République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 1 mars 2024 à 18h05
3e législature - 1re année - 9e session - 61e séance
M 2903-A
Débat
La présidente. Nous continuons le traitement des urgences avec la M 2903-A, pour laquelle une demande de lecture du courrier C 4121 a été acceptée. Je donne la parole à Mme Bidaux. (Brouhaha pendant la lecture du courrier.)
La présidente. Je sais que la lecture est longue, mais si on pouvait écouter la personne qui fait l'effort de lire le courrier, ce serait sympathique. Comme d'habitude, n'hésitez pas à sortir pour discuter ! (Remarque.) C'est votre parti, Monsieur Nidegger, qui a demandé la lecture. (Rires. Applaudissements.)
Je vous remercie, Madame Bidaux, de cette lecture. A présent, nous pouvons traiter la M 2903-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et la parole est au rapporteur de majorité, M. Stéphane Florey.
M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Tout d'abord, vous transmettrez mes remerciements à Mme Bidaux pour cette lecture, longue il est vrai, mais fort intéressante au vu des éléments développés, qui nous ont été quelque peu cachés par le département. En effet, à la lecture du rapport, ce qui est développé dans ce courrier est d'autant plus intéressant que cela se retrouve au coeur du problème soulevé par le département, comme cela nous est apparu au cours de nos travaux.
L'élément principal est que le département a fortement appuyé sur les périodes d'étiage: il n'y aurait plus assez de débit, ce serait nuisible aux poissons, ça poserait d'énormes problèmes, alors que, comme on peut le lire sur la dernière page, c'est quand même un élément primordial qui nous a été caché - puisque encore une fois, à aucun moment ça n'a été mentionné -, à savoir la modification du débit des trois canaux le long de la Versoix. Cela a inévitablement eu un impact majeur sur le débit de la Versoix lui-même. Avec un débit constant, sans ces modifications, il est d'une évidence imparable que ça n'aurait eu aucun impact sur l'étiage et une baisse de débit en été d'une rivière comme la Versoix ! Cet élément nous a été caché, je le maintiens et le redis ici.
Pour ce qui est des poissons, les deux usines hydroélectriques ont toujours pris toutes les mesures justement en faveur d'aménagements pour faciliter la vie des poissons. Il est également évident que ce n'est pas un barrage qui est nuisible aux poissons, c'est totalement faux, ce qui nuit aux poissons, c'est justement le genre de travaux qui ont été effectués pour réduire ces fameux débits et qui ont inévitablement pour effet de réchauffer l'eau de la rivière. C'est ça qui est parfaitement nuisible à ces poissons. Encore une fois, ce sont des éléments qui plaident totalement en faveur du maintien de ces deux usines hydroélectriques.
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Stéphane Florey. Merci, Madame la présidente. Concernant la motion, il faut se poser deux questions fondamentales: est-ce qu'on peut se passer de production locale et est-ce qu'on en a tout simplement les moyens ? Voilà les deux seules et uniques questions que nous devons nous poser aujourd'hui. La réponse est bien évidemment non, au vu des fréquentes annonces du Conseil fédéral selon lesquelles en cas de forte pénurie, on serait soumis à certaines restrictions - ce qui, pour un pays comme la Suisse, est fortement scandaleux. Nous ne pouvons bien évidemment pas appuyer ce genre de propos, alors que nous avons là un bon outil, certes modeste, puisque ces deux usines hydroélectriques ne couvrent malheureusement que trois cents ménages mais également deux entreprises relativement importantes de notre canton. Nous ne pouvons donc pas décemment dire: «Ok, on ferme, c'est fini !» Non, c'est purement de la démagogie. Il faut donc voter cette motion, soutenir le maintien de la production locale, qui est une des meilleures solutions qu'on puisse apporter pour quelque peu faire face à la pénurie d'électricité.
Dernière chose, même économiquement - et ça, c'est clairement mentionné -, l'impact est relativement important: Jean Estier SA mentionne une perte de chiffre d'affaires de 200 000 francs. Je suis désolé, à un moment donné, soit on prend nos responsabilités et on compense ces pertes... Encore une fois, il faut absolument maintenir ces deux productions locales. Je vous remercie.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais replacer cette motion dans un contexte plus global. On parle ici d'une production d'électricité de 1 gigawatt-heure: c'est la production annuelle alléguée de ces deux installations sur la Versoix. J'aimerais placer ce chiffre en regard des 30 térawatts-heure que le «Mantelerlass», l'acte modificateur unique, doit permettre d'obtenir d'ici à 2035, soit 30 000 fois plus que ce qui est produit sur la Versoix.
