République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 juin 2024 à 10h
3e législature - 2e année - 3e session - 15e séance
P 2213-A
Débat
Le président. Voici notre prochaine urgence: la P 2213-A. Le débat est classé en catégorie II, trente minutes, et je passe la parole à M. Barbey. (Commentaires.)
M. Alexis Barbey (PLR). Merci, Monsieur le président. Il s'agit ici très simplement d'amener devant ce Grand Conseil une situation un peu ubuesque qui nous a été rapportée par la crèche Eveil en forêt. Cette éco-crèche fonctionne très bien, accueille une trentaine d'enfants plusieurs jours par semaine et contribue à les éveiller aux activités en plein air. Elle a obtenu toutes les autorisations nécessaires pour exercer et devrait donc paisiblement continuer à recevoir ces enfants.
Il se trouve qu'une entité de l'Etat a imposé à la crèche de disposer d'une roulotte pour y faire dormir les petits, ce qui est tout à fait compréhensible, donc elle a commandé une roulotte. Tout avait l'air de bien se passer, tout avait l'air de rouler, si je puis dire, quand soudain, un autre département de l'Etat a interdit à la crèche d'installer cette roulotte sur son terrain. Ainsi, la crèche est tiraillée entre l'obligation - la nécessité, également - de disposer d'une roulotte pour la sieste des enfants et l'impossibilité de la placer sur sa parcelle.
La crèche ne peut pas s'extirper de cette situation qui est d'autant moins compréhensible que, par ailleurs, toutes les autorisations ont été reçues, et ce alors qu'il est assez difficile en soi pour un jardin d'enfants privé de réunir les conditions nécessaires pour se déployer. C'est pourquoi nous venons devant ce Grand Conseil demander au Conseil d'Etat, via cette pétition, de trouver une solution pour que la crèche Eveil en forêt puisse continuer à exercer et que la situation ridicule dans laquelle elle a été placée soit réglée directement au plus haut niveau. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je tiens à m'excuser auprès du rapporteur, M. Jean-Marie Voumard, car j'ai oublié de lui donner la parole en premier.
Une voix. Eh bien bravo !
Le président. Monsieur Voumard, vous avez maintenant la parole.
M. Jean-Marie Voumard (MCG), rapporteur. J'allais justement y venir, Monsieur le président. J'espère que ça ne se reproduira plus à l'avenir, merci.
Mesdames et Messieurs, la crèche Eveil en forêt a été créée en 2016. A l'époque, elle disposait d'une roulotte qui a brûlé peu avant le covid, voilà pourquoi elle a fait l'acquisition d'une nouvelle roulotte qui a coûté près de 70 000 francs et qui se trouve à l'heure actuelle dans le canton de Vaud, car elle ne peut pas être installée en zone agricole - le terrain sur lequel se réunit la crèche à Dardagny se trouve en effet en zone agricole.
Pour le reste, tout a été dit par mon préopinant. Je vous demande dès lors, au vu du délai... Oui, parce qu'actuellement, les enfants dorment dans un petit local mis à disposition par Pro Natura dans la maison située à côté de la parcelle. Pro Natura mettait ce lieu à disposition pour la sieste et les soins, mais cet arrangement prendra fin au mois de décembre de cette année, donc le délai est très court. Voilà pourquoi nous n'avons pas entendu le département à la commission des pétitions et avons décidé de voter l'urgence afin que cette pétition soit renvoyée rapidement au Conseil d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président.
Mme Christina Meissner (LC). Effectivement, c'est une situation pour le moins ubuesque dans laquelle se trouve cette crèche. Il faut savoir que les crèches en forêt rencontrent un énorme succès et qu'il n'y en a pas beaucoup. Celle-ci exerçait de manière tout à fait satisfaisante pour les enfants, pour leur bien-être. Aujourd'hui, une certaine instance de l'Etat l'oblige à disposer d'une roulotte pour que les enfants puissent y dormir tandis qu'un autre service de l'administration lui dit: «Non, il n'est pas possible d'installer une roulotte à cet endroit, car il s'agit d'une zone agricole.» Certes, mais le terrain n'a jamais été exploité en tant que tel: il se trouve derrière le centre nature de Pro Natura dans le vallon de l'Allondon, et l'Etat y a même planté des arbres à un moment donné !
