République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 13 octobre 2023 à 18h
3e législature - 1re année - 5e session - 29e séance
PL 12794-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
La présidente. Nous abordons maintenant le PL 12794-A et la M 2686-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. (Brouhaha.) Je vous prie de faire un peu de silence dans la salle. S'il vous plaît, je sais que nous avons encore une heure de travaux, mais ce serait bien si nous pouvions la passer dans le silence ! Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi et cette motion, que la majorité de la commission judiciaire et de la police vous invite à refuser, me plongent dans un malaise profond, parce qu'ils partent du principe que la police genevoise commet des actes qui ne respectent pas la loi et portent atteinte à l'intégrité des personnes, et qu'il s'agit par conséquent de remettre en place ces policiers et de contraindre la police genevoise à respecter un certain nombre de règles, notamment à ne pas pratiquer le profilage racial.
Cela suscite chez moi un certain malaise, tout d'abord parce que, si vous avez lu les exposés des motifs, qui sont les mêmes pour la motion et le projet de loi, vous aurez constaté que ceux-ci font référence à toute une série de faits divers dramatiques lors desquels des personnes sont effectivement décédées à la suite d'interpellations violentes. Le dernier de ces faits divers est l'affaire George Floyd aux Etats-Unis, qui - je cite l'exposé des motifs - «permet aux Genevois-es de rappeler que les violences policières sont également une réalité dans notre pays». Mesdames et Messieurs, l'ensemble des faits sur lesquels ces objets reposent n'ont absolument rien à voir avec notre réalité genevoise; je trouve dès lors extrêmement difficile de comprendre ce lien.
Que proposent ces deux textes ? Je vais m'en tenir à l'essentiel, qui est contenu dans l'objet contraignant, à savoir le projet de loi. D'une part, il vise à obliger les policiers, lors de chaque interpellation, à délivrer un récépissé dans lequel sont notamment précisés les motifs de l'interpellation. Vous aurez vite compris que c'est irréalisable, dans la mesure où, dans un grand nombre de cas, les motifs de l'enquête devraient figurer sur ces récépissés, ce qui n'est tout simplement pas réaliste. D'autre part - et c'est le plus important -, les policiers seraient en tout temps obligés de porter leur matricule. Or, comme vous le savez, les 400 agents de police judiciaire travaillent en civil, sans porter de matricule, et ils doivent pouvoir continuer à travailler discrètement. S'agissant du personnel en uniforme, il porte effectivement le matricule systématiquement, sauf lors d'opérations de maintien de l'ordre, d'interventions au cours de manifestations ou d'engagements des unités d'intervention. Et vous aurez bien compris que dans ces conditions, rendre le port du matricule obligatoire exposerait les policiers et leurs familles à un réel danger. En effet, grâce au numéro de matricule, des organisations criminelles pourraient retrouver les policiers concernés et leur infliger des représailles, ce qui est arrivé - vous vous en souvenez peut-être - à un douanier tessinois.
Mesdames et Messieurs, je vous invite à rejeter fermement la motion et le projet de loi. Si la police cantonale a pour mission de protéger et servir, nous devons, nous aussi, protéger notre police et refuser ces objets. Je vous remercie.
Mme Dilara Bayrak (Ve), rapporteuse de minorité. En préambule, permettez-moi de dire que je suis navrée que ces textes mettent mal à l'aise. Je suis navrée qu'ils soient perçus comme une offensive contre la police, puisque ce n'est pas le cas. Ces objets permettent de concrétiser des éléments qui sont déjà en pratique: former la police à l'importance de ne pas discriminer, former la police à la question du profilage racial, former la police à ne pas commettre l'impardonnable.
M. le rapporteur de majorité a insisté sur le fait que l'exposé des motifs mentionnait des événements qui se sont produits ailleurs dans le monde, mais à Genève, tout récemment encore il y a eu un nouveau scandale au sein de la police, avec le cas d'un policier qui aurait agressé une travailleuse du sexe. Cette procédure étant en cours, je ne la commenterai pas. Mais on ne peut pas dire que la police genevoise n'a pas été confrontée à des scandales, ni que ces scandales à répétition ne nuisent pas à la confiance que la population manifeste vis-à-vis de sa police.
