont pris le parti de préempter systématiquement tout projet, peu importent les volontés du promoteur et son respect ou non des conditions de la zone de développement.
Il en résulte certains dommages: la perte des frais d'étude du côté du promoteur, une incertitude générale pour le marché et la prise des risques de promotion du côté de la commune en question. Les coûts et prix appliqués étant tous définis par l'Etat, les contraintes sont exactement les mêmes pour tous les acteurs, qu'ils soient privés ou publics. L'argument selon lequel les projets seraient de meilleure qualité s'ils sont réalisés par la commune est donc erroné.
Enfin, un dernier rappel important: une commune qui préempte une parcelle a l'obligation d'y réaliser exclusivement des logements d'utilité publique. Ces logements ne s'adressent pas à toute la population, puisque seules les personnes aux revenus les plus bas peuvent prétendre à loger dans une HBM. Déjà lourdement taxée, la classe moyenne sera exclue de tous ces logements.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.
M. Jean-Pierre Pasquier. Merci, Monsieur le président. Le projet de loi initial allait trop loin. En effet, personne ne voulait empêcher les entités publiques de réaliser des développements, on voulait plutôt canaliser leurs interventions. C'est pourquoi les discussions ont conduit certains commissaires à proposer des amendements qui atténuent considérablement le projet de loi initial et permettent de maintenir la pratique pour les cas utiles. Ces amendements n'entraveraient donc pas les communes qui n'utilisent la préemption qu'à bon escient; en revanche, ils rendraient une certaine sécurité à des acteurs qui prennent tous les risques en amont et à qui une commune choisit de se substituer au dernier moment, à savoir après la signature d'un acte de vente, quand le projet est déjà bien abouti. Ils permettraient en outre de maintenir un équilibre et une juste répartition des logements pour tous.
En conclusion, Mesdames et Messieurs, la population genevoise peine à se loger et les prix des logements à louer sont élevés. L'émotionnel pousse parfois à des raccourcis faciles selon lesquels le secteur public va forcément offrir des loyers plus adaptés à la population que ceux proposés par un promoteur privé. La réalité est différente: chaque promoteur, qu'il soit public ou privé, a une approche qui lui est propre et propose la réalisation de logements différents - mais en zone de développement, les loyers sont toujours fixés par l'Etat -, c'est cette diversité qui fait la richesse de nos immeubles. La préemption systématique ne permettra pas de réaliser plus de logements, mais réduira encore les logements accessibles à la classe moyenne. C'est pour l'ensemble de ces raisons que la minorité de la commission vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à voter ce projet de loi. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. David Martin (Ve). Mesdames et Messieurs, chers collègues, en ce qui concerne ce projet de loi, le groupe des Verts estime qu'on peut dire qu'il y a au fond plus de peur que de mal. Pourquoi ? Parce qu'en réalité, et les minoritaires viennent de le dire, c'est un texte qui fait suite à des déclarations de certains conseillers municipaux qui, je pense qu'il faut l'admettre, étaient sans doute un peu maladroites et à l'emporte-pièce, ce qui traduit peut-être une méconnaissance du contexte, car en réalité, activer le droit de préemption de façon systématique est parfaitement impossible. Pour interférer dans une vente, il faut déjà qu'une commune ou l'Etat réunisse le budget nécessaire pour cette acquisition, soit souvent plusieurs millions, il s'agit donc de toute façon d'une démarche qui n'est pas si facile que ça. Plus de peur que de mal donc et pas de nécessité de changer cet outil.
L'intention initiale du projet de loi est très claire, le rapporteur de première minorité l'a aussi reconnu: il s'agit de modifications légales qui reviennent finalement à rendre le droit de préemption parfaitement caduc. L'amendement de ce même rapporteur est présenté comme relevant du bon sens et consensuel, mais, Mesdames et Messieurs, il faut relever que ce n'est vraiment pas le cas. Pourquoi ? Parce que la modification proposée dit que l'Etat ou la commune doit être en mesure de démontrer que la transaction considérée est de nature à compromettre les objectifs de la zone de développement, et ce dans le temps imparti pour exercer le droit de préemption. Comment voulez-vous qu'une commune, dans ce temps extrêmement réduit durant lequel il faut exercer le droit de préemption, puisse faire la démonstration que la transaction est de nature à compromettre les objectifs de la zone de développement - ça peut faire l'objet de batailles juridiques -, convaincre le Conseil municipal et mobiliser un budget ? C'est parfaitement impossible !
