République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 30 août 2024 à 18h05
3e législature - 2e année - 4e session - 21e séance
PL 13199-A
Premier débat
Le président. Nous poursuivons le traitement de notre ordre du jour avec le PL 13199-A, qui est classé en catégorie II, trente minutes. La parole est à M. André Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi... Ah zut, je dois prendre d'autres notes. (L'orateur quitte la table des rapporteurs pour chercher ses notes.)
Une voix. Ce ne sont pas les bonnes ?
Une autre voix. Eh bien bravo !
M. André Pfeffer. Mille excuses ! J'ai perdu du temps sur mon décompte. (L'orateur rit.) Mesdames et Messieurs les députés, pour la majorité, ce projet de loi est une fausse bonne idée. Certes, dans l'idéal, disposer de compteurs privés constitue une idée séduisante, mais toutes les auditions - je répète: toutes les auditions - que nous avons menées ont démontré que l'installation d'un tel dispositif poserait d'énormes problèmes techniques et surtout engendrerait des coûts très importants.
Pour les nouveaux bâtiments, il existe déjà des règles très strictes. De plus, même s'il y avait des décomptes personnalisés, il reste quand même des lieux comme les parties communes, les halls, les caves, etc., où il faudrait de toute façon continuer à réaliser les calculs comme nous le faisons aujourd'hui.
Par ailleurs, il a été relevé que de nouveaux standards sont exigés dans tous les immeubles, il y a des normes IDC, des rénovations énergétiques sont prévues. Ces travaux auront lieu que l'on décide de mettre en place des compteurs individuels ou non. Il faut également préciser que chaque bâtiment est particulier, possède des spécificités: pour certains, l'installation de compteurs individuels se justifierait éventuellement, pour d'autres pas.
Pour finir, j'aimerais vous donner l'opinion des SIG, dont les représentants ont été auditionnés. Ceux-ci indiquent très clairement: «L'installation des décomptes individuels des frais de chauffage [...] nécessite des travaux importants», et cela ne vaut pas seulement pour la pose: après, le relevé des compteurs représentera une lourde tâche. Toujours selon les SIG, «cette solution représente des investissements importants pour un résultat mitigé».
Pour en revenir à la position de la majorité, étant donné tout ce qui existe déjà et eu égard aux travaux de rénovation prévus, nous estimons qu'il n'y a pas lieu de légiférer sur ce cas précis. Merci de votre attention.
M. Grégoire Carasso (S), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, à titre liminaire, de quoi parle-t-on ? Aujourd'hui, à Genève, 99,9% des immeubles ne disposent pas d'un système de décompte individuel de chauffage et d'eau chaude. Cela signifie que les locataires ou les propriétaires - peu importe, dans le cas d'espèce - paient pour l'eau chaude et le chauffage qu'ils consomment selon un ratio au mètre carré. Que vous économisiez de l'énergie ou que vous la gaspilliez, c'est du pareil au même.
Genève - à la différence de Bâle, j'ai envie de dire - se distingue en la matière de la Suisse alémanique, de la France et de l'Allemagne. En Suisse alémanique et dans les pays que je viens de citer, pour ne parler que des plus proches, il est d'usage, à la construction - c'est ce qu'il y a de plus simple, c'était même la seule solution à l'époque -, de prévoir des compteurs individuels dans les appartements; ainsi, chacun paie en fonction de ce qu'il consomme. Genève fait exception à la règle.
Dans un contexte de crise climatique, énergétique et du pouvoir d'achat, cette proposition vise à diminuer les émissions de CO2, à économiser de l'énergie et donc, pour les ménages qui le souhaitent, à réaliser des économies sur leurs charges. Le statu quo vers lequel on se dirige assez sûrement, je crois, signifie mutualiser et donc favoriser le gaspillage énergétique. Pourquoi ? Je vous l'ai exposé: parce qu'il n'existe pas de compteurs individuels dans les bâtiments.
