République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 13187-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi de André Pfeffer, Stéphane Florey, Patrick Lussi, Virna Conti, Eric Leyvraz, Gilbert Catelain, Marc Falquet, Thomas Bläsi, Sébastien Thomas, Patrick Dimier, Francisco Valentin, Danièle Magnin, Jean-Marie Voumard, Françoise Sapin, Ana Roch, Charles Selleger, Daniel Sormanni, Philippe Morel relatif à la participation du canton de Genève à la construction de la nouvelle caserne de la Garde suisse à Rome (Sauvegarde d'une carte de visite de la Suisse dans le monde)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 23 et 24 mars 2023.
Rapport de majorité de M. Pierre Eckert (Ve)
Rapport de première minorité de M. Patrick Lussi (UDC)
Rapport de deuxième minorité de M. François Baertschi (MCG)

Premier débat

La présidente. Nous poursuivons avec le PL 13187-A, dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. La parole échoit à M. Pierre Eckert.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, au détour d'un remplacement à la commission des finances, j'ai eu l'occasion de prendre ce rapport de majorité sur un projet de loi qui demande... (Brouhaha.)

La présidente. Un instant, Monsieur. Je ne l'avais pas encore signalé aujourd'hui, mea culpa: les discussions doivent avoir lieu à l'extérieur de la salle. Monsieur Florey ? Ça vaut pour toute l'UDC, mais quand je disais «Monsieur Florey», c'est bien à vous que je m'adressais. Je répète: les discussions se déroulent à l'extérieur de la salle !

Une voix. On discutait pour déterminer qui allait prendre la parole.

Une autre voix. On s'en fiche !

La présidente. Très bien, alors n'hésitez pas à sortir pour en parler. Sur ce, je rends la parole au rapporteur de majorité.

M. Pierre Eckert. Merci, Madame la présidente. Comme je le disais... (Commentaires. Un instant s'écoule.) Voilà, le silence étant rétabli, je reprends: le projet de loi demande un financement au canton de Genève pour la réfection de la caserne des gardes suisses à Rome. Il s'agit d'un bâtiment qui a certes une certaine valeur, mais qui n'est pas si ancien que ça - il a 150 ans -, et la somme nécessaire à sa rénovation s'élève à environ 45 millions de francs. Ce qui est proposé ici, c'est que le canton de Genève verse 500 000 francs. Je vois qu'un amendement a été déposé instituant 50 000 francs à la place, mais comme je l'expliquerai tout à l'heure, en fait, le montant ne constitue pas le réel enjeu du texte.

Ce bâtiment fait partie du patrimoine mondial de l'UNESCO et doit être rénové. Un certain nombre de contributions ont déjà été trouvées; je pense que les rapporteurs de minorité vous diront auprès de qui, Mesdames et Messieurs, mais plusieurs cantons et la Confédération notamment ont mis la main au porte-monnaie.

La question qui s'est posée, c'est de savoir pourquoi il reviendrait à notre pays de prendre en charge ces frais et pas au Vatican, puisque la Garde suisse est à disposition du Vatican. Il se trouve que je me suis un peu renseigné; alors je ne sais pas si ça fera office d'argument, mais il y a passablement d'argent à Rome. La banque du Vatican possède de nombreux capitaux, on parle de 650 millions de francs injectés dans divers types de fonds, y compris certains investissements dans de luxueux immeubles à Londres. Bon, je n'ai pas forcément envie de développer ce sujet, mais on peut tout de même se demander pourquoi le Vatican ne finance pas lui-même la rénovation.

Le débat s'est conclu grâce à un avis de droit du DSPS - c'était effectivement le DSPS à l'époque -, dont la prise de position est très claire. Dans ce document qui figure en annexe de mon rapport, le département souligne que le caractère religieux de l'Etat du Vatican est indéniable et que la participation de la Garde suisse pontificale à ses activités religieuses et cultuelles - pas culturelles, mais bien cultuelles - contrevient à l'article 3 de la constitution cantonale genevoise, lequel stipule explicitement que l'Etat observe une neutralité religieuse en ne subventionnant aucune activité de culte.

Les rapporteurs de minorité réfuteront la dimension cultuelle de la Garde suisse. Alors il est vrai que ce n'est pas directement cultuel, puisque la caserne n'abrite pas d'aumôniers ou d'ecclésiastiques. Cela étant, la Garde suisse est à disposition du pape, qui est une autorité religieuse.

