République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 1 septembre 2023 à 10h
3e législature - 1re année - 3e session - 17e séance
P 2169-A
Débat
La présidente. Nous continuons avec la P 2169-A. La parole va à M. Pierre Conne, qui remplace la rapporteure, Mme Fiss.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur ad interim. Merci, Madame la présidente. Chers collègues, le quartier des Pâquis est malheureusement devenu - est encore et toujours - le quartier où l'inacceptable est toléré. Notre commission a été saisie d'une pétition soutenue par des associations de parents d'élèves et d'habitants, qui, en substance, demande d'intervenir pour éloigner ce que l'on appelle pudiquement la «scène de la drogue» - notamment en lien aujourd'hui avec le crack - des écoles, plus spécifiquement de l'école des Pâquis et de celle de Zurich, de la maison de quartier qui est proche ainsi que des espaces de jeux pour enfants. Il s'agit de définir un périmètre au sein duquel ce que je qualifiais de scène de la drogue ne se déroule plus.
Leur requête nous est apparue pertinente, légitime, mesurée, proportionnelle; l'objectif n'est évidemment pas de résoudre tous les problèmes liés au trafic de stupéfiants, mais de permettre aux habitants, aux parents d'élèves, aux enfants d'évoluer dans un espace où ils ne sont pas de plus en plus confrontés à la consommation de crack, à des scènes de violence. A la commission des pétitions, nous avons considéré unanimement que nous devions soutenir ce texte et nous vous demandons de bien vouloir le renvoyer au Conseil d'Etat. Je vous remercie de votre attention.
M. Sylvain Thévoz (S). Le parti socialiste soutient également le renvoi au Conseil d'Etat de cette pétition qui ne comporte qu'une seule demande, comme l'a bien expliqué notre collègue Pierre Conne, à savoir la création d'un périmètre de sécurité autour des écoles des Pâquis et sur le trajet reliant les différents lieux entre eux. Nous avons été impactés, je dirais, par le témoignage des habitants, par le poids de la consommation et du deal dans ce quartier, par les difficultés que cela crée.
Cela étant, s'agissant de la demande formulée, nous ne sommes pas totalement certains que ce sera la solution magique ou miracle, car il n'y en a pas. Penser qu'avec un cordon de sécurité, il n'y aura plus de problème et que la réponse est uniquement policière nous semble illusoire, mais il faut évidemment que le Conseil d'Etat réfléchisse à l'une et l'autre de ces pistes.
Les enjeux sont de santé, les enjeux sont sociaux, les enjeux sont même urbains, et cette pétition, si elle se fait l'écho d'un ras-le-bol citoyen, ne doit pas nous laisser penser - en tout cas, le parti socialiste ne le croit pas - qu'on va solutionner le problème en créant un périmètre de sécurité, ce serait véritablement se bercer d'illusions. Nous soutenons tout de même le renvoi au Conseil d'Etat. Merci beaucoup.
La présidente. Je vous remercie. La parole va à M. Jean-Charles Rielle pour une minute quarante-neuf.
M. Jean-Charles Rielle (S). Merci, Madame la présidente. Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, il s'agit d'un vaste sujet, le quartier en question est très touché, donc nous sommes extrêmement attentifs à ce qui se passe, nous attendons plusieurs autres pétitions à ce propos. Il faut dire que l'arrivée du crack a changé la donne.
J'aimerais souligner que Genève a été exemplaire sur le plan de la lutte contre la drogue: la création du Quai 9 a été une bonne solution, même Paris est venu voir comment on traitait les problèmes pour éviter les scènes ouvertes. En Suisse, il y a eu le Platzspitz, pour les plus âgés qui se sont déplacés là-bas, il y a eu Berne; Genève a échappé à ça et s'est montrée exemplaire en la matière.
Aujourd'hui, on se retrouve avec une nouvelle drogue qui est le crack. On parle des ravages de ce produit sur les personnalités, mais c'est aussi un stupéfiant beaucoup moins cher que les autres, qui touche par conséquent davantage des personnes déjà fortement en difficulté.
L'enjeu est vraiment d'ordre sanitaire, il est aussi répressif; vous connaissez la politique des quatre piliers que Ruth Dreifuss avait instaurée à l'époque, on doit aller dans ce sens-là. Aujourd'hui, il s'agit de se reposer la question suivante: comment casser le trafic ? Casser le trafic, c'est réguler. On parle de libéralisation, on veut parler légalisation, c'est mal perçu. Or la libéralisation est déjà là: on peut trouver tout, tout de suite, n'importe où. Si ça, ce n'est pas de la libéralisation !
