République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 novembre 2023 à 18h
3e législature - 1re année - 6e session - 39e séance
PL 12709-A
Premier débat
La présidente. Nous continuons avec le traitement de notre ordre du jour et le PL 12709-A, classé en catégorie II, trente minutes. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Vous le savez, l'un des principes cardinaux en matière fiscale est le respect de la capacité contributive et, pour ce qui concerne les entreprises, puisque c'est de cela qu'on va parler, c'est le respect de l'application du bénéfice total, c'est-à-dire le fait qu'une entreprise paie le juste taux d'impôt sur le bénéfice qu'elle doit, non pas sur une seule année mais sur l'entier de sa durée de vie. Or, vous le savez, les entreprises peuvent faire des pertes certaines années et ne pas payer d'impôts, évidemment, ces années-là - elles paieront des impôts les années suivantes si elles font des bénéfices -, mais pris sur l'entier de leur vie, elles paieront donc un impôt d'un montant total plus élevé que celui qu'elles devraient en application de cette idée du bénéfice total.
En Suisse comme ailleurs - aux niveaux suisse et mondial donc -, on a mis en place un système dit de report des pertes en avant, qui porte en anglais le doux nom de «loss carryforward», qui permet à une entreprise de déduire du bénéfice net d'un exercice les pertes des sept exercices précédant ladite période fiscale, à condition évidemment qu'elles n'aient pas pu être prises en considération précédemment. Ce principe est ancré dans la LIFD (la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct) à son article 67 et dans la LHID (la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes) à son article 25, alinéa 3. On constate donc que le système suisse de la fiscalité des entreprises, à ce jour, tient compte du respect de la capacité contributive dans une assez large mesure, mais de manière imparfaite puisque l'on considère seulement une durée limitée à sept ans dans le futur. Or une entreprise qui ferait des pertes pendant huit années et un bénéfice seulement au bout de la neuvième, par hypothèse, ne pourrait plus faire valoir la perte du premier exercice déficitaire et, par conséquent, paierait alors sur l'ensemble de sa vie plus d'impôts qu'elle aurait dû payer en réalité.
Ici, l'idée, c'est d'inscrire un autre système dans la loi, celui du report des pertes en avant... (Remarque.) ...en arrière, pardon. (Rire.) C'est juste ! (L'orateur rit.) C'est le mécanisme inverse: on considère ainsi une entreprise qui a fait un bénéfice une certaine année, mais voit sa situation se détériorer l'année suivante. Le but, c'est de faire jouer le report des pertes en arrière, ou en anglais «loss carryback», qui s'applique dans d'autres pays comme la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Le présent projet de loi a donc simplement pour objectif d'ancrer dans la loi fiscale cantonale le principe de report des pertes en arrière - j'espère que je n'ai pas encore perdu tout le monde ! - histoire de mieux respecter, comme je le disais, la capacité contributive des entreprises non pas sur une année, mais sur leur durée de vie. Il ne s'agit pas de baisser ou d'augmenter les impôts, ce n'est pas le principe: l'idée est vraiment de mettre en oeuvre un principe qui sera cher à mes deux - principaux, en tout cas - adversaires du jour, à savoir celui de la justice fiscale ! Que toute entreprise paie l'impôt juste, non pas sur une année mais sur l'intégralité de sa durée de vie.
Certes, ce texte a été rédigé lors de la crise du covid: on s'est alors trouvé dans une situation un peu particulière qui a effectivement amené des entreprises fortement bénéficiaires en 2019...
La présidente. Vous parlez sur le temps de votre groupe.
M. Yvan Zweifel. ...à devoir faire face à la crise que l'on connaît et à se demander, au printemps 2020: mais est-ce que c'est bien le moment de payer mes impôts ? Est-ce que cet argent que je devrais décaisser ne serait pas utile à l'intérieur de mon entreprise pour que celle-ci reste pérenne, c'est-à-dire que je garde mes employés, que je garde mon outil de production, plutôt que de décaisser des liquidités et de me retrouver dans une situation potentiellement catastrophique ? Loin de moi l'idée que ce projet de loi aurait été une solution extraordinaire en comparaison de ce qui a pu être fait dans le cadre du covid; les aides qui ont été attribuées étaient certainement meilleures. Ce projet de loi a vraiment vocation à rajouter une flèche dans le carquois des possibilités de l'Etat et de l'administration pour aider les entreprises en cas de crise, en sachant que l'aide complète, soit le remboursement des impôts précédemment payés, n'aurait lieu que dans des situations exceptionnelles qui seraient clairement définies par le Conseil d'Etat.
Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, pour amener une pierre supplémentaire à l'édifice de la justice fiscale, et non pour baisser ou augmenter les impôts, mais pour permettre aux entreprises qui se retrouveraient dans une situation particulière de faire valoir les pertes d'une année en arrière, nous vous proposons d'adopter ce projet de loi dont le mécanisme existe dans au moins un autre canton. De fait, si ce système de report de pertes en arrière, contrairement à l'autre, n'est pas inscrit dans la législation fédérale, celle-ci ne l'interdit pas non plus expressément - c'est ce que nous ont rappelé les experts -, de sorte qu'un canton, Thurgovie en l'occurrence, l'applique déjà. Une fois de plus, Mesdames et Messieurs, pour aider nos entreprises, celles qui sont en difficulté en période de crise, je vous invite à voter ce projet de loi.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs, il est piquant que M. Zweifel, qui rappelait la lourdeur législative, rajoute là un projet de loi que personne n'a demandé, ni les entreprises ni le Conseil d'Etat, et dont les travaux ont démontré qu'il est inapplicable, non conforme au droit fédéral et qu'il serait, principalement, source de difficultés pour l'administration. J'essaierai de lister rapidement les oppositions qui ont surgi tout au long de l'examen de cet objet.
La première, je l'ai dit, c'est l'incompatibilité avec le droit fédéral. L'ouvrage de référence de M. Oberson rappelle que cette possibilité du «carryback» n'est pas prévue en droit suisse et qu'on ne serait donc pas en accord avec le droit fédéral. Ça complexifierait le système fiscal; deux systèmes coexisteraient, dont un qui s'appliquerait tant au niveau de l'IFD que de l'ICC, avec un report de pertes sur sept exercices. Cela présente un risque de cumul avec le système de crédit d'impôt, ce qui aurait pour conséquence de rallonger cette période de report à dix ans au total. Cela serait compliqué, tant pour l'administration, qui nous l'a confirmé, que pour les contribuables eux-mêmes. Il serait nécessaire de dégager des moyens en ressources humaines et informatiques pour une hypothétique mise en oeuvre, et puis cela ferait naître un risque de double avantage: un contribuable pourrait obtenir un remboursement de ce crédit d'impôt et appliquer en même temps, comme il le fait aujourd'hui, le «carryforward». Ce système ne favoriserait pas les entreprises les plus fragiles. On a d'ailleurs vu que la réponse du Conseil d'Etat a été efficace, a été bonne, dans la crise du covid alors que ce projet de loi ne constituait pas une flèche de plus dans le carquois de l'exécutif: il n'a simplement pas été nécessaire dans le carquois de l'exécutif durant la crise du covid !
Il y a un certain nombre de problèmes d'interprétation. L'article 19A, alinéa 3, lettre b, posera des problèmes d'interprétation, car il y est indiqué que ce texte s'appliquera «en cas de récession économique majeure impactant l'activité économique de la personne morale ou son secteur d'activité». C'est là trop largement dit et source de mauvaises interprétations. Il y a par ailleurs un problème de mise en oeuvre sur le plan intercantonal, certaines entreprises étant actives dans plusieurs cantons, et puis également au niveau international, avec la mise en oeuvre du projet BEPS: là aussi, un tel projet de loi rendrait extrêmement problématique le calcul des impôts. La plupart des pays européens ont renoncé au «carryback», et, «last but not least», l'impact sur les recettes fiscales serait évidemment négatif, bien que non estimé par le premier signataire. Cela alourdirait par ailleurs fortement les procédures et les mécanismes de contrôle, en contradiction là encore avec ce que nous rappelait M. Zweifel - vous transmettrez, Madame la présidente...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Sylvain Thévoz. ...dans le cadre d'un autre projet de loi. On va créer une usine à gaz coûteuse - c'est une expression que l'on utilise parfois à tort, mais qui en tout cas labellise très correctement cette situation-ci -, où l'administration fiscale se retrouvera face à des difficultés inextricables. Les entreprises n'ont pas émis de demandes en la matière, ou en tout cas nous ne les avons pas entendues. En conclusion, nous vous invitons fortement à rejeter cet objet qui en commission a vraiment été soutenu du bout des lèvres: je crois que quatre députés sont sortis au moment de le voter. La conseillère d'Etat, Mme Fontanet, le rappellera peut-être, elle était opposée à ce projet de loi ou en tout cas elle n'en voyait pas la nécessité. Nous vous invitons donc à suivre les minorités et à ne pas nous embarquer dans une aventure législative pour le moins hasardeuse. Merci pour votre attention.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je vais essayer de ne pas trop répéter ce qui vient d'être dit. Tout d'abord, nous sommes pleinement conscients du fait - et nous le soutenons - qu'une entreprise doit payer sur son bénéfice total, comme l'a dit le rapporteur de majorité, mais nous soutenons plutôt le principe qui consiste à reporter les pertes en avant et non en arrière; je vais vous expliquer pourquoi. J'ai d'ailleurs lu récemment, mais je ne me souviens plus très bien où, que ce report sur sept ans pourrait être étendu à dix ans au niveau fédéral - les possibilités sont donc plus larges.
