République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 novembre 2023 à 16h15
3e législature - 1re année - 6e session - 38e séance
PL 12686-A
Premier débat
La présidente. Nous passons au PL 12686-A, que nous traitons en catégorie II, quarante minutes. Monsieur Alexandre de Senarclens, vous avez la parole.
M. Alexandre de Senarclens (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Encore un projet de loi, cette fois-ci constitutionnelle, de ce groupe d'extrême gauche qui nous a quittés. Un texte, à nouveau, d'un autre temps, un temps que les...
Une voix. Moins de vingt ans !
M. Alexandre de Senarclens. Non, même pas ! C'était il n'y a pas si longtemps, c'était l'époque du covid, en 2020. On voyait, ou on croyait voir, le monde s'écrouler et le groupe Ensemble à Gauche a proposé ce projet de loi constitutionnelle visant à créer un fonds d'aide sociale en faveur des victimes de la pandémie, qui aurait été alimenté par une contribution de solidarité unique à la charge des grandes fortunes et prélevée en 2021. Cela a été étudié assez tôt: on était en juin 2020, en pleine pandémie. Ce fonds d'aide aurait permis de venir en aide aux personnes bénéficiant du chômage partiel lié à la pandémie de covid-19. Il aurait aussi garanti aux personnes actives empêchées de travailler une indemnité journalière équivalente au revenu moyen de l'activité lucrative. Le texte proposait également d'offrir un soutien social approprié aux personnes âgées de 65 ans, un soutien aux personnes bénéficiant d'aides financières à la formation, etc. Cette contribution aurait donc été prélevée à hauteur de 1% sur les grandes fortunes dépassant 2 millions et ce fonds aurait été géré par une commission ad hoc élue par le Grand Conseil.
Autant dire que j'aurais évidemment souhaité que ce projet de loi soit retiré, puisqu'il y a encore quelques signataires dans la salle; je pense à Thomas Wenger. C'est votre dernier mot, Thomas Wenger ? Pas de retrait ? (Remarque.) Non, alors on va le traiter !
Il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle qui alourdirait encore l'imposition des personnes les plus fortunées de Genève, qui sont d'ores et déjà très lourdement taxées: 1% d'impôt sur la fortune à ce jour et une progressivité de l'impôt déjà très élevée, alors que dans beaucoup de pays, on ne connaît pas cet impôt sur la fortune.
On sait que la pyramide fiscale est extrêmement fragile: 1% des contribuables assurent 80% de l'impôt sur la fortune. On sait aussi que Genève - son Etat - a été d'une résilience incroyable puisque, dès 2021, les comptes se sont soldés avec un boni. On sait que l'Etat a pu venir en aide aux personnes victimes du covid en 2020 et qu'en 2022, à nouveau, l'Etat a pu engranger des bonis très importants. Nous n'avons donc en réalité pas besoin de créer ce fonds: l'Etat est venu en aide à ceux qui en avaient besoin à cette époque. A nouveau, il s'agit d'une époque qui est finalement assez reculée. Le covid est passé, fort heureusement, et l'Etat n'a plus besoin de débourser ces sommes pour venir en aide à ces personnes. Evidemment, si nous votions ce projet de loi, il entrerait en vigueur en 2024, alors que son but est d'apporter de l'aide face à une situation existant en 2021: cela n'a plus aucun sens et il convient de le refuser. Je vous remercie, Madame la présidente.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, la précarité augmente à Genève, et cela date de bien avant la crise du covid, depuis des années - on pourrait même dire des décennies. En 2017, donc avant l'arrivée de la pandémie, près de 17% de la population genevoise vivait dans une situation de pauvreté. Le covid-19, mais aussi toutes les mesures de protection de la population face à ce virus et en particulier les mesures de semi-confinement ont eu un impact très fort sur cette population, qui vivait déjà dans une certaine vulnérabilité. La précarité que certains et certaines vivaient avant le covid s'est aggravée, faisant basculer de nouveaux ménages, de nouvelles familles, de nouvelles personnes dans une situation de précarité. En effet, ce sont des milliers de personnes qui ont perdu, du jour au lendemain, tout ou partie de leurs revenus. Certaines n'ont pas été indemnisées à hauteur de la totalité de leurs revenus, ce qui est particulièrement compliqué pour celles qui vivaient avec de faibles revenus: quand vous ne touchez que 80% de votre salaire et que ce dernier est à moins de 4000 francs par mois, évidemment, vous vous retrouvez dans une situation économique extrêmement difficile. Et puis, il y a toutes les personnes qui sont passées à travers le filet social, même si, tant bien que mal, nous avons essayé d'en raccommoder les mailles.