Nous allons voter sur cette loi au mois de juin, et devinez qui s'y oppose, l'UDC et quelques-uns de ses proches. C'est donc assez piquant que les mêmes qui s'opposent à la production de 30 TWh de renouvelable viennent maintenant nous faire la leçon sur 1 GWh. Depuis quarante et un ans, les Vertes et les Verts ont promu les énergies renouvelables et les économies d'énergie, tout en préservant les milieux naturels. Cela alors que d'autres en étaient encore au «tout pétrole» et à la construction d'autoroutes à travers campagnes et forêts.
Toute production d'énergie va d'une façon ou d'une autre impacter les milieux naturels. Tout projet énergétique doit arbitrer entre la production attendue et son impact environnemental. Le «Mantelerlass» respecte cet équilibre en maintenant des standards environnementaux minimaux.
Ce même arbitrage doit être effectué dans le cas de la Versoix. On ne parle pas simplement de maintenir des truites dans la rivière, mais aussi de tout un milieu naturel de faune et de flore largement reconnu au niveau national. Pour maintenir des standards minimaux, il faudrait investir 1,5 million de francs - ça, ça n'a pas été dit tout à l'heure. Qui va les payer ? Les propriétaires ? L'Etat ? Les communes ? Les consommateurs ? Poser la question, c'est y répondre. Sans compter que si on injectait cet argent dans le programme éco21 à la place, on obtiendrait de façon pérenne des économies d'énergie bien supérieures à 1 GWh.
L'arbitrage entre énergie et nature doit être effectué au cas par cas. Dans le cas de la Versoix, la balance penche selon nous plutôt dans le sens de la préservation du milieu naturel. Pour des raisons environnementales tout comme pour des raisons économiques, nous vous invitons donc à rejeter cette motion. (Applaudissements.)
M. Adrien Genecand (PLR). La fin de l'intervention de mon collègue Pierre Eckert, rapporteur de minorité, résume en fait bien le problème, Mesdames et Messieurs les députés. Pour les Verts, à la fin, il y aura toujours une truite ou une autre espèce animale pour empêcher la construction et la production d'énergie renouvelable.
Le groupe PLR, qui soutient fortement la production d'énergie renouvelable, le constate littéralement à chaque fois: des éoliennes sur les crêtes du Jura aux panneaux solaires dans les Alpes, en passant par la production hydroélectrique le long de la Versoix, il y aura toujours pour les Vertes et les Verts - puisqu'ils aiment s'appeler ainsi - la possibilité de s'opposer à la production d'énergie renouvelable.
Eh bien, Mesdames et Messieurs, que ce soit 1 GWh... Présenté ainsi, c'est vrai que cela paraît peu, mais il faut rappeler que ça représente trois cents foyers. Les Vertes et les Verts préfèrent expliquer que trois cents foyers ne doivent pas pouvoir allumer la lumière en hiver ou en été pour sauver quelques truites qui ne peuvent pas redescendre les barrages à poissons. A la fin, Monsieur Eckert, c'est de ça qu'il s'agit. On peut toujours philosopher en amont et en aval du barrage à poissons et de la grille, la réalité, c'est qu'à la fin, vous vous opposez à la production d'énergie renouvelable. Je reprendrai la parole après.
La présidente. Je vous remercie. Je rappelle toutefois qu'on s'adresse à la présidence. La parole est à Mme Bartolomucci.
Mme Céline Bartolomucci (Ve), députée suppléante. Merci, Madame la présidente. Je ne sais pas si vous avez vu l'information parue dernièrement, mais pour une fois, l'ensemble des médias - que ce soit la RTS, «Le Temps», le «Blick», «Radio Lac», etc. - se sont accordés pour dire la même chose: le mois de février a été exceptionnellement chaud en Suisse et le printemps le sera encore plus. Selon MétéoSuisse, la température entre le 1er et le 13 février a dépassé de 4° à 6° la norme des années 1990 à 2000 sur une grande partie du territoire suisse.