Alors que nous sommes toutes et tous invités à baisser le chauffage, à diminuer notre consommation d'eau chaude, comment expliquer à celles et ceux qui font ces efforts qu'ils sont quasiment réduits à néant parce que le voisin ou la voisine qui n'en a cure continue à prendre douze bains par semaine et à se chauffer en hiver à 24° en laissant les fenêtres ouvertes ? Dans un même immeuble, les petits gestes des uns sont ruinés par le gaspillage des autres, et au final, la facture, qui en plus augmente, est partagée par tous les habitants en fonction d'un ratio au mètre carré.
Selon une étude de la Banque cantonale de Zurich, passer d'un chauffage de 23° à 19° représente une économie sur la facture d'énergie de 35% - il s'agit, je le répète, d'une étude de la Banque cantonale de Zurich datant de 2022. Or pour bénéficier de cette économie financière et énergétique - une mesure donc bonne à la fois pour l'environnement et le porte-monnaie -, encore faut-il que les frais soient répartis selon la consommation et non au mètre carré.
Il y a encore une petite décennie, le système de décompte individuel était une solution qu'on pouvait envisager sereinement à la construction d'un immeuble, mais particulièrement compliquée pour équiper des bâtiments existants. Pourquoi ? Parce qu'il fallait démonter chaque conduite. Aujourd'hui, la technologie - c'est celle qui se développe et qui est opérationnelle dans de nombreux pays d'Europe, même pour de vieux immeubles - consiste simplement à poser sur ces mêmes conduites un petit appareil permettant de mesurer la consommation effective et de réaliser des relevés à distance.
S'agissant des arguments techniques, Monsieur Pfeffer, nous n'avons pas du tout la même interprétation des multiples auditions qui ont été menées, hormis peut-être celle des SIG. En effet, dans une période un peu chahutée pour la régie, il lui semble compliqué d'envisager un tel mécanisme; vous ne trouverez personne aux SIG, du moins dans des fonctions de responsabilités, qui serait prêt à ouvrir ce chantier, et c'est fort dommage.
C'est fort dommage, d'autant que les auteurs du projet de loi étaient largement ouverts à des amendements, mais une majorité des commissaires a refusé d'entrer en matière. On aurait pu envisager de modifier le texte et de prévoir ce dispositif au moins pour les nouveaux bâtiments, mais il y a eu une non-entrée en matière. Pour moi, le message est suffisamment clair.
Le groupe socialiste reste sur une position de principe: les décomptes individuels sont essentiels pour ne pas mutualiser le gaspillage et pour récompenser économiquement celles et ceux qui font des efforts. Si certains partis souhaitent réétudier la question en commission, libre à eux de demander un renvoi; ce ne sera pas notre cas.
En Suisse alémanique, mais également en France et en Allemagne, les systèmes actuels tiennent compte - c'est le dernier argument important - de certaines réalités. En effet, celui qui habite juste au-dessus des caves a besoin de plus d'énergie pour se chauffer que celui qui habite au milieu de l'immeuble. Ainsi, pour éviter les comportements de «free-riders», ce que font nos voisins et la Suisse alémanique, c'est simplement d'intégrer aux appareils un coefficient de répartition; vous habitez au-dessus des caves, vous avez besoin de plus d'énergie pour vous chauffer à 20°, il n'est pas normal que vous payiez plus, donc un coefficient est appliqué. Cela se pratique en Suisse alémanique, en France et en Allemagne, ce sera demain la norme, je l'espère, dans le reste de l'Europe, et peut-être qu'après-demain, on y viendra à Genève. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je vais essayer de ne pas trop répéter les éléments qui ont été mis en avant par le rapporteur de première minorité. J'aimerais juste vous rappeler qu'il s'agit là d'une idée assez ancienne des Verts, puisque nous avions déposé le PL 11508 sur le même sujet en 2014 déjà. Comme cela a été souligné par le rapporteur de première minorité, il y a dix ans, les solutions technologiques n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui; maintenant, il y a dans tous les logements un réseau wi-fi qui permettrait très facilement de connecter une petite sonde qu'on poserait sur n'importe quel radiateur, je pense que ce serait extrêmement facile à installer.
