République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 31 mai 2024 à 14h
3e législature - 2e année - 2e session - 8e séance
P 2186-A
Débat
Le président. Nous passons aux pétitions, traitées en catégorie II, trente minutes, en commençant par la P 2186-A. Le rapport de minorité de M. Geoffray Sirolli est repris par M. Alexis Barbey. (Brouhaha.) Je vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir garder le silence. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.
M. Jean-Pierre Tombola (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la commission a examiné en trois séances la pétition 2186. Comme indiqué dans l'intitulé de l'objet, les pétitionnaires, à savoir les assistants de l'Institut des hautes études internationales et du développement, demandent un salaire décent qui leur garantisse un meilleur accès à la protection sociale, à un logement et à des solutions de garde pour leurs enfants.
Les pétitionnaires rappellent que l'IHEID est subventionné par le canton à hauteur de 13 millions de francs et par la Confédération à hauteur de 15 millions, ce qui revient à une subvention publique de 30% de son budget. Les assistants réclament que le modèle de financement ou de rétribution soit calqué sur celui de l'Université de Genève et de toutes les autres universités de Suisse - le modèle du DIP est cité.
Suite à une décision de l'institut, à travers notamment sa direction mais aussi sa fondation, une évaluation a été menée. Cette dernière a abouti à la mise en place de réformes par l'IHEID. Cependant, celles-ci ne permettent pas d'appliquer le modèle de l'université au sein de l'IHEID. En effet, l'institut est une fondation de droit privé, quand bien même il est financé et subventionné à hauteur de 30% de son budget par la Confédération.
Un rapport de l'agence d'accréditation de qualité commandé en 2020 montre que le statut des assistants d'enseignement de l'IHEID pose problème: la situation contractuelle est particulièrement difficile pour eux, ce qui conforte leurs revendications. Les doctorants de l'IHEID réclament un salaire décent qui leur garantisse un meilleur accès à la protection sociale et leur permette d'effectuer leur travail sans prétériter leur santé. La majorité de la commission recommande le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Alexis Barbey (PLR), rapporteur de minorité ad interim. A quoi faisons-nous face avec cet objet ? On a affaire à une nouvelle pétition qui s'inscrit dans la mauvaise habitude, amenée par d'autres pétitionnaires avant ceux-ci, de faire intervenir le Grand Conseil dans des négociations salariales ou des négociations de conventions collectives de travail qui n'ont pas abouti. Je crois que c'est une dérive un peu malheureuse que de faire intervenir le politique dans ce genre de négociations, qui doivent se dérouler au sein des branches et non pas au Grand Conseil.
Qu'est-ce qu'on peut dire de l'IHEID ? C'est un institut qui jouit d'une grande autonomie dans la gestion de ses affaires internes, y compris pour les décisions budgétaires et contractuelles. Cette liberté de gestion lui donne la flexibilité de faire face à la concurrence internationale, qui fait rage dans le domaine des universités, en particulier pour les établissements qui traitent de géopolitique, dans la mesure où ces sujets sont extrêmement recherchés par les étudiants et donc aussi par les assistants.
Il faut dire aussi que les assistants et les doctorants qui choisissent de travailler à l'IHEID sont essentiellement volontaires: on ne leur a pas demandé de venir oeuvrer et d'avoir une profession au sein de cet institut. Ils auraient parfaitement pu rester étudiants et, à ce moment-là, accepter indirectement les conditions salariales qui leur étaient proposées. (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît, je demande au caucus du groupe UDC de se réunir ailleurs. Merci beaucoup.
M. Alexis Barbey. Merci, Monsieur le président. Je crois qu'il est aussi important de relever qu'une discussion permanente a lieu entre la direction et la représentation des étudiants. Ces discussions ont toujours été constructives et ont permis de trouver des solutions aux problèmes qui se posaient. Des réformes ont été embrayées pour que le statut des doctorants et des assistants de l'IHEID soit plus valorisant et à la hauteur de ce qui était attendu.