Ce genre de textes permettent au contraire de protéger la police. C'est en ce sens que je regrette la réponse politique qui leur est apportée, puisqu'en donnant à la police - et en les renouvelant - les outils pour se défendre contre les attaques que vous pourriez considérer comme wokistes, on lui offre justement une certaine légitimité pour les contrer et dire: «Non, à la police, nous faisons le nécessaire. Nous sommes formés, nous avons la possibilité de démontrer qu'il n'y a pas de profilage racial, par exemple par le biais de petites cartes qui rappellent leurs droits aux personnes interpellées.» Il faut qu'on puisse comprendre d'où viennent ces critiques ! Puisque s'il y a des critiques au sein de la population, c'est qu'elles ne viennent pas de nulle part. Et si c'est ça, la réponse et le message que vous voulez donner à la population face à ses craintes légitimes quant au déroulement des interpellations au sein de la police, eh bien cela me désole.
L'expert Frédéric Maillard a analysé l'ensemble des polices suisses, et il a pu constater qu'une interpellation sur cinq dérapait. Ces statistiques doivent nous interpeller. On parle de la Suisse, pas de George Floyd. On ne parle de rien d'autre que la Suisse ! Donc si la réponse que la commission judiciaire et de la police est celle que vous donnez, Monsieur le rapporteur de majorité - vous transmettrez, Madame la présidente -, je m'en désole, parce que c'est une réponse lacunaire aux craintes légitimes qu'émet la population. C'est pour cette raison que je propose - peut-être par gain de paix - les amendements suivants, en tout cas à la motion, mais aussi au projet de loi: il s'agit d'enlever les temporalités pour les formations qui seraient peut-être trop contraignantes pour l'autorité administrative et de supprimer les éléments qui cristallisaient les positions en commission. Le cas échéant, s'il y a une possibilité de s'entendre pour que l'essentiel et la base soient rappelés, qu'on le fasse ! Pourquoi ne le faisons-nous pas ? Il n'y a aucun intérêt pour le parlement à rejeter tout bêtement et simplement des arguments qui viennent de la population elle-même. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (LC). Le groupe Le Centre refusera la proposition de motion et le projet de loi. Ce nonobstant, je tiens à remercier les deux rapporteurs pour l'excellence de leurs rapports écrits. Ces deux projets ne m'ont pas rempli de malaise - malgré tous leurs défauts, car il est vrai que l'exposé des motifs mentionne la police de Minneapolis, alors que nous sommes à Genève. Je pense que manifestement, l'auteure de ces deux textes ne connaissait rien du dispositif mis en place au sein de la police genevoise. Cela étant, on ne doit pas éprouver un malaise, parce qu'au final une question utile a été traitée: celle de savoir s'il existe un racisme systémique au sein de notre police, parce qu'en réalité ce racisme serait encore plus inadmissible que partout ailleurs, dans la mesure où la police, en tant que bras armé de l'Etat, a assurément un devoir d'exemplarité.
Les travaux de la commission judiciaire ont été extrêmement utiles, parce qu'ils ont démontré qu'il y avait véritablement un processus efficace pour lutter contre tous les abus, à travers la formation, le traçage des arrestations ainsi que l'organe de médiation de la police. Les chiffres sont aussi éloquents: le nombre de plaintes déposées auprès de cette commission de conciliation a été diminué de trois quarts ces dernières années. En 2022, l'organe de médiation a reçu douze plaintes pour discrimination. Il est vrai que ces textes ont été utiles parce qu'ils ont éclairé d'une lumière importante ce processus et, finalement, ils ont rétabli l'honneur de la police genevoise. Certaines invites de la proposition de motion auraient pu recueillir nos faveurs, mais malheureusement les auteurs ont peut-être été trop radicaux - pas au sens où l'entend M. Murat Alder, bien sûr - dans leurs invites, raison pour laquelle nous nous opposerons à ces deux textes. Je vous remercie.
Mme Masha Alimi (LJS). Mesdames et Messieurs, j'aimerais préciser plusieurs points. Des formations sont dispensées tous les deux ans à l'ensemble du personnel de la police. La notion de respect des droits fondamentaux figure dans le code de déontologie de la police. L'obligation du port du numéro de matricule ne doit pas s'appliquer en toutes circonstances, notamment pour les policiers non uniformés dans le cadre de leurs investigations. Il faut par ailleurs rappeler l'existence de l'organe de médiation de la police, organe indépendant de contrôle des policiers en cas de plainte. Et si un comportement non adéquat de la part d'un policier est avéré, la loi prévoit des sanctions à son encontre. D'autre part, en ma qualité de membre de la commission des visiteurs, j'ai eu l'occasion de participer à une visite inopinée dans un poste où des policiers venaient de procéder à deux arrestations. Ce que j'ai vu, c'est le respect des policiers vis-à-vis de la personne auditionnée, à qui avaient été proposés un verre d'eau et un encas. Au regard de tous ces éléments, nous refuserons ce projet de loi. Merci.