Maintenant, il faut aller vers une régulation, il faut pouvoir contrôler les produits, il faut créer des liens avec les consommateurs. C'est dans cette direction que nous allons travailler très sérieusement avec les conseillères et conseillers d'Etat concernés pour essayer de trouver une solution, mais il est vrai que la protection des écoles doit être mise en place le plus rapidement possible. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (LC). Hélas, les cris de désespoir des habitants des Pâquis ne datent pas d'hier, les marchands de mort - parce que c'est bien ainsi qu'il faut les qualifier - ont pignon sur rue dans ce quartier, particulièrement aux abords de l'école, là même où, suite à des décisions absurdes du Conseil municipal de la Ville de Genève, il n'y a pas de caméras de surveillance et où le préau est resté ouvert pendant des années. Mais bref !
La police et les agents de police municipale patrouillent, mais de toute évidence, cette surveillance n'est pas suffisante pour mettre en cause le modèle d'affaires des marchands de mort, qui consiste à ne pas avoir de drogue sur eux. Pire encore, un arrêt consternant rendu récemment par le Tribunal fédéral indique que ceux-ci peuvent porter de la drogue sur eux s'il s'agit de petites quantités qui seraient pour une consommation personnelle.
Mais s'il n'y avait que le problème de la drogue aux Pâquis, cela se saurait: ce que l'on doit également constater et ce que j'observe moi-même dans l'exercice de ma profession, c'est une explosion de la violence, notamment aux Pâquis, une explosion de l'intensité de la violence commise par des jeunes précaires et/ou non intégrés; il s'agit d'une situation que l'on doit voir, que l'on doit affronter. Autres problèmes: l'incivilité, les attaques quasiment quotidiennes contre les bâtiments publics et privés, contre la propriété publique et privée, le littering. Tout cela est totalement inacceptable.
Considérant l'ensemble de ces fléaux, il est clair qu'une approche purement sécuritaire n'est pas suffisante, et s'agissant du crack, je suis en totale adéquation avec la politique des quatre piliers, qui doit prendre en considération la dangerosité extrême de cette nouvelle drogue. Il est temps, au vu de toutes ces nuisances, d'organiser des états généraux, car les problèmes relèvent de plusieurs politiques publiques. Dans l'intervalle, il faut bien entendu renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Merci.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, concernant la pétition «2013-2023: 10 ANS de deal autour des écoles des Pâquis, ça suffit !», on voit que la situation dure depuis dix ans et on peut comprendre la demande des pétitionnaires de créer un périmètre de sécurité, parce qu'on se situe dans un secteur où il y a des enfants, donc des personnes vulnérables. Toutefois, il ne s'agit pas forcément de la solution pour éradiquer, on va dire, le problème de la drogue à Genève et dans le monde.
C'est une alternative en attendant la réactivation de la politique des quatre piliers, validée récemment par notre Grand Conseil à travers une motion Verte de Dilara Bayrak. On souhaite que le nouveau ministre chargé de la santé et des mobilités poursuive dans cette voie pour essayer de réguler, de soigner; c'est encore plus important depuis l'arrivée à Genève du crack, qui s'étend maintenant en Suisse romande.
Il faut rappeler qu'on doit lutter contre les addictions, pas contre les personnes dépendantes, qui ont besoin de soins tout comme d'un accompagnement social. En effet, si on n'intervient pas au niveau social, les personnes ne vont pas forcément se soigner, on ne va jamais régler le problème, il y aura toujours des conséquences sur la population et, encore pire, sur des enfants qui empruntent le chemin de l'école.
Bien évidemment, nous soutenons cette pétition de même que son renvoi au Conseil d'Etat, mais nous réclamons surtout la mise en place d'une politique d'accompagnement. En l'occurrence, il s'agit d'une solution provisoire qui ne va pas régler les choses in fine. Si vraiment le Conseil d'Etat prend cette problématique à coeur et essaie d'agir de manière transversale tant au niveau de la sécurité que de la santé, comme cela a été souligné, alors effectivement, des états généraux seraient fortement utiles. Merci. (Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, hier, la ministre des finances a indiqué que notre budget nous permettait de répondre aux besoins de la population. Les problèmes de la population sont-ils réglés, ont-ils disparu ? Non, et de loin pas. Il y a de fortes attentes dans ce domaine aux Pâquis, on a laissé depuis des années - ça ne fait pas dix ans, mais beaucoup plus longtemps - le trafic de drogue s'incruster sur la voie publique. C'est un fléau, un fléau pour les familles, ça ruine la vie des gens; c'est une honte pour Genève, une honte pour la Genève internationale alors que nous sommes une petite ville.