On parle du principe de «loss carryforward», qui est explicitement prévu par la législation fédérale et doit aussi être appliqué au niveau cantonal. Il est relativement simple à appliquer - c'est ce que je soutiens - et est prévisible, contrairement au «loss carryback» qui consiste à réviser une taxation de la période fiscale précédente, qui doit par conséquent être modifiée, ce qui est relativement difficile du point de vue des recettes fiscales et de leur prédictibilité.
On l'a déjà dit, la conformité au cadre fédéral, notamment à la LHID, a longuement été discutée en commission. Le «loss carryback» n'y est pas mentionné et il n'est donc pas explicitement interdit, je le reconnais, mais la doctrine générale dit que, je cite: «[...] le droit suisse ne connaît pas le système de la compensation rétroactive (carry back) des pertes. Autrement dit, il n'est pas possible de compenser des pertes avec des bénéfices antérieurs. Ce système, admis par certains Etats, n'a pas été retenu par le législateur, car celui-ci suppose notamment la révision de décisions de taxation en force.» C'est ce que j'ai dit tout à l'heure.
La difficulté qui a déjà été énoncée par le rapporteur de première minorité, c'est évidemment la variété des impôts qu'une entreprise est appelée à régler. Avec ce projet de loi, le «loss carryback» serait permis pour l'impôt cantonal genevois, alors que cela ne serait pas possible pour l'impôt fédéral ou pour l'impôt dû dans d'autres cantons par les sociétés actives, par hypothèse, dans plusieurs cantons. Cela va donc clairement complexifier le système fiscal pour le contribuable et pour l'administration, et je cite là le département des finances.
J'aimerais encore mettre en avant le fait que dans une conjoncture difficile, de crise majeure - la crise sanitaire -, les soutiens étatiques ciblés ont démontré leur efficacité durant les années 2020, 2021 et 2022; la commission de l'économie, dont je fais partie, en est aussi consciente. Nous avons accordé passablement de soutiens ciblés à l'économie et je pense que cet arrangement... ce projet de loi n'est pas nécessaire. Ce qui nous a en outre été confirmé par le Conseil d'Etat - par la conseillère d'Etat -, c'est qu'il est bien entendu toujours possible, en cas de difficultés ponctuelles, de trouver un arrangement avec l'administration fiscale...
La présidente. Sur le temps de votre groupe.
M. Pierre Eckert. ...qui permet à l'entreprise contribuable de différer ses paiements si elle n'est pas en mesure de faire face à ses obligations fiscales.
Je dirai encore que s'il y a de bons résultats sur une année «n», mais de moins bons résultats sur une année «n+1», l'année successive - parce que c'est évidemment l'idée de ce projet de loi -, eh bien l'entreprise, à notre sens, devrait conserver, provisionner d'une façon ou d'une autre les bénéfices, les bons résultats d'une année, plutôt que de dépenser l'entier de ces recettes sous forme de bonus ou de dividendes, et donc conserver la faculté de payer ses impôts l'année suivante.
On nous a pas mal parlé de carquois et de flèches: le PL 12709 nous est présenté comme une nouvelle flèche ajoutée à l'arc de la fiscalité; je vous rétorque, moi, qu'il est hasardeux de viser une cible avec deux flèches bandées sur le même arc, d'autant plus que l'une des deux - celle qui nous est proposée ici - est tordue ! Nous vous invitons ainsi à rejeter ce projet de loi.
