République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 2 mars 2023 à 17h
2e législature - 5e année - 10e session - 60e séance
PL 13119-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, comme indiqué en début de séance, nous allons passer directement au traitement des urgences. Nous commençons avec le PL 13119-A, classé en catégorie II, quarante minutes. (Commentaires.) Je prie les rapporteurs de s'installer à la table centrale. (Un instant s'écoule.) La parole échoit à M. André Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. La majorité composée du PLR, du PDC, du MCG et de l'UDC a refusé l'entrée en matière sur ce projet de loi en commission. Les trois premiers partis jugeaient ce vote inopportun et souhaitaient au préalable discuter notamment des amendements. La majorité propose de compléter les travaux en commission; toute la majorité, y compris l'UDC, soutient cette position. Je répète: toute la majorité, y compris l'UDC, soutient cette position. Par contre, ce sujet est d'une telle importance que le rapporteur de majorité souhaite dire quelques mots.
L'aide sociale est nécessaire - cela n'est contesté par personne -, car elle concerne une très large part de notre population, mais pour l'un des commissaires de la majorité, cette réforme est insignifiante et ne changera rien. Genève est le canton suisse qui dépense le plus pour l'aide sociale et qui, année après année, connaît les plus importantes augmentations de coûts. Notre canton a aussi, en pourcentage, le plus grand nombre de personnes à l'aide sociale de toute la Suisse; toujours en pourcentage, Genève compte plus du double de bénéficiaires que le canton de Zurich.
La réforme est basée sur quatre axes principaux. Premièrement, le chapitre I, «Accompagnement social»: à Genève, tout le monde fait tout. L'Hospice général, les EPI, l'OCE, divers services des communes, Caritas ou encore le CSP sont actifs dans des domaines similaires. La collaboration est absente, et ce projet de loi n'évoque absolument pas cette question.
Deuxièmement, le chapitre II «Aide financière»: de nombreuses prestations et tarifs sont augmentés. Selon le département, la hausse d'environ 90 millions par an devrait être compensée dans quelques années par la baisse du nombre de personnes touchant l'aide sociale. Or si on se penche sur les derniers plans financiers quadriennaux, on constate qu'il nous avait promis la même chose ces quatre dernières années, et les résultats ont été exactement inverses.
Troisièmement, le chapitre III «Insertion sociale, insertion professionnelle et mesures de formation»: là, le besoin existe. 69% des jeunes de 18 à 25 ans à l'aide sociale ne disposent pas de formation, mais pourquoi refaire ce qui existe déjà à l'OCE, aux EPI, etc. ?
Au sujet du titre IV, «Observatoire cantonal de la précarité et projets pilotes», l'Hospice général nous a indiqué que ce travail était déjà effectué par ses services.
Je répète que Genève a, en pourcentage, plus du double de personnes à l'aide sociale que Zurich. Dans notre canton, l'aide sociale au sens large représente 75 000 personnes, et ces dix dernières années, elle a progressé de 76%, ce qui est évidemment dramatique, mais aussi totalement inacceptable. Encore une fois, l'aide sociale est nécessaire, et personne ne le conteste, mais Genève a besoin d'une vraie réforme.
Après cette présentation, qui ne reflète certes pas la position de la majorité dans son ensemble, je demande officiellement le renvoi en commission de ce projet de loi. Merci de votre attention et de prendre note que je demande le retour en commission.
Le président. Il en est pris note, Monsieur, merci. Je passe la parole à Mme Jocelyne Haller pour qu'elle s'exprime sur la proposition de renvoi en commission.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de première minorité. Ce n'est pas correct ! Merci, Monsieur le président. Je m'inscris en faux contre cette démarche qui est une manière de réduire au silence les membres de la commission, lesquels avaient beaucoup de choses à dire, notamment la minorité, sur les pratiques ayant conduit au refus de l'entrée en matière sur ce projet de loi, un refus simplement destiné à renvoyer l'objet en plénière. Il s'agit d'une pratique particulièrement discutable.
J'aimerais tout de même souligner deux aspects. D'une part, contrairement à ce qu'a cru lire M. Pfeffer, cette réforme de la LIASI comprend énormément de nouvelles mesures en faveur de la population de notre canton qui vit dans la précarité, qui se trouve en difficulté; elle amène des éléments qui, en matière de formation, de reclassement professionnel, sont novateurs; elle établit enfin une adaptation des barèmes à la réalité du coût de la vie genevoise, et on ne devrait pas passer comme chat sur braise là-dessus.
Je précise d'autre part que les travaux de commission allaient bon train, que nous tenions les délais que nous nous étions fixés jusqu'à ce que le PLR, appuyé par une majorité, décide soudain, par un artifice profondément contestable, de stopper les travaux, de renvoyer le texte en plénière. Et vous voyez, on se retrouve avec un rapport de près de 270 pages, tout cela pour renvoyer in fine le projet à la commission des affaires sociales afin de terminer les travaux; une façon d'empêcher que la révision se fasse au cours de cette législature.