M. Charles Poncet (UDC). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, chers collègues, le groupe UDC estime que si la police genevoise a besoin de quelque chose, c'est d'être protégée, et non pas critiquée ou munie de cautèles et de précautions supplémentaires. Notre groupe considère comme totalement inappropriées les propositions visant à limiter sa liberté d'action, et nous voterons par conséquent les conclusions du rapport de majorité.
Vous le savez, l'UDC a lancé une initiative populaire intitulée «OUI, je protège la police qui me protège !», qui a abouti. Le Conseil d'Etat a fait de son mieux, en vain, pour la déclarer irrecevable. Il a fini par la déclarer recevable, mais en lui portant un coup de couteau dans le dos, ce qui nous amènera à saisir les tribunaux. J'espère, Madame la conseillère d'Etat, que l'introduction de cette clause dans la décision du Conseil d'Etat est étrangère à votre intervention - ce dont je ne doute pas. Il s'agit en substance de rendre inopérante la décision que prendrait ce parlement en matière d'immunité, mais c'est un débat que nous aborderons dans d'autres circonstances. Notre groupe a également déposé un projet de loi recoupant largement les mêmes préoccupations, qui est aujourd'hui à l'examen devant la commission judiciaire.
Mesdames et Messieurs, chers collègues, il ne faut pas oublier que la police est le dernier rempart contre la violence et contre une violence qui n'affecte pas particulièrement les banquiers ou les avocats, parce qu'ils ont, eux, les moyens de s'offrir une protection privée; elle est le dernier élément de protection, la dernière barrière, pour les faibles, pour les gens qui font face à des conditions de vie déplorables et qui sont soumis, en particulier les personnes âgées et les femmes. Ne l'oublions pas, les femmes sont les cibles principales de la violence qui se développe de façon inquiétante dans ce canton. Or qui les protège ? C'est la police. Notre groupe estime donc que, loin de mettre des obstacles supplémentaires à son bon fonctionnement, il faut au contraire la soutenir et lui faciliter le travail, dans toute la mesure du nécessaire. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, le racisme structurel fait depuis longtemps l'objet d'études scientifiques. Le débat public s'est intensifié depuis l'apparition du mouvement «Black Lives Matter», mais l'attention que la société suisse et genevoise y prête est encore très relative. En Suisse, le racisme a longtemps été considéré uniquement comme un phénomène marginal, confiné à une mouvance professant une idéologie extrémiste. Or l'ensemble des études et des spécialistes s'accordent à dire que la Suisse a du retard sur d'autres pays en ce qui concerne le débat scientifique et public sur le racisme. Ce projet de loi comble, sur un sujet important, une partie de ce manque. Le groupe socialiste vous invite dès lors à voter l'entrée en matière sur cet objet.
Le racisme systémique n'est pas présent uniquement au sein de la police - vous transmettrez à M. Desfayes -, il y en a dans toute la société, et donc d'évidence aussi au sein de la police. De nombreuses études sont menées de manière à ne pas aborder directement la question du racisme, soit par peur des controverses, soit pour se concentrer sur des mécanismes de discrimination concrets, qui ne font pas le lien avec le racisme structurel existant en Suisse et à Genève. De nombreux mécanismes de défense rendent très difficile toute discussion ou toute mention du racisme. Tout débat public sur ce sujet risque rapidement de déraper, ce qui s'explique par des visions et des perceptions diamétralement opposées à propos de la discrimination raciale. Cela ne facilite pas le dialogue, mais ici, nous devons avoir ce débat.