Cela étant dit, je souhaite replacer les choses dans un contexte plus global. Le chauffage des bâtiments ainsi que l'eau chaude sanitaire, dont la consommation n'est pas négligeable, comptent pour environ un quart du bilan CO2 du canton de Genève. Or nous visons la neutralité carbone à l'horizon 2050. Des solutions de réduction des émissions ont été définies par le Conseil d'Etat dans le plan climat cantonal et dans le plan directeur de l'énergie. La part du lion ira à la rénovation énergétique des bâtiments et à la mise en place de sources de chaleur décarbonées, mais de façon complémentaire, des mesures de sobriété doivent être également promues, et c'est dans cette direction-là que nous nous dirigeons avec ce projet de loi.
L'abaissement du niveau des températures intérieures fait partie du lot; on peut l'obtenir soit par une diminution généralisée de la température du bâtiment, soit en faisant appel à la responsabilité individuelle des locataires. A cet égard, le modèle de décompte individuel des frais de chauffage (DIFC), que nous soutenons, apporte une incitation financière.
J'aimerais mentionner quelques points supplémentaires. L'exigence des DIFC figure déjà dans la loi sur l'énergie, mais il existe de nombreuses exceptions qui sont difficiles à vérifier; elles sont tellement difficiles à vérifier que personne ne sait combien de dispositifs sont actuellement opérationnels. Le rapporteur de première minorité les a estimés à 0,1%, mais en réalité, on n'en sait rien. Nous avons auditionné l'OCEN, l'USPI, la FMB, l'Association genevoise des entreprises de chauffage et de ventilation, et aucun de leurs représentants n'a su nous dire combien il existe d'installations actives.
Contrairement à ce qu'affirme la majorité, la mise en place de compteurs individuels n'est ni chère ni compliquée eu égard, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, aux évolutions technologiques, qui sont notables depuis dix ans. D'ailleurs - cela a aussi été évoqué par le rapporteur de première minorité -, des algorithmes éprouvés permettent de compenser la situation favorable ou défavorable d'un appartement.
Ensuite, le potentiel d'économies, simplement par la mise en place d'un système de décompte individuel des frais de chauffage, est estimé entre 15% et 30% ! Oui, cette seule mesure peut contribuer à une diminution de 15% à 30% de la consommation. En attendant la rénovation complète des bâtiments, qui prendra passablement de temps, il s'agit d'un mécanisme simple et rapide.
Pour finir, le gros défaut d'une répartition forfaitaire telle qu'elle existe majoritairement aujourd'hui, c'est qu'aucun occupant n'a la moindre idée de sa propre consommation ni de son évolution dans le temps. Même en faisant de grands efforts, en portant des pulls épais et des chaussettes en laine, non seulement la consommation personnelle d'énergie n'est pas connue, mais surtout il n'y a aucun intérêt financier. Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous invitons à soutenir ce projet de loi.
M. Philippe de Rougemont (Ve). Mesdames et Messieurs, je n'aime pas tellement donner des exemples personnels et j'apprécie peu quand j'en entends au Grand Conseil, mais dans le cas d'espèce, je crois que j'en ai un à partager. Si vous vous rendez en Scandinavie et que vous regardez chez les habitants, vous verrez qu'ils disposent de petits appareils vissés aux radiateurs permettant de mesurer la consommation des appartements ou des maisons. Ensuite, la facturation est basée sur la consommation effective.
J'interroge ma famille et ma belle-famille en Scandinavie, que ce soit au Danemark ou en Suède, sur leurs comportements, des comportements que j'observe en hiver et dont je discute avec eux en été, parce que c'est un sujet qui m'intéresse; on parle de personnes de la classe moyenne tout à fait comparables aux gens qui sont dans cette salle, mais je ne retrouve pas du tout leurs comportements parmi les personnes que je connais, même celles engagées dans l'écologie. Le modèle proposé dans ce projet de loi représente vraiment un outil à côté duquel il ne faut pas passer.
A Genève, il y a une trentaine d'années, quand M. Cramer est devenu conseiller d'Etat, l'une des premières choses qu'il a demandées aux représentants de l'office cantonal de l'énergie en prenant ses fonctions, c'était ce qu'ils pensaient de cette mesure. C'est un peu un hasard de l'histoire si le haut fonctionnaire qui était son interlocuteur à l'époque lui a répondu que ce n'était pas un système intéressant. On est ainsi passé dessus comme chat sur braise.
