République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 1019
Proposition de résolution de Stéphane Florey, Virna Conti, Skender Salihi, Julien Ramu, Marc Falquet, Louise Trottet, Julien Nicolet-dit-Félix, Daniel Noël, Sandro Pistis, Lionel Dugerdil, Florian Dugerdil, Christo Ivanov, Danièle Magnin, Arber Jahija, Nicole Valiquer Grecuccio, Jennifer Conti, Marjorie de Chastonay, Gabriela Sonderegger, Charles Poncet, Céline Bartolomucci, Sophie Bobillier, Jacklean Kalibala, Patrick Lussi, Guy Mettan demandant de sanctionner expressément la pratique du « stealthing » (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 16, 17, 23 et 24 novembre 2023.

Débat

La présidente. Nous continuons nos urgences avec la R 1019, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Monsieur Stéphane Florey, vous avez la parole. (Brouhaha.)

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Madame la présidente...

La présidente. Excusez-moi. Est-ce que je peux demander un peu de silence dans la salle ? Merci. Monsieur Florey, allez-y.

M. Stéphane Florey. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, en lisant dans la presse ce qu'est le «stealthing», à savoir la pratique qui consiste à retirer son préservatif pendant une pénétration, très franchement, j'ai cru à une mauvaise blague entre deux personnes qui font ce qu'elles ont à faire. La réalité est toutefois bien plus effrayante que cela, il faut le dire. C'est clairement une rupture de confiance entre deux personnes: si une des deux met un préservatif, c'est parce que ces deux personnes l'ont décidé ensemble. Pour moi, on n'aurait aucun droit de le retirer sans le consentement du conjoint, quel qu'il soit.

Le risque, c'est d'abord une grossesse non désirée, pour une femme; c'est un risque et un problème qui peuvent concerner tout un chacun, mais qui ne devraient pas exister; on voit aujourd'hui le nombre de grossesses non désirées. Le deuxième problème de cette affaire, ce sont les infections sexuellement transmissibles; elles sont en recrudescence en Europe, on le voit depuis un certain nombre d'années. Il y a la syphilis revenue en force, et il y en a d'autres que je ne citerai pas, car le but n'est pas de faire le catalogue de toutes ces infections.

Le risque d'infections sexuellement transmissibles et celui de grossesses non désirées, à eux seuls, valent la peine qu'on se penche sur la question, qu'on dise clairement notre opposition à cette pratique et qu'on renvoie cette résolution directement aux Chambres fédérales afin qu'elles statuent sur la demande. Il ne s'agit de rien d'autre que de déclarer que c'est un acte relevant du droit pénal. Personnellement, j'ai été assez effaré de lire qu'un juge avait dit que non, ce n'est pas pénal, ce n'est pas une contrainte, ce n'est pas un viol. Il faut peut-être trouver le bon terme, mais dire qu'il s'agit purement et simplement de harcèlement sexuel... Très franchement, je n'ai pas compris cette déclaration et ce jugement.

Je pense que les conséquences sont suffisamment graves pour que l'on se penche sur la demande faite aux Chambres fédérales de traiter la question une fois pour toutes, même si mon collègue Yves Nidegger nous a dit à plusieurs reprises que les Chambres travaillent dessus actuellement et qu'elles l'ont déjà fait à de nombreuses reprises. Quand on voit la finalité du jugement, on se dit qu'il y a encore quelque chose à faire, que ça vaut la peine de continuer à émettre ce type de demande en envoyant cette résolution aux Chambres fédérales. Je vous remercie.

Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, selon la définition de Wikipédia, «le stealthing [...], aussi appelé furtivage ou retrait non consenti du préservatif, est une forme d'agression sexuelle qui consiste, pour un partenaire sexuel, à enlever son préservatif pendant l'acte sexuel, à l'insu de l'autre partenaire. Cette pratique, qui enfreint le consentement du ou de la partenaire, est juridiquement condamnable dans de nombreux pays et est parfois considérée comme un viol». En Suisse, ce n'est pas un viol ! Malgré la forme d'agression, malgré le fait que cela soit commis à l'insu du ou de la partenaire, malgré le non-consentement, malgré ces trois violences explicites, le «stealthing», en Suisse, n'est pas vu comme un viol !

