République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 16 décembre 2022 à 8h
2e législature - 5e année - 8e session - 46e séance
PL 13178-A
Suite du deuxième débat
Budget de fonctionnement (tome 1) (suite)
I - IMPÔTS ET FINANCES (suite)
Le président. Nous reprenons notre passionnant débat sur la politique publique I. M. Batou ne demandant plus la parole, je la passe à M. Vincent Subilia.
Une voix. Il n'est pas là.
Le président. Je passe donc la parole à M. Cyril Aellen.
M. Cyril Aellen (PLR). Merci, Monsieur le président. Je crois qu'il est important de revenir sur certains propos qui ont été tenus hier. Je vais commencer par expliquer en quoi M. Thévoz, ici présent, se trompe objectivement sur des faits incontestables, et que l'idéal auquel il prétend n'est en réalité qu'une chimère.
Dans notre canton, il y a à peu près 500 000 habitants, donc un peu moins de 200 000 foyers fiscaux. Dans l'idéal de M. Thévoz, chacun serait égal, non pas en équité, mais gagnerait à peu près la même chose. Prenons un salaire annuel de 120 000 francs, pour avoir quelque chose de confortable; cela correspond au demeurant au salaire médian et au salaire moyen de la fonction publique. Il faudrait imaginer un impôt légèrement supérieur, de l'ordre de 20%, parce qu'il faut être idéal, à celui qui est pratiqué aujourd'hui, ce qui ferait 24 000 francs par foyer fiscal. Il est évident que les entreprises ne devraient pas faire de bénéfices et devraient redistribuer l'intégralité de leurs produits aux salariés. Il n'y aurait donc pas d'impôts à prélever sur les entreprises. Cela ferait des rentrées fiscales d'à peu près 4 milliards.
Alors maintenant, Monsieur Thévoz, expliquez-nous comment vous allez faire avec ces 4 milliards. Comment allez-vous payer les autorités et la gouvernance à concurrence de 100 millions ? Comment allez-vous payer les états-majors à concurrence de 800 millions ? Jusque-là, vous avez peut-être quelques idées pour réduire le fonctionnement. Je vous accorde par ailleurs que si chacun peut gagner 120 000 francs, il n'y aura alors plus besoin d'un seul centime pour la cohésion sociale. Mais comment va-t-on faire pour les 50 millions à la culture ? Comment va-t-on payer les 150 millions pour l'environnement et l'énergie ? Comment allons-nous payer les 2,5 milliards pour la formation ? Comment allons-nous payer les 150 millions pour l'aménagement ? Comment allons-nous payer les 650 millions pour la sécurité et la population ? Comment allons-nous prélever les impôts ? Admettons qu'on les prélève à la source, on réduit un petit peu les dépenses, je suis d'accord avec vous. Comment allons-nous payer les 240 millions pour la justice ? Comment allons-nous payer les 1,6 milliard pour la santé ?
Monsieur Thévoz, en réalité, dans votre idéal, vous oubliez que ceux que vous critiquez, qui participent à la cohésion sociale - un mot qui semble vous échapper... Parce que la cohésion sociale, ce n'est pas simplement être pour les pauvres ! La cohésion sociale, c'est accepter tout le monde ! Avec respect, ce que vous n'êtes pas capable de faire ! Aussi les riches ! Les riches qui, globalement... (Remarque.) Si tout le monde payait les mêmes impôts que vous, comment voudriez-vous que l'Etat de Genève tourne ? Je vais vous faire un aveu: si tout le monde payait les impôts que je paie, moi, comment voudriez-vous que Genève tourne ? Il faut savoir être modeste !
Si nous pouvons avoir un système de santé exemplaire, si nous pouvons avoir un système de formation exemplaire, c'est précisément parce que des gens gagnent plus que vous et moi, et plus que vous et moi réunis ! Ces gens-là, il faut se réjouir de leur présence ! Il faut bâtir la cohésion sociale avec eux, et il faut effectivement qu'ils y participent ! (Rire.) S'ils y participent, c'est précisément... Quand je suis arrivé dans ce parlement, le budget était de 8 milliards. Aujourd'hui, il est de 10 milliards. (Brouhaha.) Est-ce avec des gens comme vous et comme moi que ce budget a augmenté ? Pas du tout ! C'est grâce à des gens qui, Monsieur Thévoz, ont augmenté leurs bénéfices, notamment, et qui participent. En réalité, Monsieur Thévoz, vous, vous êtes, vous incarnez la politique du parasite ! (Applaudissements. Exclamations.) Le parasite, c'est celui qui se greffe pour prélever la sève de son hôte et en tirer la substance jusqu'à ce que la personne en question, l'organe vivant meure. C'est ça, en réalité ! (Commentaires.) Vous menez à la perte de notre canton, parce que c'est cette politique que vous incarnez. Monsieur Thévoz, comment allez-vous justifier, ce soir, quand vous rentrerez, expliquer à vos enfants que ceux-ci peuvent aller à l'école et avoir une éducation de qualité grâce à toutes les sociétés que vous avez critiquées ? En fait, c'est là-dessus que vous êtes totalement incohérent !
J'ajouterai un dernier mot. En dix ans, deux milliards de plus sont rentrés. Est-ce que vous vous êtes levé pour expliquer qu'il fallait rendre cet argent à ceux qui ont fait des bénéfices ? Pas du tout ! Je ne l'ai jamais entendu. Qu'est-ce que vous avez fait ? Vos seules propositions, c'est d'augmenter le salaire des fonctionnaires ! Je vous en remercie: hier, grâce à vous, ma cellule familiale a vu son revenu augmenter de 4000 francs; on a un revenu de 4000 francs supplémentaires, et je vous en remercie infiniment ! Mais est-ce que vous pensez que c'était la priorité de la cohésion sociale ? La réponse est manifestement non. Je demande plus de respect envers ceux qui apportent des recettes fiscales, et halte à la politique du parasite ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe maintenant la parole... (Brouhaha.) La diane a sonné ! Je passe la parole à M. le député Vincent Subilia. (Brouhaha.)
M. Vincent Subilia (PLR). Merci, Monsieur le président. Dans le sillage des propos particulièrement éclatants qui viennent d'être tenus et auxquels je souscris bien sûr parfaitement, je m'autorise à ajouter un petit élément de réflexion. Mesdames et Messieurs, les propos tenus dans cet hémicycle hier soir par le député Thévoz sont, et le député Aellen l'a rappelé, indécents, mais surtout affligeants.
Indécents parce qu'ils émanent d'un fonctionnaire - il faut le dire, puisque j'ai été mis en cause dans le rôle qui est le mien dans ma fonction professionnelle -, d'un fonctionnaire grassement rémunéré... (Remarque.) ...dont les votes d'hier ont permis d'augmenter encore une fois le traitement, ce qui pose par ailleurs la question des conflits d'intérêts... (Commentaires.) ...d'un fonctionnaire grassement rémunéré donc, ce dont il faut se féliciter. Il faut s'en féliciter, Mesdames et Messieurs, car nous avons à Genève une fonction publique dont je crois savoir qu'elle est dans sa grande majorité de qualité. Un fonctionnaire néanmoins; et c'est ce même fonctionnaire qui stigmatise de façon systématique celles et ceux qui financent son train de vie, et qui ainsi, comme le dit le dicton populaire, crache dans la main même qui le nourrit.
La chasse aux sorcières à laquelle nous avons assisté hier, avec l'incrimination d'un certain nombre de sociétés qui ont été nommées, est indécente, je le disais. Elle est même obscène ! (Remarque.) Parce que, plutôt que de se réjouir de celles et ceux qui, à Genève, créent cette valeur économique qui nous permet de mener le train de vie que toutes et tous nous appelons de nos voeux, avec des infrastructures de qualité - je ne vais pas reprendre les chiffres énoncés par mon excellent préopinant -, plutôt que de les remercier, de reconnaître le fait qu'ils génèrent des emplois, et non des moindres dans le cas d'une des sociétés mentionnées, de reconnaître surtout le fait qu'ils dégagent des recettes fiscales très importantes, il faut conspuer la réussite ! Condamner la prise de risque ! Porter un regard critique sur des joyaux de notre tissu économique, à l'instar de MSC, que vous avez abondamment cité, premier armateur mondial, ce dont il faut le féliciter. Il nous fait l'honneur de sa présence à Genève, alors que cette entreprise globale est courtisée de toute part, Mesdames et Messieurs, parce que la réalité économique - dont vous êtes totalement décorrélé - est celle d'un monde globalisé; vous pouvez le déplorer pour des raisons éthiques, mais c'est la réalité du terrain, la réalité de sociétés auxquelles on offre des ponts d'or pour qu'elles quittent Genève et se déploient sous des cieux plus cléments. S'en prendre à ce type de société, alors même que l'on vient de s'octroyer quelques prébendes additionnelles, c'est indécent, obscène, disais-je !
Ce même propos que vous tenez est surtout affligeant parce qu'il traduit à nouveau une méconnaissance crasse des enjeux de notre tissu économique, et qu'il est bien facile de s'ériger en censeur de l'humanité au nom de cette justice de la bien-pensance, alors que, Monsieur Thévoz, comme d'autres membres de votre groupe et de manière plus générale à gauche, vous méconnaissez un grand nombre de facteurs. D'abord, et permettez-moi d'y revenir, si la médiation sociale - essentielle - est un art, la fiscalité est davantage une science. Il faut donc être exact et précis dans les propos qu'on tient, et manifestement cela vous fait défaut.
