République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 3 mars 2023 à 18h
2e législature - 5e année - 10e session - 64e séance
R 1013
Débat
Le président. Nous continuons le traitement des urgences avec la R 1013, qui est classée en catégorie II, trente minutes. Je laisse la parole au premier signataire, M. Jean Batou.
M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Comme nous le savons tous, la loi 12521 a été adoptée par ce Grand Conseil le 3 novembre dernier, puis promulguée par le Conseil d'Etat le 22 décembre. Notre projet de loi - et donc la loi votée - indiquait clairement, dans le commentaire de son article 6: «La gendarmerie constitue le corps intégrant les missions de la police de secours, de proximité, routière et internationale, lesquelles ne sont plus des services», était-il précisé, «(avec toute la lourdeur administrative qui en découle à ce jour: états-majors pléthoriques, etc.), mais des missions.» Voilà comment était formulé le commentaire de l'article 6. Les dispositions transitoires donnaient au Conseil d'Etat un délai au 1er juin pour réorganiser la police dans ce sens.
Notre texte de loi avait placé au centre du débat public et des travaux de commission la suppression des silos, c'est-à-dire l'hyperspécialisation des tâches de police qui tend à vider cette profession de son caractère citoyen polyvalent. Or le gouvernement a édicté, en même temps qu'il promulguait la loi, un règlement sur l'organisation de la police qui viole frontalement celle-ci, puisqu'il maintient un fonctionnement où chaque mission est affectée non plus à un service distinct, mais à une unité spécifique. Autant dire qu'on change de mot pour que tout reste comme avant.
C'est le rôle du Grand Conseil d'exercer la haute surveillance sur le Conseil d'Etat et, par conséquent, ce soir, nous ne pouvons pas nous déresponsabiliser par rapport à une violation flagrante de la loi que nous avons acceptée de la part de l'exécutif, nous ne pouvons pas laisser les syndicats de police saisir la justice pour contester ce règlement sans, de notre côté, en tant que pouvoir législatif, signaler au gouvernement qu'il doit réviser sa copie et qu'il a jusqu'au 1er juin pour mettre en place un règlement respectant la loi. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, je vous invite à soutenir cette proposition de résolution. Merci. (Applaudissements.)
M. François Lefort (Ve). Je vais certainement paraphraser quelque peu M. Batou. Nous nous trouvons dans une situation particulière qui, de mémoire de jeune député, ne me rappelle aucun événement similaire. Le 3 novembre dernier, nous avons voté une nouvelle loi sur l'organisation de la police contre l'avis du Conseil d'Etat, et celui-ci a tout de même promulgué ce texte le 22 décembre. Mais, pratiquement le même jour, il adoptait un règlement totalement contraire à cette loi et les publiait tous deux dans la FAO le 23 décembre.
Je comprends bien que le gouvernement ait été extrêmement ulcéré par ce que nous avons commis contre lui et que cette façon de procéder constitue en quelque sorte une réponse du berger à la bergère, mais, Monsieur le conseiller d'Etat, la bergère est très fâchée, elle aussi; la bergère, c'est nous. C'est la raison pour laquelle nous vous adressons cette proposition de résolution: nous vous demandons de réparer ce que vous avez fait à la bergère en édictant un règlement qui ne contredise pas la loi.
Vous avez choisi la confrontation, vous avez décidé, par voie réglementaire, via ce règlement que vous avez publié le même jour que la promulgation de la loi, de maintenir l'organisation de la police en silos ainsi que la hiérarchie pléthorique - certains disent «mexicaine» - qu'elle induit, toutes choses que nous avions supprimées le 3 novembre. Il s'agit là d'une violation flagrante et indigne des principes de la séparation des pouvoirs, mais surtout de la bonne foi.
Nous vous invitons dès lors, par le biais de cette résolution élégante et polie, à mettre le règlement sur l'organisation de la police en conformité avec la loi que nous avons votée ici contre votre opinion. Voilà, j'espère que le message de la bergère au berger sera entendu et qu'une fois cette résolution validée, vous établirez un nouveau règlement conforme à la loi que nous vous avons portée le 3 novembre. Merci. (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, au cours de mes treize ans et demi de présence dans ce parlement, d'excellents projets de lois ont été discutés, voire disputés, certains acceptés, d'autres pas. Mais ce que j'ai surtout appris au cours de ces trois législatures, souvent grâce à des décisions de tribunaux suite à des recours, c'est que quand des règlements édictés par le Conseil d'Etat ne s'appuient pas sur une base légale solide, ils sont retoqués, refusés, ils doivent être refaits.
