République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 3 mai 2024 à 16h
3e législature - 2e année - 1re session - 4e séance
M 3017
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous reprenons le traitement des urgences avec la M 3017, dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole au premier signataire, M. Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'objectif de cette motion est extrêmement simple: il s'agit de relancer une action qui avait été conduite pendant la période covid, à savoir les bons du terroir. Pourquoi proposons-nous cela ? Parce que le monde agricole subit énormément de pression, est pris en tenailles entre diverses exigences, des contraintes locales, mais aussi une concurrence internationale. Ce point a très bien été mis en évidence lorsque nous avons voté la résolution 1031 «pour que la colère des paysannes et des paysans suisses ne reste pas lettre morte». Le présent texte consiste à décliner ce principe général sur un plan extrêmement local. En raison du contexte international, les coûts de production pour les agriculteurs et les agricultrices augmentent de façon sérieuse, et je pense qu'il est utile de donner un coup de pouce à ceux-ci.
Pendant la pandémie - je l'ai mentionné tout à l'heure -, l'opération a eu passablement de succès, puisqu'on a réussi à écouler 32 000 bons pour une valeur totale de 6,3 millions. C'est donc le chiffre d'affaires qui a été réalisé par les personnes ayant participé, en plus de leur résultat ordinaire. En fait, 20% du prix des bons était subventionné par l'Etat. Cette action a été réussie, et nous estimons qu'il est opportun aujourd'hui de la relancer, car les effets s'estompent. Durant la crise du covid, les professionnels qui effectuaient de la vente directe ont consenti passablement d'investissements afin de mettre en place des infrastructures de vente, et ce serait dommage, à nos yeux, que celles-ci soient perdues.
Concrètement, nous proposons une période qui s'étend de juin à septembre. Pourquoi de juin à septembre ? Tout simplement parce que c'est à cette saison que la production est la plus importante et que les acheteurs et acheteuses potentielles sont alors souvent en vacances. Il nous semble donc judicieux de relancer cette opération à ce moment.
J'ajouterai pour conclure que plusieurs groupes dans cette assemblée ont été intéressés par notre proposition. Je signale juste qu'un certain nombre de députés parmi nous font de la vente directe: ils sont soumis à l'article 24, n'ont pas signé la motion et ne s'exprimeront pas non plus, mais ils et elles n'en pensent pas moins. Mesdames et Messieurs, je vous invite à soutenir cet objet qui permettra de soutenir le monde agricole local. Je vous remercie.
M. Jacques Jeannerat (LJS). Comme l'a souligné mon préopinant, les bons du terroir ont été créés dans le contexte de la crise du covid. L'opération avait pour objectif de venir en aide financièrement aux paysans et de promouvoir l'économie et l'agriculture locales dans des temps difficiles - on s'en souvient, mon préopinant les a mentionnés.
Ce système a bien fonctionné, notamment au creux de l'été - et c'est d'ailleurs la période proposée dans la motion, de juin à septembre -, à un moment où la vente directe chez les agriculteurs est peut-être moins active que le reste de l'année. Le texte prend aujourd'hui un sens encore plus particulier avec le gel qui a touché un certain nombre d'exploitants et de vignerons.
Le dispositif des bons du terroir présente deux avantages. D'une part, c'est un soutien aux producteurs locaux, mais aussi une sensibilisation de la population genevoise à la consommation locale, aux magnifiques produits de notre canton. D'autre part, le principe est bon pour l'environnement. Consommer local, on le sait bien, est bon pour la planète: on diminue l'effet de serre, on favorise l'économie locale, on promeut les producteurs de chez nous. Le groupe LJS soutiendra cette motion. Je vous remercie.
Mme Sophie Demaurex (S). Mesdames et Messieurs les députés, nous savons tous combien il est important de soutenir nos producteurs locaux: ils sont le coeur battant de notre économie et contribuent à la préservation de notre patrimoine culinaire. Cependant, il semble que pendant l'été, les achats auprès des agriculteurs diminuent.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette baisse. Parmi elles, les périodes de vacances et de voyages hors de Genève, l'engagement à long terme nécessaire pour aider l'agriculture locale, l'accessibilité des marchés en plein air et la préférence pour les supermarchés. Il est donc essentiel que nous trouvions les moyens de promouvoir les producteurs genevois tout au long de l'année, y compris pendant l'été.
Une solution pourrait être de relancer la délivrance de bons du terroir, ce que cette motion vous propose. L'initiative a déjà fait ses preuves et pourrait être adaptée à la période estivale pour encourager les consommateurs à se fournir auprès de nos producteurs locaux. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que ceux-ci reçoivent le soutien dont ils ont besoin, quelle que soit la saison. Pour cette raison, je vous recommande d'accepter cet objet. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
M. François Erard (LC). Beaucoup de choses ont déjà été dites sur cette motion. La vente directe a connu un âge d'or durant la période covid: les frontières étant fermées, les consommateurs se sont notamment rabattus sur les magasins à la ferme, mais malheureusement, dès que les frontières ont été rouvertes, beaucoup ont repris leurs mauvaises habitudes, si je peux les qualifier ainsi. La baisse de fréquentation a été tellement importante que certaines exploitations - je pense à la ferme de Budé, spécialiste dans les produits bio - se sont retrouvées dans une situation dramatique.
Il s'avère que le principal grief formulé par les gens qui n'achètent plus auprès des producteurs est le prix: c'est trop cher. Ce n'est pas forcément juste, mais enfin, c'est le reproche qu'ils expriment. Dès lors, relancer l'action des bons du terroir, qui offre une réduction de 20% sur les prix affichés, permettrait de redonner un petit coup de «boost», si je puis dire, à cette activité et habituerait surtout les consommateurs à venir à nouveau dans les fermes. On sait - heureusement ou malheureusement - que le prix constitue un facteur prépondérant et joue un grand rôle dans l'acte d'achat.