D'abord sous l'angle des personnes morales - notre conseillère d'Etat chargée des finances le dirait mieux que moi -, Genève, oui, conserve une certaine compétitivité. On le doit au vote, quasi unanime à l'exception d'un certain nombre d'idéologues présents dans l'hémicycle, de la réforme dite RFFA qui nous vaut un taux d'imposition de 13,99%, vous le savez aussi bien que moi. Là, nous conservons une certaine compétitivité qui vient contrebalancer des externalités que nous connaissons en Suisse: c'est le cas notamment du coût de la vie et de la main-d'oeuvre particulièrement onéreuse. La compétitivité, nous la maintenons, et il est essentiel de la maintenir, mais elle va être mise à mal dans le cadre d'une première réforme, celle de l'OCDE dite BEPS: celle-ci entrera en vigueur en 2024 et nous verra basculer, pour autant qu'elle soit effective, à un taux de 15%. Cela érodera davantage encore l'attractivité, parce qu'elle nous mettra au même niveau qu'un certain nombre d'Etats... (Commentaires.) ...qui, eux, connaissent des incitatifs bien plus généreux que ceux qui existent en Suisse, notamment avec des programmes de soutien à la recherche et au développement, et surtout ne sont pas confrontés au coût de la main-d'oeuvre que l'on connaît ici - et il faut, encore une fois, s'en réjouir si les salaires sont élevés, mais c'est aussi une forme de frein. Quand on a une vision que je qualifierais de plus globale et qu'on n'a pas uniquement le nez sur le nombril genevois, on réalise que cette compétitivité de Genève peut être mise à mal par des enjeux majeurs l'année prochaine. La votation BEPS en est un. Bien sûr que les entrepreneurs veulent de la prévisibilité; c'est la raison pour laquelle nous soutiendrons ce vote, mais pas à n'importe quel prix. Or aujourd'hui, on assène des coups de canif à répétition à ceux-là même qui créent de la valeur. Ça, c'est pour les personnes morales. 13,99%, 15%, les chiffres sont avérés, et ce sera valable pour toutes les sociétés, dont les trois groupes que vous avez mentionnés hier.
J'aborde l'angle des personnes physiques. Alors là, Monsieur Thévoz, l'enfer fiscal, même pavé de bonnes intentions, est une réalité pour celles et ceux qui, à l'instar des heureux actionnaires ou employés des sociétés que vous avez mentionnées, génèrent - et je m'en réjouis pour eux, encore une fois - des profits importants. Monsieur Thévoz, est-il nécessaire de rappeler encore une fois - cela a été dit hier - que l'imposition de la fortune à Genève est la plus élevée de Suisse...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Vincent Subilia. ...et qu'à la faveur des initiatives que vous nous soumettrez l'année prochaine, vous envisagez de doubler celle-ci encore ? Ça, c'est un véritable frein à la compétitivité ! Ça, c'est un risque avéré ! Il ne faut donc pas jouer avec le feu ! Vos propos, encore une fois, Monsieur Thévoz, sont indécents, émanant d'un fonctionnaire; ils sont affligeants de méconnaissance des enjeux économiques du canton. Merci. (Applaudissements.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, j'ajoute juste quelques mots. Je trouve assez incroyable qu'on se plaigne de ceux que, selon les préceptes de la gauche, il faudrait taxer plus: alors même qu'ils paient déjà beaucoup d'impôts, il faudrait qu'ils en paient encore plus.
Est-ce que, par contre, vous avez pensé aux membres de la classe moyenne, par exemple, qui souffrent aujourd'hui, qui plient sous l'impôt parce qu'eux ne touchent ni subsides d'assurance-maladie, ni subsides pour le logement, ni quoi que ce soit ? Ils paient la pleine taxation fiscale, qu'ils subissent aussi. S'il y a une catégorie à laquelle on devrait peut-être s'attacher, c'est bel et bien la classe moyenne, dont il faudrait non pas augmenter la quotité fiscale, mais la baisser, parce qu'ils n'arrivent bientôt plus à payer leur quotité; la classe moyenne est trop taxée. A contrario de tout ce débat dans lequel vous demandez qu'on augmente la pression fiscale sur tout le monde, ou sur les riches seulement, je pense qu'il faut baisser les impôts de la classe moyenne dans ce canton, car c'est là que la pauvreté est en train de s'installer. Il vaut mieux être en dessous des barèmes de la classe moyenne - on y vit mieux parce qu'on ne paie pas d'impôts et on touche tous les subsides - que d'être dans la classe moyenne. Aujourd'hui, c'est celle-ci qui est en train de s'appauvrir dans le canton, et il faudrait y songer. Merci.
M. Stéphane Florey (UDC). L'autre jour, au défilé de l'Escalade, il faisait tellement froid que j'ai vu un socialiste qui avait les mains dans ses propres poches. (Commentaires.) En matière de fiscalité, il ferait mieux de les y garder plutôt que de vouloir jouer les Robin des Bois et dépenser à mauvais escient l'argent qui n'est pas le sien.
Concernant la fiscalité, les impôts augmentent, mais on ne s'en rend pas toujours bien compte: la LCP, l'article 458 très exactement, permet à l'Etat d'adapter certains impôts à l'inflation. Il ne se gêne pas pour le faire. Prenons l'exemple de l'impôt auto qui, grâce à cet article, a augmenté plus vite que l'inflation elle-même. La population ne s'en rend pas forcément compte. Il y a aussi certains frais, comme les frais de rappel: on a reçu successivement des courriers de l'administration pour nous dire que les frais de rappel allaient augmenter. Je crois que maintenant vous payez 40 francs, sauf erreur, si malheureusement vous recevez un rappel. Ces choses pèsent malgré tout sur la classe moyenne et sur ceux qui paient des impôts, mais qui ont de plus en plus de peine à joindre les deux bouts.
Pour ces raisons, il faudrait plutôt aller dans le sens inverse de ce que demande la gauche. Imaginez: on devrait aujourd'hui payer 20% d'impôts en plus, si on écoutait le discours de M. Thévoz qui clame d'année en année que les baisses d'impôts de 1999 et de 2009 ont ruiné l'Etat, alors que oui, et ça a été dit à plusieurs reprises... En 2007, par exemple, mon premier budget était à 7,2 milliards de francs. C'était ça en 2007. En 2001, il était à un peu plus de 6 milliards. Aujourd'hui, on est à 10 milliards, malgré toutes les baisses d'impôts qu'on a connues. On devrait plutôt s'atteler à aller dans cette voie, à aller de nouveau vers une grande baisse générale d'impôts, qui serait bénéfique pour toute la population. En attendant, vu la situation et le mécontentement général, l'UDC refusera cette politique publique. Je vous remercie.
M. Jean Batou (EAG). J'aimerais rappeler deux ou trois vérités à ce Grand Conseil. Premièrement, c'est le travail qui crée la valeur et non pas le capital. (Applaudissements.) Qui l'a dit ? Qui l'a dit ? Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx après eux. (Exclamations. Commentaires.) Non ! Ne mélangez pas Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx et Staline. Vous avez peu de notions de ce qu'ont apporté ces économistes à la connaissance de notre économie politique.
Une fois qu'on a admis que le travail crée la valeur, on va s'intéresser à la manière dont cette valeur est répartie. Elle est répartie de plus en plus inégalement, et c'est ça le problème. Rêvons d'une société plus égalitaire: il y aurait effectivement moins de riches - qui paieraient donc moins d'impôts -, moins de pauvres, moins de dépenses sociales. C'est la société que nous voulons ! Une société où tout le monde vit décemment, paie ses impôts, et où, chaque année, nous n'avons pas de plus en plus de super-riches et de plus en plus de super-pauvres ! Parce que le problème de Genève...
C'est pour ça que cette politique publique suscite tant de discussions, qu'hier soir certains députés... M. Subilia par exemple - vous lui transmettrez, Monsieur le président - perdait son sang-froid, lui qui pourtant a été fonctionnaire d'Etat avant d'être fonctionnaire du patronat. C'était ensuite au tour de M. de Senarclens, qui administre toute une série de sociétés, de perdre un peu son sang-froid. Gardez votre sang-froid et réfléchissez ! Travaillons ensemble à une société plus égalitaire; elle éviterait que chaque année 1600 gros actionnaires touchent 1 milliard de francs en tondant les coupons - comme on disait au XIXe siècle, à l'époque de Balzac -, se contentent de toucher la manne de leur capital: 1 milliard pour 1600 personnes, c'est 650 000 francs par an par personne, en dormant, comme disait François Mitterrand. En même temps, chaque année - chaque année - on observe une augmentation des fortunes de plus de 3 millions de francs à Genève, soit une augmentation des fortunes de plusieurs milliards chaque année.
Est-ce que vous croyez qu'il est possible de continuer comme ça longtemps ? Parce que, en face, de plus en plus de gens ne peuvent pas payer leurs primes d'assurance-maladie ! L'Etat doit payer 700 millions par an pour aider 140 000 personnes à payer leurs primes maladie, et bientôt 40% des gens ne gagneront pas assez pour payer des impôts ! Est-ce que vous croyez que cette croissance des inégalités est possible ? Est-ce que vous croyez qu'on va pouvoir continuer comme ça ?
Ceux qui parlent de cohésion sociale me font sourire; nous sommes dans le canton le plus inégalitaire de Suisse, et pour la fortune et pour les revenus ! C'est la raison pour laquelle l'impôt pèse de plus en plus lourdement sur une petite quantité de super-riches, de super-profits qui n'ont qu'une idée, à savoir échapper à la solidarité sociale. (Protestations. Commentaires.) Il est triste... (Exclamations.) Il est compréhensible de voir ceux et celles qui représentent ici les plus riches de notre canton s'énerver contre l'impôt; il est moins compréhensible de voir des gens de l'UDC et du MCG, qui fréquentent plus souvent les milieux populaires, défendre ces inégalités sociales explosives, qui sont en train de détruire notre société. Merci. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Sylvain Thévoz (S). Bonjour, Mesdames et Messieurs les députés. Il semble que le PLR n'ait pas très bien dormi cette nuit. J'espérais qu'elle allait porter conseil, mais ça ne semble pas être le cas. Je regrette la virulence avec laquelle on a parlé, mais elle prouve peut-être qu'un point important - et qui doit être sensible - a été touché.
Je rappellerai quelques-uns de mes propos d'hier soir, qui n'étaient pas offensants. J'ai évoqué les bénéfices extraordinaires réalisés dans un des secteurs prospères de Genève, le négoce du pétrole. J'aurais aussi pu parler du négoce de produits agricoles, de luxe et autres. Une série de grandes entreprises ont réalisé des milliards de bénéfices. J'ai évoqué Trafigura, qui a fait 7,1 milliards de bénéfice en 2022, soit plus du double de ce qu'ils avaient réalisé l'année d'avant. J'ai également parlé de Vitol, qui a également plus que doublé ses bénéfices: ceux-ci sont probablement passés à 9, 10 ou 11 milliards cette année; les comptes ne sont pas encore clôturés, on aura probablement de très bonnes surprises.
