République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 31 mai 2024 à 18h
3e législature - 2e année - 2e session - 10e séance
M 2752-A
Débat
Le président. Nous enchaînons avec la M 2752-A (catégorie II, trente minutes). La parole échoit au rapporteur, M. Sylvain Thévoz.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de motion 2752 a été traitée en cinq séances où nous avons entendu l'OCAS (office cantonal des assurances sociales), Avenir Suisse, la FéGAPH, le comité du Club en fauteuil roulant de Genève, Inclusion Handicap, l'Hospice général et bien entendu le département. Le texte se base sur un article du «Temps», comme l'a souligné la première signataire, qui indiquait ceci: «Le canton de Genève enregistre à la fois le coût par demande de rente le plus élevé du pays et le taux d'octroi le plus haut, selon une étude d'Avenir Suisse». Partant de là, les motionnaires ont, en gros, fait un copier-coller de l'étude d'Avenir Suisse qui, en se fondant sur des chiffres, tirait cette conclusion.
Les auditions ont été édifiantes: elles ont démontré que le rapport d'Avenir Suisse reposait sur des données interprétées de manière erronée. En effet, tant les coûts mentionnés que la comparaison conduisant à dire que le canton de Genève est le mauvais élève de la Suisse sont inexacts. L'auteur utilise des chiffres officiels, mais les transforme pour appuyer un propos et exposer des idées de réforme de l'assurance de type plafonnement des dépenses.
L'étude, probablement en raison d'une méconnaissance du système de l'AI et tout particulièrement de ce à quoi peut ressembler un processus de réadaptation et de réinsertion, interprète de manière erronée, je l'ai dit, des données de base avec des a priori sur l'assurance-invalidité. Ce mécanisme occulte le vrai débat d'idées sur un sujet aussi important qui est celui de l'assurance-invalidité elle-même et de la réinsertion et jette l'opprobre sur les bénéficiaires de l'AI, qui sont réduits à de simples coûts et tenus pour responsables des dépenses de l'assurance qu'ils génèrent en raison de l'atteinte à leur santé.
La méthodologie adoptée n'est pas vraiment compréhensible et encore moins réplicable. Le concept qu'a retenu l'auteur, repris dans la motion, à savoir le coût par demande, n'a pas de sens dans le cadre de l'assurance-invalidité, car il existe plusieurs types de requêtes selon la prestation visée, par exemple des demandes de réadaptation de rente, d'allocation pour impotent ou encore de moyens auxiliaires. Je me montre un petit peu technique, mais cela vous permet de confronter ce que dit la motion à la réalité. Ainsi, un assuré peut être amené, dans le cadre d'une même atteinte à la santé ou du même cas d'assurance, à déposer plusieurs requêtes correspondant à différentes prestations; il peut également envoyer plusieurs demandes qu'on appelle subséquentes pour une prestation donnée et sur laquelle l'AI a déjà statué.
Voilà pourquoi il est faux d'affirmer, comme le fait l'étude, que les disparités intercantonales seraient dues à des différences d'interprétation de la loi fédérale ainsi qu'à des pratiques diverses s'agissant des mesures de réadaptation. Les offices AI sont des organes d'exécution de la loi fédérale régis par l'unité de doctrine; la loi n'est en aucun cas interprétée, mais simplement appliquée. En revanche, les situations individuelles, celles des assurés, sont différentes et, partant, appréciées en fonction de leurs particularités et du contexte socio-économique local dans lequel elles s'inscrivent. C'est d'ailleurs ce qu'exige la législation.
Mesdames et Messieurs, cette motion se base sur des préceptes erronés et en conclut des propositions qui ne sont pas applicables. C'est la raison pour laquelle la commission vous invite à la refuser, vous remercie de ne pas y donner suite. Les auteurs, comme je l'ai relevé et ainsi que les auditions l'ont démontré, n'ont pas pris suffisamment le temps d'analyser l'avis des professionnels de l'assurance-invalidité. Merci.
Mme Emilie Fernandez (Ve). Comme le MCG l'a expliqué en commission, cette motion a vu le jour sur la base d'un article de presse. Les cinq séances que la commission a dédiées à l'étude de ce texte ont montré deux choses. Premièrement, la demande ne convainc pas, car la solution argovienne présentée comme un exemple à suivre ne s'applique pas au contexte genevois. Deuxièmement, les données de l'étude d'Avenir Suisse sur laquelle se fonde l'objet ne sont ni vérifiées ni vérifiables. Par conséquent, tant sur le fond que sur la forme, cette motion ne peut être acceptée, et notre groupe la refusera. (Applaudissements.)