Pendant ces trois décennies, on aurait pu réaliser des économies très intéressantes. On en a obtenu l'hiver passé grâce à la task force énergie, qui a bien travaillé, et avec l'audit de l'Université de Genève, on a constaté que nous étions vraiment capables de réduire notre consommation de chauffage, donc de mazout, donc nos importations, donc nos émissions de CO2. Je pense que l'idée est vraiment mûre maintenant, on le voit chez nos voisins d'Europe, il faut y aller. Ainsi, j'encourage les personnes qui ont prévu de voter contre ce projet de loi de changer leur position, nous devons aller de l'avant et accepter ce texte. Je vous remercie de votre attention.
M. Christian Steiner (MCG). Le PL 13199 vise à renforcer l'obligation de mettre en place des décomptes individuels de frais de chauffage et d'eau chaude en vue d'économiser de l'énergie. Cette exigence figure déjà dans la loi avec des exceptions qui font sens. En effet, actuellement, un compteur individuel dans une passoire thermique ne servirait qu'à savoir plus précisément combien on paie pour réchauffer des moineaux.
Dans un immeuble bien isolé (HPE, THPE) avec du solaire thermique, les différences entre les coûts de chacun seraient négligeables - sont négligeables - et sans rapport avec le prix d'installation et d'exploitation du système proposé. De plus, le potentiel d'économies éventuel d'un tel dispositif a fortement diminué avec la limitation des températures à 18-19°.
J'ajoute que personnellement, je n'ai pas de voisin ou je ne connais personne qui met le chauffage à fond avec les fenêtres ouvertes ou prend douze bains par semaine - si quelqu'un connaît de telles personnes, qu'il me fasse signe. L'obligation de mettre en place techniquement des décomptes individuels pourrait au mieux entraver les autres mesures qui, elles, sont nécessaires et urgentes pour réaliser de vraies économies d'énergie, comme l'assainissement ou l'isolation des bâtiments.
Petite parenthèse: dans un immeuble bien isolé, un algorithme n'est pas nécessaire pour calculer les différences entre un locataire vivant au-dessus du garage ou au rez-de-chaussée et celui à l'étage suivant. Comme le disait le rapporteur de majorité, ce projet de loi est une fausse bonne idée, en tout cas pour l'instant, et je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de le refuser. Merci.
M. François Erard (LC). Chers collègues, comme cela a été expliqué, ce projet de loi vise à généraliser l'installation de compteurs individuels dans l'ensemble - ou une partie - du parc immobilier genevois. Ce but est louable: cela permettrait d'une part de garantir une certaine équité entre les locataires dont la consommation d'eau chaude sanitaire et de chauffage est peu vertueuse et ceux qui sont particulièrement économes. En effet, chacun paierait ce qu'il consomme. Un second avantage serait de contribuer à la diminution globale de la consommation d'énergie du canton.
Or s'agissant de l'égalité, elle est impossible pour le chauffage - cela a été relevé par le rapporteur de majorité -, puisque les niveaux de consommation diffèrent fortement, indépendamment de l'usage réel, en fonction de la situation de chaque appartement. On a évoqué des systèmes de péréquation, encore faudrait-il savoir comment les appliquer avec ce dispositif.
Je dirais qu'un tel modèle a pour mérite d'avoir une portée pédagogique, c'est-à-dire que tout un chacun peut suivre sa consommation effective et éventuellement corriger le tir. Il faut cependant rappeler que les frais de chauffage sur lesquels l'occupant d'un logement a une emprise ne représentent pour finir qu'un tiers de la consommation globale de l'immeuble, donc l'avantage économique réel serait minime.
Pour ce qui est des économies d'énergie, les expériences en la matière effectuées à l'étranger montrent que suite à l'installation de compteurs individuels, il y a un effet de nouveauté, d'opportunité, mais que celui-ci s'estompe très rapidement. Sous cet angle, c'est bel et bien la rénovation des bâtiments telle que définie dans les excellentes modifications de la loi sur l'énergie que nous avons adoptées dernièrement qui nous permettra de réaliser des économies d'énergie et à l'ensemble des locataires d'en bénéficier.
