République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 1031
Proposition de résolution de François Erard, Patricia Bidaux, Jacques Blondin, Christina Meissner, Sébastien Desfayes, Jean-Marc Guinchard, Xavier Magnin, Souheil Sayegh, Thierry Arn, Florian Dugerdil, Jacques Jeannerat, Stéphane Florey, Michael Andersen, Jean-Pierre Tombola, Lionel Dugerdil, Philippe de Rougemont, David Martin, Cédric Jeanneret, Julien Nicolet-dit-Félix, Sophie Bobillier, Céline Bartolomucci, Pierre Eckert, Marjorie de Chastonay, Laura Mach, Thierry Oppikofer, Geoffray Sirolli, André Pfeffer, Uzma Khamis Vannini, Alexis Barbey, Daniel Noël, Adrien Genecand, Patrick Lussi, Yves de Matteis, Emilie Fernandez, Léo Peterschmitt, Diane Barbier-Mueller, Charles Poncet, Raphaël Dunand, Murat-Julian Alder, Alexandre de Senarclens pour que la colère des paysannes et des paysans suisses ne reste pas lettre morte (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 29 février et 1er mars 2024.

Débat

La présidente. Nous traitons l'urgence suivante, soit la R 1031 qui est classée en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à son auteur, M. François Erard.

M. François Erard (LC). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, chers collègues, vous l'aurez sûrement entendue, la colère gronde chez les paysannes et les paysans; elle gronde dans plusieurs pays d'Europe - en Espagne, en Pologne, en Allemagne - et commence à se manifester aussi en Suisse. Jusqu'à maintenant, cela s'est traduit par des actions, je dirais, beaucoup plus calmes que celles que nous pouvons observer chez nos voisins français: il y a eu des panneaux retournés - parce qu'on marche sur la tête -, un grand feu dans la commune de Bernex samedi dernier, une action réunissant plusieurs dizaines de tracteurs hier soir à Perly.

Malgré un cadre politique très différent de celui de l'Europe, la plupart des revendications de nos collègues paysans européens peuvent être reprises en Suisse. Quelles sont-elles et quels sont les problèmes rencontrés ? Tout d'abord, il y a un manque de reconnaissance ainsi qu'une perception biaisée de l'agriculture au sein de la population; alors pas dans ce cénacle, parce que je sais que vous adorez tous l'agriculture, la genevoise en particulier, mais d'une manière générale, on rencontre quand même un problème de reconnaissance.

Vous vous souvenez peut-être que durant la crise du covid, quand les frontières ont été fermées, les consommatrices et consommateurs sont venus en nombre sur les marchés à la ferme, et c'était un immense plaisir pour nous de les accueillir, mais dès que les frontières ont été rouvertes mi-juin 2020, eh bien tout le monde est reparti faire ses courses en France et le tourisme d'achat a repris de plus belle.

Un autre facteur qui a aussi semé pas mal de découragement, ce sont les initiatives populaires à répétition: les initiatives dites «phyto» de 2021, puis celle contre l'élevage intensif en 2022. La population paysanne a souvent été stigmatisée, désignée à tort comme étant responsable de tous les maux du monde ou encore de maltraitance animale. Tout cela a causé des blessures qui peinent à cicatriser de même qu'un profond découragement.

Ce découragement est d'autant plus prégnant que les revenus de la branche se détériorent. A l'instar d'autres secteurs de l'économie, nos frais de production augmentent - tout ce qui est carburant, engrais, etc. -, mais en tant que secteur primaire, nous ne pouvons pas les répercuter sur le prix de nos produits. Cela est en partie dû à la situation du marché en Suisse qui comprend un duopole d'acheteurs. Les deux grands distributeurs décident des prix sans tenir compte de l'augmentation des charges. Sans parler du problème de répartition de la valeur sur toute la chaîne: aujourd'hui, quand vous achetez pour 1 franc de produits agricoles, seuls 30 centimes reviennent aux producteurs.

Le dernier point concerne la charge administrative. En 1996, le peuple suisse a adopté l'article 104 de la Constitution à une grande majorité.

La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. François Erard. Oui, merci. Que dit cet article 104 ? Que les paysans et paysannes doivent prioritairement fournir de l'alimentation à la population - c'est la sécurité alimentaire - et, d'un autre côté, fournir des prestations non marchandes: biodiversité, occupation décentralisée du territoire et beaucoup d'autres choses encore. Voilà ce qui définit les paiements directs.