A ce moment, je rappelais que la posture de la droite - qui dit: «Ouh là là, 450 millions de déficit sur le budget 23, quelle horreur !», et a sur les charges un discours impossible à soutenir - était pour le moins incongrue, parce que, on le sait, aux comptes il y aura des bénéfices. En même temps, il y en aura hélas insuffisamment, parce que ces entreprises sont sous-imposées. Elles le sont d'une manière logique pour tout citoyen, qui peut voir des entreprises qui doublent leurs bénéfices à 7, à 8, à 10 milliards payer moins, en proportion et en taux d'effort, que la classe moyenne, payer moins, en pourcentage, qu'une famille ou des personnes qui travaillent à Genève.
Je regrette donc les propos d'une virulence extrême de M. Aellen, qui me traite de parasite ou m'accuse d'avoir une posture de parasite. Ça ne me choque pas trop, parce que je suis une de ces petites bêtes qui se renforce si vous augmentez la dose d'insecticide dont vous l'aspergez. Mais c'est une insulte pour tous les gens qui travaillent à Genève, une insulte pour les infirmières, pour tous les fonctionnaires, tous ceux que la droite applaudissait à son balcon il y a deux ans... (L'orateur applaudit.) ...en disant: «Heureusement qu'on a des gens qui vont au front ! Heureusement qu'on a des gens qui lèvent les poubelles ! Heureusement qu'on a des médecins !» Et deux ans après, alors que les grosses entreprises font des milliards de bénéfices, M. Aellen et le PLR traitent ces gens, à travers ma personne, de parasites, de fonctionnaires, de gens qui vivent sur le dos de la bête. Pourtant, quand l'économie était arrêtée à cause du covid, qui tenait la baraque ? C'étaient évidemment les fonctionnaires, les gens qui tenaient les PME et les citoyens et citoyennes de cette république. Ils traitent aussi de parasites, de manière indirecte, tous ceux qui ne paieraient pas d'impôts. Ces gens-là - il faut le savoir, et ceux qui n'en paient pas doivent l'entendre - sont, aux yeux du PLR, des parasites !
Quel paradoxe, quand on sait comment sont faites les fortunes dont j'ai parlé ! Elles sont faites dans le négoce du pétrole, c'est-à-dire que des entités ont acheté un maximum de pétrole juste avant la crise ukrainienne et le revendent ensuite à des prix majorés, multipliés par je ne sais même pas combien, par cent, par mille. Non seulement elles font du bénéfice sur cette opération, mais en plus elles se sucrent sur le dos des habitants. Or tous les habitants paient des charges exponentielles, parce que ces entreprises-là, qui font des bénéfices conséquents, ont majoré leurs prix, ont acheté à bas coût en 2021 et 2022, au moment de la crise ukrainienne, pour revendre maintenant à haut coût. Donc, les parasites, Monsieur Aellen - vous transmettrez, Monsieur le président - ne sont pas les citoyens de cette république, mais ces grandes entreprises qui ont fait des milliards de bénéfices en spéculant et in fine en revendant cher leurs produits aux Genevois.
Bien sûr, contrairement aux caricatures qu'on a faites, nous ne disons pas qu'il faut assommer les entreprises d'impôts, qu'il faut les saigner. 14% ! A travers les initiatives déposées, nous demandons un rectificatif, une légère augmentation sur des impôts de solidarité pour que ces entreprises paient simplement le juste prix et que ce ne soient pas toujours les citoyennes et les citoyens qui doivent assumer le coût de la vie d'une manière extrêmement forte.
Après ces quelques mots, Mesdames et Messieurs les députés, j'espère que vous retrouverez votre sang-froid et le sens de la mesure et, évidemment, que vous soutiendrez en 2023 les initiatives qui permettront d'avoir un budget équilibré en faisant payer le juste prix à ceux qui en ont les moyens. Merci. (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je dois dire que pour ma part j'ai mal dormi cette nuit, parce que j'ai trouvé les propos tenus par la gauche extrêmement inquiétants; mais je dois reconnaître qu'ils ont aussi été instructifs. J'y reviendrai.
Ils sont inquiétants, parce qu'on a vu une gauche qui crachait sur les bénéfices engendrés par les sociétés à Genève, qui reprochait à Genève d'accueillir des grandes fortunes - grandes fortunes qui, par l'impôt, contribuent à la solidarité et participent à la vie de la cité -, une gauche qui reprochait qu'il y ait des sociétés leaders dans leur domaine d'activité; en un mot, une gauche qui reprochait à Genève sa prospérité. Pourtant, si cette prospérité n'existait pas, il n'y aurait pas d'Etat social dans notre canton.
J'ai trouvé aussi que ces débats étaient instructifs, parce qu'ils ont montré la vacuité de l'alliance qui aujourd'hui fait passer ce budget, ou plutôt ce braquage à main armée... (Rires. Protestations.) ...avec un demi-milliard de déficit. Ils ont montré l'inanité, la vacuité de cette gauche que l'on va appeler la gauche dilatée, pour reprendre les propos de Grégoire Carasso il y a cinq ans: ce qu'on a entendu aujourd'hui et hier soir, c'est une contradiction manifeste entre la position du MCG et la position de la gauche. On a entendu aujourd'hui les propos de M. Sormanni, hier ceux de M. Baertschi: bien sûr, ce MCG ne peut pas se reconnaître dans les propos de M. Batou.
La gauche tente de rassurer son monde en disant: «Ce budget n'est pas une fuite en avant. L'Etat de Genève ne risque rien. Dans cinq ans, on ne devra pas réduire les prestations à cause des déficits creusés; on ne devra ni réduire les conditions de rémunération de l'Etat ni augmenter massivement les impôts de la classe moyenne, parce qu'on a une solution: augmenter les impôts des riches. On va augmenter l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune, l'impôt sur le capital, l'impôt sur les dividendes; on va augmenter les impôts sur les propriétés - encore que la plupart des propriétaires ne soient pas riches.»
Personne n'est dupe de l'inanité de ces augmentations d'impôts; elles aboutiront à une diminution des recettes fiscales et à la société qu'appelle de ses voeux M. Jean Batou et qui a été décrite aujourd'hui, c'est-à-dire une société où tout le monde est pauvre ! Allez à Cuba ! Allez en Corée du Nord ! Vous verrez la société que veut M. Batou.
On a cru percevoir dans une ou deux interventions de la gauche - et je le déplore également - une certaine perversité. Comme si celle-ci avait envie de casser le jouet, de fracasser la société dans laquelle nous vivons ! J'ai cru sentir véritablement un plaisir et une irresponsabilité indignes de la gauche. M. Thévoz me regarde en souriant; je ne l'ai pas nommé, peut-être s'est-il reconnu.
J'appelle donc le MCG à être conséquent et cohérent, car il ne peut s'allier à une telle gauche. Merci. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je vais parler ici en tant qu'entrepreneur, en tant que petit patron - ces bandits, ces gangsters qui se lèvent tôt le matin, parfois à 4h, qui ont subi des hausses de charges sociales, les hausses du coût de l'énergie, les hausses du coût des matières premières, les hausses salariales, et qui malgré tout paient des impôts ! Oui, nous sommes des cochons de payeurs ! Nous sommes des salauds - selon vos théories !
C'est inadmissible ! La Suisse vit grâce aux PME, qui créent de la richesse, qui prennent des risques ! C'est purement et simplement inadmissible, ce qu'on a entendu ! Concernant la RFFA, je suis très fier d'avoir présidé la commission fiscale et d'avoir réussi à faire passer cette réforme capitale pour Genève; j'en suis très fier ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Thomas Bläsi (UDC). Comme M. Thévoz nous a interpellés tout à l'heure, j'aimerais lui répondre en lui faisant part du moins de mon sentiment. Entre les super-riches des uns et les super-pauvres des autres, pourrait-on s'intéresser un peu à l'entre-deux, soit aux 90% de notre population, qui bossent tous les jours pour garantir des privilèges dont eux ne verront jamais la couleur ? Franchement, est-ce qu'on pourrait être un petit peu raisonnable et sortir de la sectorisation où vous nous mettez sans vous intéresser à la totalité de notre population ? Les patrons n'ont même pas droit au chômage...
Une voix. C'est vrai.
M. Thomas Bläsi. ...ils ne sont pas ou peu subventionnés, ils remplissent leur mission pour un gain totalement transparent et raisonnable. Notre devise traditionnelle est: «Un pour tous, tous pour un !» Alors arrêtons ce cirque et concentrons-nous sur ces citoyens, qu'ils soient fonctionnaires ou qu'ils travaillent dans nos PME, car ils mériteraient qu'on s'intéresse à eux un jour, une fois, ne serait-ce que par hasard ! Merci. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. André Pfeffer.
M. André Pfeffer. Je renonce. Merci, Monsieur le président. (Exclamations.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je repasse la parole à M. Cyril Aellen.
M. Cyril Aellen (PLR). Merci, Monsieur le président. Deux petites choses. Je commence en disant à M. Thévoz, vous transmettrez - je ne sais pas quand vous transmettez, si vous pouviez me le dire, ça me ferait plaisir... (Rires.)
Le président. A la pause.
M. Cyril Aellen. ...que je n'ai traité ni lui ni personne de parasite, mais que je maintiens que sa politique est la politique du parasite. (Commentaires.) Je sais que vous n'êtes pas capable de faire cette distinction, mais ce n'est pas grave - vous transmettrez également, Monsieur le président, et vous m'inviterez -, si par hasard ce n'est pas là la compréhension qu'on a eue de mes propos, je rectifie et je complète en maintenant que ce sont les adeptes d'une politique de parasite.