Je tiens à dire une dernière chose: le président de la fondation IHEID n'est autre que Charles Beer, et il nous a confirmé le fait qu'à l'heure actuelle, les étudiants ne considéraient plus cette problématique salariale et de conditions de travail comme prioritaire et qu'ils étaient arrivés à un point où les différentes parties qui prennent part aux discussions dont je vous parlais, à savoir d'un côté la direction et de l'autre les assistants et doctorants, ne considèrent plus qu'il s'agit d'une question jugée pertinente.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Alexis Barbey. Merci, Monsieur le président. Je crois donc qu'on est face à une ingérence du Grand Conseil, qui n'est souhaitée par personne, ni réellement par les assistants et doctorants, ni par la direction de l'IHEID; on répond à un problème qui ne nous a jamais été réellement posé. Par conséquent, je vous enjoins, et le groupe PLR avec moi, de ne pas interférer dans la souplesse d'action de l'IHEID et de refuser cette pétition.
Mme Christina Meissner (LC). Les assistants d'enseignement de l'IHEID se sentent, ou plutôt se sentaient lésés - il faut le dire au passé -, à cause de cotisations sociales prélevées sur 45% de leur activité d'assistanat, sans tenir compte de la bourse attribuée pour 30% de leur tâche de recherche. Pourquoi le dire au passé ? Parce qu'effectivement, des discussions ont eu lieu avec la direction de l'institut et que ce problème a été réglé.
Il faut savoir aussi que les assistants et doctorants qui s'engagent dans cet institut le font en toute connaissance de cause, car ils sont attirés par le prestige et les multiples opportunités qu'il offre. Ce choix - volontaire donc - est crucial pour comprendre dans quel contexte ils acceptent leur rôle et leur mission, y compris les termes de leur rémunération et de leur contrat.
L'attrait de cet institut ne réside pas seulement dans les cours qu'il propose, mais aussi dans les portes que ces enseignements ouvrent aujourd'hui à l'international. Le Graduate Institute - son autre nom - affiche un taux d'employabilité élevé parmi ses diplômés, notamment dans des secteurs prestigieux tels que la diplomatie internationale. Il offre accès à un réseau global d'anciens élèves et de professeurs influents, permettant des opportunités de collaboration et de développement professionnel.
Laissons l'IHEID gérer de manière autonome ses affaires internes. Le Centre refusera le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat et propose de la déposer.
M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, la majorité vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Nous n'avons probablement pas entendu la même chose que M. Barbey, rapporteur de minorité, parce que les signataires qui sont venus en commission, qui ont évidemment maintenu leur pétition et qui représentent les assistants, décrivent une situation d'extrême précarité, avec 45% de tâche d'assistanat rémunérés et une bourse de 30% pour un travail qui représente un 100%, voire davantage. Forcément, avec un salaire d'environ 3000 francs par mois, à Genève, il est extrêmement difficile, voire impossible, de vivre avec toutes les charges attenantes, notamment liées au fait que certains sont parents.
Surtout, selon les pétitionnaires, il y a un blocage du fait de l'institution, qui a refusé toute forme de négociations. Il s'agit donc bien de mettre notre nez là-dedans et de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, tout simplement parce que de l'argent public - 13 millions - est versé à l'IHEID. Concernant ces 13 millions, il est nécessaire qu'on reçoive des explications de la part du Conseil d'Etat sur la manière dont ils sont ventilés, distribués, et sur une éventuelle augmentation si vraiment il y a un manque de liquidités - ce que nous ne croyons pas, vu le budget de l'IHEID, vu la célébrité mondiale de cette entité, qui fonctionne avec des fonds privés à plus de 70%. Surtout, la modeste augmentation ou l'ajustement que demandent les assistants pour plus ou moins se caler sur les revenus, les salaires de l'Université, ne représenterait que 1% du budget global de l'institution.
On ne peut donc pas, comme le fait le rapporteur de minorité, dire en gros: «Il faut finalement que ces gens se nourrissent de prestige; il faut qu'ils acceptent leur exploitation parce que plus tard ils auront peut-être accès à des postes; il faut que ceux qui vont peut-être former l'élite de demain acceptent d'être payés moins que le salaire minimum parce que plus tard ils pourront regagner de l'argent.» Ça, ce n'est pas digne, ce ne sont pas des conditions qui nous semblent acceptables.
Puis, sur l'enjeu de fond, dire qu'il ne faut pas s'en occuper, que ça se joue entre les assistants exploités - ou qui se sentent exploités - et l'IHEID, qu'on n'a rien à voir là-dedans, ce n'est évidemment pas la politique que souhaite le parti socialiste. Il n'y a pas d'ingérence politique, le droit de pétition est constitutionnel et nous sommes saisis d'une pétition, il nous faut des explications de la part du Conseil d'Etat. Nous vous invitons donc chaleureusement à lui renvoyer cette pétition afin que la situation des étudiants s'améliore. Merci.
