République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 13264-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de Stéphane Florey, Christo Ivanov, Patrick Lussi, Virna Conti, André Pfeffer, Marc Falquet, Thomas Bläsi, Philippe Perrenoud, Sébastien Thomas, Gilbert Catelain, Guy Mettan modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (LRGC) (B 1 01) (Intonation du « Cé qu'è lainô » lors de la séance d'ouverture de la législature, lors de la séance d'installation du Conseil d'Etat et lors de l'élection du Bureau)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 25, 26 janvier, 1er et 2 février 2024.
Rapport de majorité de M. Romain de Sainte Marie (S)
Rapport de minorité de M. Stéphane Florey (UDC)

Premier débat

La présidente. Nous nous lançons dans le traitement de notre ordre du jour avec le PL 13264-A, classé en catégorie II, trente minutes. La parole est à M. Romain de Sainte Marie.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Je prends la parole même s'il n'y a pas beaucoup d'argumentation à développer concernant ce projet de loi et la position de la majorité. Le texte fait partie d'une série de projets déposés par le groupe UDC au sujet du «Cé qu'è lainô»; après avoir fait voter toute la population sur l'idée d'inscrire ce chant dans la constitution, l'UDC propose ici de le faire figurer dans la loi portant règlement du Grand Conseil.

L'avis de la majorité est simple: elle n'entend pas prendre position pour ou contre le «Cé qu'è lainô», loin de là. Tout le monde au sein de la commission des droits politiques s'accorde - les députés n'y sont en tout cas pas opposés - sur la portée symbolique du «Cé qu'è lainô» pour les Genevoises et les Genevois, mais ici, la majorité des commissaires estiment ni plus ni moins que le «Cé qu'è lainô» n'a rien à faire dans la LRGC, qu'il n'est nullement utile de le mentionner dans cette loi.

Le Bureau, s'il le souhaite, peut faire chanter le «Cé qu'è lainô» par les députés lors de la première séance de la législature, il s'agit d'une simple prérogative. C'est la raison pour laquelle la majorité de la commission vous invite, Mesdames et Messieurs, à refuser ce projet de loi.

M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, comme l'a rappelé le rapporteur de majorité, ce projet de loi fait suite à celui concernant notre constitution cantonale. Pourquoi proposer d'intoner le «Cé qu'è lainô» lors de la séance d'ouverture de la législature, de la séance d'installation du Conseil d'Etat et de l'élection du Bureau ? Tout simplement pour apporter un peu de cohésion autour de ce chant rassembleur, voilà pourquoi nous demandons d'en faire figurer le principe dans la LRGC.

Pour rappel, au niveau fédéral, Mme Ada Marra, socialiste, avait suggéré de chanter l'hymne national suisse lors des séances d'ouverture du Conseil national, et il nous semblait intéressant de ramener ce débat sur le plan cantonal et de procéder exactement de la même manière, à savoir d'intoner le «Cé qu'è lainô» chaque fois que nous renouvelons notre Bureau, le tout pour insuffler un peu de cohésion.

En effet, chaque année, le Bureau est renouvelé, les députés jouent à se faire peur avec, de temps en temps, des coups boiteux: «Je t'élis, je ne t'élis plus, tu es bien élu, tu es mal élu.» Au final, on est tous grands copains, on va boire un verre tous ensemble pour fêter l'événement. Pour notre part, on s'est dit que pour ramener le calme dans cette salle, on pourrait chanter le «Cé qu'è lainô», ça apporterait un peu de paix et de sérénité.