Le problème, c'est que l'administration fédérale a créé un monstre sur la base de cet article 104 de la Constitution, un monstre administratif: la seule ordonnance sur les paiements directs fait 160 pages, compte 118 articles, un florilège de cent mesures. Sur ces 160 pages, il y en a soixante qui décrivent les mesures et cent qui expliquent comment les appliquer, les contrôler et surtout sanctionner les éventuels «fraudeurs», entre guillemets. En effet, la présomption d'innocence n'existe pas en droit agricole: chaque paysan est contrôlé plusieurs fois par année, parce que considéré comme, oui, un fraudeur, ce qui est peu admissible.

Je ne vais pas vous citer les cinq invites de la proposition de résolution, puisqu'elles tentent d'apporter des solutions aux éléments que j'ai évoqués plus haut, mais je souhaite tout de même rappeler, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, que l'agriculture constitue un domaine stratégique pour notre sécurité alimentaire. L'agriculture a pour mission première de procurer à la population la nourriture dont elle a un vital besoin, parce que nous devons tous nous nourrir au moins deux fois par jour.

J'aimerais ici adresser un mot à mon collègue Nidegger - vous transmettrez, Madame la présidente - qui, comme chacun le sait, n'est pas un aficionado des résolutions renvoyées à Berne: je précise que celle-ci fait partie d'un ensemble de mesures et de textes qui ont été lancés par différents cantons, donc elle n'est pas isolée, ce n'est pas un «one shot», elle relève vraiment d'une action coordonnée.

Je terminerai en signalant que les paysannes et paysans suisses n'ont qu'un souhait: vivre décemment de leur métier. Ils sont désireux de remplir leurs missions constitutionnelles - je les évoquais tout à l'heure -, d'oeuvrer à la conservation d'une agriculture suisse de qualité et de travailler la terre dans le respect de la nature et des écosystèmes. C'est ce qu'ils expriment aujourd'hui au travers de leurs diverses manifestations. Aidons-les, Mesdames et Messieurs, à atteindre ces objectifs en soutenant cette résolution, ce que je vous invite bien sûr à faire. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Lionel Dugerdil (UDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, la politique agricole, tout comme celle des prix d'achat dans la grande distribution, pousse les agriculteurs suisses à ne plus produire, avec toutes les conséquences que cela implique. Les manifestations de colère représentent le moyen qu'ont trouvé les paysans pour sensibiliser le monde politique ainsi que la population à leurs difficultés.

Les revendications des agriculteurs suisses sont les mêmes depuis longtemps, et le mouvement initié actuellement vise à ce qu'elles ne soient pas seulement écoutées avec complaisance par les politiciens en période électorale, mais enfin entendues et mises en oeuvre.

Les agriculteurs veulent un revirement net de la politique agricole et que la production de nourriture redevienne la mission première de l'agriculture indigène; ils veulent des prix rémunérateurs pour leurs produits; ils veulent de la transparence sur les marges des transformateurs et de la grande distribution; ils veulent la fin de la concurrence déloyale favorisée par le libre marché. Le libre-échange, Mesdames et Messieurs, ne peut fonctionner que lorsque les règles sont les mêmes pour tous les protagonistes, ce qui n'est pas le cas dans l'agriculture.

Les agriculteurs veulent la fin de cette inflation administrative totalement incontrôlée; ils veulent également la fin des attaques frontales contre la production indigène stigmatisant les paysans lorsqu'ils remplissent leur mission de producteurs. Les agriculteurs ne sont pas les ennemis de la nature et encore moins de la population, ils sont au contraire les premiers partenaires du consommateur.

Il faudra, ces prochaines années, sans parler des conséquences que cela aura, que la population suisse se prononce clairement: voulons-nous encore une production indigène, vertueuse, de proximité, durable ? Auquel cas il s'agira de revoir totalement la politique agricole actuelle et de donner les moyens aux agriculteurs de produire.

Pour le groupe UDC, la première condition d'une agriculture vertueuse est la proximité; c'est la seule façon d'assurer la transparence et d'éviter des transports aussi polluants qu'inutiles. Pour ces raisons, l'UDC acceptera cette résolution, vous encourage à en faire de même et félicite tous ceux qui oeuvrent pour que la révolte agricole aboutisse à un renforcement de la production indigène. Merci. (Applaudissements.)