Souvenez-vous également de l'été dernier, qui a vu les 40° régner sur le territoire genevois pour le plus grand malheur des cultures, de la faune, de la flore et évidemment des humains. La problématique autour de la ressource en eau est aujourd'hui partout, et c'est tant mieux, parce que nous avons tendance à oublier qu'il s'agit d'une ressource vitale pour tous et toutes, et pas seulement pour les centrales hydroélectriques. Le bassin versant de la Versoix abrite plusieurs réserves naturelles, la zone concernée englobe les bois et la rivière et est classée à l'inventaire fédéral, ce qui correspond à des dispositions strictes s'agissant de protection de la biodiversité. Plusieurs espèces menacées, dont l'ombre et la truite - que j'aime beaucoup en effet ! - ne se trouvent que dans la Versoix et leur mortalité aujourd'hui de plus en plus forte est directement liée aux divers aménagements que l'on trouve sur ce cours d'eau, aménagements dont les effets délétères sont renforcés par la sécheresse et la hausse des températures.
Le directeur de l'OCEau lui-même a expliqué en commission que les passes à poissons installés sont inefficaces. Les fédérations de pêche ont expliqué que les installations actuelles conduisent à la mort certaine les poissons, qui soit sont trop gros et restent coincés sans savoir où aller, soit sont trop petits, passent à travers les grilles et se font broyer par les turbines. La décision du Conseil d'Etat de fermer ces deux barrages, appuyée par la justice - rappelons-le ici encore une fois -, correspond à une logique non seulement environnementale mais également économique, car les mesures d'assainissement requises par la Confédération sont estimées aujourd'hui à plus de 1,5 million de francs. Serait-il vraiment raisonnable de payer une telle somme pour le maintien d'un barrage obsolète qui alimente seulement trois cents foyers, alors que le programme éco21 des SIG permet à lui seul d'économiser la consommation de 80 000 ménages ? Comme l'a dit le rapporteur de minorité, qui paiera cette somme exorbitante pour un si petit intérêt ?
Evidemment, en tant que Verte, je suis on ne peut plus consciente de la crise énergétique, mais il est important de la traiter de manière efficace avec une pesée des intérêts éclairée. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Il existe de multiples possibilités de compenser cette production modeste, notamment avec des mesures de lutte contre le gaspillage, comme le programme éco21. Avec sa décision de démanteler ces ouvrages, l'Etat, soutenu par une décision de justice, a fait son devoir.
La présidente. Il vous faut conclure.
Mme Céline Bartolomucci. Peut-être pourrions-nous essayer de sauver la Versoix de la même réputation que le Rhône, qui est aujourd'hui l'un des pires fleuves européens pour la faune et la flore. Les Verts et les Vertes vous invitent donc à refuser cette motion. (Applaudissements.)
M. Stefan Balaban (LJS). La situation est à notre sens très simple: sur le plan principiel, si on prend en considération le fait que notre production énergétique avoisine les 25%, si on prend également en compte que notre approvisionnement énergétique est incertain, je dirais qu'il est inutile et contreproductif de ne pas vouloir maintenir la concession de cette usine hydroélectrique, tout comme il serait, disons, non convenable de ne pas construire de nouveaux barrages à Genève - comme celui de Conflan, que nous avons proposé. Je tiens également à souligner que les barrages sont le symbole de la Suisse: nos barrages sont une fierté suisse et ils nous fournissent la majorité de notre énergie. Il ne faudrait donc pas retirer cette concession.
Si on nous dit que le projet est de développer l'attractivité et le tourisme de la pêche, j'en prends acte, mais il ne s'agit pas de discuter ici du tourisme local à Versoix ou à Collex-Bossy. Au contraire, il faut que nous maintenions notre souveraineté énergétique. D'ailleurs, cette dernière est un des huit défis du plan directeur de l'énergie, écrit et proposé dans le contexte de l'urgence climatique. Par conséquent, nous vous invitons à maintenir la concession de l'usine hydroélectrique de Versoix. Merci.
M. Jean-Pierre Tombola (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le groupe socialiste s'abstiendra sur cet objet. Je précise les raisons qui le poussent à prendre cette décision. Notre groupe soutient toute initiative visant à développer les énergies renouvelables, propres et de production locale. Tout projet visant la transition énergétique est louable. Dans le cadre du travail en commission, lors des auditions, des éléments techniques et des informations suffisantes qui ont été donnés ont permis de faire la pesée des intérêts par rapport à cette exploitation. Il est évident que le groupe socialiste comprend les préoccupations des propriétaires de la centrale de Richelien dans la mesure où elle permet, selon eux, de produire de l'électricité pour trois cents ménages et de préserver le patrimoine historique.