Les personnes qui en avaient ont tenté de vivre sur leurs maigres réserves, mais celles-ci ont malheureusement été très vite épuisées. On se souvient certainement toutes et tous - et même les moins de vingt ans, Monsieur de Senarclens - de cette crise du covid et des conséquences sociales immédiates et durables qu'elle a eues. On pense évidemment à la queue aux Vernets pour les colis alimentaires, des images qui ont fait le tour du monde et sont arrivées jusqu'aux Etats-Unis, et qui, malheureusement, ne sont finalement que la pointe émergée et visible de l'iceberg. En effet, ces conséquences sociales de la crise, pour beaucoup d'entre elles, sont invisibilisées, mais elles sont bien réelles, elles sont bien présentes et surtout, elles sont durables. Ce sont évidemment les plus fragiles qui en paient le prix.
Mesdames et Messieurs les députés, les crises se succèdent et malheureusement pour les personnes les plus vulnérables, elles se ressemblent dans leurs effets, effets qui se cumulent et qui conduisent ces personnes très fortement précarisées par la crise du covid à subir, sans avoir eu le temps de se relever, des augmentations de prime d'assurance-maladie, une inflation galopante, une augmentation des coûts de l'énergie, des augmentations de loyer. Ce sont des personnes qu'on doit être en mesure de soutenir en développant un certain nombre de nouvelles prestations ainsi qu'en en renforçant d'autres déjà existantes. Pour y parvenir et pour avoir les moyens financiers de répondre à cette urgence sociale que nous vivons aujourd'hui, on doit mettre à contribution, de manière solidaire, les personnes qui en ont les moyens. C'est précisément ce que propose de faire ce projet de loi, raison pour laquelle la minorité que je représente vous invite à l'accepter. Je vous remercie.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, le rapporteur de majorité nous a expliqué doctement qu'en quelque sorte, ce projet de loi serait obsolète parce que l'épidémie a disparu. L'urgence sanitaire a disparu, le virus n'a pas complètement disparu, il continue de sévir, heureusement dans des proportions beaucoup plus faibles que ce que nous avons connu il y a quelques années, mais les effets sociaux de cette épidémie sont loin d'avoir disparu. Ils ont peut-être disparu de votre regard - Madame la présidente, vous transmettrez à ceux qui se sentent concernés - parce qu'effectivement, les images extrêmement choquantes auxquelles nous avons été confrontés au cours de cette épidémie sont moins nombreuses. Mais cette précarité, cette difficulté sociale, elle continue à pouvoir être observée dans les rues pour qui ouvre les yeux. Elle s'observe aussi dans les classes, dans les cabinets médicaux et sans doute dans votre entourage, si toutefois vous souhaitez la voir.
En parallèle de cette précarité, il faut convenir - et là, je vais élargir le propos au-delà des frontières cantonales - que les grandes fortunes ont explosé. Je citerai quelques extraits des différents rapports d'Oxfam, une coordination spécialiste de la lutte contre les différentes formes de précarité, qui nous dit: «L'année passée, la pandémie a fait émerger un nouveau milliardaire toutes les trente heures, alors qu'un million de personnes supplémentaires pourraient basculer dans la pauvreté extrême au même rythme en 2022.» On est donc en 2022, deux ans après l'apparition du covid. Au passage, le rapport paru la semaine passée relève - et ça nous intéresse évidemment tout particulièrement du côté des Verts - que le 1% des plus riches émet autant de CO2 que les deux tiers de l'humanité.