M. Philippe de Rougemont (Ve). Attention à ne pas se tromper de cible, nous avertit Blaise Hofmann dans son livre «Faire paysan». A Berne, là où la droite est aussi très majoritaire, ce sont les groupes agro-industriels qui font la loi: la CISA, la fenaco et les trusts orange Coop et Migros, qui reversent seulement 30 centimes aux paysans pour chaque franc que nous dépensons encore dans leurs magasins. Où sont ces groupes-là quand les paysans ont besoin de perspectives d'avenir ? Où est l'espoir pour un meilleur auto-approvisionnement de la Suisse ? Ces groupes agro-industriels sont défaitistes devant un défi majeur.

A l'OMC, c'est la même chose. Pour l'instant, les représentants de la Suisse à l'OMC votent oui quand il s'agit de forcer les Etats membres, dont la Suisse, à importer des aliments issus de pays aux pratiques agricoles que nous interdisons à juste titre dans les fermes helvétiques. La réponse n'est pas d'autoriser à nouveau des procédés nuisibles qui mettent en danger nos sols et les personnes qui y travaillent; la réponse est de cesser d'importer ces denrées qui ne respectent pas nos standards.

A ce sujet, l'UDC fédérale, qui prétend défendre les paysans en Suisse, appelle toujours à voter oui aux accords de libre-échange. En effet, lors des dernières votations nationales, l'UDC suisse a préconisé l'acceptation des accords de libre-échange; on se souvient de celui sur l'Indonésie.

Les Verts soutiennent sans hésitation cette excellente résolution adressée à Berne. A Genève, nous disposons aussi d'une certaine marge de manoeuvre en la matière, et le processus a déjà commencé. Toutefois, il reste encore du chemin à parcourir: des revenus dignes dans l'agriculture, des logements pour les employés dans les fermes ou à proximité, un accès facilité à la terre sur les terrains agricoles de l'Etat, par exemple, la promotion des circuits courts dans la restauration collective.

C'est là que des majorités sont nécessaires à Genève, ici et maintenant, donc j'invite les élus de cette assemblée et ceux siégeant à la commission de l'environnement à voter systématiquement en faveur de tout ce qui peut favoriser davantage la production locale genevoise, notamment GRTA. Votons oui avec enthousiasme à cette résolution et pensons également à toujours bien agir à Genève. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Tombola (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette résolution soulève des questions d'importance pour le monde paysan, mais aussi pour nous toutes et tous. Pourquoi ? Parce que nous sommes liés à l'agriculture d'une manière ou d'une autre, notamment de par notre alimentation. Depuis des semaines, nous voyons des paysans qui manifestent à gauche, à droite, dans les pays européens, mais également en Suisse. Lorsque des tracteurs défilent sur la route, ce n'est pas anodin; ces engins sont destinés à rester sur les exploitations, et tous les jours de manifestation sont des jours de travail en moins à la ferme.

La Constitution suisse, à ses articles 104 et 104a, régit la question de la sécurité alimentaire de la population. Mais comment assurer la sécurité alimentaire lorsqu'on est inquiet ? Comment assurer la sécurité alimentaire lorsqu'on est soucieux de l'avenir de son exploitation, lorsqu'on est préoccupé par l'avenir de son métier ? Chacun doit pouvoir vivre de sa profession.

Lorsque la grande distribution verse 30 centimes au producteur sur 1 franc dépensé par le consommateur, il est clair que 70% des recettes restent quelque part. La grande distribution a un rôle à jouer, or elle soutient à tout moment les accords de libre-échange au niveau bilatéral, mais aussi à l'échelle multilatérale, notamment au sein de l'OMC. Ces questions doivent être débattues de façon à ce que les agriculteurs puissent vivre décemment de leur métier. Je le répète, chacun doit pouvoir vivre de sa profession.

Cela est extrêmement important, parce que l'agriculture, au-delà de la production alimentaire, doit garantir l'entretien des paysages, la gestion des ressources naturelles de même que leur continuité. La production de proximité est fondamentale non seulement pour notre canton, mais également pour notre pays. Il est aberrant de voir des produits venus de l'autre bout du monde exposés dans les grandes surfaces et concurrencer les produits locaux, c'est une absurdité.