Je vous résume les arguments conclusifs qui ont été mis en avant par la majorité. Premièrement, il y a la non-conformité à l'article 3 de notre constitution relatif à la laïcité, que je ne vous relis pas. Le deuxième motif avancé par l'un des commissaires, c'est que s'agissant de la garde suisse, les coûts de rénovation devraient revenir à la Confédération plutôt qu'au canton de Genève, puisqu'il n'est pas question d'un organe genevois.

Il ne faut pas non plus négliger le risque d'un précédent - voire d'un référendum - si nous entrions en matière: pourquoi d'autres autorités religieuses ne viendraient-elles pas demander un subventionnement, quelles qu'elles soient ? Ici, ce sont les catholiques, mais pourquoi d'autres ne viendraient-ils pas frapper à notre porte ? Par ailleurs, lors d'une votation populaire dans le canton de Lucerne, qui n'est pas spécialement protestant à ma connaissance, le peuple a refusé de façon cinglante (par 71,48% des voix) une contribution de 400 000 francs à la fondation pour la rénovation de la caserne. Tout ça pour dire que je vous recommande, au nom de la majorité, de refuser ce projet de loi.

M. Patrick Lussi (UDC), député suppléant et rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, vous conviendrez que pour un simple petit député suppléant comme moi, il est difficile de venir aujourd'hui vous dire que peut-être, dans leurs considérations générales, nos éminents juristes de la Couronne se sont trompés en concluant que la Garde suisse relève d'une activité cultuelle. Lors des débats qui ont eu lieu en commission, on s'est borné à dire: «Notre constitution ne le permet pas, on s'arrête là, on ne va pas plus loin.»

Des voix. Plus fort !

M. Patrick Lussi. Si vous avez pris le temps de lire mon rapport, vous aurez constaté que j'ai essayé de démontrer que le côté cultuel, religieux de la Garde suisse pontificale n'est pas du tout ce qui prime. Bien sûr, si on remonte dans le temps, celle-ci est en place depuis 1506, beaucoup de choses se sont passées, mais en définitive, le vrai statut des gardes suisses, qui sont passés de soldats à policiers, date des accords du Latran en 1929. En 1929, la Confédération a accepté que des soldats puissent servir à l'étranger; c'était - je le rappelle pour être bien clair - dans le cadre des accords du Latran en 1929, c'est là que l'Italie a reconnu que l'Etat de la Cité du Vatican était indépendant, qu'il s'agissait d'un nouvel Etat.

Bien sûr, nos gardes ont continué leur mission, bien sûr qu'il s'agit d'une activité sympathique, mais il y a un élément qu'on n'a peut-être pas suffisamment examiné en commission: au mois de décembre 2020, lors du centenaire de la reprise des relations diplomatiques officielles entre la Suisse et le Saint-Siège, le Conseil fédéral a décidé d'apporter son soutien au projet de rénovation de la caserne des gardes suisses, qui, je le précise, n'a pas 150 ans, mais date des accords du Latran, donc de 1929; c'est à cette date qu'elle a été construite. L'apport financier ne vise qu'un seul bâtiment, où se trouvent les bureaux et les logements de la troupe et des officiers.

Ensuite, j'ai tenté d'établir que par rapport au département militaire - c'est tout de même important, surtout pour nous qui sommes suisses et qui faisons le service militaire -, toute une série de décisions ont été prises par le Conseil fédéral de manière à fixer que ceux qui s'engageaient dans la Garde suisse pontificale étaient exonérés des cours de répétition et du service militaire, c'est fondamental. Peut-être avez-vous remarqué que j'ai même poussé un peu plus loin: à aucun moment il n'a été dit qu'ils étaient exonérés - je n'incrimine personne, je le dis simplement - au titre d'aumôniers. Vraiment, il s'agit toujours de soldats.

Voici la question la plus importante à se poser: considère-t-on que c'est une simagrée, qu'il ne vaut pas la peine pour la Suisse de disposer de cette carte de visite mondialement connue ? Le Conseil fédéral a pensé différemment, puisqu'il a créé - c'était en 2016 - une fondation visant à récolter des fonds pour l'aménagement et la transformation de ce bâtiment.

Une chose quand même: il n'y a pas placé des gens tout simples. Le président de cette fondation n'est autre que M. Jean-Pierre Roth, ancien président de la Banque nationale suisse, et la dame qui a été désignée pour organiser la collecte de fonds, une personne que j'appréciais beaucoup à l'époque, n'est autre que l'ancienne conseillère fédérale, Mme Doris Leuthard.

Une voix. On n'entend rien !

Une autre voix. Le micro !