M. Sébastien Desfayes (LC). Chers collègues, Yvan Zweifel l'a dit, c'est aujourd'hui le «Black Friday»; en cette période de soldes, Le Centre va appliquer un de ses principes cardinaux, celui de l'égalité de traitement, et donc procéder aussi à la liquidation de ce texte ! Oui, on en a fait assez, ces dernières années, en matière de fiscalité des entreprises: on a adopté la RFFA qui, pour la plupart des entreprises du canton, a quand même abouti à une baisse massive des impôts, on a également supprimé récemment la taxe professionnelle qui pénalisait beaucoup de sociétés du canton. De sorte que l'on doit aujourd'hui reconnaître que les conditions-cadres, en matière fiscale, sont adaptées au développement économique de Genève !
Je crois que, s'agissant de la justice fiscale, on doit veiller à ne pas trop en faire pour les entreprises. Et ici, outre les complexités qui ont été évoquées, le cumul du «carryback» et du «carryforward» pourrait donner lieu à certains abus. Même dans les milieux les plus libéraux que l'on peut trouver à Genève, on n'appelle pas ce texte de ses voeux; on ne le demande tout simplement pas, soit parce qu'il ne sert à rien, soit parce qu'il profiterait à quelques gros contribuables, ce qui ne répondrait pas à la notion de justice fiscale.
Oui, un effort doit être fait en matière de fiscalité, mais il doit maintenant porter sur les personnes physiques ! C'est le tour des personnes physiques, par le biais d'une diminution de l'impôt sur le revenu et d'une diminution de l'imposition de l'outil de travail. Alors ne multiplions pas les projets, parce que, à force de faire des cadeaux aux entreprises, on n'aura plus assez de recettes fiscales pour enfin corriger le tir à l'égard des personnes physiques. Dans ces conditions, il est évident que Le Centre refusera ce texte. Merci.
M. Michael Andersen (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, cela a été rappelé à de nombreuses reprises, un principe cardinal dans le domaine de la fiscalité est celui de la capacité contributive. Le rapporteur de majorité l'a d'ailleurs rappelé, le respect de la capacité contributive d'une personne morale doit s'appliquer sur l'ensemble de sa durée de vie et non par silos qui se cantonneraient à une simple réflexion sur l'année courante en question. Un mécanisme existe aujourd'hui, on l'a rappelé: le «loss carryforward», soit la possibilité de compenser des pertes réalisées par une entreprise pendant une durée de sept ans, pour autant que la société soit bénéficiaire sur l'une des sept années suivantes. Ce principe va donc bel et bien dans le sens de la capacité contributive; espérons qu'un jour la durée soit allongée, comme c'est notamment le cas aux Etats-Unis, je crois - on peut le lire dans le rapport -, où le report des pertes est illimité: cela refléterait enfin la juste capacité contributive, car celle-ci, je l'ai dit précédemment, doit être envisagée sur l'ensemble de la vie d'une entreprise.
A travers le présent projet de loi, on instaure un mécanisme inverse permettant d'utiliser une perte de l'année courante afin de compenser un bénéfice passé, de l'année précédente - autrement dit un «loss carryback». Ce mécanisme de compensation aura lieu cette fois-ci par le biais d'une créance fiscale. Néanmoins, après de très nombreuses relectures, c'est vrai que je ne suis pas certain que ce texte améliore réellement la capacité contributive des entreprises et c'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement. En effet, en parcourant le présent projet de loi, vous pouvez constater qu'il prévoit que la créance fiscale soit valable sur cinq ans. Cela voudrait dire qu'une société a réalisé une perte et que, grâce au bénéfice de l'année précédente, une créance fiscale a été créée qu'elle pourra faire valoir les cinq années suivantes sur un impôt dont elle serait redevable. Or le mécanisme de «loss carryforward» permet déjà de faire ça, étant donné que la perte peut être reportée sur les sept années suivantes.
C'est la raison pour laquelle je propose d'augmenter de cinq ans à dix ans la possibilité de faire valoir la créance fiscale, afin de pouvoir réellement améliorer la capacité contributive sur la durée de vie d'une entreprise. C'est uniquement si l'on augmente cette durée au-delà de celle en vigueur pour le mécanisme de «loss carryforward» - elle est... (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...de sept ans, je le répète - que ce projet de loi aura un réel impact sur la capacité contributive.