Ce qui se passe est dommage. Je sais que nous sommes en opposition avec le gouvernement par rapport à la loi 12521, mais elle a été votée: l'expression démocratique que nous représentons - que nous ne représenterons peut-être plus dans quelques jours - s'est clairement manifestée par une majorité incontestable. Même si ça ne plaît pas à tout le monde, dans notre démocratie, la démocratie du consensus, les votes majoritaires prédominent, et le Conseil d'Etat doit s'y soumettre.
Nous n'avons pas agi en catimini, ça n'a pas été décidé dans son dos, le but n'était pas de porter ombrage à qui que ce soit, mais simplement de revoir une organisation dont la mise en oeuvre a montré qu'elle ne fonctionnait pas, qu'elle fonctionnait mal, qu'elle engendrait non seulement des problèmes, mais aussi une insatisfaction par rapport à toutes les interventions que la police doit faire auprès du public. Sur cette base, l'Union démocratique du centre se joint à cette proposition de résolution et demande au Conseil d'Etat - j'allais dire «pour une fois», non: comme la constitution l'exige - qu'il se conforme aux décisions prises par ce Grand Conseil. Je vous remercie.
Mme Xhevrie Osmani (S). Comme cela a été rappelé, à la fin de l'année dernière, une nouvelle mouture de la LPol a été votée par la majorité des partis ici présents, suite à presque quatre années de travaux en commission. Le rapport conséquent que j'ai défendu à cette occasion montre l'ampleur du travail déployé pour parvenir à un retour de la gendarmerie à Genève en mettant fin à un système éprouvé et désapprouvé par la police.
Dès lors, la question qui se pose est plus que légitime: comment l'esprit de la loi a-t-il pu être retranscrit différemment dans le règlement d'application ? A la lecture de ce dernier, on constate que les unités établies - que l'on appelle ainsi aujourd'hui, mais qui hier constituaient des services - ne respectent pas l'organisation de la police que nous avons décidée en instituant le principe du policier polyvalent en lieu et place d'une politique des silos. Je n'entrerai pas dans les détails et laisserai ces questions en suspens; elles sont assumées par mon groupe.
Si, ne serait-ce qu'un instant, le département a douté que la loi telle qu'adoptée corresponde à l'esprit dans lequel nous, législateur, l'avons rédigée, pourquoi ne s'est-il pas manifesté pour faire respecter cette volonté ? C'est ce qu'on pourrait attendre d'un Conseil d'Etat responsable, et si tel est son raisonnement, compte-t-il corriger le tir pour concrétiser le souhait du parlement en déposant un projet de loi ? Ce qui est à déplorer aussi, c'est le manque d'attitude proactive du gouvernement et, cela a été relevé, le peu de consultation et d'ouverture dont il a fait preuve avec les partenaires dans l'élaboration du règlement. A défaut de réponse de sa part, nous voterons favorablement cette proposition de résolution. Merci. (Applaudissements.)
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je constate que le bal des courbettes devant les syndicats de la police se poursuit... (Protestations.) ...en cette période électorale, on continue de voir les mêmes laquais de ces syndicats venir pleurnicher parce que le règlement, cette fois-ci, ne leur convient pas. Je doute fort que ces personnes aient procédé à une analyse juridique sérieuse de la conformité du nouveau règlement à la loi inique qui a été adoptée il y a quelques mois, une loi qui comporte «Desfayes» ! (Exclamations. Rires.)
Une voix. Joli !
M. Murat-Julian Alder. Mais surtout, Mesdames et Messieurs, j'ai envie de vous dire qu'il s'agit là d'une résolution, et vous savez très bien avec quelle force, avec quelle vigueur le Conseil d'Etat pourra s'asseoir dessus.