Face au constat que la fortune des milliardaires augmente de 2,7 milliards par jour alors même que les salaires de 1,7 milliard de personnes ne suivent pas le rythme de l'inflation - les fonctionnaires se sentent bien accompagnés en l'occurrence -, Oxfam propose un impôt allant jusqu'à 5% pour les multimillionnaires et les milliardaires au niveau mondial, impôt qui pourrait rapporter en l'occurrence 1700 milliards de dollars par an, soit une somme suffisante pour sortir deux milliards de personnes de la pauvreté. Ça, c'est la proposition d'Oxfam, qui permettrait de résoudre le problème de précarité à l'échelle mondiale. Ce projet de loi est beaucoup plus modeste, Mesdames et Messieurs, vu qu'il propose une contribution unique de 1%, face à une situation au sujet de laquelle j'entends certains dire à droite qu'elle n'aurait aucun rapport. Au contraire, il y a un rapport extrêmement net entre l'explosion des grandes fortunes et l'explosion de la précarité: l'une ne va pas sans l'autre.
C'est un projet de loi qui, de plus, est dans l'air du temps. Pourquoi ? Parce qu'un certain nombre de ces multimillionnaires, de ces multimilliardaires ont bien compris qu'il n'est pas à leur avantage de continuer à cumuler des fortunes indécentes tout en contemplant la précarisation croissante qui les entoure. Nous avons eu par exemple cette année, sur notre territoire national, à Davos, lors du Forum économique mondial, un mouvement de deux cents multimillionnaires qui ont publiquement demandé que les multimillionnaires soient taxés raisonnablement, soit un petit peu plus - vous avez peut-être vu les appels d'un certain Phil White, un Britannique, qui ont été relayés par plusieurs centaines d'autres personnes dans sa situation, qui se distinguent par leur loyauté et par leur souci de solidarité.
Pour finir, on dira que la situation des finances publiques est suffisamment saine pour ne pas avoir besoin de ce pour cent d'apport sur les grandes fortunes. Dans ce cas-là, Mesdames et Messieurs les députés, on peut se demander pourquoi, pas plus tard qu'avant-hier, la commission des finances a refusé, sous prétexte de rigueur budgétaire en quelque sorte...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Julien Nicolet-dit-Félix. ...de financer à la hauteur de ce qui est nécessaire d'un côté l'Hospice général, dont le travail en matière de soutien aux plus précaires est absolument indéniable, et de l'autre côté une association bien connue de tous et toutes, dont le but est de soutenir nos aînés, les personnes âgées qui composent cette société, à savoir l'AVIVO, dont le travail social est absolument incontestable et qui, au prétexte de rigueur budgétaire, se voit retirer sa subvention. Non seulement ce projet de loi garde toute son actualité, mais il permettrait de financer des prestations que les commissaires aux finances ont jugé opportun de supprimer avant-hier pour des raisons de rigueur budgétaire. C'est pour cela que nous soutiendrons ce texte. Je vous remercie. (Applaudissements.)
La présidente. Merci. Avant de donner la parole aux députés, je vous informe que des amendements sont déposés, malgré le fait, là encore, que ce rapport est resté près de trois ans à notre ordre du jour. Je donne la parole à M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC). Merci, Madame la présidente. Vous avez tout à fait raison. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, en effet, ce projet de loi constitutionnelle a été largement traité par la commission des finances, il y a déjà plus de trois ans. Il avait pour but la création d'un fonds social en doublant l'impôt sur la fortune. Pour répondre à mon préopinant rapporteur de minorité, il faut convenir que le Conseil d'Etat, et le Conseil fédéral également - il faut rendre à César ce qui est à César -, ont quand même répondu de manière importante durant la période du covid et ont fait tout ce qu'il fallait pour venir en aide à ceux qui en avaient besoin, qu'ils soient pauvres, que ce soient des indépendants, des entreprises; je crois que tout le monde a été servi - si j'ose dire -, personne n'est passé entre les mailles du filet.