Pour nous, un dernier aspect - et non des moindres - est lié au coût d'installation d'un tel système. Alors les sources varient, on a parlé de quelques dizaines de francs alors que certains spécialistes auditionnés en commission, eux, évoquaient passé 1000 francs par compteur; tout cela dépend fortement de la structure de l'immeuble. Somme toute, c'est quand même un investissement global de plusieurs centaines de millions qui devrait être consenti par les propriétaires, sans répercussions possibles auprès des locataires et pour des résultats peu convaincants.
Enfin - cela a été souligné aussi -, n'oublions pas la charge administrative: il faudrait que les SIG récoltent les données de chaque compteur, donc cela multiplierait le travail. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi, comme l'a indiqué le rapporteur de majorité - ce n'est pas très original -, est une fausse bonne idée et le groupe Le Centre vous invite à le rejeter. Je vous remercie.
M. Alexis Barbey (PLR). Je ne vais pas amener beaucoup d'éléments nouveaux par rapport à ce qui vient d'être indiqué par mes deux préopinants. Pour le groupe PLR, il est clair qu'on a là une façon un peu spéciale de venir surveiller le comportement du consommateur moyen de courant. A nos yeux, une mesure d'économie est possible si elle n'exige pas de se rendre dans la salle de bains de chacun des habitants de ce canton pour observer la manière dont ils prennent leur douche. Je crois qu'on atteint là les limites de ce qu'il est concevable de faire de manière neutre et généralisée.
Le système de décompte individuel de chauffage est très facile à mettre en place au sein des maisons individuelles et dans les petits immeubles, mais dès qu'on passe à des dimensions supplémentaires, alors les frais d'installation sont extrêmement conséquents, et je ne suis pas sûr que les gens qui sont censés en bénéficier accepteraient qu'on mesure ainsi leur activité. On nous dit que la pose de tels instruments est devenue bon marché, je demande à voir; tout ce qu'on a entendu en commission, au contraire, c'est qu'il s'agit d'un dispositif très cher et pas évident à établir.
Se pose ensuite la question des inégalités structurelles entre les appartements, à commencer par la situation de chaque logement: naturellement, celui qui est tout en bas au nord consommera beaucoup plus d'énergie que celui qui est tout en haut au sud. Certes, ces disparités peuvent être compensées par des algorithmes qui remettent les compteurs à zéro, mais il y a encore des différences simplement entre une famille avec trois enfants dont le foyer consomme proportionnellement beaucoup et une personne qui vit seule et prend moins de douches.
J'en reviens à la dimension quelque peu philosophique: non seulement ce projet de loi n'est pas abouti et ne nous paraît pas facile à mettre en oeuvre, mais il s'agit de surcroît d'une intrusion forte dans la vie privée de chacun de nos concitoyens que ceux-ci ne sont pas forcément obligés d'accepter. Je vous invite dès lors, Mesdames et Messieurs, à refuser ce projet de loi. Merci de votre attention.
Mme Danièle Magnin (MCG). Je suis irritée par les propos que je viens d'entendre, parce que la seule façon de responsabiliser les gens vis-à-vis de leur consommation d'eau et d'énergie, c'est qu'ils paient ce qu'ils dépensent. Maintenant, je m'alignerai bien sûr sur la position de mon groupe, mais je trouve vraiment regrettable de dire qu'on va chez les gens regarder comment ils prennent leur douche alors qu'il s'agit simplement de ne pas payer pour l'énergie que le voisin a dépensée inutilement. Merci.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Il me reste peu de temps, Monsieur le président, mais j'aimerais que vous transmettiez à M. Erard que je ne vois pas très bien ce que les SIG viennent faire là-dedans: les relevés de chauffage sont réalisés par les régies, lesquelles envoient ensuite la facture à leurs clients.