Et vous savez qui va s'asseoir dessus également ? Les juges qui ont été saisis du recours déposé contre ce nouveau règlement. Les juges ne sont pas liés par les considérations politiques qui ont été entendues ici, ils pratiqueront un examen juridique de fond sur cette question; un résultat sous la forme d'un jugement sera rendu, jugement qui pourra lui-même faire l'objet d'un recours, on n'en sait encore rien à ce stade, mais laissons la justice accomplir son travail, laissons l'autorité judiciaire régler cette affaire sans interférer. Cela s'appelle le principe de la séparation des pouvoirs, cela s'appelle le respect des institutions, et quelle que soit la décision que les juges prendront, nous la respecterons, dans un sens comme dans un autre. Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe PLR s'opposera à cette proposition de résolution. (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (PDC). J'ai de plus en plus de peine à fermer ma veste, ce sont les années qui passent ! Mesdames et Messieurs, je connais Murat Alder de très longue date, il possède de nombreuses qualités, mais ce soir, nous apprenons de surcroît qu'il est drôle ! (Exclamations.) Il a évoqué les laquais des syndicats de la police, des mots qui ne sont pas tout à fait dignes de sa personne, mais peu importe. En tout cas, le groupe PDC-Le Centre ne se sent pas visé, vous verrez tout simplement notre prise de position sur le prochain objet.
Plaire ou déplaire à une corporation n'a jamais été notre but; notre objectif, en l'occurrence, est de servir le bien commun. Peut-être que peu de partis s'intéressent à la sécurité, mais pour notre part, au contraire, nous considérons que la sécurité constitue l'un des grands enjeux pour Genève ces prochaines années. Pour vous en convaincre, il suffit de consulter les chiffres du Tribunal des mineurs: en quatre ans, une augmentation de 100% des crimes et des délits ! Observez aussi ce qui se passe dans les pays voisins; la Suisse ne sera pas épargnée par une hausse de la criminalité. Pour relever ces défis, pour y faire face, nous avons besoin d'une police bien formée, d'une police organisée, d'une police motivée. C'est uniquement dans cet esprit-là que nous avons voté la révision de la LPol, que nous avons fait sauter les silos qui conduisaient à un excès de hiérarchie.
Allez regarder, par exemple sur Smartvote, la réponse des députés PLR à la question: voulez-vous plus d'agents sur le terrain ? Tous répondent oui. Or comment accroître la présence policière sur le terrain ? Eh bien tout simplement en mettant fin à ce ruissellement bureaucratique, à ces armées mexicaines qui ne font que compliquer la tâche des policières et des policiers.
On peut s'interroger: pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas voulu respecter la volonté du parlement ? Certaines langues diraient que le Conseil d'Etat - ou le conseiller d'Etat, en l'occurrence - a préféré choisir l'épreuve de force. Ce n'est pas mon point de vue. A mon sens, dans l'exercice de son pouvoir, on va dire, solitaire, le magistrat Mauro Poggia s'est retrouvé bien isolé, dépendant de la hiérarchie... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...et peut-être que, pour lui faire plaisir, il a cédé à ses doléances.
Un deuxième point est tout aussi important et a finalement été admis, quand bien même on l'a nié pendant l'essentiel des travaux parlementaires, c'est que la «lex Maudet» a créé un nombre extrêmement important de nouilles et de spaghettis...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Sébastien Desfayes. ...c'est-à-dire de gradés, et qu'il a fallu les recaser par le biais de ces unités, par la création de nouveaux silos. Mesdames et Messieurs, chers amis députés...
Le président. C'est terminé...
M. Sébastien Desfayes. ...le but de la hiérarchie est de servir la police, donc la population...
Le président. C'est fini, Monsieur le député !
M. Sébastien Desfayes. ...et pas le contraire, raison pour laquelle le groupe PDC-Le Centre soutiendra cette proposition de résolution. Merci. (Applaudissements.)
M. François Lefort (Ve). Les laquais des syndicats ! J'apprécie beaucoup l'humour de Murat Alder, qui reprend d'ailleurs une terminologie un peu fanée, normalement plutôt pratiquée à ma droite, c'est-à-dire par les membres de l'extrême gauche de ce parlement, lesquels ont reconnu et reconnaissent aussi votre humour, Monsieur Murat Alder - vous transmettrez, Monsieur le président. Mais si, parce que nous entendons les revendications justes des policiers, qui font partie de notre population, si pour cette raison-là nous leur servons de laquais, eh bien je vous le dis: je l'assume. Je pense d'ailleurs que la majorité de ce Grand Conseil qui a voté la nouvelle loi sur la police l'assume tout à fait. Et c'est au moins aussi honorable que d'être un cabot, sinon un cabotin, au service du Conseil d'Etat. Merci.