M. Patrick Lussi. Ah, vous n'entendez pas ? Mme Doris Leuthard !

Voilà au bout du compte où nous en sommes maintenant. Une décision a été prise sur la base, me semble-t-il, d'une appréciation erronée de la dimension cultuelle de la Garde suisse à Rome ainsi que de notre constitution. C'est la raison pour laquelle je vous demande de revoir votre position. Vraiment, on a affaire à un service de police dans un Etat étranger qui est agréé par le Conseil fédéral et une bonne partie de la Suisse. C'est sans doute le point le plus important, au-delà de ce qu'on peut penser du pape et des autres. Je vous remercie.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi est très intéressant dans le sens où il soulève des questions fondamentales quant aux identités suisse et genevoise. Tout d'abord, il convient de déterminer si le sujet relève du cultuel, c'est-à-dire du religieux, ou du culturel. A notre sens, la Garde suisse ainsi que cette caserne participent d'une tradition qui fait la fierté de notre pays. Se pose ensuite la question confessionnelle; Genève a longtemps été qualifiée de «Rome protestante» - sans doute l'est-elle encore -, et nous devons être fiers de cet héritage.

Au passage, je regrette que notre proposition de classer le Mur des réformateurs n'ait pas été acceptée par la majorité de ce Grand Conseil, ce qui aurait représenté une reconnaissance de cette part vraiment essentielle de l'identité genevoise. Il faut cependant garder à l'esprit que Genève, c'est également l'addition des Communes réunies, c'est-à-dire des communes catholiques qui ont été annexées lors du congrès de Vienne, au début du XIXe siècle.

Dès lors, nous sommes par essence enracinés dans une tradition confessionnelle mélangée. Notre rattachement à la Suisse apporte par ailleurs une autre dimension, de même que la reconnaissance de nouvelles religions dont je ne vous ferai pas l'énumération ici, mais qui font également partie de l'identité genevoise.

Du fait de cette dualité ou de cette complexité de cette identité, du fait que nous sommes étroitement liés depuis le début du XIXe siècle à la Suisse - d'une certaine façon, la Garde suisse fait aussi partie de notre patrimoine -, nous pensons qu'il est véritablement important de faire un geste pour la rénovation de ce bâtiment.

Nous avions émis une objection s'agissant du montant figurant dans le projet de loi, soit 500 000 francs. Cette somme est excessive, notamment si on la met en comparaison avec ce qu'ont donné d'autres cantons suisses, si on la met en perspective également avec les parts catholique et protestante de Genève qui sont tout aussi respectables l'une que l'autre et dont il faut tenir compte. A notre sens, la proposition qui porte le montant à 50 000 francs est tout à fait raisonnable. Ce sera un geste d'ouverture vers notre tradition, une vision patrimoniale intéressante que nous devrions développer. Je vous encourage à voter ce projet de loi avec l'amendement présenté par le groupe UDC. Merci, Madame la présidente.

La présidente. Je vous remercie. La parole va à M. André Pfeffer pour une minute vingt.

M. André Pfeffer (UDC). Oui, merci, Madame la présidente. Ce projet de loi propose que notre canton participe à la préservation d'une tradition qui fait la fierté de notre pays. Comme l'indique le titre, il s'agit de sauvegarder une carte de visite de la Suisse dans le monde.

L'argument pour justifier le refus d'un financement genevois serait notre laïcité, notre neutralité. Cet avis n'est pas unanimement partagé. A ce sujet, le Conseil fédéral a une analyse différente: pour lui, il est question d'une part d'améliorer les conditions de logement de nos gardes suisses, d'autre part d'intervenir dans le cadre de nos relations diplomatiques. Enfin, ce n'est pas un bâtiment cultuel pour des ecclésiastiques. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Bref, Mesdames et Messieurs, je vous invite à accepter une toute petite contribution. Pour rappel, plusieurs cantons suisses ont mis la main au porte-monnaie: le canton de Zurich, qui est également protestant...

La présidente. Il vous faut conclure.

M. André Pfeffer. ...participe à hauteur de 800 000 francs. Je vous propose un apport de 50 000 francs, soit de 10 centimes...

La présidente. Je vous remercie...

M. André Pfeffer. ...par Genevoise et par Genevois. Merci... (Le micro de l'orateur est coupé.)

M. Laurent Seydoux (LJS). Chers collègues, certes, nous pouvons tous ressentir un attachement à cette tradition, voire un peu de fierté, lorsque nous nous rendons à Rome ou plus particulièrement au Vatican, à la vue des gardes suisses - de nos gardes suisses ! -, il est sûr que c'est intéressant.