En Suisse, les tribunaux considèrent l'usage du préservatif comme une modalité de l'accomplissement d'un acte sexuel. Il faut rappeler le rôle du préservatif; ce n'est pas uniquement une modalité de l'accomplissement d'un acte sexuel, non ! Le préservatif ne fait pas seulement office de moyen de contraception, il sert aussi à protéger le ou la partenaire d'éventuelles maladies sexuellement transmissibles, comme on l'a déjà souligné.

Aussi, retirer son préservatif sans en informer la personne concernée et sans son accord est un acte de mise en danger, une agression, est une attaque à la question fondamentale du consentement. C'est donc clair, évident et violent: c'est un viol ! C'est pourquoi les Vertes et les Verts soutiennent la résolution afin que l'Assemblée fédérale crée une norme expresse sur le «stealthing» et afin surtout que les auteurs d'un «stealthing» ne soient plus jamais acquittés et ne puissent plus continuer cet acte violent en toute impunité. Merci ! (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Yves Nidegger pour deux minutes seize.

M. Yves Nidegger (UDC). Merci, Madame la présidente. A la suite d'une réflexion liée à un article de journal, si possible de «20 minutes», si le sujet est de compétence cantonale, on écrit immédiatement une proposition de motion; si ce n'est pas de compétence cantonale mais fédérale, on écrit une proposition de résolution. Ensuite, le sujet est traité.

Durant ces dernières années, la commission des affaires juridiques a procédé à une réforme du droit pénal en matière sexuelle, à laquelle j'ai participé, et ça a été très longuement débattu à Berne. Rassurez-vous, Monsieur Florey, rassurez-vous, chers autres collègues, ils sont au courant !

Qu'est-ce qu'une résolution à l'Assemblée fédérale ? C'est une manière de signaler au législateur fédéral (dont c'est la compétence, puisqu'il s'agit de droit pénal) qu'un élément aurait été oublié dans sa réflexion, élément dont nous, Genevois, qui sommes plus brillants que la moyenne des cantons, avons - idée géniale - compris en quoi il consistait. Chers collègues, quand vous avez une idée brillante qui relève de la compétence fédérale, passez un coup de téléphone à nos élus à Berne et dites-leur: «Hé, les gars ! Si vous signiez tous le même texte, tous partis confondus ? Qu'est-ce que vous en pensez ?» Vous vous retrouverez alors immédiatement dans le chaudron, à l'endroit où la chose va être débattue, au lieu d'attendre des mois et des mois jusqu'à ce qu'un jour, peut-être, il y ait une audition devant une commission qui dira: «Qu'est-ce qu'ils nous veulent encore, ces Genevois ?» Voilà la manière efficace de procéder quand le sujet est important !

J'en viens au sujet lui-même. Vous connaissez Julian Assange; il a été poursuivi pour viol, parce qu'en Suède, on considère comme un viol ce qu'on appelle «stealthing». En d'autres termes, dans les législations plus avancées sous l'angle du consentement, comme en Suède, on considère qu'un consentement à un acte sexuel n'implique pas un consentement à un acte sexuel non protégé. (La présidente agite la cloche.) Lui, on ne lui reprochait pas d'avoir enlevé son préservatif en cours d'ébats, mais d'avoir remis ça au petit matin après une nuit passée avec une de ses maîtresses qui avait trouvé ça très bien, mais qui a été plutôt surprise de le voir agir à nu. Dans la forme du droit prise à Berne, il y a de la place pour cette question sous l'angle du consentement...

La présidente. Il vous faut conclure. (Hilarité. Applaudissements.)

M. Yves Nidegger. Puisqu'on m'y invite... (L'orateur rit.) Puisqu'on m'y invite, sur un malentendu, je vais conclure en vous recommandant de ne pas adopter de résolution pour cela, mais de vous mettre dans l'idée que c'est bien de parler à vos élus fédéraux, dont certains sont d'ailleurs ici présents.