Dire que ce texte n'est pas conforme à la loi fédérale, c'est faux ! Une absence dans la loi fédérale ne veut pas dire qu'il est non conforme, et d'ailleurs un canton, qui n'est autre que Thurgovie, connaît un tel système...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Michael Andersen. ...système qui n'a par ailleurs jamais été contesté. Quant à la complexité, ce n'est pas une raison pour s'opposer à un tel projet de loi. Le système était bien plus complexe avant la RFFA...
La présidente. Merci.
M. Michael Andersen. ...lorsque les statuts particuliers étaient en vigueur. Donc je vous invite... (Le micro de l'orateur est coupé.)
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Grégoire Carasso pour deux minutes six.
M. Grégoire Carasso (S). Merci, Madame la présidente, ce sera largement suffisant. On sent que ce projet est mal ficelé et pas juste sur le fond, Madame la présidente, chers collègues, aussi dans le timbre et les propos exceptionnellement fébriles - ils sont d'habitude plutôt flamboyants - de notre collègue Zweifel. (Commentaires. Rires.) Serait-ce parce que ce système - un peu foireux, on l'a compris - cherche à éponger aussi bien un bénéfice sur des pertes passées qu'une perte sur des bénéfices qui appartiennent aussi au passé ? C'est un peu fumeux, et il y a des principes fondamentaux qui rendent ce silence qualifié - j'insiste - au niveau du droit fédéral assez logique. Pourquoi ? Parce que dans les fondamentaux, il y a le principe de la prévisibilité de l'impôt; l'idée de pouvoir effacer un bénéfice passé avec une perte nouvelle, de l'exercice comptable suivant, eh bien ce n'est pas très commun ! Et puis, il y a ce principe pourtant cher à certaines professions bien représentées ici de l'étanchéité des exercices comptables.
Eh bien cette mesure foule aux pieds ces deux règles assez fondamentales et hormis le phare européen et mondial qu'est le canton de Thurgovie, qui ne doit pas se trouver souvent confronté à une application simultanée de la compensation des pertes en avant et en arrière... Bref, si c'est le nouveau phare de nos collègues libéraux-radicaux et de l'Union démocratique du centre, soit ! La seule raison pour laquelle aucun pays d'Europe n'applique simultanément les deux mécanismes, c'est que c'est absurde. Ça contrevient à tous les principes fiscaux et économiques existants. Certains pays appliquent l'un - le même que nous -, certains appliquent l'autre, mais aucun pays de l'OCDE n'applique les deux, Thurgovie mise à part - avec tout notre respect envers nos amis thurgoviennes et thurgoviens. Vous l'aurez compris, le parti socialiste refusera l'entrée en matière sur ce projet de loi.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Julien Nicolet-dit-Félix pour une minute trente-cinq.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je dois dire que j'ai été assez étonné par les mots plutôt durs des rangs de la droite au sujet des objets précédents, qui suggéraient que des députés qui ne sont plus là avaient proposé des solutions soit obsolètes, soit absurdes, soit exagérément compliquées à des problèmes réels, avec même certaines pressions pour retirer ces projets de lois. Je n'aurai évidemment pas l'indélicatesse de proposer à notre collègue Zweifel de retirer son projet de loi, mais enfin, les débats l'ont montré en commission et ils le montrent ici, il y a un problème de fond, sans doute, mais il y a surtout un problème de forme !
La solution présentée ici est extraordinairement complexe. Elle suppose des développements informatiques absolument gigantesques pour traiter le problème - qui mérite d'être traité: certaines entreprises peuvent effectivement connaître des difficultés conjoncturelles. Mais, le rapporteur de majorité l'a admis à l'instant, les dispositifs existants sont beaucoup plus légers, beaucoup plus agiles et beaucoup plus souples, tout en étant surtout beaucoup moins coûteux en ressources humaines, en fonctionnaires de l'administration fiscale, pour leur fonctionnement. Une entreprise qui connaît des difficultés passagères peut actuellement demander un report de ses paiements; l'administration fiscale entre en matière dans la mesure où les pièces sont convaincantes et il n'est pas nécessaire de proposer une usine à gaz législative de cette sorte pour régler le problème. C'est évidemment pour cela que nous vous invitons à refuser ce projet de loi.