Ce n'est donc pas un amendement de bon sens ni consensuel, mais un amendement qui, comme le projet de loi initial, équivaut à rendre caduc le droit de préemption. Or, ce dernier est utilisé de façon extrêmement parcimonieuse, même par les communes qui, dans le discours, sont peut-être un peu farouches; on parle de quelques opérations pendant des dizaines d'années. Je pense donc qu'on peut dire que le droit de préemption n'a pas besoin d'être réformé et qu'on peut le maintenir en l'état. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Stéphane Florey (UDC). Si effectivement il y a eu des déclarations du Conseil d'Etat, les antécédents en ce qui concerne l'exercice du droit de préemption sont beaucoup plus importants que ce que décrit mon préopinant. On l'a vu depuis des années, qu'il s'agisse de l'Etat ou des communes. Tout d'abord, pour ce qui est de l'exigence que les communes trouvent les fonds nécessaires, il faut dire que quand elles veulent vraiment acquérir un terrain, comme par hasard, elles ont les moyens de le faire - on l'a vu à maintes reprises. En ce qui concerne l'Etat, là, il n'y a aucun souci parce que de toute façon, quand il veut préempter, il préempte.
Ce sont des préemptions qui, par le passé, ont déjà à maintes reprises posé beaucoup de problèmes, qui ont même pour la plupart fini devant les tribunaux, parce que systématiquement, quand l'Etat fait son évaluation, il sous-évalue la valeur. Comme on le sait tous, le prix est bloqué, mais l'Etat fait une sous-évaluation de la maison. Cela s'est produit à maintes reprises. Puis, quand l'Etat voit que ça va finalement traîner devant les tribunaux, comme par hasard, il s'aligne sur le prix que voulait le propriétaire au départ. Partant de là, on voit clairement qu'il y a eu de l'abus, qu'il y en aura encore.
Dès lors, ce projet de loi part simplement du bon sens; vous ne pouvez pas laisser l'Etat ou les communes préempter au bon vouloir des magistrats en place. Le système doit être réformé et tout le monde doit pouvoir y trouver son compte, y compris les promoteurs privés ainsi que les futurs acquéreurs d'un bien immobilier, quel qu'il soit. C'est pour ces raisons que l'UDC soutient ce projet et vous invite à faire de même. Je vous remercie.
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, ce projet de loi a été abordé en commission alors que LJS n'était pas encore présent. Nous avons quand même lu ce long rapport de 179 pages, ce qui nous a pris presque deux, trois jours, afin de trouver les inconvénients ou bien les avantages de la solution proposée pour le promoteur ainsi que pour l'intérêt public. Si l'on fait une analyse vraiment scientifique des douze auditions présentées dans ce rapport, on constate que neuf auditionnés sont opposés au texte et trois y sont favorables. La réponse est claire: l'intérêt public est donc en danger avec ce projet de loi. Les trois auditionnés qui disent oui, ce sont les promoteurs, qui voulaient bénéficier de davantage de facilité.
Evidemment, le rapporteur de première minorité l'a bien dit, un mot est important, c'est la négociation. C'est un élément essentiel pour l'Etat et les communes, ils doivent avoir des instruments clairs et forts pour négocier, non pas pour l'intérêt privé, mais pour l'intérêt public. Si je comprends bien, les communes et l'Etat défendent normalement l'intérêt public et non pas l'intérêt des minorités. Si ce texte passe, on met en danger l'intérêt général de la majorité de la société. Ce projet est très clair: il crée un déséquilibre entre les acteurs publics et privés et il favorise clairement les intérêts des promoteurs privés au détriment des intérêts publics. Le groupe LJS vous invite à ne pas entrer en matière sur cet objet et à le refuser. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Amar Madani (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, comme l'a dit le rapporteur de minorité, le droit de préemption est légitime dès lors qu'il répond à l'intérêt public et à l'utilité générale. A ce titre, et une fois ce principe posé, il ne devrait pas être contraint ni davantage conditionné, tant qu'il s'exerce dans le cadre d'une planification foncière répondant à la stratégie de construction de logements définie également par l'Etat dans le cadre du corpus législatif, en particulier la LGZD.
Les citoyens le comprennent et se méfient des démarches impressionnistes qui modifient une loi par des amendements successifs au risque de la vider de son sens, voire de sa substance. Ce droit de préemption, bien qu'invoqué avec parcimonie, est un outil essentiel pour protéger l'intérêt public et lutter contre la spéculation immobilière. Les auteurs du projet estiment que ce droit n'est plus nécessaire suite à l'adoption de l'article 4A de la loi générale sur les zones de développement, affirmant que la «paix des braves» a été entérinée. Or, il est prématuré de tirer de telles conclusions, d'autant plus que les effets de la loi 12762 modifiant l'article 4A devront faire l'objet d'une évaluation en 2025 et 2026.