Mme Jacklean Kalibala (S). Mesdames et Messieurs les députés, la notion de consentement doit être au centre de nos considérations. Si une personne consent à un rapport protégé et qu'à son insu le rapport ne l'est plus, le consentement ne peut plus valoir: il s'agit alors d'un autre acte, qui expose à des risques non consentis. Ceux-ci vont demander des actions tels qu'une contraception d'urgence, des dépistages voire des traitements d'infections, sans parler de l'impact psychologique. Si la pénétration a eu lieu, même si on s'en rend compte avant la fin du rapport, les risques sont là. Le «stealthing» est donc à considérer comme un acte sexuel non consenti.

Cette année, nous avons obtenu une nouvelle norme du droit pénal en matière sexuelle: la contrainte et la violence ne sont plus des conditions préalables à la reconnaissance d'un viol, le refus explicite, implicite, verbal ou non verbal suffit pour que le viol soit reconnu. Malgré cette avancée historique et nécessaire, il subsiste un flou en ce qui concerne les actes sexuels dont toutes les modalités n'ont pas été entièrement consenties, comme le «stealthing». Il y a donc une réelle nécessité de créer cette base légale pour une pratique dont la fréquence et les risques ne sont pas négligeables. C'est pourquoi je vous remercie de soutenir cette résolution et de l'envoyer à Berne. (Applaudissements.)

Mme Patricia Bidaux (LC). Mesdames et Messieurs, la définition du «stealthing» nous ayant été donnée par Mme la députée de Chastonay, j'insisterai uniquement sur le fait que dans de nombreux pays, cet acte est juridiquement condamnable. Dans de nombreux pays, sauf en Suisse !

Aujourd'hui, allons-nous nous cacher derrière notre droit pénal pour refuser ce texte ? On a déjà eu tellement de peine à faire reconnaître le viol quel que soit le genre de la victime, puisque ce n'est que le jeudi 17 février 2022 que la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats s'est prononcée en faveur d'une redéfinition du viol sans distinction du genre de la victime. Aujourd'hui, on a encore de la peine à faire bouger d'autres lignes. On n'est même pas étonné de devoir le faire, quoi qu'en dise M. le député Nidegger.

Le comportement désigné par le «stealthing» - de l'anglais «stealth», secret, ruse - semble pourtant s'être de plus en plus répandu ces dernières années. On parle donc ici bien de ruse et de secret et non pas d'une relation sexuelle pleinement consentie. Pensons aux victimes et aux conséquences de tels actes: les maladies sexuellement transmissibles (on a, du reste, peut-être oublié un peu vite le fléau du sida), sans parler des grossesses, qu'on a aussi mentionnées. Il s'agit bel et bien d'intégrité physique et de santé.

Un arrêt du Tribunal fédéral a néanmoins reconnu que la pratique du «stealthing» n'est pas condamnable faute d'un article clair. Le Centre est loin d'être rassuré par cet arrêt, puisque son interprétation est encore fluctuante. Effectivement, à la fin de l'arrêt, on peut lire que «la jurisprudence commentée ici devrait en théorie rester au moins en partie pertinente pour déterminer si une victime est en incapacité de résistance». On voit bien que c'est encore très flou. Il est donc temps que cela soit corrigé ! Ce soir, nous pouvons transmettre un message clair. Le Centre ne s'en privera pas ! Je vous remercie.

Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). Je vais essayer d'être brève, puisque les possibilités de jeux de mots sur ce sujet sont nombreuses et que, malheureusement, je suis entourée des pires du parlement en matière de compréhension pervertie. (Rires.) Ce sujet est délicat, sérieux, j'en conviens. Une fois n'est pas coutume, je vais malheureusement devoir donner raison à M. Nidegger quant à la nature de la résolution: d'une façon générale, les résolutions à l'Assemblée fédérale, ça ne sert à rien !

Maintenant, j'invite M. Nidegger à découvrir ce qu'est un caucus. Un caucus, c'est assez pratique: ça permet de discuter avec les membres de son propre groupe. Si vous aviez été à votre caucus, vous auriez pu dire dans ce cadre-là à M. Florey, qui est du même groupe que vous et l'auteur de cette résolution, tout ce que vous avez énoncé pendant cette séance plénière, nous rendant témoins de vos débats internes.