Cela étant, le groupe LJS ne comprend pas pourquoi le canton de Genève devrait investir dans la rénovation d'un bâtiment situé dans un autre Etat. Au-delà de ça, il y a l'aspect religieux de cette caserne des gardes pontificaux qui, comme l'a bien expliqué le rapporteur de majorité, se trouve en conflit avec le caractère laïc de nos politiques publiques.

Pour ces deux raisons, le groupe LJS n'est pas favorable au projet de loi 13187 nous demandant un financement pour la rénovation de la caserne des gardes suisses. Merci.

La présidente. Je vous remercie. La parole n'est plus sollicitée dans la salle, donc elle retourne à M. François Baertschi pour deux minutes trente.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Madame la présidente, ce sera largement suffisant. Je pense que le côté culturel et traditionnel est important: nous sommes ancrés dans une riche tradition helvétique et la Garde suisse pontificale ne constitue pas une armée offensive, il s'agit quelque part d'un décorum qui nous rattache à d'autres temps où on tirait un sentiment de fierté de permettre au spirituel d'exister à Rome.

Comme je l'ai relevé, il est vrai que le canton de Genève est partagé entre la Réforme et le catholicisme, c'est notre dualité, mais je crois que nous devons assumer ce caractère double et faire en sorte que la part catholique de Genève ne soit pas négligée ni oubliée, qu'on revendique avec fierté nos traditions genevoises. Trop souvent, on écarte notre héritage, on imagine que nous venons, je ne sais pas, de rien du tout, d'une autre planète... (Exclamations.) ...alors que nous portons une histoire, une histoire riche et trop fréquemment mise de côté.

D'ailleurs, cette histoire n'est même plus enseignée dans les écoles, malheureusement. C'est dommage que la magistrate chargée de l'instruction publique ne soit pas présente, je lui aurais dit - mais vous transmettrez, Madame la présidente - qu'il faut véritablement améliorer l'enseignement de l'histoire suisse. Cet objectif compte beaucoup pour le MCG, il fait partie des points centraux de son programme depuis ses premières années.

Tout récemment, une élève qui a fait le collège à Genève me confiait que le programme d'histoire suisse commençait avec la Première Guerre mondiale ! J'ose espérer qu'on parle là d'une minorité d'enseignants, mais apparemment, il y a quand même de grosses lacunes à ce niveau, il faudrait vraiment que l'instruction civique, l'histoire suisse et genevoise soient mieux enseignées. Merci, Madame la présidente.

La présidente. Je vous remercie. Le rapporteur de première minorité n'a plus de temps de parole. Est-ce que je peux demander au groupe PLR de cesser ses discussions permanentes ? (Exclamations. Applaudissements.) Je donne la parole à M. Pierre Eckert pour une minute quarante.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, le rapporteur de deuxième minorité vient d'expliquer qu'il fallait valoriser les Communes réunies, catholiques, démontrant par là que c'est bien d'une intervention religieuse qu'il est question: on entend soutenir les catholiques.

J'ajouterai qu'il s'agit évidemment de plus que de décorum, vous savez parfaitement que les gardes suisses ne font pas que porter un joli costume. Si on consulte le site internet de la Garde suisse pontificale, on voit bien que c'est une force; que ce soit une force militaire ou de police importe peu, l'essentiel étant qu'il s'agit d'une force à disposition d'une autorité religieuse.

La Garde suisse est responsable de la surveillance et de la sécurité du pape et, c'est également inscrit, de la sécurité d'un certain nombre de cérémonies religieuses qui se déroulent au Vatican. Quant au point III de l'avis de droit, il est intitulé ainsi: «La Garde Suisse Pontificale et ses liens avec les cérémonies religieuses et cultuelles». Là encore, il est clairement question d'un soutien au culte pratiqué au Vatican. Dans ce sens, il est évident qu'on violerait la loi sur la laïcité si on acceptait ce texte, sans parler des autres arguments que j'ai avancés tout à l'heure. Je vous invite donc à le refuser.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat s'est montré clair lorsque ce projet de loi a été soumis au département, à l'époque au DSPS: le texte contrevient à l'article 3 de la constitution relatif à la laïcité. Partant, il vous recommande de le rejeter.

Une voix. Bravo.

La présidente. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Je mets le texte aux voix.

Mis aux voix, le projet de loi 13187 est rejeté en premier débat par 50 non contre 43 oui et 2 abstentions.