Toutefois, il a été indiqué que le Conseil d'Etat avait retenu par arrêté le non-renouvellement de la concession. Cet arrêté a été attaqué en justice, et la justice a rejeté le recours. De plus, lors des travaux de commission, il a été indiqué aux commissaires que le principal bailleur de fonds - en quelque sorte - de la centrale avait décidé de se retirer, raison pour laquelle l'invite de la proposition de motion a été amendée pour demander encore au Conseil d'Etat d'intervenir auprès de la commune de Versoix, notamment pour pouvoir racheter cette centrale.
On constate qu'une pesée des intérêts a eu lieu; on comprend bien aussi la volonté de développer les énergies renouvelables, propres et produites localement. Le groupe socialiste a donc décidé de s'abstenir sur cette motion. Je vous remercie beaucoup. (Applaudissements.)
M. Christian Steiner (MCG). J'aimerais mettre en perspective ce que représente le gigawatt produit par cette petite centrale hydroélectrique. Si on devait remplacer ce gigawatt - c'est-à-dire principalement la nuit ou en hiver - avec de l'électricité importée d'Allemagne, cela voudrait dire que notre voisin allemand devrait générer un surplus d'énergie. Ce serait probablement de l'énergie produite avec du charbon; or, ce gigawatt d'électricité produite avec du charbon, c'est 1000 tonnes de CO2. C'est donc loin d'être négligeable.
Un autre élément est la mise en perspective des projets solaires. La Ville de Genève publie quelques chiffres sur les projets solaires menés sur le patrimoine immobilier de la Ville de Genève: entre 2001 et 2019, c'est-à-dire sur près de vingt ans, on arrive à produire l'équivalent de la consommation de 165 ménages. On peut donc sérieusement douter du plan fédéral qui devrait permettre de multiplier par sept la production solaire.
Après, pour ce qui est de la biodiversité, on a appris dans le traitement de cet objet - je précise que je suis plutôt néophyte en matière de biodiversité - que la Versoix reçoit de l'eau relativement polluée depuis sa source en France. On s'aperçoit aussi que chez les truites de la Versoix, il y a du repeuplement, ça veut dire qu'on relâche des truites d'élevage. Pour un néophyte, ça voudrait dire qu'on renonce à 1 gigawatt pour qu'une truite d'élevage puisse remonter et redescendre la Versoix avant d'être pêchée et finir dans le beurre chaud d'une poêle.
Par rapport à ça, si on voit qu'on renonce à ce gigawatt de courant juste pour le plaisir d'un pêcheur, dans une rivière où un barrage existe depuis quand même cent trente-cinq ans, ce qui a dû permettre à la biodiversité de s'adapter, on se dit que les grands objectifs climat du Conseil d'Etat, ça ressemble plus à du «greenwashing» qu'à une réalité. Merci. (Applaudissements.)
M. François Erard (LC). Chers collègues, à nouveau, on marche sur la tête. On marche sur la tête parce que d'un côté, on a des politiques, des demandes sociétales en faveur du renouvelable, pour gagner en sécurité énergétique, et puis, d'un autre, on fusille des installations qui sont là depuis de nombreuses années - cela a été évoqué par mon préopinant - au prétexte qu'elles nuiraient - je le mets au conditionnel - à la biodiversité.
Pour moi, une des solutions au problème est la décentralisation des productions d'énergie. Ça reste très important, mais ça ne plaît pas à notre principal fournisseur d'électricité, les SIG, qui perdent ainsi la mainmise sur la production énergétique à Genève et qui préfèrent investir 1,5 million dans une piste cyclable de 200 mètres de long - qui est d'ailleurs horrible du point de vue de son impact - et faire de la communication là-dessus.
Par conséquent, j'ai l'impression que nous devons rester pragmatiques et nous rappeler l'adage selon lequel quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. A mon avis, nous devons soutenir cette motion, mais je précise que le groupe Le Centre a retenu la liberté de vote. Je vous remercie.
Une voix. Très bien !
La présidente. Merci. La parole est à Mme Meissner pour une minute trente.
Mme Christina Meissner (LC). Merci, Madame la présidente. Vous comprendrez pourquoi Le Centre a la liberté de vote ! (Exclamations.) Eh oui, parfois il faut choisir et c'est quelquefois très difficile; le «en même temps», ça ne marche pas souvent, Monsieur le conseiller d'Etat, vous retiendrez - enfin, vous transmettrez, Madame la présidente. (Rires.) En l'occurrence, en ce qui concerne la Versoix, ce n'est pas quelques poissons, c'est toute une zone d'importance nationale, c'est un biotope de zone alluviale unique, c'est un joyau de notre canton et il faut le prendre comme un tout.