Deux mots à présent pour rebondir sur ce qu'a dit M. Desfayes au sujet de l'attitude du MCG. C'est un parti que j'observe avec attention, et que je lis, parfois. Je vais donc vous lire une publication du mois d'octobre 2022, qui s'intitule «Un budget irresponsable» - c'est M. Baertschi et Mme Sapin qui le signent: «Le Conseil d'Etat à majorité de gauche n'a fait aucun effort pour son budget 2023 qu'il vient de présenter ce 15 septembre. Avec 488 nouveaux postes, un déficit de 419,6 millions, et aucune mesure structurelle crédible, le gouvernement a choisi la solution de facilité.»
On reprend. On parle de 488 postes, c'est toujours le cas; d'un déficit de 419,6 millions, ce n'est plus le cas, c'est 500; d'aucune mesure structurelle, c'est toujours le cas, de même que la solution de facilité qui a été prise.
Le MCG, dans sa posture habituelle quand le budget sort, fait tous les plateaux. En principe, ils envoient Mme Sapin: c'est la seule qui comprend vraiment ce qui se passe et qui peut expliquer au MCG les éléments comptables; ensuite ils la font taire après avoir changé d'avis, et ils reprennent un vote dogmatique. Là, rien du tout !
Je poursuis, sous-titre suivant: 351 millions versés à la France. Qu'est-ce qui a changé, dans le budget ? Rien du tout. Après ils parlent de la péréquation intercantonale. Qu'est-ce qui a changé ? Rien du tout. 6 millions évaporés, etc. Ils concluent que le budget est irresponsable. Ce budget irresponsable, qui était totalement inadmissible, insupportable, «invotable», tout d'un coup, au mois de décembre, sans aucun changement, devient supportable et admissible; et ils le votent.
Le MCG, je vous remercie ! Parce que vous avez fait aujourd'hui la démonstration qu'on ne peut pas compter sur vous ! Vous êtes des girouettes et vous n'avez aucune structure politique, aucune colonne vertébrale politique. Le fait que ça se passe en année électorale nous rend un infini service: vous êtes appelés à disparaître, et nous nous en réjouissons ! Merci beaucoup ! (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Ça me fait tout à fait plaisir d'entendre Cyril Aellen porter ce genre d'attaque. J'aimerais quand même lui dire que le MCG existe depuis près de vingt ans et que ça fait près de vingt ans qu'on annonce que le MCG va disparaître dans les trois mois ! Nous sommes toujours là et je pense que vous aurez une mauvaise surprise au printemps, Monsieur Aellen - vous transmettrez, Monsieur le président. Vous aurez de très mauvaises surprises; vous feriez mieux d'ailleurs de penser d'abord au PLR, parce que s'il y a un parti qui est en train de battre de l'aile, c'est bien le PLR, qui est incohérent, inconsistant. On a Doctoresse Jekyll qui s'occupe des finances au Conseil d'Etat et Mister Hyde Aellen qui, lui, a une position à l'extrême inverse; alors en matière d'incohérence, je crois que j'ai vraiment des leçons à prendre auprès de vous, Monsieur Aellen, et de votre parti - vous transmettrez, Monsieur le président.
S'il y a en effet une incohérence, c'est bien dans vos rangs qu'on la trouve ! (Protestations.) Et ce budget qui a été porté par votre magistrate, eh bien nous n'étions pas d'accord avec lui. C'est le budget du Conseil d'Etat, certes, c'est le budget du Conseil d'Etat; nous y étions opposés. Nous pensons que ce n'est pas un bon budget. C'est la ligne du MCG et nous la maintenons: contrairement à vous, nous ne sommes pas des girouettes. Parce que vous, le PLR, vous dites deux choses en même temps: c'est à la fois oui et à la fois non ! Vous êtes par conséquent les champions du monde de l'absence de cohérence et vous n'osez pas assumer votre fonction, vous êtes les plus grands démagogues de ce parlement et vous n'osez pas l'assumer, Monsieur Aellen - vous transmettrez, Monsieur le président. Le problème, c'est qu'on est face à des partis irresponsables... (Commentaires.)
Des voix. Ah !
M. François Baertschi. ...parce qu'étant donné... Et le plus grand irresponsable du parlement, c'est le PLR ! (Applaudissements.)
Des voix. Ah !
M. François Baertschi. Associé avec le PDC, qui n'a pas eu le courage de défendre un budget ! Nous, au MCG, nous avons pris nos responsabilités.
Une voix. Oui !
M. François Baertschi. C'était à la base un mauvais budget; nous avons essayé de faire le maximum, parce que nous devons avoir un budget !
Une voix. Il va être encore plus mauvais, maintenant !
M. François Baertschi. Le pire budget, ce sont les douzièmes provisoires, et c'est ce que vous voulez nous accorder, parce que vous êtes incapables de gouverner ! C'est ça, la vérité... (Protestations.) ...et les électeurs vous sanctionneront au mois de mars ! (Protestations. Exclamations.)
Une voix. En avril !
M. Vincent Subilia (PLR). On parlait tout à l'heure de sens de la mesure; je me réjouirais qu'on puisse le retrouver, parce que si d'aventure certains téléspectateurs avaient la mauvaise idée d'allumer leur écran ce matin... (Remarque.)
Des voix. Ah !
M. Vincent Subilia. ...on peut imaginer que selon eux les propos tenus dans cette assemblée seraient bien éloignés des préoccupations qui sont les leurs au quotidien. Je pense qu'il s'agit de retrouver le sens de la mesure et de retrouver une certaine sérénité, quand bien même le sujet s'y prête assez mal.
Il a été fait état tout à l'heure, et c'est la raison pour laquelle je m'autorise à reprendre la parole, du sérieux qui devait présider à nos travaux, en particulier lorsque l'on parle de fiscalité, parce que, je le rappelais, on est ici dans un domaine où la rigueur doit s'imposer. Et j'ai écouté avec intérêt les propos du député Batou, éminence grise de la science politique - vous lui transmettrez, Monsieur le président, encore que, à l'instar du député Cyril Aellen, j'ignore comment s'opère cette transmission -, qui cite pêle-mêle Adam Smith, Ricardo et Marx, qui est probablement plus proche de ses obédiences politiques. S'agissant d'Adam Smith, ce pour quoi nous plaidons ici, ce n'est certainement pas la main invisible.
Mais j'entends évoquer le juste prix par la bouche de Sylvain Thévoz: eh bien je crois que sous l'angle de la fiscalité, c'est très largement le juste prix qui est aujourd'hui payé à Genève ! J'en veux pour preuve, vous ne m'en tiendrez pas rigueur, une étude menée par une obscure officine appelée la Chambre de commerce...
Des voix. Ah !
M. Vincent Subilia. ...que j'ai le plaisir de diriger, et ce n'est pas du fonctionnariat patronal...
Des voix. Non !
M. Vincent Subilia. ...bien au contraire: nous sommes une institution privée financée par des entreprises. A ce titre, nous sommes également des entrepreneurs, qui n'ont rien à voir avec la lecture que vous en faites. Eh bien cette étude, que vous traiterez volontiers de propagande mais qui s'appuie sur des chiffres émanant, eux, d'autorités publiques telles que l'OCSTAT, établit cinq paramètres essentiels; il est probablement bon pour nos téléspectateurs qui potentiellement n'ont pas encore éteint leur téléviseur de les entendre, parce qu'ils viennent rappeler la réalité - la réalité de notre canton, où la fragilité des équilibres fiscaux est telle qu'elle met en péril la prospérité.
Je vous donne ici cinq chiffres pour amener un peu de sérénité et surtout - surtout ! - des mesures objectives dans le débat. Genève occupe la première place du podium en matière de recettes fiscales par habitant - on est d'accord: 17 656 francs. Genève occupe la première place du podium suisse en matière d'exploitation du potentiel fiscal; tout ce que l'on peut prendre l'est au maximum: 34,2%. Genève occupe la deuxième place, pardonnez-nous, derrière Bâle...
Des voix. Ah !
M. Vincent Subilia. ...chère à M. Pfeffer, en matière de dépenses par habitant: on est à 24 000 francs alors que la plupart des cantons sont dans une fourchette de l'ordre de 10 000 à 14 000 francs. Genève retrouve la première place du podium pour les dépenses de personnel par habitant, très loin devant tous les cantons: 8843 francs. Genève encore, et il faut peut-être s'en féliciter - si on était à la cérémonie des Oscars, on viendrait sur scène -, occupe, et de très loin, la première place du podium, devant tous les cantons suisses, en matière de dette par habitant ! C'est l'héritage que vous allez léguer aux générations futures et qui nous prive d'une certaine compétitivité, et même d'une compétitivité certaine.
Et puis un dernier chiffre, parce qu'il est bon de le rappeler lorsqu'on entend des propos dont je redis ici qu'ils sont indécents et affligeants à l'endroit des entreprises qui génèrent de la valeur économique, qui créent de l'emploi et des recettes fiscales. C'est un chiffre très simple, et je crois que s'il en est un que l'on devrait retenir ce matin, dans l'établissement fastidieux du budget, c'est celui-ci: 1,2% des entreprises du canton, dont les trois qui ont été nommément mises en cause ici, génèrent 79,1% de l'impôt cantonal et communal genevois. C'est dire le déséquilibre ! Et vous attaquer à ce type d'entreprises, prendre le risque - encore une fois, sans peindre le diable sur la muraille, dans le monde globalisé que j'évoquais tout à l'heure - que ces entreprises déploient, par hypothèse, une partie de leurs activités dans d'autres juridictions plus clémentes, c'est jouer avec le feu, c'est mettre en péril la cohésion sociale que nous appelons toutes et tous de nos voeux. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG). J'aimerais dire que toute cette discussion sur les impôts est un aspect des choses: il s'agit de ce qu'on fait de la valeur une fois qu'elle a été créée et de la manière dont elle est répartie, puis comment une partie - une petite partie - de la richesse accumulée par les privilégiés est redistribuée en faveur des plus nécessiteux grâce à l'impôt. Mais le vrai problème des inégalités se situe en réalité en amont: il se situe au niveau de la répartition entre les salaires et les revenus du capital. Et à cet égard, Messieurs et Mesdames les députés, nous avons assisté à une opération, à un véritable hold-up de la part de la droite genevoise et à un déni de démocratie, puisque ce sont les conseillers nationaux de la droite genevoise qui ont fait basculer le Conseil national en faveur de la motion Ettlin ! (Commentaires.)
Qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie que M. Subila... (Remarque.) ...et vous lui transmettrez, Monsieur le président, se réjouit dans la «Tribune de Genève» de je ne sais plus quand qu'il y ait enfin à nouveau des salaires en dessous de 4000 francs à Genève, il s'en réjouit ! Parce que, voyez-vous, ça donnera des conditions-cadres meilleures pour les profits des entreprises. Qui a une attitude parasitaire dans ce parlement et qui défend une répartition juste de la valeur du travail ? C'est-à-dire que les salariés gagnent plus - gagnent une part plus importante de la valeur qu'ils sont les seuls à créer - et que les entrepreneurs gagnent moins, n'en déplaise à M. Christo Ivanov qui se réjouit de ne payer plus que 14% d'impôts sur ses bénéfices au lieu de 24%. Eh bien non, ce n'est pas juste, parce que vous favorisez les bas salaires et en même temps vous ne voulez pas payer les impôts ! (Applaudissements.)
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, je ne pensais pas intervenir sur ce sujet - je suis très longuement intervenu, pendant des années, en matière de fiscalité -, mais il faut quand même compléter les propos de M. Subila avec certains éléments.
Une voix. Subilia !
M. Romain de Sainte Marie. Subilia, pardon, Monsieur le député. (Commentaires.) Genève est en effet un canton qui génère beaucoup d'impôts; les recettes sont importantes et je pense que les chiffres qui ont été mentionnés sont justes. C'est également vrai que nous avons une pyramide fiscale extrêmement inversée, et par conséquent, au vu des grandes fortunes établies dans notre canton, eh bien nous avons une production en impôts importante. Maintenant, puisque nous sommes dans un débat budgétaire, outre le classement que M. Subilia a établi en matière de recettes fiscales, il faut rappeler et prendre en compte la situation sociale qui prévaut aujourd'hui dans le canton de Genève. Et on dresse à ce moment-là un classement peut-être plus triste.
Genève est en effet numéro trois - et donc quand même toujours sur le podium - pour le pourcentage des personnes à l'aide sociale. C'est par ailleurs le deuxième canton en matière de taux de chômage, derrière Neuchâtel, et Genève rivalise parfois pour la première position. C'est le canton qui, en matière de prime d'assurance-maladie moyenne, se place en deuxième position des primes les plus chères de Suisse. Et puisque nous parlons des dépenses pour les Genevoises et les Genevois, ne nous arrêtons pas là: en matière de loyers, c'est le deuxième canton dans lequel le prix au mètre carré est le plus élevé.
Il fallait donc compléter le classement du canton de Genève pour s'apercevoir que si une certaine quantité d'impôts sont générés, le coût de la vie y est en revanche très élevé; c'est pourquoi les besoins dans les différentes politiques publiques sont tels et que Genève doit aussi être sur le podium des cantons où il faut le plus dépenser par habitant. C'est extrêmement juste au vu de la situation sociale du canton !
M. Vincent Subilia (PLR). Mon intervention sera très brève, je veux juste corriger deux propos. D'abord, à l'intention de M. Ratou... (Rires.) ...pour le professeur Ratou... (Commentaires.) ...et le président transmettra, je voudrais, puisqu'on est au coeur du débat et de ce qui est perçu comme les correctifs à apporter aux inégalités, préciser la nature - évidemment dénaturée dans la bouche du professeur Ratou - de mes propos dans la «Tribune» s'agissant de la motion Ettlin. Je me permets de redonner ici les propos pour le Mémorial, parce qu'il faut les restituer de façon honnête: «En ces temps difficiles, c'est une nouvelle douloureuse pour certains [...] Ils font les frais d'une volonté populaire inapplicable. En effet, il est normal que la loi fédérale prime sur une décision cantonale, et que le partenariat social» - auquel vous oeuvrez - «reprenne ses droits.» C'est lui qui nous anime ici. Ça, c'était pour le professeur Ratou.
Ensuite, concernant M. Bain-Marie... (Rires.) ...je voudrais lui rappeler un principe très simple... (Commentaires. Protestations.) Non, non, ce n'est pas une question de respect: moi aussi je peux écorcher les noms de famille ! Alors, à l'intention de M. de Sainte Marie...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Vincent Subilia. ...il est bon de rappeler ici un facteur important, puisqu'on parle d'inégalités et de la correction de celles-ci: si on se réfère à la mesure de l'inégalité, soit le facteur ou l'indice de Gini qui est abondamment utilisé dans ce domaine, eh bien Genève est en réalité extrêmement égalitaire ! Là aussi, en comparaison, Genève est extrêmement égalitaire. Là où l'inégalité existe, c'est dans l'inversion de la pyramide fiscale, et je vais citer un dernier chiffre pour les auditeurs qui ne seraient pas définitivement assommés par nos propos.
Puisqu'on parlait d'enfer fiscal pour les personnes physiques et qu'on évoquait les très dangereuses initiatives que vous brandissez pour l'année prochaine, retenez ce chiffre - j'avais parlé des personnes morales, je passe maintenant aux personnes physiques: 78,5% de l'impôt sur la fortune est payé par 2,9% des contribuables. (Protestations.) Ces mêmes contribuables, encore une fois, sont courtisés par d'autres juridictions, et demain, si les funestes desseins que vous portez devant la volonté populaire... (Rires.) ...se réalisaient, eh bien ils n'auraient d'autre choix que de quitter Genève.
Attention donc au maintien des équilibres et aux propos que vous tenez, parce que la cohésion sociale - c'est d'elle qu'il s'agit ce matin, et de celles et ceux surtout qui, à l'instar de M. Ivanov, se battent pour créer de la valeur économique - tient à ces équilibres fragiles, et il est de notre responsabilité de la maintenir. Je vous remercie.
M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je voulais répondre à M. Batou. Nous, les PME, nous sommes tenues aux conventions collectives de travail et nous les respectons. Quand on voit ce que vous avez prévu dans ce budget, et que vous avez en effet cassé le jouet avec la rupture de confiance entre l'Etat employeur et les syndicats ! Vous avez monté une nouvelle usine à gaz, ce qui n'est pas nouveau à Genève. Comme je le dis toujours: ici, c'est Genève !
En ce qui concerne les PME - je parle des petites PME, celles qui ont moins de vingt employés, et il y en a beaucoup -, nous avons un problème: nous sommes péjorés au niveau de la LPP par exemple, pour laquelle nous sommes en concurrence avec de grandes entreprises, qui ont d'autres possibilités financières que nous, de même qu'avec l'Etat. Ça pose un vrai problème et, d'une certaine manière, c'est nous qui payons les retraites de la fonction publique. Je vous remercie.
M. Jean Batou (EAG). Juste un mot: M. Subilia... (L'orateur prononce chaque syllabe du nom «Subilia».) ...qui est une autorité dans le domaine de la propagande patronale, n'est pas un expert en matière de répartition des richesses en Suisse. Je lui rappelle que toutes les études ont montré que Genève est le canton le plus inégalitaire, tant du point de vue de la fortune que du point de vue des revenus. Merci.
M. Jacques Blondin (PDC), rapporteur de troisième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le débat est passionnant; je crois - c'est sûr - que les uns et les autres se sont lâchés. En ce qui me concerne, j'aimerais juste revenir sur ce qui a été dit tout à l'heure par rapport à la classe moyenne. On l'oublie effectivement un peu: dans cet hémicycle, on parle de classe moyenne supérieure, ce qui laisse entendre qu'il y a aussi une classe moyenne inférieure. S'agissant de la fiscalité et des critiques acerbes adressées à ceux qui amènent la manne dont nous avons besoin, pas seulement pour le fonctionnement de l'Etat mais également pour le rôle social que nous jouons, je voudrais quant à moi rappeler que si 36% des contribuables potentiels, à Genève, ne paient pas d'impôts, c'est aussi parce qu'on a mis des règles en place, à un moment donné, en estimant qu'il fallait aider cette classe moyenne inférieure.
Et je rappelle ce qui a été dit dans certaines commissions à titre comparatif - Madame la présidente, vous me corrigerez si mes chiffres sont faux: à Genève, le seuil d'imposition pour une famille avec deux enfants est autour des 80-84 000 francs; à Zurich, il est à 40 000 francs ! Cet écart de 40 000 francs, il faut bien le financer, et les gros contribuables, qu'il s'agisse d'entreprises ou de privés, permettent d'effectuer ce retour à cette population. J'aimerais bien... J'ai essayé de mettre un chiffre, mais je n'ai pas trouvé: je ne sais plus combien il y a de contribuables à Genève, mais si vous en prenez le 36%, on arrive peut-être à 100 000 personnes - 100 000 personnes ! - qui ne paient pas d'impôts parce qu'on veut les aider, et c'est autofinancé. Alors je voudrais juste rappeler ces 100 000 personnes, qui sont peut-être devant leur télévision, et dire qu'elles apprécieront le débat. Merci. (Applaudissements.)
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de première minorité. La fonction de rapporteur m'oblige à revenir sur un certain nombre de propos qui ont pu être tenus çà et là, et à y répondre. M. Batou a notamment dit que le travail crée la richesse; il a raison, je suis d'accord avec lui. Mais, Mesdames et Messieurs, il n'y a pas de travail sans capital ! Il n'y a pas de travail sans les entrepreneurs, qui décident de prendre des risques, de sortir parfois leur LPP, leurs économies, pour créer leur entreprise et ensuite créer de l'emploi ! Ce sont les deux - le travail et le capital - qui créent la richesse: ce serait bien d'arrêter d'opposer l'un et l'autre, sauf à imaginer une société sans entrepreneurs, c'est-à-dire composée à 100% de fonctionnaires.
Toujours pour répondre à M. Batou, les riches ne veulent pas fuir l'impôt ! Je tiens à le rassurer sur ce point; ils veulent simplement fuir la folie dépensière et les insultes constantes de son groupe politique.