M. François Baertschi (MCG). En 2014, le MCG s'est engagé contre le démantèlement de la police genevoise en lançant un référendum contre la LPol, laquelle a démembré et affaibli nos forces de l'ordre. A cette époque, le PLR, uni au PDC, aux Verts et au PS, avait permis à cette loi et à ses silos d'être acceptés à une majorité de 57 oui. Si ces partis avaient eu le bon réflexe de voter contre cette réforme, nous n'en serions pas là. Il est piquant d'observer aujourd'hui les mêmes groupes s'attaquer à une organisation à laquelle ils ont contribué de manière déterminante. Le MCG maintiendra sa position en s'opposant au fonctionnement de la police en silos, donc soutiendra cette proposition de résolution, mais ne peut s'empêcher de relever que sans le vote de 2014, nous n'aurions pas à examiner cette question.
Nous sommes par ailleurs surpris d'entendre le parti de l'auteur de la résolution (Ensemble à Gauche) réclamer une défense intransigeante de la loi. En parallèle, la même extrême gauche viole la loi avec la même intransigeance en s'impliquant directement dans une manifestation non autorisée et dans l'occupation illégale d'un immeuble avec, en prime, une offensive violente à l'encontre des policiers. Pour l'extrême gauche, c'est tout et son contraire: défense et attaque de la police, respect et non-respect de la loi. Cela étant, le MCG votera cette proposition de résolution, parce que nous sommes fidèles à notre politique menée depuis le début.
Le président. Je vous remercie. Monsieur Jean Batou, je vous rends la parole pour trois minutes.
M. Jean Batou (EAG). Pour combien de temps ?
Le président. Trois minutes.
M. Jean Batou. Trois minutes, d'accord. Merci, Monsieur le président. Un parti qui se respecte - vous transmettrez à M. Baertschi - tend à concilier sa position avec celle du magistrat qu'il a porté au Conseil d'Etat. Je suis très surpris de constater que le principal ennemi de la loi que j'ai eu le plaisir d'élaborer et que vous avez soutenue - cette loi que nous avons votée ici au Grand Conseil - est votre conseiller d'Etat, M. Mauro Poggia ! Il l'a combattue par tous les moyens, notamment dans la presse.
Il a également menacé la commission judiciaire et de la police de geler ses travaux. Dans une lettre, il a écrit: «Le Conseil d'Etat va suspendre votre décision présumée, nous reviendrons avec un autre projet.» J'ai dû rappeler, par une missive adressée à tous les conseillers d'Etat, qu'il n'est pas de la compétence de l'exécutif, même d'un ministre qui a dirigé Genève dans le cadre de la lutte contre le covid, de s'attribuer le rôle de président de la république et d'invoquer un article - je ne sais plus lequel - permettant d'ajourner la décision d'une commission parlementaire. Nous sommes allés jusqu'au bout du processus, vous avez voté avec nous et maintenant, je demande simplement que la loi soit appliquée !
Par ailleurs, je m'étonne qu'un avocat comme M. Alder - vous transmettrez, Monsieur le président -, qui a par ailleurs été membre de la Constituante, puisse soutenir ici que le Conseil d'Etat va s'asseoir sur une résolution du Grand Conseil. Le gouvernement devrait respecter non seulement une résolution du parlement, mais surtout le vote d'une loi; si ce n'est plus le cas, nous pouvons tous plier bagage et rentrer à la maison. Quand bien même le Conseil d'Etat pourrait s'asseoir sur une résolution, cela m'étonnerait qu'il puisse s'asseoir sur une loi; si c'est le cas, alors il peut tout aussi bien s'asseoir sur une initiative populaire et, demain, décréter la république bananière du Conseil d'Etat ! Je pense que nous tous, que nous soyons sur les bancs de droite ou de gauche, devons faire respecter l'Etat de droit. Dans ce sens, j'appelle ce Grand Conseil à approuver cette résolution et le Conseil d'Etat à ne pas s'asseoir dessus. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole retourne à M. Murat-Julian Alder pour une minute vingt.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Merci, Monsieur le président. Vous prierez M. Batou de rester assis pour l'occasion. Je n'ai jamais soutenu que le Conseil d'Etat pouvait s'asseoir sur une loi, j'ai relevé qu'il pouvait s'asseoir sur une résolution pour une raison très simple, c'est que ce genre de texte n'est pas contraignant. En l'occurrence, la présente proposition de résolution a une portée tout au plus déclamatoire, mais n'est contraignante ni pour le gouvernement ni pour les juges qui ont été saisis du recours déposé. A aucun moment je n'ai dit que le règlement était conforme ou contraire à la loi; il s'agit d'une question strictement juridique, et nous n'avons pas à en faire un enjeu politique. C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à cette proposition de résolution.
Une voix. Très bien.