Comment faire maintenant pour permettre à cette crèche, qui est vraiment utile et indispensable, de continuer à exercer pour le bien-être des enfants sachant que la parcelle ne manque certainement pas à l'agriculture et que, jusqu'à présent, l'Etat a fait preuve de bon sens ? Nous demandons à l'administration de continuer à faire preuve de bon sens, de placer la santé des enfants avant des considérations d'ordre technico-je ne sais trop quoi et de permettre à cette éco-crèche d'installer sa roulotte sur un terrain qui, je le répète, se trouve certes en zone agricole, mais n'est plus utilisé comme tel depuis des décennies. C'est la raison pour laquelle Le Centre soutient cette pétition et demande au Conseil d'Etat de faire preuve de bon sens. Merci beaucoup.
M. François Erard (LC). Comme l'a indiqué la préopinante, nous soutiendrons ce texte. Cela étant dit, la situation illustre parfaitement et de manière exemplaire ce que les agricultrices et agriculteurs genevois vivent régulièrement, confrontés qu'ils sont à une débauche administrative, à un manque total de bon sens de la part de certains pans de l'administration cantonale. Quelque part, je suis content de voir que le problème touche également d'autres secteurs et j'espère que cette affaire fera jurisprudence. Je vous remercie.
Des voix. Bravo !
Mme Lara Atassi (Ve). On peut faire le constat que la crèche Eveil en forêt répond à plusieurs problématiques rencontrées à Genève, d'une part la pénurie de places en crèche, d'autre part le souhait de nombreuses personnes de se rapprocher de la nature, de disposer d'espaces de verdure; c'est une demande que l'on retrouve très souvent dans les textes que nous traitons à la commission des pétitions.
Comme cela a été expliqué, cette éco-crèche est en danger, parce que le SASAJ exige un espace chauffé pour la sieste des enfants et que le local mis à disposition depuis quelques années ne le sera bientôt plus. La roulotte constitue une solution créative, mais qui a été refusée par le service de l'agriculture, une roulotte étant légalement considérée comme un bâtiment en dur.
Les Verts et les Vertes, comme tout le reste de la commission, ont considéré qu'au vu du court délai dont dispose la crèche, il était nécessaire d'agir immédiatement. En effet, lorsque des projets comme celui-ci sont utiles, rassembleurs et tournés vers l'avenir, nous autres, politiques, devons les soutenir par tous les moyens. Les potentiels obstacles légaux doivent stimuler notre créativité pour rechercher des issues plutôt que nous bloquer et nous placer dans des situations d'impasse comme celle-ci. C'est pourquoi nous soutiendrons le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, en espérant que cela l'encouragera ainsi que ses départements à trouver avec rapidité une solution pour la survie de cette crèche. Merci. (Applaudissements.)
M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs, la commission est unanime. Nous avons entendu uniquement les pétitionnaires, nous n'avons pas pris le temps d'auditionner les services de l'Etat pour une raison simple, c'est que nous sommes au mois de juin; si nous n'agissons pas vite, si nous attendons septembre ou octobre, l'existence même de la crèche est menacée, ainsi que nous l'avons compris, vu qu'elle ne peut tenir que jusqu'en décembre. On nous reprochera peut-être de ne pas avoir entendu le département, mais M. Hodgers pourra nous apporter les éclairages nécessaires.
Pour nous, il était important de donner un message politique, un message politique teinté d'incompréhension au vu des informations dont nous disposons, et puis d'un petit peu de tristesse, parce que quand on est face à un projet - mes collègues l'ont souligné - simple, efficace, qui répond à un vrai besoin - il manque des places en crèche - et qui plus est innovant, puisque les activités ont lieu en forêt, on se dit: «Cela doit être possible, la machine de l'Etat doit être capable de déroger à certaines règles, de discuter ou de déployer des moyens pour trouver des solutions.»
On l'a fait avec le bâtiment Soubeyran que les habitants voulaient maintenir - vous transmettrez au magistrat Hodgers, Monsieur le président, qui nous avait dit: «Oui, la maison est un peu proche des autres immeubles, mais on peut contrevenir au droit, il y a un maître d'ouvrage, je vais trouver une solution.» Nous voulons que l'Etat trouve une solution ici aussi et nous espérons que ce sera rapidement le cas, Monsieur Hodgers, nous vous prions de faire le nécessaire, éventuellement d'entente avec le DIP.