Concernant M. Thévoz, j'ai été déçu ! J'ai été déçu, mais pas sur le fond - personne ne s'attendait à ce que M. Thévoz dise autre chose: sur la forme ! On se veut un chantre de la tolérance, Mesdames et Messieurs, et on insulte dans un débat, pendant plus de cinq minutes, toute une partie des contribuables ! On reconnaît encore une fois là ce côté moralisateur de la gauche. (Protestations.) C'est faites ce que je dis, mais surtout pas ce que je fais ! Moi, Mesdames et Messieurs, j'aimerais au contraire remercier ces sociétés, et remercier aussi leurs fondateurs. On a cité la famille habitant à Corsier qui a fondé l'une des plus grandes entreprises de ce canton: elle est d'origine italienne et aurait pu rester là-bas, aller n'importe où ailleurs, mais non, elle a décidé de créer ici des milliers d'emplois - des milliers d'emplois ! - et M. Thévoz et ses amis passent leur temps à insulter ces personnes.
Mesdames et Messieurs, Monsieur Thévoz en particulier - je lui transmets directement, Monsieur le président, ça vous fait économiser du temps... (Rires.) -, si une de ces sociétés réalise effectivement dix milliards de bénéfices, à 14%, elle paiera alors 1,4 milliard d'impôts. Une seule société paierait 1,4 milliard d'impôts, ce qui représente plus de 9000 ETP ! Donc une seule société paierait le salaire et les charges patronales de la moitié des fonctionnaires du petit Etat ! Et au lieu de remercier ces sociétés, non, on les insulte et on souhaite qu'elles aillent voir ailleurs... (Exclamation.) ...si l'herbe fiscale est plus verte; c'est juste hallucinant ! La gauche est dans la jalousie et l'envie sociale, Mesdames et Messieurs, c'est sa nouvelle lutte des classes. Ça me rappelle cette citation: «La critique est un impôt que l'envie perçoit sur le mérite.» Monsieur Thévoz, vous en êtes la meilleure illustration.
Maintenant, il faut expliquer pourquoi ces entreprises réalisent de bons résultats. Ce n'est pas sur le dos de qui que ce soit !
Des voix. Non !
M. Yvan Zweifel. Il y a deux causes. La première est juste: une guerre a créé une crise énergétique et il se trouve que ces entreprises travaillent dans le trading de ces matières. (Commentaires.) La volatilité de leur prix a eu pour effet ces bons résultats. Est-ce que M. Thévoz et ses amis, lorsque la volatilité aura disparu, nous expliqueront: «Ah, c'est horrible, ces entreprises ne font plus aucun bénéfice; c'est vraiment dégueulasse, il faut qu'elles en fassent beaucoup plus !» C'est juste hallucinant ! C'est la réalité du marché, c'est comme ça que ça se passe.
Le deuxième élément qui explique ces résultats, c'est ce que vous avez critiqué sans cesse en 2019: la RFFA. Mesdames et Messieurs, quelle conséquence a la RFFA pour ces entreprises qui avant étaient souvent à statut ? C'est qu'elles paient aujourd'hui 14% d'impôts sur le bénéfice alors qu'elles en payaient avant 11,6% - ce qui explique qu'elles paient plus d'impôts. Et ça, Mesdames et Messieurs, c'est grâce à la RFFA ! Mais vous n'avez jamais compris, ou voulu comprendre, que ce n'était pas un cadeau pour les multinationales à statut, puisqu'elles paient aujourd'hui plus d'impôts, mais en revanche un cadeau pour les PME qui en paient effectivement moins; cela permet à nos entrepreneurs locaux de créer plus d'emplois et donc plus de richesses, non seulement pour les contribuables mais aussi pour l'Etat - lorsque vous l'aurez compris, on aura fait un grand pas. C'est ce qu'on appelle le double effet Kiss Cool de la RFFA, ou, devrais-je dire, le double effet «cash cool» !
Et puis, ces campagnes mensongères - ou incompréhensibles, c'est comme vous voulez - que vous avez menées sur la RFFA se répètent pour l'IN 179. Vous nous expliquez que c'est un cadeau pour les gros actionnaires, alors que cette initiative, qui vise à imposer les dividendes à 100%, touchera les personnes qui possèdent au moins 10% d'une entreprise - donc pas les gros actionnaires ou les multinationales, mais bel et bien les patrons de PME; c'est sur eux que vous voulez taper avec l'IN 179. Et s'agissant de l'IN 185 relative à l'impôt sur la fortune, on l'a dit, on le redit ici: si les dix contribuables les plus touchés, soit 0,002% de la population - 0,002% de la population ! -, s'en vont, cela causera 186 millions de pertes fiscales, ce qui représente l'intégralité des subsides d'assurance-maladie que l'on a votés dans le cadre du contreprojet à l'IN 170. Ça représente 1240 fonctionnaires en moins. C'est de la folie pure, il faudra la combattre, et c'est vraiment une question de cohésion sociale !
En conclusion, Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, l'immense différence entre la gauche et la droite est extrêmement claire: à gauche, on veut combattre la richesse; à droite, nous voulons combattre la pauvreté ! (Applaudissements. Commentaires.)
Des voix. Ah !
M. Yvan Zweifel. Et c'est parce que nous avons, ici, des riches et des entrepreneurs que nous avons les moyens de notre politique sociale extrêmement généreuse. Je le répète et je le redirai encore longtemps: Genève est un canton riche, mais c'est un canton qui ponctionne cette richesse bien plus que n'importe quel autre. Nous n'avons pas un problème de moyens, mais un problème de gestion des moyens, et je conclurai en citant Alphonse Allais: «Il faut demander plus à l'impôt et moins aux contribuables.» (Applaudissements.)
Une voix. Absolument !
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai écouté avec attention ces vifs débats; c'est le propre et la beauté du débat politique, et c'est très bien ainsi. Mais j'aimerais quand même rappeler que nous parlons de la politique publique I «Impôts et finances», que nous traitons du budget et que ce budget ne comprend ni baisse ni hausse d'impôts. Certains le regretteront, d'autres s'en réjouiront - on peut considérer qu'il faudrait plus d'impôts ou qu'il en faudrait plus s'agissant de certains impôts et moins s'agissant d'autres -, mais ce n'est pas vraiment le thème du débat aujourd'hui. On peut évidemment en discuter, mais la matérialisation de votre insatisfaction quant à la politique fiscale du canton doit se faire, à mon sens, dans le cadre du débat des comptes ou lors de ceux portant sur les très nombreux objets de notre ordre du jour qui concernent des propositions d'augmentation ou de baisse d'impôts, selon les partis qui les ont déposés.
La politique publique I comprise dans ce budget prévoit en réalité les moyens, pour les services, de percevoir les impôts, de gérer la dette, d'administrer les finances de notre canton. C'est la raison pour laquelle, si on peut tout à fait débattre aujourd'hui de la question des impôts - est-ce qu'ils sont trop, est-ce qu'ils ne sont pas assez élevés ? -, au moment du vote, il faut évidemment donner les moyens à l'administration fiscale cantonale de fonctionner et adopter cette politique publique I. Je vous remercie.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Je vous avoue que je n'étais pas mécontente, hier soir, en voyant que les débats s'interrompaient: je me disais que celles et ceux dont les gouttes ne faisaient plus effet auraient l'occasion de les reprendre le soir et arriveraient calmés ce matin. (Rires.) Je me rends compte que même la prise des gouttes le soir n'a rien changé à tout cela - à moins qu'il y ait eu des oublis.
Mesdames et Messieurs les députés, je commencerai par quelques éléments sur la politique fiscale menée par le canton. D'abord, et sans citer quelque nom que ce soit, parce que - je sais que ça déplaît à certains - la conseillère d'Etat chargée de la fiscalité est tenue au secret fiscal, je rappelle que la politique menée par mon administration, à laquelle je souscris pleinement, c'est que, de façon générale, tout citoyen qui vit dans notre canton a des droits et des obligations. Et il a l'obligation de payer l'impôt conformément aux règles. Lorsqu'un citoyen - ou d'ailleurs une citoyenne - ne s'acquitte pas de l'impôt conformément aux règles, l'administration fiscale agit et elle va jusqu'au bout. Il est donc faux de prétendre que, dans le canton, on protégerait certains ou certaines contribuables: tout le monde est soumis aux mêmes règles.
Le deuxième élément... (Remarque.) Oui, heureusement, je l'entends aussi, mais ce n'est pas ce qui a été dit hier par un député de vos bancs, qui prétendait qu'on permettait à certains de ne pas s'acquitter de l'impôt.
Deuxième élément: l'impôt. Sur quelle base est-il fixé ? Dans notre canton, Mesdames et Messieurs, qu'on le veuille ou non, l'impôt est le plus lourd de Suisse, en tout cas pour les personnes et les entreprises les plus fortunées. Et cela, nous ne pouvons pas le nier: il est le plus lourd de Suisse. L'impôt est fixé selon la capacité contributive, il est fixé en équité, ce qui signifie que plus on a de moyens, plus on fait de bénéfices, plus on paie effectivement d'impôts. Je vous assure d'ailleurs que la progressivité de l'impôt dans notre canton est bien connue, et pour celles et ceux qui estiment qu'il y a trop de riches, sachez qu'ils paient plus d'impôts sur la fortune à Genève que partout ailleurs en Suisse.
Le rôle de l'impôt, Mesdames et Messieurs, est un rôle de redistribution. Et ce rôle redistributif est là aussi rempli, totalement rempli, dans notre canton: ce sont ces impôts, ces revenus fiscaux, qui nous permettent de financer les prestations sociales - les aides et les subventions sociales, la participation de l'Etat - les plus élevées, je le rappelle, de l'ensemble des cantons, cela du fait, vous avez vraisemblablement raison, de la différence dans la répartition des richesses. Pourquoi arrivons-nous à le faire ? Pourquoi arrivons-nous, chaque année, à augmenter cette aide sociale qui répond évidemment - je ne le remets pas en question - à des besoins ? Pourquoi est-ce que nous arrivons à augmenter l'aide sociale ? Parce que nous avons le privilège, à Genève, de pouvoir compter sur des entreprises qui réalisent des bénéfices extrêmement importants. Nous avons aussi le privilège de pouvoir compter sur des contribuables qui paient leurs impôts, et cela, quelle que soit leur origine.