Visiblement, le parti socialiste a la dent dure à l'encontre du «Cé qu'è lainô». Ils ont beau raconter tout ce qu'ils veulent, les socialistes ne tiennent pas plus que ça à ce cantique. Dévorés qu'ils sont par le wokisme, ils cherchent à effacer notre passé coûte que coûte, et pour cela, tous les moyens sont bons, il faut quand même le souligner. La minorité vous prie de revoir vos positions et d'accepter ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Jean-Marie Voumard (MCG). Comme le dit le proverbe, la musique adoucit les moeurs; on est en plein dedans, on peut continuer. Le «Cé qu'è lainô» est un chant patriotique et est considéré, je l'espère, comme un hymne cantonal par tous les Genevois. Nous serons d'ailleurs prochainement appelés, le 3 mars prochain, à nous prononcer sur son inscription dans la constitution. Mélomane, le MCG soutiendra ce projet de loi. Je vous remercie, Madame la présidente. (Applaudissements.)

M. Jean-Louis Fazio (LJS). Chères et chers collègues, le groupe... (L'orateur est inaudible.)

La présidente. Montez votre micro, s'il vous plaît.

M. Jean-Louis Fazio. Oh pardon ! Voilà, excusez-moi. Le groupe Libertés et Justice sociale ne s'associe pas à la proposition de certains d'instaurer une intonation du «Cé qu'è lainô» lors de la mise en place du nouveau Bureau de notre Conseil ainsi qu'en début de législature. Notre groupe est très attaché à ce cantique patriotique, comme l'ensemble du peuple genevois, mais il nous paraît peu adéquat de le chanter lors de séances d'ouverture, cérémonies qui se veulent essentiellement laïques et républicaines. Nous ne mesurons pas forcément notre patriotisme à une telle pratique. Voilà, merci.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, il y a deux semaines, j'ai déposé une question écrite au gouvernement à propos de l'évaluation du système tpgFlex; vous me direz que cela n'a rien à voir, eh bien non. A ma grande surprise, le député Florey, qui est sans doute aussi expert en TPG qu'en chants patriotiques, surtout la version arpitane du «Gott mit uns», n'a pas encore réagi, il n'a pas suggéré d'inscrire le dispositif tpgFlex dans la constitution, il n'a pas proposé qu'une haie d'honneur de tpgFlex accueille les députés... (Remarque.) Fantastique, cela ne m'étonne qu'à moitié ! On pourrait aussi invoquer le respect du patrimoine en matière de langue française, notamment le fait qu'on ne dit pas «intonation», mais «entonnaison», qu'on dit bien «entonner» et pas «intoner» un chant.

Tout cela pour dire que vous avez bien compris l'analogie: nous avons affaire ici à la dernière partie d'une séquence qui n'a que trop duré, qui a pris appui sur le geste parlementaire le plus anodin qui soit consistant à déposer une simple question écrite et qui, du fait de la susceptibilité quelque peu hypertrophiée de certains groupes, a débouché sur une série d'objets visant à instrumentaliser notre parlement, ce que nous ne saurions accepter.

Je ne sais pas, Madame la présidente, si vous avez déjà réfléchi aux raisons qui poussent certaines religions à exiger de leurs ouailles des credos, des chahadas, des professions de foi à tout bout de champ; selon notre analyse, ce sont les cultes qui sont le moins sûrs de la croyance de leurs fidèles. Il en va de même ici: on constate une peur - assez étonnante - dans certains rangs quant à un manque de foi des Genevois dans ce chant que, pourtant, ils entonnent à tout moment: à la patinoire des Vernets, au stade de la Praille, mais également lors des différentes fêtes qui jalonnent le calendrier républicain.

Mesdames et Messieurs, il n'y a absolument aucune crainte à avoir en ce qui concerne la pérennité de ce cantique. Nous faisons confiance aux Genevoises et aux Genevois quant à l'amour qu'ils portent à leurs traditions et au «Cé qu'è lainô» en particulier, et nous vous demandons de refuser ce texte afin que cette séquence se termine au plus vite. (Applaudissements.)

Mme Alia Chaker Mangeat (LC). En tant que mélomane, je crois qu'il vaut mieux que nous ne chantions pas... (Rires.) ...mais c'est un point de vue personnel ! Mesdames et Messieurs, Le Centre n'entend absolument pas effacer le passé, nous respectons complètement ce chant et en comprenons très bien la portée symbolique. Toutefois, nous pensons qu'il n'est pas approprié de le faire figurer dans la loi.