Mesdames et Messieurs, il y a profilage racial lorsqu'un individu est contrôlé, non pas en raison de son comportement, mais à cause des caractéristiques considérées comme autres ou non occidentales qu'il présente. Il ne faut donc pas nécessairement d'intention raciste ou de préjugé conscient pour qu'il y ait contrôle au faciès. Et cela arrive tous les jours, tout le temps. Cela est d'autant plus risqué si vous avez le monopole de la force quand vous l'exercez. Si vous parlez avec des personnes racisées, presque toutes déclareront avoir été victimes de contrôles de police discriminatoires: les personnes noires, asiatiques, musulmanes, sintés, roms, yéniches, personnes avec ou sans titre de séjour, avec ou sans passeport suisse, réfugiées, non réfugiées, travailleuses du sexe, notamment - Mme Bayrak l'a rappelé. C'est une réalité présente tous les jours dans les rues de Genève et de Suisse. Le profilage racial n'est pas un phénomène marginal: la couleur de peau reste le facteur déclenchant des contrôles arbitraires, qui provoquent de fortes réactions émotionnelles ou mènent à des conduites d'évitement de la part de citoyens.
Ce texte aborde un sujet délicat, encore trop souvent nié. Il vise à dispenser à tout le personnel de police des formations de sensibilisation de manière régulière et à faire en sorte que les contrôles soient de qualité et effectués dans le respect du droit. Mesdames et Messieurs, nous vous invitons à soutenir ce projet de loi et à voter la motion avec les amendements de Mme Bayrak. Comme nous l'avons dit, ces objets sont importants pour garantir une police de qualité et que tous les citoyens et citoyennes, quelle que soit leur origine, leur couleur de peau, se sentent respectés et en confiance face à notre police. Le parti socialiste vous invite de tout coeur à accepter résolument le projet de loi et la motion. Merci. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Murat-Julian Alder, pour deux minutes cinquante.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Je vous remercie, Madame la présidente. Le groupe PLR soutient pleinement les propos du rapporteur de majorité, son député Pierre Conne. Il partage effectivement le malaise qu'il a ressenti en prenant connaissance de ce projet de loi. Et lorsqu'on entend le député Sylvain «Théwoke»... (Rires.) ...nous parler de racisme systémique, de personnes racisées, il y a quand même quelque chose d'assez inquiétant. Finalement, ce projet de loi et cette motion partent du principe qu'il y aurait du racisme partout dans la société, en particulier dans la police. On en vient en quelque sorte à affirmer que les policiers seraient par principe tous racistes. C'est exactement de ça qu'il s'agit quand on parle de racisme systémique. Non, Mesdames et Messieurs ! Le racisme, c'est une infraction pénale, que probablement seule une minorité de personnes commet. Par conséquent, soutenir qu'il existerait prétendument un racisme structurel ou systémique dans notre société revient au final à dire que nous serions tous racistes, or nous ne pouvons pas l'accepter ! En cela, nous partageons pleinement le point de vue exprimé par le démocrate-chrétien... (Remarque.) ...Sébastien Desfayes, qui l'a très justement démontré: nous avons réglé cette question dans la loi que nous avons adoptée sur la problématique des discriminations en tous genres.
Ces formations, ces sensibilisations à l'intention non seulement des agents de la police, mais également de l'ensemble du personnel de la fonction publique, existent déjà. Les bases légales que nous avons aujourd'hui dans la loi sur la police, dès les premiers articles, sont amplement suffisantes. Nous ne pouvons donc pas, simplement pour des considérations doctrinales ou idéologiques, modifier des bases légales existantes sans même apporter la démonstration qu'elles seraient insuffisantes. Pour l'ensemble de ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PLR vous invite à rejeter cette motion et ce projet de loi. Merci beaucoup.
La présidente. Je vous remercie. Je vous prie cependant de respecter le nom des députés qui siègent ici: M. Thévoz est M. Thévoz, merci de le nommer de cette façon-là ! Je donne la parole à M. Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia (MCG). Je vous remercie, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, le MCG ne va pas reprendre ce qui a été indiqué de ce côté-ci de l'hémicycle. Il est profondément choqué par les propos qu'il a entendus de l'autre côté de l'hémicycle, notamment ceux tenus par Mme le rapporteur de minorité, ainsi que par la motivation de ces textes. Au motif que l'on souhaiterait protéger la police, on l'insulte, on la salit, on laisse croire, pour reprendre les termes que nous avons entendus, qu'il existe un racisme structurel et systémique. Tout cela est scandaleux, tout simplement scandaleux !