Dans un même registre, on peut citer la Source bleue. Je reviens brièvement sur ce sujet qui a été abordé hier, car c'est pareil: il y avait 1,6 poste - des logopédistes, des personnes spécialisées dans l'accueil, dans l'intervention précoce pour les enfants en difficulté aux Pâquis - et, tout à coup, on dit aux parents: «C'est fini. Il y avait 1,6 poste, vos enfants étaient pris en charge, eh bien ce ne sera plus le cas, ces gens vont être dispersés au sein du DIP, c'est comme ça.»
Mais ce n'est pas audible, ce n'est pas croyable que l'Etat, avec toute sa force et son intelligence, réponde ainsi à des habitants ! Et quand nous, élus, sommes du côté des pétitionnaires ou des personnes qui se mobilisent comme les mamans de la Source bleue, nous ne pouvons pas le tolérer. Le parti socialiste est heureux qu'il y ait une majorité large sur ce dossier et espère que des solutions seront trouvées pour ces enfants, pour ces parents et pour ce projet magnifique. Merci beaucoup.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, c'est vrai qu'on parle d'une majorité large, puisque tous les membres de la commission ont été indignés par cette situation, par l'absurdité de certaines décisions de l'administration. Il faut rappeler qu'il y avait déjà une roulotte sur place, mais que celle-ci a brûlé. La crèche a donc commandé une nouvelle roulotte confectionnée avec du bois suisse, qui s'intègre parfaitement dans le paysage; ce n'est pas une baraque de chantier, c'est une belle roulotte en bois. Nous comptons sur vous, Monsieur le conseiller d'Etat, pour que vous régliez rapidement cette affaire. Merci beaucoup.
M. Patrick Dimier (MCG). Je rappelle à cette assemblée que les enfants s'épanouissent dans la nature, rarement à l'ombre des règlements.
Une voix. Bravo.
Le président. Je vous remercie. Il n'y a plus de demande de parole, nous allons passer au vote... (Remarque.) Ah ! Allez-y, Monsieur le conseiller d'Etat.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. J'avais oublié d'appuyer sur le bouton, subjugué que j'étais par les différentes interventions ! Tout d'abord, Mesdames et Messieurs, le député Thévoz a anticipé ma réaction: en effet, je regrette que la commission n'ait pas pris le temps d'auditionner le département, parce que de nombreuses réponses aux questions que vous vous posez auraient pu être fournies dans un cadre construit. Mais non, on n'entend qu'une seule partie, on s'offusque et on fait le débat en plénière. Il s'agit d'un choix politique pour le moins questionnable.
Cela étant, imaginons brièvement un scénario d'avenir si le Conseil d'Etat vous suivait dans une demande très précise qui est de délivrer une autorisation de construire pour un bâtiment - du point de vue du droit fédéral, une roulotte constitue un bâtiment - en zone agricole, laquelle est, par définition, inconstructible. Il y aurait d'abord des rumeurs; ensuite, une requête LIPAD avec la saisie de documents. Que montreraient-ils ? Que les services ont rendu un préavis négatif, constatant la non-conformité à la zone de fond - c'est le document qui m'est remonté. En effet, il est illégal d'autoriser l'installation d'une roulotte en zone agricole.
Malgré cela, le magistrat ferait de la politique et déciderait d'aller de l'avant en contredisant l'administration. La Cour des comptes serait alors saisie, Mesdames et Messieurs les députés: un conseiller d'Etat qui opère le choix de ne pas écouter le préavis de ses services, mais quel scandale ! La Cour des comptes rendrait un rapport sanglant. A ce moment-là, CNews... euh, Léman Bleu, pardon ! (Rires.) ...ferait état d'une infamie au sommet de l'Etat. Cyril Hanouna... euh, non, Jérémy Seydoux s'exclamerait: «Hodgers nous a menti les yeux dans les yeux ! Il n'a pas respecté la loi alors que c'est inscrit noir sur blanc !»
Là-dessus, la commission de contrôle de gestion s'auto-saisirait de l'affaire, nommerait ses fins limiers Conti, Nidegger et Cerutti, qui enchaîneraient les séances de sous-commission; ils n'auraient pas le temps de lire tous les documents et mails qui leur seraient fournis, mais peu importe. A la fin, la députée Conti déclarerait: «Au lieu de respecter la loi, Hodgers s'est servi et a servi les intérêts de ses petits copains.» Parce qu'évidemment, on expliquera que cette éco-crèche regorge d'écolos-bobos, que ces gens sont proches des Verts, que le magistrat est Vert... et que tout cela n'est que Camorra et mafia, ajoutera en fin de débat parlementaire le député Baertschi.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce futur possible auquel toutefois je me refuse. (Remarque. Rires.) Je refuse que vous versiez à nouveau dans ce genre de démarche mortifère pour les institutions. La loi est claire: une roulotte, si elle est immobile, est assimilée à une construction en dur. C'est absurde... (Remarque.) C'est absurde, mais c'est le Tribunal fédéral qui le dit.