On a traité la question de la drogue à Genève avec naïveté, avec beaucoup trop de légèreté, et ce depuis des dizaines d'années, on n'a pas mis les moyens nécessaires pour lutter contre le deal. Je me rappelle qu'il y a quelques années, des ressources avaient été dégagées, puis on les a retirées, j'ignore pour quelle raison. A un moment donné, on maîtrisait le trafic de drogue ! Or le fait d'avoir diminué les moyens, notamment de la police, a permis au trafic de s'installer. On l'a laissé s'établir, c'est vraiment honteux, honteux pour les touristes du bord du lac qui, lorsqu'ils vont aux Pâquis, voient cette situation.
Il y a un désordre immense aux Pâquis, pas seulement de la drogue, mais un problème de désordre général dans ce quartier: recel - et je ne vous raconte pas tout -, vol, blanchiment d'argent de la drogue. Personne ne fait rien là contre, donc les habitants ont des attentes, on doit simplement y répondre.
Les pétitionnaires nous ont demandé si le trafic de drogue était légal à Genève. Ils se posent la question, effectivement, puisqu'on voit que les dealers peuvent agir quasiment en toute impunité. Il est bien trop facile d'acquérir de la drogue à Genève, tout le monde peut y accéder; c'est le cas du reste dans n'importe quel quartier, pas seulement aux Pâquis. C'est une honte pour la Genève internationale, c'est une honte pour la Suisse.
Genève est une petite ville, on peut maîtriser cette situation, il faut simplement le vouloir, il s'agit d'un choix politique que d'éradiquer la scène de la drogue. On ne va pas y arriver en régulant le trafic, comme on l'a entendu, mais en chassant les dealers par un harcèlement quotidien, par une lutte quotidienne, c'est un véritable combat qu'il faut mener. Les dealers font la guerre à notre société, on doit leur faire la guerre en retour, il ne s'agit pas de les faire partir avec des assistants sociaux, ils s'en fichent. Le deal est très bien organisé, on doit maintenant faire appliquer la loi. Le trafic de drogue est interdit, on ne veut plus de dealers sur la voie publique ! Merci beaucoup.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, effectivement, ce problème dure depuis beaucoup trop longtemps aux Pâquis. Dix ans pour obtenir l'ébauche éventuelle d'une solution, ce n'est pas acceptable. Il faut que le Quai 9 fasse l'effort de réintégrer les consommateurs de crack; des moyens supplémentaires ont été alloués à cette structure par la commission des finances au printemps dernier, sauf erreur, donc il y a quelques semaines, et je pense que ces ressources sont nécessaires et qu'il faut essayer de réguler le trafic.
Protection de nos enfants, protection dans les préaux: il a fallu un combat acharné au sein du Conseil municipal de la Ville de Genève pour que la gauche - et encore, pas dans son entier - accepte finalement qu'on protège le préau de l'école des Pâquis, mais d'une manière provisoire; un an pour que ce soit fait de manière provisoire, et les travaux sont encore repoussés à l'année prochaine, car il faut des protections suffisamment hautes pour qu'on ne puisse pas passer par-dessus - elles sont actuellement trop basses.
Voyez-vous, Mesdames et Messieurs, je pense qu'il faut aussi installer des caméras, il faut renforcer cette politique. Oui, la répression fait partie de la solution; ce n'est pas le seul axe, mais il faut consolider la politique des quatre piliers, il est temps de s'y mettre. C'est la raison pour laquelle je vous invite à soutenir cette pétition en la renvoyant au Conseil d'Etat. Merci.
Une voix. Bravo, Daniel.
La présidente. Je vous remercie. Monsieur Jean-Marie Voumard, c'est à vous pour une minute quarante-quatre.