Il est donc injustifié de précipiter des modifications avant cette évaluation, qui seule pourra fournir un cadre de réflexion complet sur la question. Ce texte a un impact significatif sur la législation générale en matière de logements et sur la protection des locataires. En pleine crise du logement, il est crucial que les autorités conservent des outils leur permettant de mettre en oeuvre une politique de construction efficace et de réguler ainsi le marché immobilier.
Le droit de préemption permet aux collectivités de s'assurer que les terrains disponibles soient utilisés de manière à répondre aux besoins de la population, en évitant la spéculation, qui aggrave les inégalités d'accès au logement. Le MCG considère le droit de préemption comme un outil indispensable pour les collectivités. Nous ne pouvons accepter qu'il soit restreint sans aucune réflexion approfondie, d'autant plus que le département lui-même s'oppose à ce projet de loi. Vous l'aurez compris, Mesdames et Messieurs, le MCG ne votera pas ce texte. (Applaudissements.)
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, depuis tout à l'heure, j'ai écouté attentivement les interventions de chacune et chacun. Je dois vous dire que je suis un peu surpris, parce que j'ai l'impression que nous ne parlons absolument pas du projet de loi dont nous sommes saisis, à savoir le PL 13049-A modifiant la loi générale sur le logement et la protection des locataires, dont le titre est: «Pour réaliser des logements répondant aux besoins de la population».
Si vous lisez le texte de l'article 3, alinéa 1, nouvelle teneur, vous voyez que le droit de préemption n'est absolument pas supprimé; il ne s'agit en rien de le supprimer, ce n'est pas du tout l'objet de ce débat. Il ne s'agit de rien d'autre que de l'encadrer, d'en préciser les contours. J'aimerais quand même rappeler ici que nous vivons dans un pays démocratique, que la garantie de la propriété est un droit fondamental consacré à la fois par la constitution cantonale et la Constitution fédérale, que tout un chacun est libre de contracter, que toute personne qui est propriétaire d'un bien immobilier est parfaitement libre de le revendre à un tiers et de choisir le tiers auquel elle va le revendre, et cela sans qu'il soit nécessaire que l'Etat intervienne dans cette relation contractuelle.
Finalement, la seule chose que nous demandons ici, c'est que ce droit de préemption ne soit pas une carte blanche dont l'Etat pourrait se servir, une sorte de joker, sans avoir un projet concret, qui évidemment devra être clairement délimité. On demande un plan localisé de quartier, un projet concret, un engagement écrit; il n'y a rien de choquant à cela, Mesdames et Messieurs. Ce texte est tout à fait modéré, ce n'est rien d'autre qu'une question de bon sens. Par conséquent, nous vous invitons à le soutenir. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est au rapporteur de première minorité, M. Sébastien Desfayes.
M. Sébastien Desfayes. Merci, Monsieur le président. Est-ce qu'il me reste encore du temps ? (Commentaires.)
Le président. Effectivement, vous n'en avez plus, même sur le temps de votre groupe. Je cède donc le micro à la rapporteure de majorité, à qui il reste une minute trente-trois.
Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Si je suis d'accord avec un aspect soulevé par le député Alder - vous transmettrez, Monsieur le président -, c'est que si on lit le titre du projet de loi, on ne comprend pas vraiment la discussion puisque ce titre est en réalité trompeur ! Je pense que les rapporteurs de minorité seraient d'accord avec moi s'ils pouvaient encore s'exprimer, l'équilibre prévu à l'article 4A LGZD sera maintenu quoi qu'il arrive avec le droit de préemption. Il est donc faux de dire que la classe moyenne est lésée, puisque le tiers de logements en ZD LOC est maintenu, et c'est ce tiers-là qui lui est principalement destiné puisque la PPE concerne quant à elle la classe moyenne «supérieure supérieure».
Le droit de préemption protège aussi par la lutte contre la spéculation les montants des prix de location et de vente qui seront issus de la zone de développement, justement pour la classe moyenne. J'aimerais aussi revenir sur le fait que le tiers qui doit servir à construire des logements d'utilité publique est indispensable puisque, contrairement à ce qu'indiquait le rapporteur de première minorité, on est loin des 20% de logements d'utilité publique: on est plutôt aux alentours de 12% de logements qui sont durablement d'utilité publique.