Nous souhaitons que la droite change d'avis, elle qui refuse de payer par exemple 1 franc le litre de lait - elle s'y est toujours opposée. Des mesures contraignantes peuvent réellement contribuer à rétribuer correctement nos paysans. Pour cela, le groupe socialiste votera cette résolution avec enthousiasme et vous propose de faire de même. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

M. Raphaël Dunand (LJS). Chers collègues, il y a 26 ans, à l'âge de 15 ans, je choisissais la voie de l'apprentissage. Trois belles années formatrices, tant sur le plan humain que professionnel. Année après année, j'ai observé et vécu l'évolution du monde agricole, capable de s'adapter avec des pratiques innovantes et technologiques, de faire face avec résilience au changement climatique ainsi qu'aux multiples révisions de la politique agricole et de ses paiements directs. Un métier noble et de terrain qui est devenu de plus en plus complexe à pratiquer.

En effet, appliquer des mesures administratives élaborées par des personnes dans des bureaux est difficile à accepter. Le gel, la grêle, les inondations et les sécheresses sont des aléas climatiques inévitables; s'adapter aux caprices de la nature et apprendre à vivre avec fait partie de notre métier, nous le savions dès notre engagement. En revanche, les mesures pondues par des fonctionnaires fédéraux enfermés dans leur bureau, des mesures quasi inapplicables sur le terrain, loin de la réalité des pratiques, c'est autre chose; de plus en plus de tâches administratives pour justifier chaque geste que l'on effectue, des produits rémunérés si bas que c'est se moquer de notre travail, tout cela implique chaque année une crainte et un stress qui peuvent être évités si l'on soutient cette résolution.

Finalement, nous ne réclamons pas grand-chose: la liberté de remplir notre mandat qui consiste à pratiquer une agriculture nourricière, de terminer la journée avec le sens du devoir accompli et la perspective d'un lendemain serein, des prix justes, moins de lourdeur administrative qui nous éloigne trop souvent de nos terres et surtout de la transparence sur les marges de la grande distribution.

Adopter cette résolution, c'est permettre à nos enfants - à mes enfants ! - d'avoir envie, à leur tour, d'exercer ce noble métier. Le groupe LJS et moi-même ainsi que mes collègues agriculteurs qui manifestent sur le terrain vous demandent de soutenir sans faille ce texte; je souhaiterais voir l'écran de vote devenir entièrement vert ! L'appel à M. Nidegger a été lancé, je n'ai donc pas besoin de le répéter. Merci.

M. Geoffray Sirolli (PLR). Chers collègues, plusieurs choses très justes ont été dites, et je suis heureux de constater que l'ensemble des groupes politiques vont soutenir cette résolution. François Erard l'a mentionné, vous l'avez peut-être remarqué en allant à la campagne, des panneaux de localités ont été retournés, que ce soit à Bernex, Satigny, Meinier ou Choulex. Ce geste ne vise pas seulement à marquer un mécontentement, mais vraiment à exprimer le fait que nous marchons, en Suisse aussi, littéralement sur la tête.

Pour illustrer ce propos et peut-être expliquer comment - vous transmettrez, Madame la présidente - M. de Rougemont et ses amis ont pu faire couler par exemple la filière de la betterave sucrière en Suisse, je soulignerai quelques éléments. En 2019, sous la pression des milieux dits écologiques, l'OFAG, du jour au lendemain, a interdit un produit phytosanitaire, le bien nommé - et ce n'est pas une blague - Gaucho... (Rires.) ...ce qui fait qu'aujourd'hui, en Suisse, nous ne pouvons plus cultiver de betterave sucrière.

Est-ce que les Suisses consomment encore du sucre ? Bien entendu que oui. Est-ce que les usines helvétiques produisent encore du sucre ? Bien sûr que oui. Mais avec quoi produit-on ce sucre ? Tout simplement avec des betteraves importées ! Des betteraves non plus cultivées en Suisse, mais importées de Pologne, d'Allemagne ou d'autres pays européens. Pourquoi ? Parce que dans notre pays, nous avons pris l'initiative d'interdire un produit phytosanitaire pourtant autorisé ailleurs. C'est ce genre de non-sens que les paysans dénoncent en ce moment, notamment en retournant les panneaux des villages.

Aujourd'hui, nous avons la chance d'avoir en Suisse les agriculteurs les mieux formés du monde et les machines les plus précises pour pouvoir utiliser les produits phytosanitaires. Expliquez-moi en quoi employer un produit phytosanitaire à l'étranger plutôt qu'en Suisse - et pas forcément de la façon la plus correcte - constitue un gain environnemental. Allez savoir !