En l'occurrence, la justice a tranché. Elle a fait la pesée d'intérêts et a reconnu que le département avait eu raison, dans sa propre pesée d'intérêts, de choisir pour une fois la nature et ses droits. Alors ayez aussi un peu de respect pour cette nature. Je rappelle que demain a lieu l'ouverture de la pêche et que tous les pêcheurs ne sont pas des gens insensibles à la nature, ce sont des sentinelles des rivières. Il faut les remercier d'avoir sonné l'hallali sur cette rivière, qui mérite d'être sauvée. J'invite donc à refuser cette motion. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Genecand pour une minute quarante.
M. Adrien Genecand (PLR). Merci, Madame la présidente. Vu que les gigawatts-heure préoccupaient le collègue Pierre Eckert - vous lui transmettrez -, c'est peut-être l'occasion de rappeler à ce plénum la réalité des flux d'énergie que l'on consomme. Je tiens à dire d'abord qu'un tiers des flux concerne l'électricité, un autre tiers englobe le gaz naturel et le reste, ce sont les énergies fossiles, que vous abhorrez en général dans une large partie de cet hémicycle. Donc nous ne parlons ici que d'un tiers de notre consommation, Mesdames et Messieurs, sans tenir compte du CERN - si on l'incluait, il faudrait rajouter un 1,2 TWh - ni des livraisons de carburant aux avions.
Je veux vous dire ensuite que quand on parle de l'électricité, soit ce fameux tiers de notre consommation, et qu'on entre dans le détail notamment en ce qui concerne la production renouvelable, ce fameux 1 GWh, qu'on estime méprisable au sein du groupe des Verts, représente déjà 20% de ce qu'est la production dans ce domaine-là, qui ne comporte que 6 GWh. Mesdames et Messieurs, les panneaux solaires, c'est 57; Verbois, c'est 3900; et l'ensemble de la consommation de ce canton atteint 2700 GWh. Alors évidemment, ce gigawatt-heure, ce n'est pas grand-chose, mais comme on ne produit pas ou très peu de renouvelable en dehors de l'hydroélectrique au fil du Rhône, du Seujet jusqu'à Verbois, en réalité, si vous ne voulez ni construire de panneaux solaires, ni maintenir en activité des mini-usines hydroélectriques, il faut simplement le dire et assumer.
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Adrien Genecand. Peut-être que la solution, Madame la présidente, ce sera de revenir sur cette question philosophique du nucléaire - parce qu'effectivement, on va devoir se la poser. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Lionel Dugerdil pour quarante-cinq secondes.
M. Lionel Dugerdil (UDC). Merci, Madame la présidente. Je vais essayer d'être très bref. J'aimerais ramener un peu de rationalité dans ce débat, vis-à-vis des opposants, qui nous disent qu'il ne faut pas développer l'infrastructure à cet endroit. J'aimerais juste leur rappeler que le barrage existe déjà, que le mal a été fait, qu'on parle juste de maintenir une production existante. Ce sont les mêmes qui veulent du durable qui s'y opposent finalement. Comme l'a dit mon préopinant, il faudrait être clair pour une fois et savoir ce qu'on veut.
On a parlé de ce lieu comme étant le dernier où il y a de l'ombre et de la truite à Genève; il faudrait s'intéresser un peu aux cours d'eau, parce qu'il y en a dans plein d'autres rivières, notamment dans celle qui coule près de chez moi, qui s'appelle l'Allondon. Enfin, utilisons au moins des arguments qui sont justes et non pas des arguments fallacieux. Si vous ne voulez plus d'électricité et souhaitez qu'on vive à l'âge de pierre, dites-le tout de suite. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Je cède le micro au rapporteur de minorité pour trente-cinq secondes.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente, je serai rapide. On l'a dit, il n'y a pas que l'aspect de la truite, c'est un milieu naturel qu'il faut préserver. En tant qu'opposants à cette motion, nous avons le soutien du WWF, de Pro natura et de Mme Meissner ! (Rires.)
Une voix. Merci !
M. Pierre Eckert. J'aimerais encore dire - vous transmettrez, Madame la présidente - que les Verts ne sont pas du tout contre les énergies renouvelables.
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Pierre Eckert. Nous soutenons avec enthousiasme l'acte modificateur unique, même si la biodiversité peut en être atteinte. Nous soutenons les éoliennes, le solaire, en montagne et partout. Cela fera partie de la solution. Ce n'est pas vrai que nous nous opposons à toute installation ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci. Monsieur Florey, vous n'avez plus de temps de parole. Je cède le micro au président du Conseil d'Etat, M. Antonio Hodgers.