Comme l'a très justement dit notre collègue Charles Poncet, notre police doit avant tout être protégée, car elle est le rempart contre la violence et l'injustice; elle est la dernière protection face aux atteintes portées à notre démocratie. Cela ne veut pas dire que nous allons signer un chèque en blanc à notre police, et nous ne l'avons jamais fait. Nous ne tolérons pas les dérapages lorsque ceux-ci se produisent, et ils se produisent partout. Peut-être qu'à Genève, on est plus prompt à les dénoncer qu'ailleurs, mais ne croyez pas que notre canton fait exception. Nous avons l'une des polices les plus multiraciales de Suisse - il suffit de regarder les policiers et policières qui composent notre corps de police - et cela déjà constitue une garantie contre les dérapages que vous prétendez vouloir prévenir.
Non, Mesdames et Messieurs, ces textes sont inadmissibles ! Sous le couvert fallacieux de vouloir protéger notre police, on ne fait rien d'autre que la salir et instiller dans l'esprit de celles et ceux qui nous écoutent que nous aurions une police raciste; c'est tout le contraire. Je vous demande par conséquent de rejeter avec fermeté ces deux objets. (Applaudissements.)
Mme Sophie Bobillier (Ve). Chers collègues, en janvier 2022, les experts et expertes de l'ONU ont dénoncé l'existence de profilage racial en Suisse et se sont dits très inquiets de l'attitude des forces de l'ordre et du système judiciaire. Je cite ici la présidente du Groupe de travail de l'ONU sur les personnes d'ascendance africaine. Ce rapport, malheureusement, je ne l'invente pas.
Quelles sont les pratiques dénoncées dans ce document ? Les comportements dénoncés ne sont autres que le profilage racial généralisé, les contrôles de police, les fouilles invasives dans la rue, les fouilles à nu publiques, les fouilles anales, les insultes et l'humour racistes, la violence et l'attente de l'impunité. Selon les experts, les opérations policières incluent des arrestations brutales, du profilage racial, des traitements dégradants et le renforcement de stéréotypes raciaux négatifs dans les espaces publics. Non, ce constat n'est pas dressé aux Etats-Unis. Est-ce que cela se passe à Genève ? J'aimerais pouvoir penser que ce n'est pas le cas, or les experts ont souligné qu'il est nécessaire d'adopter de toute urgence une loi contre le profilage racial. La dimension structurelle du racisme, qui est dénoncée, ne peut être ignorée. (Brouhaha.)
La présidente. Excusez-moi, Madame la députée. J'aimerais prier les personnes qui parlent de sortir ou de se taire. Je sais qu'il est tard et qu'on travaille depuis longtemps, mais je demande à tout le monde de faire un effort et de se concentrer ! Merci de cesser de discuter avec vos voisins. (Remarque.) Oui, ça vous concerne ! Madame Bobillier, vous pouvez poursuivre.
Mme Sophie Bobillier. Merci, Madame la présidente. Que ce soit de manière pernicieuse par des biais inconscients, ou par des opérations assumées, les pratiques discriminantes telles que le profilage racial ne doivent aucunement être cautionnées, et elles ne le sont pas. Mais malheureusement, cela ne suffit pas, car ces pratiques mettent à mal l'ensemble de la profession policière. Certes, il y a un cadre légal et les agents sont tenus au respect d'un seuil d'irréprochabilité important. Est-ce suffisant ? Si c'était le cas, ces constats ne seraient pas dressés. Nous avons encore une marge de manoeuvre pour faire respecter les droits humains, et nous devons saisir cette opportunité.
Ce projet de loi n'est pas révolutionnaire, mais il est essentiel. S'il est adopté, sa mise en oeuvre permettra de dire qu'à Genève, berceau des droits humains, nous mettons les moyens nécessaires et prenons des mesures concrètes en faveur des droits humains, en commençant par la sensibilisation des personnes sur le terrain, en permettant aux victimes d'avoir une traçabilité des contrôles problématiques à Genève. Pour ces raisons, au nom du groupe des Verts, je vous invite à accepter ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements. Commentaires.)
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. François Baertschi, pour une minute.
M. François Baertschi (MCG). Ce sera suffisant pour dénoncer un esprit de confusion générale, que l'on trouve particulièrement chez certains membres des Verts et de la gauche, lesquels mentionnent des états de fait qui se sont déroulés à Bex dans le canton de Vaud et citent des statistiques suisses pour qualifier une réalité genevoise. Je crois qu'il ne faut pas dire n'importe quoi !
Quant à la gestion des questions relatives au rôle et au comportement des policiers, cela existe déjà: des cours sont donnés, tout un travail est fait. A côté de ça, je trouve que certains propos contenant des confusions et des imprécisions sont proprement scandaleux et méritent d'être retirés par les personnes qui les ont tenus, à moins qu'elles veuillent dire n'importe quoi. Mais si c'est le cas, je pense que c'est gravissime.