M. Stefan Balaban (LJS). Je dois avouer que, pour moi qui évolue dans le domaine fiduciaire, la lecture de ce type de projet de loi présente quand même un fort intérêt - je dois vous l'avouer. Mais il s'agit de prendre en considération d'autres éléments factuels et historiques, comme les différentes réformes qui ont été faites en faveur des entreprises; si ce projet de loi aurait été le bienvenu durant le covid - il aurait alors répondu à une problématique de «cash flow» -, aujourd'hui, le covid est passé et ce besoin de «cash flow» supplémentaire ne prend plus une place prépondérante pour les entreprises. Et puis LJS ne voudrait pas que le DF, à cause de ce texte, soit surchargé et demande des fonctionnaires supplémentaires pour aider ceux en place. Pour ces raisons, nous allons refuser ce projet de loi. Mais je tiens tout de même à saluer M. Zweifel à titre personnel, moi qui évolue dans le domaine fiduciaire, pour cet objet. (Rires.) Merci.
La présidente. Je vous remercie. La parole est au rapporteur de majorité pour une minute vingt-trois.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Je reprends un peu de vigueur... (Exclamations. Rires.) ...parce que j'ai compris que mon projet visionnaire... enfin, la flèche qu'il constitue est incomprise, alors que certains ici s'arrogent le droit d'imaginer que des entreprises ne la demanderaient pas. Je travaille justement moi aussi dans le domaine fiduciaire, vous le savez, et je peux vous dire qu'il y a un certain nombre d'entreprises qui la demandent. Je ne suis pas sûr que ceux qui disent que personne ne la demande se sont vraiment intéressés à la question.
En parlant de flèche, M. Eckert explique que le projet de loi serait une flèche tordue; je reconnais là un argument assez habituel de la gauche, qui consiste à blâmer la flèche plutôt que le tireur lorsqu'on ne sait pas viser. (Commentaires.) Bah, ce n'est pas grave ! Quant à moi, je trouverai d'autres flèches plus tard ! Et je voudrais quand même répondre à M. Carasso - vous transmettrez, Madame la présidente -, qui explique que ce projet serait «foireux»: il l'est à tel point, Mesdames et Messieurs, que la disposition qu'il préconise existe aux Etats-Unis d'Amérique, en Grande-Bretagne et même en France, l'enfer fiscal par excellence ! Ces trois pays - dont deux, il me semble, sont en Europe, mais M. Carasso m'expliquera peut-être plus tard que j'ai des problèmes de géographie - appliquent non seulement le report en arrière mais également le report en avant et, M. Andersen l'a indiqué à juste titre, les Etats-Unis de manière illimitée ! Par conséquent, dire que ce projet est foireux parce que les trois grandes puissances que j'ai citées appliquent la même mesure, ça me semble être un argument foireux. Je vous invite, Mesdames et Messieurs, à voter cet excellent projet de loi !
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. C'est tellement rare que je tiens à souligner que je reprends les remarques faites par M. Thévoz. (Rires.) Ce qui est atrocement rare !
Des voix. Oh !
Mme Nathalie Fontanet. Je pense que c'est unique dans mon histoire de conseillère d'Etat.
Une voix. C'est Noël avant l'heure !
Mme Nathalie Fontanet. C'est Noël avant l'heure ! Ça ne va pas durer, ne vous inquiétez pas, parce que je les reprends uniquement pour ce projet de loi. Le Conseil d'Etat a effectivement estimé que ce texte pose un problème de compatibilité avec le droit supérieur. Et puis je vais aussi reprendre - et c'est moins rare - les propos du député du Centre, M. Desfayes: le Conseil d'Etat partage son avis et souhaite maintenant se concentrer sur une baisse de l'imposition des personnes physiques, parce qu'elle est nécessaire. Nous nous y étions engagés dans le cadre de la campagne électorale et je crois que c'est là que nous devons concentrer nos efforts. Et je sais que le rapporteur de majorité - devenu de minorité - se reconnaîtra dans cette volonté de baisser l'imposition des personnes physiques. (Remarque.) Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous recommande de refuser ce projet de loi. Merci.
La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12709 est rejeté en premier débat par 50 non contre 40 oui.