Quoi qu'il en soit, le monde paysan helvétique a plusieurs revendications, notamment une rémunération claire pour nos agriculteurs. En soutenant cette résolution, le groupe PLR exprime une nouvelle fois sa reconnaissance envers toutes et tous les agriculteurs de ce pays. Nous nous engageons à garantir leur avenir ainsi que celui de l'agriculture suisse. Il est temps d'agir pour simplifier les procédures administratives, assurer une rémunération équitable aux paysannes et paysans, et continuer à promouvoir une agriculture locale et durable. Merci à toutes et à tous de voter cette résolution, Mesdames et Messieurs, merci pour votre soutien. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. La parole va à M. Yves Nidegger pour quinze secondes.

M. Yves Nidegger (UDC). Merci, Madame la présidente. Ce sera juste pour rassurer l'assemblée, qui semble paniquée à l'idée que j'intervienne sur le sujet. (Rires.) Une motion de Jacques Nicolet...

La présidente. Il vous faut conclure.

M. Yves Nidegger. Déjà ? (Rires.)

Une voix. Oh, il lui reste cinq secondes.

M. Yves Nidegger. ...agriculteur vaudois et conseiller national UDC, présente à peu près le même contenu que la résolution que vous allez adopter, donc soyez tranquilles: ce n'est pas pour attirer l'attention des Chambres fédérales - c'est plutôt l'inverse qui se passe ici... (Le micro de l'orateur est coupé.)

La présidente. Merci, c'est terminé. La parole retourne à M. Philippe de Rougemont pour quarante-trois secondes.

M. Philippe de Rougemont (Ve). Merci, Madame la présidente. Vous transmettrez ceci au député PLR qui prétend que mes amis à Berne ont interdit les produits de synthèse dans la culture de la betterave: je lui rappelle que c'est la droite qui est majoritaire à Berne. Et qu'il nous explique comment procéder pour sauver les abeilles en Suisse sans interdire des produits qui leur nuisent directement.

Par ailleurs, il peut se rendre dans les rayons de Migros et Coop et y trouver du sucre biologique produit en Suisse, c'est possible. Voilà, donc merci de bien se renseigner avant de porter des accusations comme ça, à la hussarde. (Applaudissements.)

Mme Danièle Magnin (MCG). Mesdames et Messieurs, le MCG acceptera bien entendu cette résolution, car les paysans souffrent en Suisse, et ce n'est pas nouveau, cela fait déjà très longtemps, la situation ne fait que s'aggraver. Nous voulons une agriculture qui soit à la fois soutenue et qui soutienne la population par la production de denrées de qualité.

Un mot encore à propos des produits phytosanitaires: bien sûr que nos agriculteurs sont très bien formés, mais les informations dont ils disposent sont aussi fournies par les vendeurs de ces produits, donc méfiance, je vous en prie. Cela dit, nous voterons cette résolution et vous invitons à faire de même. Merci.

M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, oui, la paysannerie suisse se trouve entre le marteau et l'enclume: le marteau de la concurrence mondiale, celle de produits sur les marchés venant non seulement d'Europe, mais de la planète entière et qui ne sont évidemment pas fabriqués dans les mêmes conditions qu'en Suisse, et l'enclume des exigences sociales, environnementales, qualitatives. Ajoutons à cela un trend global qui a été évoqué et qui est celui de la détérioration des conditions de travail liée notamment au réchauffement climatique et aux enjeux écologiques de manière plus large, auxquels ce secteur économique - il s'agit en effet du premier secteur économique du pays - est particulièrement sensible.

Oui, Mesdames et Messieurs, nous marchons sur la tête. En Suisse, en Europe, nous marchons sur la tête, parce qu'il y a une double injonction, et le débat de ce soir l'illustre clairement. La première injonction, c'est celle du libre commerce, du libre marché, de la sacro-sainte liberté d'entreprise qui permet aux distributeurs de fixer les marges qu'ils entendent. Il s'agit d'un principe totalement libéral que de laisser un distributeur fixer ses marges au marché; au consommateur de faire son choix.

Voilà un principe qui est contesté à travers cette résolution. Sommes-nous d'accord que l'Etat - que ce soit la Confédération ou les cantons - mette son nez dans les marges de sociétés privées comme celles de la grande distribution ? Je crois que vous répondez oui, c'est intéressant.