La présidente. Je vous remercie. Monsieur le rapporteur de majorité, souhaitez-vous vous exprimer pour clore le débat ? (Remarque.) Alors vous avez la parole, pour deux minutes vingt-huit.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Je pense que tout a été dit, mais je souhaite insister sur le fait qu'effectivement, les cours donnés aujourd'hui aux policiers dans les domaines de l'éthique et de la déontologie policière font déjà partie intégrante de la formation. Le profilage racial est traqué, dénoncé et sanctionné à l'heure actuelle. Pour en arriver aux objets sur lesquels on nous demande de nous prononcer - qu'il convient évidemment de refuser -, il faut donc vraiment être dans une situation totalement construite, et ce de manière arbitraire.
On a évoqué l'une des associations impliquées, le Centre d'écoute contre le racisme, que nous avons auditionné - car s'agissant de ces textes, je pense que nous avons vraiment approfondi nos travaux. La présidente de cette structure, Mme Zeller, relevait que pour elle, dans le fond, ce qui est qualifié de dérapage de la police résulte essentiellement d'un problème transculturel et de communication, pour des personnes qui viennent peut-être d'un univers où les policiers ne sont pas, comme chez nous, des agents dont la tâche est de protéger la population. Cette méfiance fait qu'à partir du moment où les motifs d'interpellation ne sont pas connus, ou peut-être simplement pour des problèmes de langage, ou encore à certains moments en raison de l'empressement des policiers, qui n'est pas nié dans certaines circonstances de stress, les personnes concernées ressentent de l'agressivité. Ce sont les propos du Centre d'écoute contre le racisme, que j'ai cités explicitement dans mon rapport de majorité. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Par conséquent, je crois vraiment que la population doit être rassurée et faire confiance à la police. Notre police n'est pas une police raciste et nous n'avons pas de pratiques laxistes dans ce domaine.
La présidente. Il vous faut bientôt conclure.
M. Pierre Conne. La hiérarchie de la police de même que le Ministère public contrôlent tous les actes potentiellement délictueux de la part de la police qui seraient dénoncés, donc le cadre de surveillance existe.
La présidente. Vous avez terminé, merci.
M. Pierre Conne. Nous pouvons dès lors nous rassurer, garder les lois en l'état et ne pas changer ce qui existe. Je vous invite ainsi une fois de plus à rejeter... (Le micro de l'orateur est coupé.)
La présidente. Merci. Je donne la parole à la conseillère d'Etat, Mme Carole-Anne Kast.
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il faut faire preuve de modestie lorsque nous parlons de notre grande institution qu'est la police. Nous avons une police qui nous ressemble, et c'est très bien ainsi. Elle est donc imparfaite, mais globalement excellente. Elle est donc généralement un modèle, dans la majorité des cas, mais parfois, effectivement, certaines personnes en son sein ne le sont pas, comme dans la société, parce que nous avons une police qui nous ressemble. Et je pense que c'est nécessaire pour que ce soit une bonne police.
Forcément, il ne s'agit pas de dire qu'elle est raciste ou qu'elle ne l'est jamais. Comme c'est une police humaine, il peut parfois y avoir des gens qui ne sont pas parfaits. L'important est que nous travaillions à cette perfection et à cette excellence, en développant au sein de la police - comme de toute l'administration, d'ailleurs - les moyens d'améliorer nos prestations, la qualité de nos agents et tout ce qui est perfectible, pour être au service des citoyens et citoyennes.
Evidemment, dans cette perspective, je ne vous dirai pas que les propositions visant à renforcer la formation sont mauvaises, elles sont au contraire très bonnes, mais je vous dirai effectivement que nous n'avons pas vraiment besoin de ces articles de loi pour le faire, que nous le faisons déjà et que nous sommes prêts à renforcer ces formations chaque fois que cela est possible. Je ne vous dirai pas non plus que rappeler que la police doit protéger les droits fondamentaux des citoyens dans son action est une mauvaise chose. Evidemment que la police doit le faire, évidemment qu'elle ne doit pas être raciste, discriminante, sexiste... Evidemment ! Avait-on vraiment besoin d'un article de loi pour agir ainsi ? Je ne crois pas. Je pense que le dispositif légal actuel suffit.