Maintenant, dernier point, pour revenir sur l'amendement proposé: il restreint lui aussi l'exercice du droit de préemption de manière que ce dernier soit vidé de sa substance et qu'il ne puisse plus exister, puisque la démonstration sera impossible à amener entre trente et soixante jours, puisque si rien n'est construit en dix ans, l'Etat ou la commune devra revendre, et puisque l'amende est supprimée. Je vous remercie.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat recommande de suivre le rapport de majorité et de rejeter ce projet de loi. Comme cela a été dit, ce texte a en effet été déposé suite à des déclarations peut-être un peu à l'emporte-pièce - le député Martin a eu l'honnêteté de le reconnaître - d'élus communaux qui ne sont pas très au fait de l'encadrement actuel de ce droit de préemption. Ce droit est une atteinte forte et violente à la garantie de la propriété, protégée par l'article 26 de la Constitution fédérale. Il ne s'agit dès lors pas du fait du prince ou d'une volonté incontrôlée, ainsi que l'évoquait le député Alder, puisque aujourd'hui déjà, quand l'Etat ou les communes veulent préempter, ils doivent justifier d'un intérêt public, qui est évidemment borné par le cadre de la loi, mais surtout par une jurisprudence importante.
Alors y a-t-il vraiment un abus quant au nombre de préemptions ? Nous avons établi les statistiques sur une période de cinq ans, de 2016 à 2021, durant laquelle il y a eu huit cents transactions. Sur ces huit cents ventes, l'Etat a exercé son droit de préemption quatre fois, soit moins d'une fois par année. Dans ces cas où l'Etat a exercé son droit de préemption, ce n'était pas vraiment pour acquérir la parcelle, mais justement pour permettre la réalisation du PLQ et donc de l'article 4A LGZD dans ces cas précis.
Par exemple, on est en zone de fonds villa et tout d'un coup, dans ce territoire qui fait l'objet d'un plan localisé, ce qui implique que la villa en question devra d'ici quelques années être détruite pour laisser la place à des immeubles, on voit que l'acquéreur est une famille avec de jeunes enfants. Cela signifie qu'ils vont s'installer, s'intégrer et scolariser les enfants dans le quartier. Ça ne joue pas, parce qu'on laisse s'installer une famille de bonne foi, souvent d'origine étrangère, qui ignore l'état de l'aménagement du territoire et des lois cantonales, pour lui demander trois ou quatre ans plus tard de partir parce que la maison doit faire l'objet d'une acquisition en vue du PLQ. Ce n'est pas correct pour ces gens; il ne faut pas laisser s'installer des personnes qui vont légitimement projeter leur vie - parce que c'est fantastique d'acheter une maison - pour ensuite, trois, quatre ans après, venir leur dire: «Mais vous savez, vous êtes dans un périmètre avec un PLQ en force.» Dans ces cas-là, quand on voit qu'une villa est acquise par quelqu'un qui a l'intention d'y vivre et non par un promoteur développeur, nous activons donc le processus de préemption, notamment pour protéger le futur acquéreur, qui souvent ignore tout de ce qui va se passer dans ce quartier.
L'autre cas qui peut se présenter est le suivant: quand le prix est largement surfait - ça nous est arrivé, et lorsque j'ai des contacts avec ces personnes, elles ne parlent pas français, on voit donc aussi les enjeux déontologiques qu'il y a derrière le fait de savoir à qui l'on vend - et que les gens paient des montants bien trop élevés par rapport à la valeur réelle de la parcelle située en zone de développement. Dans ces cas également, nous préemptons. A chaque fois, l'Etat ne veut pas garder la parcelle, mais il ne souhaite pas non plus créer une situation qui va ensuite bloquer le plan localisé de quartier et l'avènement de logements, qu'il s'agisse d'ailleurs de logements LUP, locatifs ou issus du troisième tiers.
Dans la même période, les communes ont préempté huit fois, quatre fois en Ville de Genève, une fois à Corsier, une fois à Confignon, une fois à Lancy et une fois à Onex. Elles l'ont fait pour des motifs différents, mais on voit que chaque fois, ces préemptions ont été encadrées par le droit et notamment par le droit supérieur.
Voilà, Mesdames et Messieurs, au-delà des déclarations, je crois qu'on peut dire qu'aujourd'hui, le droit de préemption est utilisé avec parcimonie. Si demain ça ne devait plus être le cas, je pourrais mieux comprendre l'intention des auteurs. Mais force est de constater qu'aujourd'hui, il s'agit surtout de déclarations et qu'à teneur de la pratique réelle de l'Etat et des communes, on en reste à un usage extrêmement mesuré de cet outil, qui est une ultima ratio dans l'aménagement du territoire. Merci de refuser ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous procédons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 13049 est rejeté en premier débat par 55 non contre 42 oui. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)