Je rappelle que nous votons début mars sur l'inscription du «Cé qu'è lainô» dans la constitution. Aussi, je vous propose d'attendre de savoir si la population genevoise est d'accord sur cette question, auquel cas il faudra peut-être aller dans ce sens et entamer la législature avec ce cantique. Cela étant, il me semble que le projet prévoit de le chanter lors de chaque élection du Bureau, ce qui fait cinq fois dans la législature; c'est excessif. Nous demandons, en attendant le résultat de la votation, le renvoi de ce texte en commission. Merci.

La présidente. Je vous remercie. Sur le renvoi en commission, la parole retourne aux rapporteurs. Allez-y, Monsieur Florey.

M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Oui, la demande de renvoi en commission est intéressante. Justement, en écoutant Mme Chaker Mangeat, je me disais: «Peut-être a-t-elle raison, mais ne vaudrait-il pas mieux alors ajourner le projet de loi en attendant de voir ce qu'auront décidé les Genevois dimanche ?» Je suis persuadé que ce sera positif, et les pronostics montrent apparemment que la votation sera gagnante, mais attendons patiemment jusqu'à dimanche et revenons éventuellement à la charge le 21 mars en désajournant le projet et en finissant une fois pour toutes ce débat sur le «Cé qu'è lainô». A contrario, je propose donc non pas un renvoi en commission, mais un ajournement, Madame la présidente. Merci.

La présidente. Je vous remercie. Monsieur de Sainte Marie, vous avez l'occasion de vous prononcer tant sur le renvoi en commission que sur la demande d'ajournement qui vient d'être formulée. Je vous écoute.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Je m'opposerai aux deux propositions. D'une part, je ne vois pas l'intérêt d'un renvoi en commission, puisque les travaux ont été effectués; ils ont été assez succincts, d'ailleurs, car il n'était pas nécessaire d'étudier davantage le projet de loi.

D'autre part, je ne suis pas d'accord avec l'ajournement non plus. Concrètement, il n'y a aucun rapport entre le fait d'introduire le «Cé qu'è lainô» dans la constitution et celui de le faire figurer dans la loi portant règlement du Grand Conseil. Par conséquent, je refuse les deux requêtes.

La présidente. Bien, merci. Je mets d'abord aux voix la proposition de renvoi en commission, puis nous nous prononcerons sur l'ajournement du projet de loi jusqu'à la votation populaire du 3 mars.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13264 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 60 non contre 33 oui.

Mis aux voix, l'ajournement du rapport sur le projet de loi 13264 est rejeté par 55 non contre 38 oui.

La présidente. Nous poursuivons les travaux, et je passe la parole à M. Cyril Mizrahi.

M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, je vous avoue que j'ai un petit peu hésité à entonner ce chant aujourd'hui, mais j'ai anticipé la réaction de Mme Chaker Mangeat et décidé sagement d'y renoncer. J'ai aussi décidé sagement de renoncer à un amendement au projet de loi qui nous est présenté pour faire figurer l'intégralité du cantique dans notre législation.

Finalement, je me suis dit que la population avait quand même d'autres attentes, notamment en matière de logement, d'emploi ou de formation. Le débat que cherchent constamment à relancer M. Florey et d'autres - vous transmettrez, Madame la présidente - sur le prétendu wokisme, sur les anti-wokes, etc. constitue sans doute une énième démarche destinée à détourner l'attention de la population des réels enjeux sur lesquels elle a des attentes. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo.

M. Yves Nidegger (UDC). Une fois n'est pas coutume, Madame la présidente, je souhaiterais que vous transmettiez mes remerciements à M. Nicolet-dit-Félix, qui est parvenu à apaiser un certain nombre de mes craintes. En une seule phrase, il a expliqué que le chant de credos - puisqu'il assimile le «Cé qu'è lainô» à une forme de credo ou d'action de grâce - est le signe de religions dont les adeptes ne sont pas totalement convaincus et que, par ce mantra, elles parviennent à resserrer les rangs de leurs congrégations chancelantes.