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, le deal en ville est partout, mais principalement aux Pâquis; je vous invite à vous rendre rue du Môle, rue de Berne. J'habite à côté, je suis concerné, je suis un citoyen des Pâquis et je peux vous assurer que le trafic de crack est énorme; une fois, j'ai compté jusqu'à quinze personnes qui vendaient de la drogue là-bas ! C'est gigantesque. Je remercie les députés qui voteront le renvoi au Conseil d'Etat, je pense que c'est une bonne chose. Par la suite, d'autres pétitions vont nous parvenir sur ce sujet, il serait important de les soutenir aussi. Je vous remercie.
M. Vincent Subilia (PLR). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais saluer le pas en avant, même timide, que constitue le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, un renvoi qui s'impose. Cela a été souligné par les préopinants, mais je crois qu'il est important que les majorités qui animent désormais ce parlement le répètent, surtout à l'endroit de celles et ceux, parents d'élèves, qui sont venus, la larme à l'oeil, dénoncer la passivité de nos autorités qui dure depuis trop longtemps face à une situation proprement injustifiable: oui, les majorités au sein du Grand Conseil ont entendu leurs doléances et regrettent naturellement que l'action n'ait pas été menée plus tôt parce que beaucoup ont été véritablement dans le déni, le déni d'une réalité qui gangrène une zone devenue de non-droit, où l'impunité a fait sa loi.
Et donc, je me réjouis d'entendre, surtout dans la bouche de notre collègue Thévoz - vous transmettrez, Madame la présidente, puisque c'est ainsi que l'on procède -, que la gauche a enfin réalisé que la dimension sécuritaire, la répression de la drogue est nécessaire. Cela ne signifie pas qu'elle ne doit pas se conjuguer avec la prévention qui est pratiquée, et le Dr Rielle - vous transmettrez également - le soulignait à juste titre, mais aujourd'hui, face au fléau que cela représente, eh bien la seule réponse véritablement valable, qui plus est lorsqu'il s'agit de nos têtes blondes, dans un lieu que l'on se doit de protéger - c'est une responsabilité des autorités -, un lieu d'éducation, c'est la sécurité. Il faut dès lors saluer cette pétition.
Certes, ce cordon sécuritaire ne sera pas infranchissable, mais nous faisons ici le pari que celui-ci doit amorcer un changement de perspective, un nouveau regard porté sur la drogue et sur les ravages qu'elle génère dans ce territoire. C'est l'un des maillons de la chaîne sécuritaire, et je suis ravi que notre nouvelle ministre de la sécurité soit présente aujourd'hui. Cette mesure doit s'accompagner d'autres dispositions encore plus incisives pour mettre un terme à cette impunité, je le disais: c'est notamment le cas des caméras de vidéosurveillance, dont l'utilité n'est plus à prouver et qu'il s'agira d'examiner à nouveau, au même titre que la collaboration entre les polices cantonale et municipale.
Mesdames et Messieurs, la préoccupation est d'ordre sanitaire, éducatif, économique aussi - notre ministre de l'économie ici présente nous écoute. Comme cela a été rappelé tout à l'heure, il ne faut pas mettre la tête dans le sable, mais sous l'angle de l'image que projette Genève, de son rayonnement à l'endroit de nos nombreux visiteurs étrangers, la scène qui s'offre à eux ici - même si ce n'est pas la seule ville du monde concernée, soulignons-le - est proprement indigne des valeurs que nous devons incarner dans cet hémicycle. Il faut saluer le renvoi au Conseil d'Etat, qui ne constitue que l'amorce du virage que nous appelons de nos voeux pour lutter efficacement contre la drogue à Genève. Je vous remercie. (Applaudissements.)
La présidente. Merci. Je passe la parole à Mme Lara Atassi pour cinquante secondes.
Mme Lara Atassi (Ve). Merci, Madame la présidente. Nous avons entendu un député UDC dire que la drogue est incrustée aux Pâquis, incrustée comme une poussière sur le trottoir qu'il suffirait de venir nettoyer au kärcher. Nous aimerions tous que la solution soit aussi simple, mais le déni provient plutôt de ceux qui estiment que la répression est la seule réponse valable. Certes, la répression est nécessaire, les moyens pour la police sont nécessaires, mais il ne faut pas oublier les trois autres piliers de cette politique de la drogue - thérapie, prévention, réduction des risques - qui sont importants et dont la Suisse a prouvé, dans son histoire, l'efficacité. Merci.
La présidente. Merci, Madame la députée. Je mets aux voix les conclusions de la commission, à savoir le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2169 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 85 oui (unanimité des votants) (vote nominal).