M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, merci pour ce débat intéressant. Vous le savez, le département du territoire est constamment appelé à faire ce qu'on appelle une pesée des intérêts. Qu'est-ce qu'une pesée des intérêts ? C'est mettre le curseur entre deux choses souhaitables - voire parfois trois ou quatre. La transition énergétique est souhaitable, la protection de la biodiversité est souhaitable. Il n'y a donc pas de choc de principes ici, mais un arbitrage, ce qui correspond à la réalité qui, souvent, est celle d'un exécutif. Cet arbitrage, vous l'avez entendu, s'est fait cette fois en faveur de la nature, de la biodiversité.
Je dois dire que certains propos tenus lors de ce débat me surprennent. Bien sûr que l'enjeu climatique est une préoccupation majeure, mais la chute de la biodiversité, la sixième grande extinction des espèces, est un enjeu tout aussi important pour l'humanité, Mesdames et Messieurs les députés. On parle du socle du vivant. Il ne s'agit pas, Monsieur Balaban, d'un simple lieu touristique pour faire plaisir aux pêcheurs du dimanche. Lorsqu'on parle de réserve naturelle, on parle des fondamentaux de la vie, dont l'être humain dépend - nous ne sommes qu'une émanation de la nature, nous n'avons pas la maîtrise complète. Je pense qu'un certain regard philosophique s'est exprimé ce soir, comme si la nature était finalement un pot de géraniums que l'on a sur son balcon pour faire joli. Non ! Ce qui se joue ici comme ailleurs, à toute petite échelle ici, à Genève, et à l'échelle globale de la planète, eh bien ce sont les grands équilibres. Si vous aimez la crise climatique, vous allez adorer la crise de la biodiversité que l'on connaîtra, pour les agriculteurs, pour l'accès à l'eau, pour l'accès à la nourriture, pour l'hygiène de vie.
Bien entendu, sur cette question-là, on aurait pu maintenir la centrale, il s'agit d'un petit projet. Mais certains propos entendus ce soir illustrent l'ampleur avec laquelle le grand travail des Verts durant ces quarante dernières années sur la question climatique et énergétique a porté ses fruits, puisque tout le monde est pour la transition énergique, mais démontrent également à quel point ce même parti a encore du pain sur la planche pour la reconnaissance du grand défi de la biodiversité au niveau mondial.
Alors pourquoi, sur cette question-là, l'arbitrage a-t-il été fait par le Conseil d'Etat - qui a eu la liberté de vote ! (Rires.) - en faveur de la biodiversité ? Eh bien, tout simplement parce qu'effectivement nous avons mis en balance la production de ce gigawatt-heure, qui représente un tiers de la consommation du jet d'eau... On fait un jet d'eau un peu plus petit et on obtient l'équivalent ! (Remarque.) Je sais que ce serait une atteinte au symbole un peu viril de Genève. (Commentaires. Rires.) Il s'agit donc d'un niveau de production extrêmement modeste; par contre, s'agissant des intérêts de la nature et de la biodiversité - ils ont été décrits -, il en va de la continuité biologique, de la qualité des étiages, à laquelle on est de plus en plus sensible, y compris dans le secteur agricole, en plus évidemment de la pêche, de la maîtrise des températures, de la diminution des exfiltrations nappe-rivière, du lien avec les affluents. C'est donc tout un écosystème que nous entendons améliorer. Il est vrai qu'au cours du siècle passé, on a parfois eu une emprise trop forte sur la nature. Si on a la possibilité de réintroduire un peu plus de nature sans que ça représente un dégât trop important, on doit le faire.
Cet arbitrage concerne un projet en particulier. Dans bien d'autres dossiers, nous devons, ma foi, sacrifier un bout de nature en faveur ici d'une piste cyclable, là d'une centrale hydraulique, ailleurs d'une zone d'activités. C'est ainsi, notre territoire est exigu, nous devons faire des choix sur chaque mètre carré. Ici, le choix a été fait en faveur de la biodiversité, ce qui a été confirmé par les tribunaux. Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat n'entend pas et ne pourra pas revenir en arrière sur cet arrêté. (Applaudissements.)
La présidente. Merci. Nous procédons au vote sur cette proposition de motion.
Mise aux voix, la motion 2903 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 53 oui contre 20 non et 12 abstentions (vote nominal).