Mesdames et Messieurs, il y a peu de cantons qui arrivent à près de 8 milliards de recettes estimées dans le cadre d'un budget - 8 milliards de recettes estimées ! Plutôt que de remettre cela en question, plutôt que d'inspirer un sentiment de haine vis-à-vis de celles et ceux qui réussissent, plutôt que de tenir de longs discours qui sont, que vous l'ayez voulu ou non, Monsieur Thévoz - vous transmettrez, Monsieur le président -, des incitations à la haine... (Protestations. Huées. Applaudissements.) ...vis-à-vis de ceux qui réussissent, Mesdames et Messieurs, battons-nous ensemble pour que les revenus de celles et ceux qui réussissent nous permettent d'aider encore plus celles et ceux qui n'ont pas ce privilège, celles et ceux qui n'ont pas le privilège de posséder une entreprise qui fait des bénéfices ou une fortune personnelle. C'est cela, le rôle redistributif de l'impôt, et c'est cela qui fait la force de notre canton: en matière de répartition des richesses, nous avons effectivement de très nombreux contribuables - entreprises, personnes physiques - qui ont énormément de moyens, et nous avons dans le même temps la possibilité de déployer une aide sociale plus importante, beaucoup plus importante, qu'ailleurs.
Dans le cadre de ce projet de budget, la rapporteure de majorité l'a dit et je l'en remercie, il n'y a ni baisse ni hausse d'impôts. J'ajoute que votre parlement - c'est effectivement problématique - ne se prive pas, chaque bord de son côté, de prévoir des hausses, respectivement des baisses. Il n'en demeure pas moins que, comme le Conseil d'Etat l'a dit depuis le début de cette législature, nous nous sommes engagés pour la réforme de la fiscalité des entreprises - à satisfaction de notre canton, manifestement; en revanche, nous ne sommes pas favorables à des baisses ou à des hausses d'impôts, à l'exception d'une décision prise par une majorité de l'exécutif contre une minorité. Nous avons, sinon, tenu cette ligne au sein du gouvernement, et le projet de budget tel qu'il a été déposé le reflète.
Mesdames et Messieurs, ce n'est pas parce que je suis consciente, tout comme le Conseil d'Etat, de ce que nous apportent ces gros contribuables que je ne souhaite pas un budget; je l'ai rappelé, le gouvernement a besoin d'un budget. Je pense simplement que cela ne doit pas se faire en en vilipendant certains et en montant les uns contre les autres, et que nous devrions tous être conscients de la chance que nous avons de pouvoir compter sur de très gros revenus. Les discussions que j'ai avec mes collègues d'autres cantons montrent à quel point nous sommes singuliers s'agissant de nos budgets - chez eux, les projets de budget sont en général votés -, mais aussi à quel point nous sommes enviés en matière de revenus fiscaux et du fait de la force et du dynamisme que nous avons à Genève. Attention - attention ! A nous de ne pas gaspiller tout cela, finalement, de ne pas détruire ces richesses sur lesquelles nous sommes assis. Mesdames et Messieurs, je vous remercie par avance d'accepter cette politique publique I. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Monsieur Thévoz, je vous accorde trente secondes.
M. Sylvain Thévoz (S). Je voudrais réagir aux propos de la conseillère d'Etat, qui me désigne nommément...
Une voix. On lira ensemble !
M. Sylvain Thévoz. On lira ensemble. ...m'accusant d'incitation à la haine... (Commentaires.)
Des voix. Oui !
M. Sylvain Thévoz. C'est bien ça ! (Commentaires.) Mme Fontanet m'accuse donc d'incitation à la haine pour avoir simplement dit, dans une enceinte parlementaire, en tant qu'élu du peuple - comme les cent que nous sommes -, qu'il y a, dans cette société inégale, des grandes fortunes qui paient peu d'impôts, pas d'impôts... (Remarque.) ...ou pas assez d'impôts par rapport aux habitants. (Commentaires.) La décision de taxer à 15% les multinationales vient d'être prise, hier soir, dans l'Union européenne... (Commentaires.) ...et c'est exactement la ligne politique que nous défendons, en disant simplement: ces richesses doivent être redistribuées. Mais il y a malheureusement des groupes politiques - et Mme Fontanet en fait partie - qui défendent encore le zéro impôt ou des taux ridiculement bas pour les entreprises. Merci beaucoup. (Vifs commentaires. Huées.)
Des voix. C'est faux !
Le président. Messieurs-dames ! (Vifs commentaires.)
Une voix. Faites-le taire !
Le président. S'il vous plaît, gardez votre calme ! (Commentaires. Protestations.) Monsieur Thévoz, s'il vous plaît, c'est terminé ! (Commentaires. Applaudissements.) Mesdames et Messieurs, nous continuons l'examen de cette politique publique: I03 «Administration de la fortune, de la dette et de la RPT», I04 «Exécution des poursuites et faillites». Monsieur Zweifel...
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de première minorité. Oui, merci, Monsieur le président.
Le président. ...un mot conclusif avant le vote final de la politique publique.
M. Yvan Zweifel. Je ne sais pas, vous étiez à I02 et vous parlez maintenant d'I03 !
Le président. Maintenant, nous sommes arrivés à «I final» ! (Rire.) Soit au vote global de la politique publique I !
M. Yvan Zweifel. Bon, très bien, très bien, j'abandonne. Je parlerai plus tard des intérêts qui vont méchamment grever le budget dans les années à venir, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je vous demande donc de vous prononcer sur cette politique publique.
Mise aux voix, la politique publique I «Impôts et finances» est adoptée par 53 oui contre 25 non et 9 abstentions.
J - JUSTICE
Le président. A présent, Mesdames et Messieurs, j'appelle la politique publique J «Justice». La parole n'étant pas demandée, je la mets directement aux voix.
Mise aux voix, la politique publique J «Justice» est adoptée par 50 oui contre 39 non et 1 abstention.
K - SANTÉ
Le président. Nous enchaînons avec la politique publique K «Santé». Madame Marjorie de Chastonay, à vous la parole.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les Vertes et les Verts voteront en faveur de la politique publique K «Santé» afin de répondre aux besoins grandissants de la population en prestations, accès à des soins de qualité et prévention. En effet, nous faisons face non seulement à une croissance démographique, mais également à une augmentation accrue des besoins.
2023 devrait «normalement», entre guillemets, être une année de sortie de crise. Après neuf vagues de covid, le personnel soignant est fatigué, la population lassée, les jeunes fragilisés. Il est urgent et nécessaire de mener une politique de promotion et de prévention en faveur de la santé mentale des jeunes, car les choix de santé publique opérés durant la pandémie tels que le confinement - les confinements ! -, l'isolement, la distanciation sociale n'ont pas tenu compte des conséquences de ces mesures sur la santé psychique des jeunes - enfants, ados et jeunes adultes.
Une politique de prévention et de promotion constitue un investissement à moyen et à long terme, mais aussi un levier pour une meilleure maîtrise des coûts au regard du vieillissement de la population. Qui dit population vieillissante dit hausse des besoins, des comorbidités et de l'accompagnement à domicile, et cela a un prix.
Certes, il y a pléthore de stratégies, dont le premier plan d'action du concept cantonal - transversal et interdépartemental - de promotion de la santé et de prévention. C'est d'ailleurs en 2023 que le bilan sera dressé. M. Poggia - vous transmettrez, Monsieur le président - aime bien citer ce rapport et rappeler à la population qu'il existe, mais celui-ci ne contient pas tout; il cible, et c'est très bien, mais n'englobe pas tous les besoins en prévention. Or c'est précisément là qu'il faut investir, anticiper, prévenir au lieu de guérir.
Enfin, en ce qui concerne le personnel de l'IMAD et des HUG, il est évident qu'il faut reconnaître le travail accompli avec loyauté et professionnalisme, mais aussi soutenir les gens financièrement, que ce soit en revalorisant les ASSC - les assistantes et assistants en soins et santé communautaire - ou en refusant bien évidemment les amendements de la droite, qui veut casser cette réévaluation salariale. Il faut donner à tout le personnel une bouffée d'oxygène, car il est toujours à flux tendu, lui offrir des conditions de travail décentes et, pourquoi pas, une prime covid. Dernièrement, la commission des finances a voté un crédit supplémentaire de 95 millions pour les HUG en lien avec les crises sanitaire et énergétique, mais des moyens budgétaires suffisants et respectueux du travail accompli sont encore nécessaires. Pour toutes ces raisons, les Vertes et les Verts soutiendront la politique publique K «Santé». Je vous remercie.
M. Emmanuel Deonna (S). Mesdames et Messieurs les députés, comme nous l'avons indiqué lors du débat sur la politique publique précédente, nous devons faire face au vieillissement de la population ainsi qu'à l'augmentation des inégalités dans notre canton. La pandémie a mis notre système de santé à rude épreuve.
L'Etat a l'obligation de prendre en charge le coût résiduel dans le domaine des soins à domicile. Une politique visant à favoriser l'accompagnement à domicile a un coût. Pour le groupe socialiste, les assureurs devraient payer plus pour les prestations de maintien à domicile: ce serait logique au vu de la hausse inadmissible de nos primes d'assurance-maladie, ce serait également cohérent quand on sait que les soins à domicile évitent des institutionnalisations qui coûtent encore plus cher.
De nombreux investissements financiers sont prévus aux HUG. Avec les dernières étapes de l'Hôpital des enfants et de la maternité, la planification à long terme est respectée. Cependant, il reste de nombreux investissements importants à réaliser, comme à l'hôpital de Loëx pour la gériatrie ou la psychiatrie. La question du financement de la rénovation du bâtiment central des HUG n'a pas encore trouvé de réponse satisfaisante.
Par ailleurs, les associations spécialisées rendent des rapports inquiétants sur la santé mentale des jeunes. La prévention des maladies psychiques et le dialogue avec la Ville de Genève doivent s'intensifier. Une Maison de l'enfant et de l'adolescent est en cours de création. La psychiatrie pour les jeunes sera ainsi renforcée sous un seul et même toit.
Les HUG, cela a été souligné, sont soumis à une forte pression avec l'arrivée d'une neuvième vague de covid-19 dont on ignore encore l'ampleur. La pandémie impacte la prise en charge directe des patients, mais aussi les opérations prévues et la gestion des autres maladies. En termes comptables, cela a des conséquences directes sur le budget des HUG, lequel est mis à mal.
