République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 29 août 2024 à 20h30
3e législature - 2e année - 4e session - 18e séance
R 1042
Débat
Le président. Voici notre dernière urgence: la R 1042. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et je passe la parole à M. Cédric Jeanneret.
M. Cédric Jeanneret (Ve). Merci, Monsieur le président. Je n'imaginais vraiment pas parler un jour de baleines devant ce Grand Conseil ! Et pourtant, Mesdames et Messieurs, si nous sommes plutôt des marins d'eau douce dans notre petit canton, c'est bien à Genève, en 1931, qu'est née la première convention internationale visant à réglementer la chasse à la baleine - c'était non loin d'ici, au Palais Wilson.
Je tiens tout d'abord à relever que nous entretenons d'excellentes relations avec le Japon; nous avons célébré il y a quelques semaines les 160 ans d'amitié entre la Suisse et le Japon, et à titre personnel, je suis un grand admirateur de ce pays et de la culture traditionnelle nipponne, qui offre un équilibre très inspirant entre le progrès technologique et une connexion presque sacrée à la nature, laquelle se manifeste, au Pays du soleil levant, tantôt de manière sublime et magnifique, tantôt de manière terrible.
Mais nul n'est parfait, et avec les signataires de la présente proposition de résolution, nous pensons que tout n'est pas bon dans la tradition et que la page de la chasse à la baleine est à tourner définitivement. Certains l'ont compris depuis longtemps, à l'image du capitaine Paul Watson et de sa fondation dont l'action vise à préserver la biodiversité à l'heure où ce bien commun n'a jamais été aussi menacé. Aujourd'hui, ce protecteur des fonds marins, qui a sauvé des milliers de baleines de chasses illégales, est emprisonné au Groenland, accusé par le Japon d'empêcher de manière trop musclée - mais toujours dénuée de recherche de profit personnel - la chasse à la baleine.
Mesdames et Messieurs, j'aimerais rappeler ici trois choses. La chasse à la baleine est interdite depuis 1986 suite au moratoire international décrété par la Commission baleinière internationale. Le rorqual commun, qui est explicitement visé par les baleiniers japonais, l'un des plus grands animaux que notre planète ait jamais portés, est classé «vulnérable» par l'Union internationale pour la conservation de la nature - sise pas très loin d'ici non plus, à Gland. Enfin, les Japonais ne veulent tout simplement plus manger de viande de baleine: sa consommation est en chute libre depuis les années 60, à tel point que la filière baleinière nippone est aujourd'hui largement subventionnée, à hauteur de dizaines de millions de francs.
Pour toutes ces raisons, cette proposition de résolution du Grand Conseil de notre République et canton de Genève demande instamment à l'Assemblée fédérale helvétique d'appeler l'Etat japonais à respecter ses obligations en matière de protection de la biodiversité marine et à retirer la demande d'extradition du capitaine Paul Watson, ainsi que de veiller à ce que les conditions permettant d'assurer un procès équitable et pondéré soient respectées par les Etats concernés. La défense des espèces menacées n'est pas un délit, il faut libérer le capitaine Paul Watson ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Mme Danièle Magnin (MCG). A mes yeux, le capitaine Paul Watson est un héros des temps modernes: il prend des risques avec son navire, il prend des risques avec sa vie pour protéger les animaux, ce que je trouve extrêmement courageux et louable. Le fait qu'on l'ait arrêté au Groenland, qui est une possession danoise, n'est pas un hasard, à mon avis. Oui, il y a un mandat d'arrêt international pour des dommages sur un navire japonais, mais le Danemark gouverne aussi les îles Féroé, là où subsiste l'une des traditions les plus barbares qui soient, à savoir tuer des globicéphales, qui sont des cétacés, donc des mammifères; il s'agit d'une espèce qui vit en groupe selon différentes règles, des animaux que je qualifierais de charmants.
Eh bien les globicéphales sont massacrés aux îles Féroé juste pour le plaisir de tuer, et je mets ça en parallèle avec la pêche à la baleine des Japonais, je mets ça en parallèle avec toutes sortes d'attitudes cruelles que ce pays a démontrées dans son histoire. Je ne vais pas toutes les rappeler ici, mais il y en a un certain nombre: l'invasion de la Mandchourie, les camps de concentration où on a placé tous les Européens qui vivaient dans les îles, notamment d'Indonésie, la... Comment appelle-t-on ça, déjà ? La Cellule 731 ? (Remarque.) L'Unité 731, voilà, où on menait des recherches sur les êtres humains de la même manière qu'en Allemagne pendant une période à laquelle on n'a pas tellement envie de se référer.