M. Thierry Oppikofer (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je n'étais pas membre de la commission à l'époque, mais j'ai lu l'entier des PV et du rapport et je n'en ai pas du tout la même interprétation que mes préopinants. Le groupe PLR s'étonne: l'étude d'Avenir Suisse - qui, d'ailleurs, n'est pas vraiment l'objet de la motion, mais juste son déclencheur - aboutit au fait que Genève détient le coût par demande de rente ainsi que le taux d'octroi les plus élevés du pays. Alors évidemment, on peut interpréter tous les chiffres, vous connaissez la phrase de Churchill: «Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées.»
Mais tout de même, Avenir Suisse est peut-être une horrible officine néolibérale, mais elle a utilisé une méthode - je l'ai vérifiée - qui est celle de l'OFAS (Office fédéral des assurances sociales) - sans doute aussi une officine néolibérale dangereuse -, lequel l'a donc validée. Il est assez curieux que nos amis de gauche estiment que toutes ces données sont fausses, que les gens ne connaissent rien à l'AI et que leurs conclusions sont erronées.
Revenons-en simplement à l'expérience argovienne - qui ne s'applique pas à Genève, puisque nous sommes toujours meilleurs, bien entendu: il s'agit d'un guichet unique permettant de coordonner toutes les demandes et de limiter, disons, les risques de confusion et de perte de temps pour les bénéficiaires de l'AI; eh bien ce n'est prétendument pas comparable, nous ne pouvons pas faire pareil, tout comme nous ne pouvons pas non plus appliquer le même système qu'à Lausanne, qui a été présenté par le conseiller d'Etat Apothéloz lors de son audition; non, Lausanne, c'est très différent également.
Au final, que demande cette motion ? Tout simplement de renforcer la collaboration interinstitutionnelle entre l'office de l'assurance-invalidité, les ORP et l'Hospice général, non pas dans une logique néolibérale, comme cela a été soutenu lors des débats, mais en vue d'une meilleure efficacité et, quand c'est possible, dans le but de favoriser la réinsertion. Aussi, le groupe PLR vous invite à accepter ce texte. Merci.
Une voix. Bravo.
M. André Pfeffer (UDC). Dans la droite ligne de ce qui vient d'être indiqué, je répète que cette motion se base sur le constat que Genève enregistre le coût par demande de rente le plus haut et le taux d'octroi le plus élevé de Suisse. L'article de presse donne un exemple: «La charge par requête atteint 46 300 francs, soit près d'un tiers supérieur à la moyenne suisse.»
Les invites demandent peu de choses. D'une part, «étudier la faisabilité pour les offices régionaux de placement (ORP) d'offrir leurs prestations, en collaboration avec les services sociaux [...]». D'autre part, s'inspirer de l'expérience du canton d'Argovie en étudiant un peu plus sérieusement ce modèle.
La particularité de cette motion, c'est qu'en commission, le vote a abouti à une exacte égalité, il y avait donc match nul. De manière générale, les représentants de la droite ont approuvé le texte tandis que le même nombre de commissaires, soit la gauche et le PDC - aujourd'hui Le Centre -, l'ont refusé.
Le rejet est largement motivé par l'étude d'Avenir Suisse, une institution qui, visiblement, ne jouit pas d'une grande crédibilité auprès de la gauche, surtout - surtout ! - quand Avenir Suisse propose une solution visant à plafonner le budget par mesure de réinsertion, comme le suggère cette étude.
La deuxième chose à dire au sujet de l'exemple argovien, c'est qu'il donne des résultats positifs en termes d'économies des prestations sociales, mais ce modèle a été balayé d'un revers de main uniquement en raison de certaines limites: l'Argovie ne serait pas Genève, il s'agirait d'un autre contexte, etc. Mesdames et Messieurs, vu qu'il y a eu match nul au niveau du vote des commissaires, je vous propose d'accepter cette motion. Merci de votre attention.
Mme Patricia Bidaux (LC). Mesdames et Messieurs les députés, nous voilà à nouveau plongés dans l'archéologie de nos textes parlementaires, puisque cette motion date du 15 avril 2021, soit d'il y a tout juste trois ans et un mois. Le texte est basé sur un article de journal établissant le constat que notre canton enregistre le taux de demandes de rente le plus haut et la charge par requête la plus élevée de Suisse. Au-delà des chiffres, le remède proposé consiste en une coopération entre les ORP et les services sociaux afin de renforcer la collaboration institutionnelle.