Le deuxième élément qui fait qu'on marche sur la tête, c'est le libre-échange. Comme cela a été souligné, nous avons accepté au niveau suisse le traité de libre-échange avec l'Indonésie; bientôt viendra celui du Mercosur. Quelles sont les parties qui ont appelé à voter favorablement ? Le peuple a voté oui à 51%. Toute la droite était alignée: «Mais bien sûr, baissons les tarifs douaniers pour importer des produits de l'autre côté de la planète !» (Applaudissements.) C'est parfaitement logique dans un esprit libéral, l'Etat n'a pas à s'en mêler.

Mesdames et Messieurs, pourquoi marchons-nous sur la tête ? Parce que dans un secteur d'activité de l'économie privée qui est celui des paysannes et des paysans, on impose des conditions qui seraient intenables si on le libéralisait complètement; si on libéralisait totalement le marché, il n'y aurait pratiquement plus d'agriculture en Suisse. Pour éviter ce phénomène, on dit: «Non, non, on va quand même faire un peu de protectionnisme, parce qu'on aime notre agriculture, on en a besoin pour des raisons de souveraineté alimentaire, on ressent un attachement culturel, historique avec cette agriculture, on va faire des paiements directs.» Paiements qui n'ont fait que se renforcer. Ainsi, on place un secteur économique sous perfusion.

Mais qui dit franc public investi dit contrôle public. D'où la croissance de la bureaucratie. Je ne suis pas à Berne, mais le Département fédéral de l'agriculture est dirigé par un UDC, et on n'a pas vu le volume d'exigences bureaucratiques diminuer ces dernières années. (Applaudissements.) Pourquoi ? Tout simplement en raison d'une logique fondamentale que vous exigez d'ailleurs en tant que députés dans toutes les politiques publiques: du moment qu'il y a de l'argent public, il faut un contrôle de son usage.

Voilà pourquoi on marche sur la tête. On prétend faire du monde agricole un secteur de liberté économique, d'entrepreneuriat - les paysannes et paysans sont des entrepreneurs -, mais dans le même temps, on institue des conditions impossibles qui les empêchent de tourner sans argent public; et en injectant de l'argent public, on crée de la bureaucratie. Voilà, la boucle est bouclée, d'où la frustration que l'on vit aujourd'hui non seulement en Suisse, mais dans toute l'Europe.

Mesdames et Messieurs, il n'existe pas de solution facile, les taxes à l'importation rendraient les produits plus chers. Quid alors des populations les plus modestes chez nous qui profitent des prix bon marché ? Toutefois, il y a un équilibre à trouver. Cette résolution, que le Conseil d'Etat soutiendra bien entendu, représente un message à Berne, mais à l'attention de la majorité politique sous la coupole. J'espère que tous les députés de cette même majorité politique de droite qui s'expriment ce soir avec ferveur pour l'agriculture le feront également auprès de leurs élus fédéraux, parce que c'est là que les choses se jouent. On ne pourra pas tirer sur la corde indéfiniment, les paysannes et paysans n'en peuvent plus de cette double injonction de libéralisme et de soutien étatique qui les rend dépendants des uns et des autres.

Aujourd'hui, il faut aller vers une déglobalisation de la production alimentaire afin de favoriser, dans chaque secteur de notre planète, la production locale, une proximité entre le producteur et le consommateur. C'est un objectif pour nos paysans, mais également pour ceux du Sud. Moi qui viens d'Argentine, je vois l'effet de cette globalisation de l'agrobusiness sur les petits paysans: ils se font tous racheter par les grands groupes qui pratiquent l'exportation. Là-bas aussi, il faut relocaliser l'agriculture.

Les paysannes et paysans doivent s'unir au niveau mondial pour exiger des Etats un fonctionnement de la production, de la distribution et de la consommation à des échelles régionales. Il ne s'agit pas de remettre des frontières entre chaque pays, mais de réintroduire des circuits courts dans le cadre desquels l'humanité a toujours travaillé pour s'alimenter. Mesdames et Messieurs, votons cette résolution, mais réfléchissons un peu plus loin, au-delà de l'émotion du moment, pour réellement changer la politique agricole en Suisse et en Europe. Je vous remercie. (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je soumets la proposition de résolution aux votes de l'assemblée.

Mise aux voix, la résolution 1031 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale et au Conseil d'Etat par 97 oui (unanimité des votants) (vote nominal).

Résolution 1031 Vote nominal