Les Japonais avaient initialement signé un traité par lequel ils s'engageaient à ne plus chasser la baleine, et ils l'ont violé en prétendant que c'était pour des raisons scientifiques, mais ce n'est pas vrai, c'est simplement pour consommer la viande de ces mammifères. M. Jeanneret vient de nous indiquer que les Japonais n'ont plus envie d'en manger, alors je pense qu'il faut donner un signal en demandant à Berne de signifier au Japon qu'à Genève, où les premières conventions ont été signées, nous ne sommes pas d'accord. Je vous remercie d'avance de bien vouloir voter cette résolution, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas si des dizaines de personnes vont encore s'inscrire pour prendre la parole, mais sachez en tout cas que je mettrai fin à nos travaux au terme du débat sur cette résolution, eu égard à la température qu'il fait dans la salle. La parole est à M. Yves Nidegger.
M. Yves Nidegger (UDC). Merci, Monsieur le président. Elémentaire, mon cher Watson ! Eh bien justement pas. On pourrait s'attendre, de la part des auteurs d'une résolution - ce serait élémentaire -, qu'ils nous expliquent au minimum ce pourquoi l'extradition du Danemark de M. Watson est requise par le Japon, et on pourrait alors s'indigner en considérant que les charges qui pèsent contre lui ne sont pas justifiées. Mais on ne nous dit rien ! On nous demande uniquement, au nom des baleines, d'être révoltés parce que M. Watson serait prétendument un ami des baleines et qu'il s'est fait arrêter par le Danemark sur commission rogatoire du Japon, qui a quelque chose à lui reprocher.
C'est de la foutaise, chers collègues. Si vous voulez véritablement qu'on écoute le fondement de votre indignation, il faut au minimum que vous nous indiquiez ce sur quoi il repose. Cette exigence qu'au nom des baleines, on s'indigne pour tout et n'importe quoi qui nous sera désigné comme scandaleux est juste inacceptable.
Il existe des traités internationaux qui obligent le Danemark - et la Suisse aussi, d'ailleurs - à livrer, à certaines conditions, les personnes recherchées par d'autres pays après les avoir arrêtées préalablement. J'ai été avocat dans toutes sortes de causes à Genève où des Etats ont requis de la Suisse qu'elle arrête quelqu'un pour le faire juger, et la Suisse a obtempéré, pas parce qu'elle était convaincue du fond de l'affaire, mais parce que les traités internationaux qui lient les pays l'y contraignaient.
Alors vivent les baleines sans doute, le Japon est probablement un Etat dont les geôles sont discutables quant à la qualité de vie, tout cela est certainement examinable, mais de grâce, sur la base d'un certain nombre de faits minimum ! Or les auteurs du texte se moquent de nous en ne nous les présentant pas. Cette position est simplement irrecevable et, par conséquent, nous rejetterons la résolution.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, suite à ma communication de tout à l'heure, une quantité effroyable de personnes se sont inscrites pour intervenir, donc il est possible que nous restions ici jusqu'à la fin de la soirée. Monsieur Matthieu Jotterand, vous avez la parole.
M. Matthieu Jotterand (S). Merci, Monsieur le président. En effet, vous ayant entendu vouloir mettre fin aux travaux et studieux que nous sommes, soucieux de traiter de multiples causes dans le monde, nous préférons continuer nos travaux, cette fois-ci sur une affaire qui ne nous touche pas directement, mais qui mérite malgré tout un petit peu de respect.
Vous pourrez transmettre ceci à M. Nidegger: il qualifie cet objet de foutaise alors qu'il n'est pas le dernier à présenter un peu tout et n'importe quoi et à ne pas forcément faire preuve de tout le respect qu'il devrait manifester dans sa fonction de député, notamment en taxant ce genre de texte de foutaise; on se souvient aussi d'un débat sur une résolution de son collègue UDC où il avait parlé de «pet dans l'eau». Si M. Nidegger s'ennuie tant que ça, il peut rentrer chez lui avant la fin des discussions, ça ne dérangera personne et il faut en effet se protéger de la chaleur, c'est très sage.
Pour le surplus, nous sommes ici saisis d'une proposition qui, sur le fond, ne changera peut-être pas énormément ce qui risque d'arriver, certes, mais il faut tout de même en dire un mot. C'est un peu David contre Goliath, et on doit pouvoir souligner que Paul Watson s'engage pour la planète, car ça nous concerne tous. Dès lors, Mesdames et Messieurs, nous vous recommandons de soutenir cette résolution. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient à Mme Bertolomucci... (Remarque.) Bartolomucci ! Excusez-moi, Madame.