Je rappelle ici qu'entre le moment du dépôt du texte et le vote de ce jour, nous avons adopté une loi qui s'appelle la LASLP, qui n'est autre que la loi sur l'aide sociale et la lutte contre la précarité, laquelle, dans des articles spécifiques, prévoit l'augmentation de cette collaboration et étaie la réinsertion sociale. Pour Le Centre, nous pouvons donc avancer sans craindre quoi que ce soit: les choses sont faites, les choses seront faites, et il convient dès lors de refuser cette motion. Je vous remercie.
Mme Ana Roch (MCG). Dans cette motion, comme l'ont souligné mes préopinants de droite, l'accent est mis sur la collaboration interinstitutionnelle, un aspect que le MCG soutient et considère favorablement. Il est important de rappeler que l'assurance-invalidité est principalement axée sur l'attribution ou le refus de prestations.
Le MCG croit que les efforts pour réinsérer efficacement les individus sur le marché du travail pourraient être intensifiés, notamment à travers des initiatives de l'Hospice général ou de l'OCE. Si la coopération interinstitutionnelle constitue un élément positif, pour agir avec efficience, il est essentiel de s'assurer que les personnes impliquées soient réellement équipées, on ne peut pas juste engager des gens pour gérer les prestations.
La commission était divisée sur la question, les voix étant partagées équitablement entre six pour et six contre. Nous maintenons notre soutien à ce texte afin de poursuivre la réflexion sur des actions proactives similaires à celle entreprise par le canton d'Argovie quant à la prise en charge des bénéficiaires de rentes AI et à leur réinsertion dans le monde du travail. Merci.
Mme Sophie Demaurex (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, au fond, cette motion visant une meilleure insertion des travailleurs laisse entendre - permettez-moi le raccourci - que les bénéficiaires de l'AI seraient de mauvais élèves. D'abord, on comprend que la réinsertion est vue comme un moyen de réaliser des économies à court terme plutôt que comme un outil d'émancipation des personnes concernées et un investissement à long terme.
Si le budget par mesure de réinsertion est plafonné, alors oui, il existe un risque de faire de la réinsertion au rabais, voire de devoir y renoncer dans certains cas. Je vous pose la question: est-ce que plus on fait de la réinsertion, moins on octroie de rentes ? La réalité est bien plus complexe. De nombreuses personnes pourraient travailler à temps partiel, mais cela ne permettrait pas pour autant de se passer complètement des rentes. Si le taux d'invalidité est inférieur à 20%, il n'y a pas de mesures de réinsertion. Et s'il y a reclassement professionnel par une formation, cela ne garantit pas forcément une place de travail.
Bref, l'invalidité est traitée en silos selon qu'on se place du point de vue de l'AI, de l'Hospice général ou de l'office cantonal de l'emploi. Chacun ses concepts, faut-il forcément un mauvais élève ? Si on examine le dossier des bénéficiaires touchés dans leur santé et dans leur capacité de travailler, il semblerait plutôt que les experts soient sévères dans leur calcul du taux d'invalidité. Alors, mauvais élèves ou mauvais professeurs ?
Dissertons plutôt sur une approche plus globale des droits, une approche visant l'autonomisation des personnes concernées, une approche pas exclusivement basée sur les coûts, une approche qui garantit l'objectivité des expertises ordonnées.
Le sujet est plus que d'actualité, je le rappelle, puisque jusqu'au 15 juin, nous fêtons dans toute la Suisse les dix ans de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. A Genève, vous verrez des affiches au coeur de la thématique, par exemple sur le droit à l'emploi consacré à l'article 27. Parce que oui, les personnes handicapées ont droit à un travail librement choisi ou librement accepté, un travail inclusif et accessible. Pourtant, le taux d'emploi des personnes en situation de handicap reste inférieur à la moyenne.
Le président. C'est terminé, Madame la députée, merci beaucoup.
Mme Sophie Demaurex. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Le président. Monsieur le rapporteur, vous n'avez plus de temps de parole, votre groupe l'a épuisé. A présent, Mesdames et Messieurs, je vous invite à vous prononcer sur ce texte.
Mise aux voix, la proposition de motion 2752 est rejetée par 42 non contre 35 oui et 1 abstention (vote nominal).