Je tiens également à faire un petit rappel: il y a 260 points à l'ordre du jour, même si notre brillante présidente tente de les évacuer. Nous traitons des sujets comme la lutte contre le harcèlement sexuel, le congé parental, qu'on a déjà voté - certains sujets sont effectivement un peu obsolètes -, des crédits d'investissement pour les hôpitaux; il y a donc des sujets vraiment sérieux, mais l'UDC a décidé que cette résolution était prioritaire, tout en sachant qu'elle a deux très bons représentants à Berne qui auraient pu directement relayer le message sans alourdir davantage l'ordre du jour de ce Grand Conseil. Je le regrette un tout petit peu, car c'est une perte de temps.

Quant au fond, la pratique est effectivement exécrable, on est d'accord: qu'un homme se sente le besoin de piéger une femme pour lui faire un enfant montre de toute évidence qu'il existe un problème de base, ce n'est pas la peine qu'il continue sur cette voie. Le PLR condamne la pratique, mais refusera la résolution, parce qu'elle ne sert à rien. Merci, Madame la présidente. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

M. Philippe Morel (MCG). Pour une fois, je m'oppose à ma préopinante: je pense que ce sujet est extrêmement important et que certains thèmes que nous abordons ont beaucoup moins d'importance et beaucoup moins d'impact sur les êtres humains. Le rapport sexuel doit être un rapport mutuellement consenti et des règles peuvent être établies non seulement quant au port d'un préservatif, mais aussi quant à d'autres pratiques sexuelles, qui peuvent être acceptées ou refusées. Prétendre que la perte du préservatif est due au hasard est faux: les fabricants, vous le savez, ont fait preuve d'ingéniosité s'agissant de la taille des préservatifs, de l'épaisseur, etc.; c'est donc littéralement un service personnel qui est fourni. La perte du préservatif ne peut être que volontaire, et si elle est volontaire, c'est une rupture du contrat avec le partenaire. A mes yeux de médecin, celle-ci peut être assimilée à un viol, à une agression sexuelle extrêmement grave: on peut véhiculer des maladies sexuellement transmissibles et provoquer, conséquence aussi importante, une grossesse non désirée. Le «stealthing» est donc à condamner; il a été condamné, il est condamnable dans beaucoup de pays autour de nous, et il n'y a pas de raison que nous fassions exception. Je pense que les partenaires sexuels victimes de cette pratique doivent être protégés.

Par contre, je rejoindrai ma préopinante pour dire à M. Nidegger qu'il connaît bien Berne, que le téléphone, il l'a aussi et qu'il peut lui-même donner un coup de fil, mais peut-être qu'en ce cas, cette résolution n'aurait pas été discutée, ce que j'aurais personnellement regretté. Ce sujet est à mon avis extrêmement important, il concerne de très nombreuses personnes; cette pratique est inadéquate, c'est une forme de viol ! Il doit absolument être condamné ! Nous soutiendrons donc cette résolution. Merci.

La présidente. Je vous remercie. Monsieur David Martin, vous avez la parole pour un peu moins d'une minute.

M. David Martin (Ve). Merci, Madame la présidente. Je serai très bref. Je n'ai aucune remarque sur le fond; c'est juste pour communiquer à M. Nidegger, Madame la présidente, comme l'a fait Mme Barbier-Mueller, que ce n'est pas parce qu'il a passé quelques années à Berne qu'il lui est nécessaire de nous faire la morale pendant cinq ans sur l'usage des résolutions à l'intention de l'Assemblée fédérale. C'est un outil législatif qui existe et qui est à la disposition de notre parlement. Sa remarque est d'autant plus désagréable qu'elle porte sur le texte de son collègue assis à un mètre de lui. Merci. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. Madame Virna Conti, vous n'avez plus de temps de parole. (Commentaires.) Je vois que le groupe UDC commence à discuter, mais l'idéal, c'est de tenir les caucus à l'extérieur ! Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur cette proposition de résolution.

Mise aux voix, la résolution 1019 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 55 oui contre 15 non (vote nominal).

Résolution 1019 Vote nominal