Mme Céline Bartolomucci (Ve), députée suppléante. Ce n'est rien, j'ai l'habitude ! Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est avec une certaine émotion que je prends la parole quelques minutes pour défendre cette proposition de résolution, et je remercie au passage mon excellent collègue Cédric Jeanneret d'en avoir lancé l'idée. Je précise par ailleurs à l'attention de certains collègues ici que toutes les informations nécessaires à une prise de position sont exposées dans les sources mentionnées dans le texte ainsi qu'un peu partout dans la presse - du moins tant que celle-ci existe.
Paul Watson fait partie de ces personnes qui sacrifient une vie sans doute confortable pour une cause totalement altruiste et désintéressée. Alors oui, peut-être que la sauvegarde des baleines n'intéresse pas tout le monde, mais personne ne peut se montrer indifférent face au symbole que représente le risque d'emprisonnement, sans doute pour le restant de ses jours, de cet homme de 70 ans qui a consacré son existence à la défense de ces incroyables mammifères marins qui fascinent les humains depuis si longtemps.
Les défenseurs de causes, qu'elles soient humanitaires ou liées à la nature, sont finalement bien plus nombreux qu'on ne le croit de par le monde; ils sont nombreux également à finir leurs jours dans des geôles oubliées, loin de tout; selon plusieurs études, ils sont même de plus en plus à être réduits au silence de manière beaucoup plus violente, voire définitive. La défense des espèces menacées ne constitue pas un crime et ne devra jamais l'être. Paul Watson ne peut pas terminer sa vie derrière les barreaux, et pour l'aider, chaque geste compte. Chers collègues députés, les Verts et les Vertes vous demandent de voter en faveur de cette résolution et vous en remercient. (Applaudissements.)
M. Patrick Dimier (MCG). Juste pour dire que «cétacé», dit la baleine, je me «cachalot», car j'ai le «dauphin» ! (Exclamations.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Magnin.
Mme Danièle Magnin (MCG). Merci, Monsieur le président. Effectivement...
Le président. Vous avez trente secondes, Madame.
Mme Danièle Magnin. ...il s'agit d'un homme âgé qui ne disposerait pas des mêmes moyens que Carlos Ghosn pour s'échapper du Japon s'il devait y être envoyé; il y subirait certainement des choses extrêmement pénibles qui altéreraient sa santé et raccourciraient probablement ses jours. Voilà, Mesdames et Messieurs, je voulais surtout attirer votre attention sur le fait qu'il est important qu'on ne l'extrade pas au Japon. Merci.
Mme Christina Meissner (LC). Paul Watson, prétendument ami des baleines ? Mais il se bat depuis trente ans, il en a sauvé des milliers ! On s'indigne une fois, c'est la moindre par rapport à cet homme et à cette espèce qui ne nous a jamais fait de mal. Il faut faire preuve d'un minimum de respect. Merci. (Applaudissements.)
Mme Céline Zuber-Roy (PLR). M. Jeanneret a commencé sa présentation en expliquant qu'il n'aurait jamais imaginé parler d'un tel sujet dans cette assemblée. Eh bien je pense qu'il a raison: ce n'est pas le bon endroit pour en traiter. Comme vous le savez, Mesdames et Messieurs, les compétences de politique extérieure reviennent à la Confédération. Certes, vous voulez renvoyer ce texte à l'Assemblée fédérale, mais je vous fais remarquer que les Verts ont des élus au Conseil national, donc n'hésitez pas à utiliser ces relais pour y déposer directement vos textes. Ainsi, indépendamment du fait que le PLR désapprouve la chasse à la baleine, il refusera ce texte. (Applaudissements.)
M. Jacques Jeannerat (LJS). Pour les mêmes raisons que vient d'évoquer ma préopinante, nous n'allons pas rejeter cette résolution, mais avons opté pour la liberté de vote entre l'abstention et le oui. Ce n'est pas à ce Grand Conseil de traiter un tel sujet. Le problème est réel, je comprends bien; ce M. Watson, j'ai bien saisi, j'ai fait un peu sa connaissance ce soir, est un type foncièrement formidable, donc il faut le sortir de prison, oui, pourquoi pas ? Mais ce n'est pas un parlement régional qui doit en décider. Ainsi, notre groupe ne rejettera pas la résolution, mais s'accordera la liberté de vote entre l'abstention et le oui - pour ceux qui sont plus sensibles que moi.
Une voix. Drôle de liberté de vote !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. A présent, nous procédons au vote.
Mise aux voix, la résolution 1042 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 45 oui contre 20 non et 4 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)