M. Patrick Dimier (MCG). Je souhaite juste insister sur l'aura mondiale de cet institut: plusieurs présidents, plusieurs chefs d'Etat, en exercice ou non, en sont sortis. Il est donc d'une immense utilité, pour la politique internationale bien sûr, mais aussi pour le rayonnement international de Genève. Nous devons faire tout ce qui est dans nos possibilités pour le conserver ici. Après, c'est une question d'argent, mais l'argent, ça se trouve, surtout à Genève ! Merci.
Mme Lara Atassi (Ve). Mesdames et Messieurs, c'est quoi, un doctorant ? Un chercheur, un enseignant, quelqu'un qui se spécialise de manière très pointue dans son domaine d'expertise ? Eh bien, c'est tout ça à la fois ! Ce cumul de tâches représente certainement un travail important, exigeant, auquel s'ajoute de plus en plus la pression de l'excellence qu'impose le milieu académique et scientifique.
Pourtant, l'IHEID, un institut financé pour un tiers par les collectivités publiques, considère qu'il est normal que ces premiers emplois soient un travail précaire, ne permettant pas de se loger correctement, de fonder une famille dans un cadre apaisé ou encore de cotiser complètement à sa prévoyance vieillesse - et cela parce que les doctorants seraient déjà trop chanceux de pouvoir travailler au sein de cet établissement.
Nous avons déjà vu cela, il est vrai dans une mesure bien plus dramatique, avec les stages non payés de l'ONU, que le film documentaire «Call me intern» avait contribué à mettre en lumière, pour lesquels on considérait que la chance de travailler dans une telle institution justifiait à elle seule la précarité de ces travailleurs.
Pour le groupe écologiste, le principe de base selon lequel lorsqu'on travaille, on doit être payé correctement et pouvoir contribuer de façon adéquate aux cotisations sociales est non négociable. En contribuant à la prolifération des savoirs et à la formation des étudiants, les doctorants de l'IHEID font un travail louable, qui mérite d'être payé correctement. Pour ces raisons, les Vertes et les Verts soutiennent cette pétition et son renvoi au Conseil d'Etat. Merci. (Applaudissements.)
M. Alexis Barbey (PLR), rapporteur de minorité ad interim. Je ne vais pas revenir sur les différents arguments qui ont été exposés, ils l'ont été avec suffisamment de clarté pour qu'il n'y ait pas besoin de les répéter, mais il y a deux choses sur lesquelles j'aimerais insister. Le premier élément, c'est que si ce Grand Conseil n'est pas obligé d'intervenir dans les affaires d'une institution qui tire deux tiers de ses revenus du privé, eh bien il ne devrait pas le faire. Ce n'est pas comme si 90% des revenus de l'IHEID provenaient du Grand Conseil; dans ce cas, naturellement, on devrait faire une convention d'objectifs et tout ce qui s'ensuit. Le Graduate Institute jouit vraiment d'une autonomie, acquise par les rapports favorables qu'il a avec l'industrie privée ainsi qu'avec les milieux internationaux, qui fait qu'il mérite cette indépendance par rapport au Grand Conseil.
Deuxièmement, doctorant ou assistant à l'IHEID, ce n'est pas une position qu'on acquiert pour la vie entière. Ce parcours est l'affaire de deux ou trois ans, au maximum cinq, pendant lesquels on doit effectivement faire un travail qui n'est pas extrêmement rémunérateur, mais c'est pour déboucher sur quoi ? Sur des places de diplomates, sur des places de consultant international, et donc des métiers extrêmement bien rémunérés. Par conséquent, je considère que le parcours de doctorant à l'IHEID, c'est un investissement, ce n'est pas une rente de situation dans laquelle le Grand Conseil devrait envisager que les étudiants puissent rester toute leur vie. A ce titre-là, je vous propose de refuser cette pétition et de la déposer sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je lance la procédure de vote sur le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2186 au Conseil d'Etat) sont rejetées par 48 non contre 31 oui et 1 abstention.
Le président. Nous votons à présent sur le dépôt de cette pétition.
Mises aux voix, les conclusions de la minorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2186 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 48 oui contre 6 non et 26 abstentions (vote nominal).