Pour revenir à ce projet de loi, il convient quand même de dire que Genève a le taux d'imposition sur la fortune le plus élevé de Suisse, à hauteur de 1%. Le canton de Vaud est, par exemple, à 0,79%. Au niveau intercantonal, Genève est le canton qui a affiché le taux d'exploitation du potentiel fiscal le plus élevé de Suisse en 2020 avec 33,7%, alors que la moyenne des autres cantons suisses était de 25%. Par comparaison, cela reste largement inférieur dans les cantons de Suisse centrale: par exemple, Zoug n'exploite son potentiel fiscal qu'à hauteur de 11,2%. Il faut aussi rappeler que 4,1% des contribuables de ce canton ont payé 49,3% de l'impôt sur le revenu. A l'inverse, 36% de notre population ne paie pas d'impôts, à part la taxe personnelle.
Au niveau des familles, Genève a une politique assez large dans la mesure où une famille avec deux enfants n'est taxée qu'à partir de 80 000 francs de revenus par année, alors que cela peut commencer à 35 000 francs dans d'autres cantons suisses. Pour toutes ces raisons, il convient de refuser l'entrée en matière sur ce PL 12686. Je vous remercie, Madame la présidente.
M. Sébastien Desfayes (LC). C'est un nouveau projet d'Ensemble à Gauche, plus précisément de Jean Batou, qui était mû par un réflexe pavlovien, quand bien même Pavlov était un anticommuniste, alors que Jean Batou est un fervent trotskiste. Il était donc mû par un réflexe pavlovien qui consistait, chaque semaine, à déposer un projet de loi ou une motion voulant augmenter les impôts de manière radicale - mais pas au sens où l'entend Murat Alder, je le précise. Ces textes, déposés semaine après semaine, sont très déplaisants parce qu'ils instaurent un climat et une sorte d'insécurité juridique et fiscale qui nuisent, bien entendu, à la compétitivité du canton. On l'a dit, Genève a le taux d'imposition sur la fortune le plus élevé de Suisse: 1% des contribuables paient 80% de l'impôt sur la fortune. On a une pyramide fiscale qui est extrêmement fragile, ce n'est vraiment pas la pyramide de Khéops ! Pour les spécialistes, c'est plutôt une pyramide comme celles que l'on trouve au Yucatán, les pyramides maya, qui sont extrêmement fragiles en leur sommet, tant et si bien que si quelques contribuables devaient quitter notre canton, c'est tout le système social qui s'effondrerait.
A cet égard, j'ai été un peu choqué par les propos du rapporteur de deuxième minorité, qui reprend le mandat - non pas externe, je rassure tout le monde ! - de Jean Rossiaud, parce qu'effectivement, Genève a fait face à la crise du covid, l'Etat a joué son rôle, les associations aussi, et je pense qu'on peut tirer un très grand coup de chapeau au Conseil d'Etat pour avoir fait face à cette situation difficile. Alors on nous dit que la précarité n'a pas diminué, c'est vrai, mais l'Etat continue à faire face et à offrir des solutions. Si nous avons un filet social fort, si nous avons un système social fort, c'est précisément parce que nous avons des recettes fiscales. Ces dernières dépendent d'un petit nombre de contribuables, ne jouons pas avec cela. C'est la raison pour laquelle, bien entendu, le groupe Le Centre refusera ce projet de loi. Merci.
M. Sylvain Thévoz (S). Hier, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi, les partis de droite nous ont presque fait pleurer en prenant la défense des propriétaires les plus exposés, les plus en souffrance dans l'accès à la propriété et, pour ce qui est des grands propriétaires, les plus malmenés. Sachant la crise que connaissent actuellement les locataires, ça nous a presque tiré une larme, une larme ironique. Aujourd'hui, on recommence, mais cette fois avec les grandes fortunes. Les pauvres milliardaires; mon Dieu, un projet de loi qui leur demande de contribuer au coeur d'une crise covid qui était une menace existentielle sur nos sociétés !