Une voix. Il faut changer la loi.
M. Antonio Hodgers. Ce n'est pas la loi, c'est le Tribunal fédéral ! C'est la jurisprudence fédérale ! De même, la zone agricole est un périmètre inconstructible. On ne peut y ériger des bâtiments que s'ils sont affectés à l'agriculture. Une crèche est-elle destinée à l'agriculture ? La réponse est non.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous rassure: le département cherche depuis des mois une solution à cette situation qui est effectivement ubuesque, parce que les personnes du comité de l'éco-crèche et leurs mandataires ont bien fait le job, ont avancé peu à peu avec une très bonne volonté. Mais au bout d'un moment, la loi, c'est la loi; bien sûr, je vous vois secouer la tête, on parle de bon sens - j'y reviendrai.
Pour la suite, la première chose à faire est de trouver un local provisoire. Jusqu'au mois de décembre, c'est Pro Natura qui le met à disposition. Nous essayons d'explorer d'autres possibilités. Le problème fondamental n'est pas tant la roulotte en soi, mais son positionnement: si celle-ci était installée en zone constructible ou proche d'un hameau, elle pourrait parfaitement remplir sa fonction. Il y a là un travail que le département s'engage à accomplir.
Mais tirons peut-être collectivement la morale de cette histoire, Mesdames et Messieurs les députés, parce que non, le Conseil d'Etat ne vous suivra pas dans une démarche illégale. En effet, vous demandez au Conseil d'Etat de délivrer une autorisation de construire illicite. Dans d'autres temps, on l'aurait fait. Dans d'autres temps, le bon sens aurait prévalu, on aurait dit: «Oui, c'est de la zone agricole, mais il y a un constat de nature forestière. La crèche y avait déjà une roulotte pendant des années; certes, elle ne disposait pas d'une autorisation, mais enfin, on continue comme ça.» Dans d'autres temps, on aurait admis que cette situation se trouve quelque peu dans une zone grise, le magistrat aurait pu faire de la politique et assumer cette zone grise.
Or ce n'est plus possible aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que de nos jours, eu égard à la culture de l'Etat dont vous venez de faire la démonstration sur le point précédent de l'ordre du jour, pour un porteur de projet dans l'administration, il y a trois contrôleurs: le contrôleur aux comptes, le contrôleur de gestion, le service d'audit interne. Ajoutez-y encore la Cour des comptes et la commission de contrôle de gestion, quand ce n'est pas le Ministère public ! Comment voulez-vous demander à des fonctionnaires de sortir de leur zone de confort et de prendre des risques avec la loi, quand bien même cette crèche en forêt sert le bien commun ?
Il s'agit vraiment d'un enjeu collectif, Mesdames et Messieurs. Toute la morale que vous venez de professer à propos de l'Etat dans le cadre du point précédent illustre un trend qui se résume à un rigorisme sans la moindre zone grise, où tout est noir ou blanc, et si l'on s'écarte ne serait-ce que d'une virgule de cette ligne, c'est la polémique assurée. La conséquence permanente de cette attitude pour notre collectivité comme pour d'autres ? Plus un seul fonctionnaire ne prend le moindre risque. Quand on demande à l'administration: «Est-il possible d'autoriser ?», elle répond: «Non, la loi dit que non, donc c'est un préavis négatif.» C'est ainsi que de magnifiques projets comme cette éco-crèche péclotent. Nous portons une responsabilité commune dans le fait d'accumuler bureaucratie, réglementation, procédure là où devraient primer innovation, courage politique et capacité à servir le bien public, et cela, Mesdames et Messieurs les députés, vous en êtes aussi grandement responsables.
Le Conseil d'Etat fera tout pour sauver cette crèche en forêt, mais ne violera pas la loi. Nous ne donnerons pas le plaisir à la commission de contrôle de gestion de s'aventurer une fois encore sur des champs qui, aux yeux du Conseil d'Etat, sont inadéquats. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. A présent, nous nous prononçons sur les conclusions de la commission, soit le renvoi du texte au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2213 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 82 oui et 7 abstentions (vote nominal).