Le président. Je vous remercie. Monsieur Jean Burgermeister, il vous reste quinze secondes.
M. Jean Burgermeister (EAG). Merci, Monsieur le président, mais j'aurais besoin d'un peu plus de temps pour répondre à M. Baertschi...
Des voix. Non !
M. Jean Burgermeister. ...qui m'a accusé de ne pas respecter la loi pour avoir participé à une manifestation dans le cadre de laquelle j'ai été matraqué.
Le président. Je n'ai pas entendu que vous ayez été nommément cité, Monsieur le député.
Une voix. Mais si !
M. Jean Burgermeister. Il me semble, Monsieur le président, que c'était parfaitement clair pour tout le monde.
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Jean Burgermeister. Monsieur le président, c'était parfaitement évident pour tout le monde !
Le président. Non.
M. Jean Burgermeister. Or cela participe à une conception démocratique quelque peu discutable...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député. Pour conclure, je passe la parole à M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat.
M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ainsi donc, la gauche combative autoproclamée dépose une proposition de résolution à l'attention du Conseil d'Etat - celle-là même qui défile avec des calicots sur lesquels il est inscrit: «Moins de flics !» - afin de venir au secours de la police. Peut-être qu'il s'agit de camarades de jeu que l'on veut maintenir totalement efficaces pour pouvoir continuer, de son côté, à braver les limites de la légalité, comme cela est fait régulièrement, comme cela a encore été fait tout récemment ?
Plus sérieusement, Mesdames et Messieurs, on prête au Conseil d'Etat et singulièrement à votre serviteur une mentalité revancharde: il essaierait de revenir par la fenêtre alors qu'on lui avait dit de sortir par la porte et réétablirait, au moyen d'un règlement, ce que la loi lui interdit de faire. Excusez-moi, cet après-midi même, j'ai signé un mémoire adressé à la Chambre administrative, qui a été saisie pour une prétendue non-légalité du règlement adopté, et l'autorité judiciaire décidera si le règlement contesté est conforme à la loi ou non.
Vous savez, Mesdames et Messieurs, le problème n'est pas tant que j'aie tort ou raison, cela m'indiffère, ma personnalité dans ce débat est totalement accessoire et marginale. Ce qui m'importe, c'est que notre police puisse continuer à remplir ses missions. On a créé deux entités distinctes alors qu'il n'y en avait qu'une - il y a maintenant un corps de gendarmerie et un corps de police judiciaire qui sont totalement hermétiques - et considéré que seule la commandante doit être au-dessus d'eux.
Ladite commandante est actuellement en vacances. Pour ne prendre qu'un exemple d'actualité, la semaine dernière, vous l'avez appris, il y a eu des informations quant à une possible menace terroriste; qui aurait dû mettre en place les dispositifs nécessaires de protection de la population ? Le chef de la gendarmerie ? Non, cela concerne également le renseignement et toute l'activité de la police judiciaire. Le chef de la police judiciaire ? Non, bien sûr que non, puisque la gendarmerie doit intervenir en masse pour des situations de ce type. Vous voyez bien qu'il faut quelqu'un au-dessus. Vous ne voulez plus de chef des opérations, mais il faut bien que la commandante, lorsqu'elle n'est pas là - on peut tout de même lui accorder quelques heures de repos journalier -, puisse être remplacée par une autre personne.
Nous avons donc décidé qu'il fallait un adjoint, comme il en existe ailleurs: il y a par exemple une directrice adjointe à l'office cantonal de la détention, précisément pour que le département puisse réagir dans certaines situations se présentant le week-end ou durant les vacances, lorsque le directeur de l'OCD est absent. On vient nous dire que c'est illégal; ce n'est pas illégal, la loi n'interdit pas d'instituer un remplaçant à la commandante. Un tel système existe dans d'autres cantons, notamment dans celui de Vaud.
En ce qui concerne la gendarmerie, alors il faut un policier polyvalent: tout le monde fait tout, mais personne ne fait rien et surtout personne ne commande ceux qui doivent tout faire. Finalement, chacun décide le matin en arrivant quelle sera sa mission du jour: est-ce que je vais faire de la police routière ? Ah non, j'en ai déjà fait hier. Et toi, qu'est-ce que tu choisis ? Allons d'abord boire un café, et puis on verra. Non, mais j'entends, ce n'est pas sérieux.