Alors certes, ce projet de loi a trois ans, c'est pourquoi le parti socialiste a déposé un amendement pour proposer, plutôt que de l'appliquer à la crise du covid-19, de l'appliquer à la crise sociale actuelle, comme ça vous verrez très bien que ce texte est absolument contemporain, actuel et utile. Il demande simplement aux grandes fortunes de contribuer à la réponse apportée à la crise sociale.
Mme Marti l'a excellemment rappelé: hausse des loyers, hausse des primes d'assurance-maladie - plus 10% -, hausse continue du coût de la vie, de l'énergie. Aujourd'hui, on a une classe moyenne qui s'appauvrit de plus en plus et une classe populaire dont les membres n'arrivent tout simplement plus à joindre les deux bouts et risquent d'être expulsés de leur logement, et ce dans une certaine indifférence du cénacle que forme la majorité ici même, qui protège les propriétaires, les millionnaires, les grandes fortunes - c'est son électorat favori.
Mesdames et Messieurs, ce projet de loi est fondamental: il demande de défendre la justice sociale. En Suisse, parce que nous sommes patriotes et attachés à notre démocratie, nous croyons que ceux qui peuvent le plus doivent en faire davantage, et que ceux qui sont au risque de se retrouver à la rue ou qui sont menacés dans leur santé parce qu'ils ne peuvent plus accéder au système de soins doivent être protégés. Donc oui, il faut des moyens supplémentaires. Oui, il faut que ceux qui le peuvent contribuent davantage.
Si vous étudiez les travaux de M. Piketty, notamment, vous verrez que l'accumulation du capital revient à un stade comparable à celui de l'époque coloniale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, les inégalités, après avoir régressé au long du XXIe siècle, reviennent à peu près au niveau qui était le leur au début du XXe. Nous sommes donc dans une espèce de capitalisme sauvage où ceux qui accumulent continuent de le faire, et nous en avons des exemples à Genève avec toutes les grandes entreprises du négoce, du pétrole, qui font des milliards et des milliards de bénéfices, à l'opposé des gens qui, cet hiver, risquent d'être expulsés de leur logement ou qui en tout cas se demandent comment ils vont payer leur loyer et font parfois des économies sur le boire, le manger ou le chauffage, simplement pour pouvoir arriver à la fin du mois.
Ce projet de loi doit être toiletté, c'est pourquoi le parti socialiste vous propose cet amendement. Pour vous laisser le temps de l'étudier sérieusement, nous proposons un renvoi à la commission fiscale. J'espère que vous le soutiendrez afin que nous puissions... Pour d'autres projets de lois également, vous direz certainement: «Ah, c'était le covid-19, c'est du passé.» Non, c'est toujours la même situation ! Les crises sont toujours payées par les plus précaires, les plus riches s'enrichissent durant les crises et les guerres, c'est bien connu. Nous vous invitons donc en tout cas à renvoyer ce projet de loi à la commission fiscale afin que nous puissions sereinement étudier notre amendement, ce qui vous permettra, j'espère, de prendre conscience des difficultés actuelles de la population genevoise. J'ai terminé, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Je donne d'abord la parole au rapporteur de seconde minorité, sur le renvoi en commission.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Evidemment, nous souscrivons complètement aux propos de M. Thévoz, quant à son analyse de la situation. (Brouhaha.) Si je peux vous demander, Madame la présidente, de demander à M. Sormanni de téléphoner ailleurs.
La présidente. Oui, Monsieur Sormanni, est-ce que vous pouvez passer votre appel ailleurs ? (Rires. Commentaires.) Merci.