Voilà qui me rassure énormément, car le mantra climat et inclusion de la gauche est devenu tellement obsessionnel que j'en étais venu à redouter que cela correspondît à une forme de conviction forte de la part des rangs d'en face; je suis entièrement tranquillisé d'apprendre qu'au fond, ils n'y croient pas.

C'est probablement la raison pour laquelle ils préfèrent voter avant que la population le fasse, parce que dire au peuple qu'on ne l'a pas écouté après qu'il s'est exprimé est toujours plus douloureux que de le faire en catimini, dans l'entre-soi d'une élite oligarchique coupée des réalités.

La présidente. Je vous remercie. La parole va à M. Dimier. (Remarque.) C'est une erreur, d'accord. Alors je la rends à M. Stéphane Florey pour une minute cinquante-quatre.

M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Bon, on comprend qu'une majorité de ce Grand Conseil est défavorable non pas à l'inscription dans la LRGC, mais tout bonnement au «Cé qu'è lainô» lui-même... (Exclamations.) ...et il faut quand même le relever, Mesdames et Messieurs. Une fois pour toutes, ayez le courage de vos opinions vis-à-vis de la population ! On parle bien de ça: aujourd'hui, vous vous réfugiez derrière des arguments fallacieux pour refuser ce que certains de vos représentants au Conseil national - en l'occurrence, je le répète, Ada Marra - ont eux-mêmes suggéré. Dans cette logique, vous auriez plutôt dû vous fédérer, accepter cette proposition avec fierté. Or c'est tout le contraire qui se passe. Eh bien on en prendra acte, la population en prendra acte également et retiendra que vous êtes malheureusement contre le «Cé qu'è lainô». Je vous remercie.

La présidente. Merci bien. Monsieur de Sainte Marie, il vous reste presque trois minutes.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Vous transmettrez à M. le rapporteur de minorité Florey que l'UDC est en train de nous faire du «Cé qu'è lainô»-washing en cherchant à nous resservir ce chant à toutes les sauces, à l'inscrire dans toutes les lois. (Applaudissements.) Là, il s'agit de la loi portant règlement du Grand Conseil, mais bientôt, ce sera, que sais-je, la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement: vous allez demander à chaque serveur de ce canton d'entonner le «Cé qu'è lainô» quand il servira une bière ! Puis, vous allez trouver une nouvelle loi et, chaque fois, il faudra pousser la chansonnette.

Et si, par malheur, nous osons soutenir que cela n'a rien à faire dans ces lois, vous nous ressortez votre tirade habituelle: «Vous êtes contre le "Cé qu'è lainô" !» Non, Monsieur Florey - vous transmettrez à M. Florey en face de moi, Madame la présidente -, il ne s'agit pas aujourd'hui d'un débat pour ou contre le «Cé qu'è lainô», il est question, tout à fait factuellement, de chanter le «Cé qu'è lainô» lors de la séance d'ouverture de chaque nouvelle législature.

Après, j'ai entendu le rapporteur de minorité Florey invoquer la cohésion; ah, c'est magnifique, la cohésion ! D'ailleurs, quand l'UDC parle de cohésion, j'en ai presque des frissons ! Surtout la cohésion au niveau... (Remarque.) Exactement ! Surtout la cohésion au niveau du Grand Conseil, c'est fabuleux: le groupe UDC passe son temps à insulter la gauche et le PS en particulier, il l'a encore fait... (Remarque.) Il l'a encore fait il y a quelques instants en accusant la gauche de wokisme. Alors pour parler de cohésion, on s'insulte; l'UDC insulte la gauche en permanence, mais avec un chant une fois par année, tout ira bien, la cohésion sera retrouvée. Merci à l'UDC pour ses recettes miracles, mais il faut refuser cette très fausse bonne idée. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de voter.

Mis aux voix, le projet de loi 13264 est rejeté en premier débat par 60 non contre 33 oui.