On a certes supprimé les services, mais dans la gendarmerie d'antan, de bien avant la LPol de M. Maudet, puisque c'est ainsi qu'on l'a estampillée, il y avait des unités. Nous avons tout simplement rétabli ces unités. Cela n'empêche pas la mobilité interne afin de se concentrer sur des priorités, mais il faut tout de même des divisions avec des spécialistes. Les activités de la police routière ne se résument pas à venir sur place relever l'identité des auteurs; si vous saviez la technicité nécessaire pour établir les circonstances d'un accident - vitesse respective des véhicules, ondes d'impact, etc. Dès lors, oui, il faut des unités au sein de la gendarmerie. D'autant plus que dans l'article 10 de la LPol tel que vous l'avez modifié, vous énumérez clairement les missions de la gendarmerie. Eh bien pour pouvoir accomplir ces différentes missions, il faut des unités au sein du nouveau corps de gendarmerie.
Somme toute, j'ignore pourquoi je vous explique tout cela. Vous évoquiez la séparation des pouvoirs, eh bien chacun son job, j'ai envie de dire. De votre côté, rédigez des lois; nous, le gouvernement, ne sommes pas vos commis administratifs... (Commentaires.) Nous ne sommes pas vos commis administratifs, nous sommes là pour faire fonctionner l'administration. Et il y a des commissions, notamment celle de contrôle de gestion, qui, si les choses ne fonctionnent pas ou si le système dysfonctionne, nous réclament des explications.
Vous voudriez tout mettre dans la LPol; c'est comme si, s'agissant par exemple de l'office cantonal de la population et des migrations, vous veniez m'indiquer: «Non, il ne faut pas faire un service de l'asile, mais réunir le service de l'asile et celui des permis étrangers, parce que ça va mieux fonctionner.» Pardon, mais laissez ceux du terrain, ceux qui savent comment agir, organiser la police; ensuite, vous jugerez si le dispositif fonctionne ou pas. Mais surtout, ne laissez pas l'extrême gauche nous expliquer comment doit fonctionner la police ! (Rires.) Je me prends la tête dans les mains, on est dans l'absurdité, le surréalisme total ! (Applaudissements.)
Il est vrai, même si ce n'est pas très élégant, que nous pouvons nous asseoir sur une résolution, mais mon but n'est pas de m'asseoir sur une résolution, c'est de vous faire tout simplement comprendre qu'il existe une séparation des pouvoirs et que le Conseil d'Etat n'a pas la volonté maligne de contourner ce que vous avez décidé, même si je pense qu'on aurait pu faire autrement, avec beaucoup plus d'intelligence, d'égards mutuels et de respect des institutions, en entendant celles et ceux qui font usage des activités policières avant de transformer une loi comme vous l'avez fait. Le règlement que nous avons édicté est, à mon sens, parfaitement conforme au texte de la loi ainsi qu'à son esprit - quoique, en parlant d'esprit, je n'en aie pas trouvé beaucoup, même si j'ai cherché quel esprit avait pu balbutier dans vos débats pour tenter de mieux le comprendre; il faut venir ici pour saisir ce que vous vouliez exactement.
Quand je lis dans l'exposé des motifs de votre résolution: «Ce non-respect de la volonté du législateur a été clairement relevé par la "Tribune de Genève"», Mesdames et Messieurs ! (Rires.) N'attendons pas la décision des juges, la «Tribune de Genève» l'a dit ! (Rires.) A part cela, j'ai beaucoup de respect pour les journalistes de la «Tribune de Genève», mais ceux-ci n'ont fait que relayer les protestations véhémentes des syndicats de la police et des députés, donc ce n'est même pas leur avis. La «Tribune de Genève» a relayé des protestations, et celles-ci sont devenues une réalité incontournable démontrant que le Conseil d'Etat ne respecte pas la volonté du parlement !
Mesdames et Messieurs, soyons sérieux. Nous avons des institutions, dont un Pouvoir judiciaire qui est là pour déterminer si le Conseil d'Etat outrepasse ses prérogatives; laissons l'autorité judiciaire... (Commentaires.) Apparemment, les partisans de la liberté d'expression sont là pour défendre surtout la leur, pas celle des autres ! (Rires. Applaudissements.) Il n'en demeure pas moins, ne vous en déplaise, Mesdames et Messieurs de la gauche prétendument combative - je dirais plutôt gesticulante -, qu'il faut attendre ce que la justice dira sur le travail du Conseil d'Etat, et nous nous plierons naturellement à sa décision. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Je mets cet objet aux voix.
Mise aux voix, la résolution 1013 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 63 oui contre 26 non et 3 abstentions (vote nominal).