M. Julien Nicolet-dit-Félix. Vielen Dank ! (Remarque.) Oui, oui, je vais reprendre, j'ai suffisamment de temps. Effectivement, comme l'a très bien dit le député Thévoz, la crise covid s'est muée - on a vu le lien tout à l'heure - en une véritable crise sociale. Il convient donc d'adapter, de toiletter ce projet de loi. Comme l'a aussi excellemment dit le député Desfayes, nous nous trouvons dans une situation qui n'est pas saine avec une pyramide inversée, personne ne le conteste. Mais cette pyramide inversée, elle est causée par les choix politiques, par les choix économiques, par les choix sociaux que, successivement, nous avons faits au cours des dernières décennies. Il faut en effet - évidemment de façon très modeste via ce projet de loi, mais aussi de façon plus générale - que nous mettions en place une politique qui permette d'inverser, non pas la pyramide fiscale, mais la distribution des richesses dans ce canton, qui devient de plus en plus inégalitaire et qui pose un problème de plus en plus important, notamment aux personnes qui souffrent de cette précarité croissante. C'est pour cela que nous soutiendrons le renvoi en commission.
La présidente. Je vous remercie. Madame la rapporteure de première minorité ?
Mme Caroline Marti. Pas mieux !
La présidente. Pardon ? Pas mieux, d'accord. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole, sur le renvoi en commission.
M. Alexandre de Senarclens (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Oui, j'invite à le refuser. La commission fiscale a correctement examiné ce projet de loi. Je dois vous dire que j'ai le sentiment que ce que nous vivons dans ce Grand Conseil ressemble un peu à un disque rayé: nous avons eu mille fois ce débat sur l'impôt sur la fortune, sur le bouclier fiscal, dans le cadre de la LEFI. Mille et une fois, ces mêmes arguments ont été assénés, à gauche comme à droite, et je ne vois pas très bien ce qu'un renvoi en commission changerait à cette donne. Je vous remercie, Madame la présidente.
La présidente. Merci. Nous votons donc sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12686 à la commission fiscale est rejeté par 54 non contre 29 oui.
La présidente. Nous continuons le débat. La parole est à M. Yvan Zweifel pour trois minutes cinquante.
M. Yvan Zweifel (PLR). Merci, Madame la présidente. On l'aura compris, aujourd'hui, c'est «Black Friday». (Rires.) On solde les projets de lois dangereux et contre-productifs d'Ensemble à Gauche - dont on n'est pas tellement sûr qu'ils sont restés ensemble jusqu'au bout, mais peu importe, on a vu le résultat. (Rires.) On parle ici, vous l'avez compris, d'une contribution de solidarité, ce qui signifierait par hypothèse que les personnes concernées, en l'occurrence ici les grandes fortunes, ne seraient pas solidaires. Or, c'est l'exact contraire, Mesdames et Messieurs, puisque - on le rappelle ici - sur ces dix dernières années, alors que la population a augmenté de 11% dans ce canton, les recettes fiscales ont, elles, augmenté de 64%, soit quasiment six fois plus que l'augmentation de la population. On le doit précisément à un certain nombre de contribuables, et notamment les plus aisés. Il faudrait être content de les avoir ici, plutôt que le contraire.
Le deuxième point, c'est que ces mêmes grandes fortunes sont sujettes à Genève - on l'a déjà dit - au taux d'impôt marginal sur la fortune le plus élevé de tout le pays. La Suisse connaît encore l'impôt sur la fortune, alors que celui-ci n'existe plus en France que sur les biens immobiliers; il existe encore en Norvège, mais à peu près plus dans les autres pays. Par conséquent, dire ou sous-entendre qu'ils ne seraient pas solidaires... C'est l'exact contraire, et c'est précisément parce qu'ils sont là et qu'ils sont solidaires que nous avons ces recettes fiscales qui, encore une fois, permettent précisément d'aider les plus précarisés.