Je souhaite maintenant citer quelques chiffres, parce que finalement c'est aussi ce qui préoccupe, de même que ce qui permet de prendre la mesure des efforts continus que nous devons fournir tous ensemble. Sur l'ensemble des cas traités et analysés par l'inspection générale des services (l'IGS), la police des polices, depuis 2017, sans considération de l'issue pénale ou non à laquelle cette étude a donné lieu, on observe une baisse de ceux pour lesquels des accusations de racisme ont été proférées. En 2017, parmi tous les cas examinés par l'IGS, neuf étaient considérés comme ayant un caractère raciste. On en dénombrait deux en 2018, trois en 2019, aucun en 2020 et 2021, et deux en 2022. Vous voyez que les dispositifs sont en place pour traiter et, le cas échéant, corriger les éventuelles dérives.
Dans le même ordre d'idées, les chiffres de l'organe de médiation de la police sont très intéressants: en 2022, pour 38 demandes sur un total de 71 (soit à peu près dans la moitié des cas), la personne évoque l'impression d'avoir subi un traitement injuste. Et dans cette catégorie, 25 personnes sur 38 ont le sentiment d'avoir été discriminées, mais seulement la moitié d'entre elles à cause de leur origine, soit environ 15% de la totalité des demandes. Parmi ces doléances, dix concernaient un contrôle d'identité ou de véhicule effectué sur la voie publique. Sur les treize personnes qui se sont senties discriminées en raison de leur origine, cinq appartenaient à la communauté rom. A l'inverse, une autre personne a dénoncé la discrimination des mendiants non roms, parce qu'à ses yeux ils ne bénéficient pas des mêmes soutiens politiques. Cinq personnes étaient originaires du Moyen-Orient ou d'Afrique du Nord, deux autres étaient d'ascendance africaine et une d'ascendance latino-américaine. Enfin, les douze autres personnes ayant déclaré avoir subi une discrimination l'ont, selon elles, subie à cause de leur voiture, de leur âge ou encore parce qu'elles ont été prises pour un fou ou une folle. Les autres inégalités de traitement relatées auprès de l'organe de médiation de la police font référence à ce qu'on peut appeler des dénonciations injustes ou à une intervention, dans le cadre d'un conflit ou d'une agression, au cours de laquelle la police se serait montrée partiale, la personne qui se considérait comme victime se voyant reprocher son comportement par la police.
Mesdames et Messieurs les députés, les dispositifs sont en place et, à mon avis, l'effort doit être continu et permanent. Voilà pourquoi je pense que le projet de loi n'est pas utile. Je remercie quand même les auteurs de ces objets, puisqu'ils ont permis d'exposer concrètement en commission - et c'est vrai que les rapports sont très intéressants - ce qui est mis en oeuvre. Maintenant, pour ce qu'elle contient comme propositions d'efforts et de directions, la motion pourrait très bien être soutenue par le Conseil d'Etat. Merci, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. Nous procédons tout d'abord au vote d'entrée en matière sur le projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12794 est rejeté en premier débat par 56 non contre 28 oui.
La présidente. Nous passons à la proposition de motion, pour laquelle il y a un amendement général figurant à la page 62 du rapport de minorité. Le voici:
«- à donner des instructions de service définissant le profilage racial, rappelant son interdiction et listant les critères en présence desquels un contrôle peut être effectué;
- à mettre en place une statistique cantonale sur les contrôles de police;
- à créer un organisme de réclamation cantonal indépendant et gratuit chargé de traiter les plaintes concernant la police cantonale genevoise, tel que recommandé par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI);
- à rendre systématique, lors de chaque interpellation, la distribution d'une carte rappelant aux personnes interpelées leurs droits et devoirs ainsi que ceux des agent-e-s de police, à l'instar de la police bernoise;
- à modifier l'article 12 du règlement sur l'organisation de la police (ROPol) afin que le port du numéro de matricule soit obligatoire pour tous-tes les agent-e-s de police, en toutes circonstances lorsqu'ils portent l'uniforme;
- à engager une lutte contre les violences policières, en s'assurant notamment que les membres de la police cantonale faisant subir du harcèlement, des humiliations et des violences se voient sanctionnés.»
Mis aux voix, cet amendement général est rejeté par 59 non contre 29 oui.
La présidente. Nous votons à présent sur la proposition de motion elle-même.
Mise aux voix, la proposition de motion 2686 est rejetée par 59 non contre 29 oui (vote nominal).