En dernier lieu, Mesdames et Messieurs, je précise que la solution pour parvenir à la transition énergétique consistera en une combinaison entre un certain nombre d'opérations lourdes - les rénovations énergétiques, par exemple - et des mesures de sobriété prises de façon individuelle. On n'y arrivera pas autrement. Vous ne pouvez pas juste tabler sur les rénovations énergétiques, il faut aussi d'autres types d'actions. Je vous remercie.
M. Grégoire Carasso (S), rapporteur de première minorité. Brièvement, Mesdames et Messieurs, il ne faut pas opposer les mesures structurelles, structurantes - enveloppes thermiques des bâtiments, par exemple - et les actions individuelles, ces petits gestes du quotidien qui, en particulier depuis la guerre en Ukraine, nous ont été rappelés comme essentiels pour l'environnement, pour éviter des pénuries. Non, il ne faut pas opposer les mesures structurantes et les mesures individuelles.
Il y a dix ans, les coûts pour installer des systèmes de décompte étaient monstrueux - je les ai évoqués tout à l'heure -, parce qu'il fallait démonter chaque conduite. La Suisse alémanique, la France et l'Allemagne ont opté et optent pour la technologie qui existe aujourd'hui: quelques dizaines de francs pour poser une petite machine qui mesure la consommation effective sur la conduite principale. On parle d'un investissement de quelques dizaines de francs !
L'ajout d'un coefficient de pondération, c'est la base, c'est ce qui se pratique en Suisse alémanique, en France et en Allemagne notamment - je ne connais pas les cas des pays scandinaves, mais ils sont certainement pertinents. Grâce au coefficient de pondération, celui qui est exposé plein sud ne paie pas moins que celui qui n'a pas de lumière.
Enfin, s'agissant de l'argument philosophique du PLR, alors là, c'est le seul point qui me fait vraiment mal au coeur, dirons-nous. On parle d'une responsabilité individuelle que le PLR ne veut pas assumer, il préfère collectiviser les charges ! On mutualise: peu importe ce qu'on dépense, on met tout ensemble, on divise par mètres carrés et tout le monde est égal. Cette approche collectiviste du PLR me paraît complètement surnaturelle dans ce débat, et c'est bien parce que la dimension philosophique a été évoquée que je me permets de conclure là-dessus: c'est surnaturel ! Merci beaucoup, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, je pense que tout le monde est d'accord avec l'argument de Mme Magnin. Il est juste de vouloir payer uniquement ce que l'on consomme, mais avec ce projet de loi, nous parlons d'une transition importante. Comme cela a été relevé, il est vrai qu'en Suisse allemande et dans certaines autres régions, on a installé des compteurs individuels dès le départ. Chez nous, ce n'est pas le cas, donc nous devons passer d'un système à un autre. L'objectif est de déterminer si un tel changement est raisonnable ou pas.
Je crois que je vais simplement répéter les arguments de la majorité. Le premier point qui a été évoqué par tous ceux qui ont été auditionnés, c'est que les travaux nécessaires seraient extrêmement conséquents et, partant, déraisonnables. Si on opère cette transition, si on ajoute dans la loi l'obligation d'effectuer de tels travaux, les gains espérés avec ces décomptes personnalisés seront-ils suffisants ? Les spécialistes entendus, dont les représentants des SIG, ont clairement parlé d'économies discutables. Les décomptes individuels seuls ne changeront absolument pas les comportements.
Il s'agit vraiment de définir si ce système constitue la panacée. Comme l'ont souligné les rapporteurs de minorité, certains appartements nécessitent davantage d'énergie que d'autres en fonction de leur emplacement, selon la proximité du soleil et autres. Il faudrait de toute façon introduire un coefficient, donc ce n'est pas une solution idéale en soi. De plus... (L'orateur s'interrompt.) Bon, il y avait encore un autre argument, mais je l'ai perdu, je n'arrive pas à me relire.
Enfin bref, il est réellement question de savoir si procéder à un tel changement est raisonnable ou pas. La majorité vous recommande de voter non à ce projet de loi: nous sommes convaincus, suite à toutes les auditions que nous avons effectuées, qu'il est déraisonnable de l'accepter. Merci de votre attention.
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, c'est le moment de voter.
Mis aux voix, le projet de loi 13199 est rejeté en premier débat par 53 non contre 28 oui.