Un dernier mot sur le rapport de majorité. Je suis désolée envers M. Pfeffer, qui est un homme plutôt affable en général, mais je m'insurge contre la manière dont il a rédigé son rapport. Inscrire en conclusion ses propres positions, des positions que l'on peut attribuer à l'UDC, alors qu'elles n'ont pas été formulées comme telles pendant les travaux de commission...! En aucun cas celles-ci ne peuvent passer pour les conclusions de la majorité. Vous auriez dû prendre la parole en tant que représentant UDC et exprimer vos positions, Monsieur, mais les faire valoir en conclusion du rapport de majorité constitue un procédé vraiment discutable - je dirais même inacceptable.
A cet égard, je constate que vous faites figurer des amendements dans ce rapport...
Une voix. Sur le renvoi en commission !
Mme Jocelyne Haller. Je vais y arriver, Monsieur Florey ! Ce n'est pas parce que vous vous sentez morveux que vous ne pouvez pas vous moucher ! (Exclamations. Protestations.)
Le président. S'il vous plaît ! Restons calmes ! (Vifs commentaires.)
Mme Jocelyne Haller. Monsieur Ivanov, je ne vous ai rien demandé !
Le président. Madame Haller...
Mme Jocelyne Haller. Je conclus, Monsieur le président ! (Vifs commentaires.)
Une voix. C'est quoi, ce bordel ?!
Le président. ...sur le renvoi en commission...
Mme Jocelyne Haller. Sur le renvoi en commission, Monsieur Florey - vous voudrez bien transmettre, Monsieur le président -, eh bien je vais me prêter à cette manoeuvre douteuse, parce que ce projet de loi, qui est vraiment intéressant et amène des innovations valant la peine pour la population genevoise en situation de précarité, nécessite tout de même un certain nombre de discussions, des aspects doivent être travaillés. Pour cela, je soutiendrai le renvoi en commission, mais je condamne la manoeuvre de la majorité de la commission qui a joué là un jeu déplorable. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
Le président. Je vous remercie. Sur le renvoi en commission, Madame Léna Strasser, vous avez la parole.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, je vais aller dans le même sens que ma préopinante, regrettant de devoir me prononcer juste sur le renvoi en commission alors que le rapporteur de majorité a pu faire un long exposé, lequel n'était d'ailleurs vraiment pas en lien avec ce qui a été discuté en commission, mais reflète uniquement ses positions ainsi que celles de l'UDC en général.
Je rappelle également que ce projet de loi a fait l'objet d'une très large consultation à l'externe: 34 entités, notamment des hautes écoles, des communes, des organismes spécialisés dans le monde social, y ont répondu, les retours ont été positifs, voire très positifs, et le texte a été renvoyé en plénière alors que les travaux étaient en cours.
Le rapporteur de majorité a pointé du doigt la question du retour au travail en soutenant que la réforme n'allait pas du tout dans cette direction, ce qui n'est pas le cas. Il oublie plusieurs choses, notamment qu'une personne sur trois à l'aide sociale est un enfant, que parmi les bénéficiaires, près de 50% des gens sont sans formation ou ont tout au plus achevé un cursus primaire. Dès lors, penser qu'on peut établir un lien direct entre les places vacantes dans notre tissu économique et le nombre de personnes touchant des aides financières de l'Hospice général est aberrant. Le rapporteur de majorité insiste sur l'insertion professionnelle; ce qu'il ne prend pas en considération, c'est que la révision proposée va précisément dans ce sens.
De plus, le texte tient compte de l'augmentation des problèmes de santé parmi les personnes à l'aide sociale, ce qui constitue une vraie problématique touchant près de 44% des titulaires de dossier. Il fait face à la réalité actuelle de l'augmentation du coût de la vie: les loyers, les assurances, le prix des biens sont aujourd'hui en inadéquation avec le montant des prestations de l'aide sociale. Enfin, il traite la question du surendettement des bénéficiaires, qui concernait 46% des gens fin 2021.
Nous regrettons vraiment la teneur du rapport de majorité. Comme vous l'avez compris, la première partie du travail en commission a montré que la loi actuelle n'est pas satisfaisante face aux enjeux sociétaux actuels, qu'il est nécessaire d'envisager une transformation en profondeur de l'aide sociale, et c'est pourquoi la minorité, qui déplore vraiment ce passage en plénière, soutient fermement un retour en commission. Nous pourrons alors discuter ce texte un peu plus tranquillement, dans les détails, étudier les amendements proposés - plusieurs groupes en ont déposé - et trouver un chemin commun pour qu'au final, cette réforme puisse être mise en oeuvre et vraiment bénéficier aux personnes qui sont au centre des questions sociales. Merci.
Le président. Merci bien. Toujours sur le renvoi en commission, la parole revient à M. le conseiller d'Etat Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, M. Thierry Apothéloz étant malheureusement retenu, il nous a demandé d'exprimer la position du Conseil d'Etat. Ce qui s'est passé en commission est bien entendu regrettable, les travaux sur l'aide sociale et la lutte contre la précarité doivent pouvoir être menés dans la sérénité. Il s'agit d'un sujet trop important pour qu'il soit traité de cette manière, que l'on soit d'accord ou non sur les dispositions proposées, que l'on souhaite amender ou pas certaines propositions au final. Tout est respectable en démocratie, mais le fait d'avoir coupé court au débat constitue une méthode cavalière que le Conseil d'Etat ne peut pas cautionner. Il vous recommande donc de renvoyer ce texte en commission.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Je mets aux voix la proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13119 à la commission des affaires sociales est adopté par 87 oui (unanimité des votants).