Cette opération, fruit d'une collaboration entre GenèveAvenue, l'OPAGE et l'office cantonal de l'agriculture et de la nature, a très bien fonctionné la dernière fois, cela a été relevé: 32 000 bons ont été distribués, pour un chiffre d'affaires total de 6,3 millions. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, chers collègues, je vous invite à soutenir cette motion. Merci.
Une voix. Bravo, François.
Le président. Je vous remercie. La parole est à Mme Bidaux pour une minute et des poussières.
Mme Patricia Bidaux (LC). Merci, Monsieur le président. Je prends la parole en mon nom propre, puisque je suis touchée par l'article 24. Cela étant, je tiens à signaler, avec toute l'amitié que je porte à M. le député Eckert - vous transmettrez -, qu'il n'est pas admissible qu'on utilise l'article 24 pour donner mon préavis sur cette motion. Je vous remercie de bien vouloir transmettre, Monsieur le président, que lorsque l'on est concerné par l'article 24, on ne prend pas position. Je serais reconnaissante que les autres députés n'expriment pas mon point de vue à ma place. Je vous remercie.
Une voix. Bravo.
M. Pierre Eckert (Ve). J'ai oublié de vous signaler une chose, Mesdames et Messieurs: j'ai déposé un amendement à cette motion. En effet, les personnes qui représentent le monde agricole nous ont rendus attentifs au fait qu'il y avait un risque que ce dispositif entre en concurrence avec d'autres aides accordées par l'Etat en raison de la situation de gel connue récemment ou du contexte international. Aussi, je propose un amendement stipulant que le soutien offert par l'opération des bons du terroir ne doit en aucun cas entrer en collision avec d'autres subventions allouées par le canton. La nouvelle invite est formulée de la façon suivante: «à affecter un budget spécifique à cette action sans empiéter sur d'autres aides qui pourraient être attribuées à l'agriculture». Je vous remercie de soutenir cet amendement.
M. Jacques Béné (PLR). Chers collègues, je suis désolé, mais je vais un petit peu détonner au milieu de ce concert de louanges sur cette motion. Ce n'est pas qu'on n'entend pas soutenir l'agriculture, au contraire, nous voulons une agriculture pérenne et durable. D'ailleurs, rien dans le texte ne fait mention à une agriculture durable; pour une fois, les Verts ne proposent pas quelque chose en lien avec l'urgence climatique, la durabilité ou le bio ! Mais malheureusement, Mesdames et Messieurs, je pense que ce parlement doit rester raisonnable: nous ne nous trouvons pas dans une période de crise.
Les bons du terroir avaient été mis en place à l'époque du covid parce qu'il n'y avait carrément plus de consommation. Il n'y avait plus de consommation ! Alors quand j'entends aujourd'hui qu'il faut relancer l'action sous prétexte que durant l'été, on vend un peu moins de produits agricoles dans notre canton... Dans ce cas, il faudrait aussi discuter d'aides aux restaurateurs, parce que pendant la saison estivale, il y a beaucoup moins de monde dans les établissements, les gens partent en vacances, comme cela a été indiqué, et ne vont donc plus manger au restaurant. Dans la construction également, on observe une dégradation de l'activité.
Dans les considérants de la motion, il est mentionné que «les coûts de revient pour les paysans et les paysannes augmentent». Les coûts de revient pour les paysans et les paysannes augmentent ? Mais enfin, ils augmentent dans toutes les branches de notre canton ! On pourrait encore citer les boulangeries: en été, il y a moins de clients dans les boulangeries, parce que les Genevois partent en vacances. Les dernières statistiques démontrent très clairement qu'il y a un net repli, que les perspectives sont moroses dans le commerce de détail, mais pas que dans l'alimentaire, aussi dans le non-alimentaire.
Ce que je vous propose de faire, Mesdames et Messieurs, parce que pour ma part, j'aimerais bien obtenir davantage d'informations sur tous les éléments qui concernent cette motion, c'est de la renvoyer en commission. D'une part, une base légale est nécessaire; aujourd'hui, il n'y en a pas, le Conseil d'Etat devrait nous soumettre un projet de loi à ce sujet.
D'autre part, je souhaiterais un bilan du dispositif des bons du terroir - qu'a-t-il réellement apporté à l'économie ? -, de la situation et des perspectives non seulement pour l'agriculture, mais également pour les autres secteurs d'activité: y a-t-il vraiment trop de production en été, enregistre-t-on des pertes, des stocks sont-ils perdus parce qu'ils ne sont pas consommés ? Ou bien s'agit-il juste d'une aide ponctuelle par, je ne vais pas dire corporatisme, mais plutôt populisme, parce qu'on est dans le «trend» avec l'agriculture et qu'il faut la soutenir à tout prix ?
Je suis très surpris - et je terminerai sur ce point - que les Verts aient déposé cette motion et pas directement un projet de loi, ce qui aurait été beaucoup plus rapide. Je vous recommande dès lors, Mesdames et Messieurs, pour faire le point et avec une possibilité réelle de soutien de notre part, de renvoyer ce texte en commission. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je mets cette proposition aux voix.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 3017 à la commission de l'économie est rejeté par 53 non contre 27 oui.
Le président. Nous passons au vote sur l'amendement de M. Pierre Eckert consistant à ajouter la nouvelle invite suivante: «à affecter un budget spécifique à cette action sans empiéter sur d'autres aides qui pourraient être attribuées à l'agriculture».
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 52 oui contre 27 non et 2 abstentions.
Mise aux voix, la motion 3017 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 58 oui contre 17 non et 5 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)