Mais justement, Mesdames et Messieurs, et c'est le point essentiel, ce n'est pas en insultant ces personnes comme le fait toujours aussi admirablement M. Thévoz, en voulant les matraquer fiscalement, c'est-à-dire finalement en souhaitant que ces grandes fortunes s'en aillent - parce que c'est ça que vous voulez... Quand on parle de pyramide fiscale, si vous voulez qu'elle s'aplatisse, par définition, il n'y a qu'une possibilité, c'est de les faire partir. Comme ça, effectivement, vous aplatissez sur le reste. Parce que vouloir les imposer encore plus, qu'est-ce que ça apporte ? Ça va encore allonger la pyramide. En réalité, vous voulez les voir s'en aller. Le problème, c'est que s'ils s'en vont, qu'est-ce qui se passe, Mesdames et Messieurs ? Ils partent avec leurs recettes fiscales et on a donc moins de moyens pour aider ceux qui sont les plus précarisés, c'est donc l'effet contraire de ce que vous souhaitez. Par conséquent, en réalité, il faut évidemment refuser ce texte, parce qu'il va à l'encontre de la politique que vous souhaitez.
Enfin, et je veux terminer par ce point, je souhaite rappeler que le peuple s'est d'ores et déjà prononcé sur un projet similaire. Son vote a été extrêmement clair. Il serait temps, dans ce parlement, que certains acceptent la démocratie. En conséquence de quoi je vous invite évidemment à refuser ce projet délétère. (Applaudissements.)
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, l'économie d'un pays dépend de ses entrepreneurs et de ses personnes fortunées. Au lieu d'avoir encore plus de gens qui ont des moyens, pour qu'ils donnent de la force à notre économie, pour qu'ils créent des emplois pour notre ville, notre canton, notre pays, nous sommes en train d'imposer encore plus de taxation, plus de taxes...
Depuis tout à l'heure, j'ai un peu analysé ce qui se dit dans ce débat: pour garantir la justice sociale, il faudrait pénaliser une partie de la population. Aider une partie de la population, c'est une bonne chose, tout le monde est d'accord, mais si, pour le faire, on pénalise une autre partie de la population, ce n'est pas la justice sociale. En fait, ce projet de loi a plusieurs inconvénients, plusieurs impacts financiers. Le premier est que de moins en moins de gens vont venir investir à cause de cette fiscalité lourde - comme l'ont déjà dit plusieurs députés, on a des impôts assez élevés par rapport au reste de la Suisse. Il ne faut pas les augmenter encore.
Le deuxième élément concerne la compétitivité économique, avec laquelle ce texte n'est pas compatible. Alors qu'elles créent du travail, les grandes fortunes vont partir et, à nouveau, il n'y aura plus de travail. Les travailleurs vont perdre leur emploi parce que les entrepreneurs auront déplacé leur fortune. Les entrepreneurs, les grosses fortunes sont à la recherche d'endroits où ils paient moins d'impôts. Si maintenant on augmente le taux d'imposition, ils quitteront Genève et s'installeront ailleurs.
La troisième question est plus spécifique: j'attire votre attention sur la conformité de ce projet du point de vue constitutionnel. On ne peut pas pénaliser une partie de la population fortunée en la faisant payer plus parce qu'une autre partie de la population a besoin de cette contribution. Le groupe LJS vous invite à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi, il faut le rejeter. Je vous remercie beaucoup pour votre attention.
M. Patrick Dimier (MCG). Madame la présidente, vous transmettrez à M. Thévoz que ce n'est pas parce qu'on évite la pyramide de Khéops qu'il faut faire celle du chaos. Merci.
La présidente. Je vous remercie. La parole est au rapporteur de deuxième minorité pour trois minutes.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Il n'en faudra pas autant pour exprimer le regret, avec le rapporteur de majorité, qu'effectivement, les projets se suivent et les arguments se ressemblent; si c'est le cas, c'est que la vérité ne change pas et que les arguments qui la décrivent sont toujours les mêmes. Pour répondre, vous transmettrez, Madame la présidente, au député Zweifel, qui une fois de plus (ça devient une véritable antienne dans ce parlement) nous agite la menace de l'évasion fiscale au sens strict - c'est-à-dire que l'évadé quitterait le territoire par déloyauté, alors qu'on lui propose une modeste contribution unique -, que la réalité montre précisément le contraire, vu que le nombre de personnes millionnaires et multimillionnaires croît - du verbe croître donc...
Une voix. Oui, oui.
M. Julien Nicolet-dit-Félix. ...à Genève, quand bien même on décrit cette république comme un véritable enfer fiscal. Nous le constatons et nous nous en réjouissons, car effectivement, nous souhaitons que toute personne se sente bienvenue à Genève, quel que soit son niveau de fortune. Nous refusons de considérer la fiscalité sous un angle émotionnel: il n'est question ni de punir ni de pénaliser les gens. Rassurez-vous, ce n'est pas parce que nous ne vous aimons pas que nous vous proposons de contribuer à la prospérité générale. Au contraire, il n'y a aucune émotion là-dedans, c'est simplement le principe de la capacité contributive que nous souhaitons appliquer dans un contexte particulier qui, à l'époque, était la crise covid et qui s'est plus largement mué en contexte de crise des inégalités, de crise sociale. C'est pour cela que nous espérons vous avoir convaincus, avec beaucoup d'affection et d'amour, que nous ne vous en voulons pas, et que nous souhaitons que vous acceptiez ce projet de loi. (Commentaires.) Nous vous remercions. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. La parole est à la rapporteure de première minorité pour cinquante secondes.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Madame la présidente. Ma première intervention, pour répondre à M. Zweifel, vous voudrez bien lui transmettre: il nous indique que l'impôt sur la fortune et les personnes qui paient cet impôt ont crû de façon bien plus importante que l'augmentation de la population, mais c'est l'illustration parfaite de l'augmentation des inégalités et du fait qu'il y a quelques personnes très fortunées qui s'accaparent toujours plus de richesses et qui donc paient plus d'impôts - c'est vrai effectivement, en valeur absolue. (Remarque.) Mais il y a aussi des personnes qui, tout en bas de l'échelle, ont une situation sociale qui s'aggrave. On doit pouvoir mettre en place un certain nombre de mécanismes pour redistribuer un peu mieux ces richesses. C'est précisément l'objectif de ce projet de loi à travers une contribution de solidarité. Je vous remercie d'accepter ce texte.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat, déjà depuis la précédente législature, est opposé à toute augmentation de la fiscalité dans le canton. Ce n'est donc pas une position nouvelle d'un nouveau Conseil d'Etat avec une nouvelle majorité. Il était déjà, au moment du dépôt de ce projet de loi, soit au moment du début de la crise du covid, opposé à ce texte, estimant que la réponse donnée n'était pas la bonne, rappelant que nous avons le taux d'imposition sur la fortune le plus élevé du pays, Mesdames et Messieurs, sans commune mesure avec ce qui se fait dans les autres cantons, y compris le canton le plus proche de nous, qui est à plus de 0,2 point de différence par rapport à notre impôt sur la fortune. Cela n'a pas de sens d'augmenter la fiscalité de celles et ceux qui sont les plus riches et qui paient aujourd'hui, par l'imposition, plus qu'ils ne paieraient dans d'autres cantons.
On l'a vu, les personnes qui avaient besoin d'être prises en charge l'ont été. Pour ce qui est des différents amendements déposés, les personnes qui aujourd'hui auront besoin d'une prise en charge seront également soutenues par le canton. Nous souhaitons conserver nos gros contribuables. Nous souhaitons ne pas devenir plus chers que ce que nous sommes déjà pour ces personnes qui vivent dans notre canton et qui, pour la plupart, créent aussi de l'emploi.
Encore un élément dont nous n'avons pas parlé: le fait que ces contribuables, outre le paiement de l'impôt, participent à des oeuvres de charité, au financement d'autres projets, auxquels ils contribuent très largement sans avoir besoin que leurs impôts soient augmentés. Le Conseil d'Etat vous recommande donc de rejeter ce projet de loi. Je vous remercie.
La présidente. Merci. Nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12686 est rejeté en premier débat par 58 non contre 31 oui.