Il faut également prendre en compte l'application de la clause du besoin. Le nombre de départs de médecins a doublé en 2022, ce qui a affaibli les HUG. Le personnel dans le domaine de la santé accepte de moins en moins la fragilisation de ses conditions de travail: il ne veut plus d'emplois irréguliers, de travail de nuit et durant le week-end. Les gens renoncent de plus en plus souvent à travailler dans ces conditions.
Enfin, la hausse du coût de l'énergie, en particulier de l'électricité, représente le volet qui impacte les finances des HUG de la manière la plus forte.
Mesdames et Messieurs les députés, dans nos hôpitaux, dans nos EMS, dans nos foyers pour personnes en situation de handicap, le personnel de santé est soumis à des cadences très intenses et fait face à une charge de travail extrêmement importante. Il est crucial de soutenir notre personnel sanitaire pour assurer une meilleure qualité et une meilleure sécurité des soins.
A l'heure où une pénurie de soignants menace l'avenir de notre système de soins, il est urgent de mieux faire connaître et de valoriser les métiers de la santé afin d'intéresser les jeunes et de leur offrir des perspectives de carrière intéressantes. La reconnaissance des compétences des professionnels et la valorisation de leur formation constituent des enjeux cruciaux. Il est indispensable de rendre les professions de la santé et des soins plus attractives. Les assistantes en soins et santé communautaire, Mme de Chastonay l'a rappelé, étaient en grève cette semaine: elles réclament à juste titre une vraie reconnaissance de l'importance de leur profession et d'être enfin payées en classe 13.
Mesdames et Messieurs les députés, les professionnelles des métiers de la santé se voient attribuer de plus en plus de clients et de patients; certains d'entre eux sont à mobilité réduite, souffrent de multimorbidité, doivent être pris en charge et accompagnés jusqu'à 7 jours sur 7. Quant à la fréquence des interventions, cela peut aller jusqu'à trois fois par jour. La multiplication du travail en fin de semaine est attestée. Toujours plus nombreux, les horaires du soir sont préjudiciables, car ils font courir de grands risques d'épuisement, et on observe de plus en plus d'arrêts de travail. Pour toutes ces raisons et afin de reconnaître l'importance des professions de la santé et des soins, de rendre ces métiers plus attractifs, le groupe socialiste vous recommande d'approuver cette politique publique. Je vous remercie.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, difficile d'évoquer rapidement un sujet aussi vaste et déterminant que celui de la santé sans omettre des choses importantes. Il y a là un secteur en profonde mutation qui doit constamment faire face à de nouveaux défis: vieillissement de la population - on aurait pu s'en réjouir, mais l'introduction d'un nouveau concept, celui de l'espérance de vie en bonne santé, vient modérer notre enthousiasme, de même que l'augmentation des maladies chroniques qui y sont liées ou d'autres qui, elles, découlent de nos modes de vie ou de consommation -, vagues successives de covid et leur impact sur les activités régulières des HUG, bronchiolite, variole du singe, autant de facteurs qui mettent la population et notre système de santé à l'épreuve.
Tout autant d'ailleurs que la LAMal: on se demande ce que cette assurance a encore de social, elle qui, entre autres, ne garantit plus à tous l'accès aux soins. Un comble, n'est-ce pas ? Il y a encore la nouvelle planification sanitaire, la concurrence public-privé qui conduit irrémédiablement à une privatisation des bénéfices et à une collectivisation des pertes. Au même registre, on trouve la dépendance croissante à l'égard du privé qui, par le biais du mécénat ou de fonds de bienfaisance, se substitue à l'Etat et relègue en coulisses des processus de décision importants quant à l'accès aux prestations, alors que ceux-ci devraient impérativement demeurer transparents et susceptibles de recours, voire de référendums.
S'agissant des conditions de travail du personnel de santé, nous sommes régulièrement alertés par le personnel de l'IMAD, des HUG, des EMS, autant de catégories professionnelles qui tirent la sonnette d'alarme sur la dégradation non seulement des conditions de travail, mais aussi des prestations aux usagers. Or il n'y a pas eu véritablement de prise en compte de ces signaux.
Relevons aussi, cela a été souligné par M. Deonna et devrait vous inquiéter, la fuite des médecins - l'hémorragie des médecins -, le constat de l'Association suisse des infirmières et infirmiers qui indique que trois cents soignants par mois raccrochent leur blouse, ce qui dit quand même à quel point les conditions de travail se sont détériorées et qu'il y aurait un intérêt évident à s'intéresser à ces questions, précisément pour éviter que ce personnel déserte le terrain.
Depuis de nombreuses années, nous sommes interpellés sur les graves difficultés auxquelles est confronté le personnel, mais une fois encore, la pression est mise sur les postes de travail. Le retard pris au cours des dernières années ne sera de loin pas compensé par quelques réajustements en effectifs. Par exemple, citons un extrait du rapport sur le projet de budget qui nous est soumis; il concerne les HUG, pour lesquels il nous est dit que «l'évolution des charges de personnel a été très fortement contrainte puisque cette hausse est quasi nulle alors que l'on prévoit 3,2% d'augmentation de l'activité». Dont acte, c'est sûrement ça qui va encore améliorer la situation !
Contrainte sur le personnel, souffrance au travail, est-ce nouveau ? Non, à l'évidence. Mais pire encore, le covid est passé par là. Alors qu'attend-on pour réagir, Mesdames et Messieurs les députés ? Que faut-il pour donner réellement aux acteurs des services publics les ressources nécessaires afin qu'ils puissent remplir honorablement leur fonction ? Ce n'est pas le travail des fonctionnaires qu'il faut mettre en question, mais la gestion des politiques publiques et les relents faisandés de la nouvelle gestion publique qu'on leur a imposée. Là, bizarrement, aucun bilan n'a été tiré. S'il faut parler de rigueur budgétaire, parlons-en, mais pas en ciblant les boucs émissaires habituels, plutôt en identifiant les réels problèmes qui obèrent la situation de l'Etat et en y apportant les réponses qui s'imposent. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Thomas Bläsi. (Un instant s'écoule.)
Une voix. Thomas !
M. Thomas Bläsi (UDC). Merci, Monsieur le président. Excusez-moi, je n'avais pas entendu. Il est intéressant de constater que tout le monde quitte la salle au moment où nous traitons des questions de santé; pendant un instant, j'ai cru que seuls les membres de la commission resteraient pour siéger ! Il se trouve que là, on entre vraiment dans les sujets qui fâchent. Certes, la fiscalité est lourde à Genève pour les ménages, tout comme l'immobilier, mais la deuxième ou troisième source de coûts, c'est la santé et l'assurance-maladie. En l'occurrence, on est pris dans un jeu droite-gauche tout à fait problématique, parce que finalement, je pense que nous sommes tous d'accord dans ce parlement pour dire que nous voulons être mieux soignés, il y a généralement des majorités assez larges qui se dégagent au sein de la commission sur les enjeux sanitaires.
Oui, la santé a un coût, la santé est extrêmement chère, du moins en Suisse, et la seule solution qu'on ait trouvée pour essayer de faire fonctionner l'ensemble... Alors il n'est pas question ici de critiquer le département, qu'on soit bien clair, mais de souligner les problèmes de fonctionnement que nous connaissons à l'heure actuelle. Auparavant, les tâches étaient accomplies par des médecins généralistes, des gens formés à l'université qui, pour la plupart, détenaient des doctorats.
Ensuite, une partie du travail a été transmis à des infirmières qui avaient un certain nombre d'années d'école et qui, dès lors, possédaient aussi des compétences. Or on n'a pas procédé ainsi parce qu'elles avaient des compétences, mais parce que cela coûtait moins cher. Du coup, on a effectivement diminué quelque peu les coûts, mais on a perdu en qualité pour les patients.
Maintenant, il y a les nouvelles arrivées, les ASSC, que je respecte profondément, mais une fois encore, on leur a confié des tâches qui autrefois revenaient aux généralistes, puis ont été déléguées aux infirmières et relèvent aujourd'hui des ASSC. De nouveau, il y a une perte de compétences, car on ne veut pas s'attaquer au vrai problème que sont les coûts.
Je relève à cet égard l'action du magistrat, qui s'est toujours battu là-contre, que ce soit dans le cadre de son association à l'époque ou à la tête du département, puisqu'il a envoyé plusieurs résolutions à Berne - avec peu de succès, malheureusement. Ici, on est face à une vraie inégalité sociale: actuellement, en ce qui concerne la santé, la personne qui dispose de grands moyens peut s'offrir un médecin pour des soins qui, pour les autres, seront opérés par des ASSC. Et ça, ça ne va pas !
Ainsi, en demandant d'augmenter les prestations des ASSC, ce à quoi vous allez aboutir au final, c'est à une nouvelle hausse des charges, et alors il va falloir créer un nouveau poste avec moins de compétences pour qu'on puisse le rétribuer moins cher. En réalité, on est en train de brader la qualité des soins pour une grande majorité de la population et on va dans le mur, je ne peux pas dire autre chose. On va droit dans le mur !
Sans parler des systèmes qui sont déconnectés. La collaboration entre le public et le privé a très bien fonctionné pendant le covid, grâces leur en soient rendues, mais de façon générale, les systèmes sont extrêmement déconnectés. Prenez les horaires des cabinets médicaux. Vous téléphonez, et un répondeur vous dit: «Nous sommes ouverts le lundi entre 9h et 11h, nous répondons à vos appels le lundi, le mardi et le jeudi.» Et encore, dans le meilleur des cas ! Dans certains cabinets, c'est un jour par semaine durant trois heures. Ces médecins qui prescrivent ont tout mon respect aussi, mais enfin, ils devraient être atteignables en tout temps, sinon on ne peut pas garantir la sécurité du système, on ne peut pas vérifier les choses, on ne fait pas attention aux erreurs potentielles. Quand ces médecins ne sont pas atteignables, les infirmières ne peuvent pas prendre de décision, parce qu'elles travaillent sous délégation médicale, les ASSC encore moins.
En définitive, on demande à d'autres partenaires - aux pharmaciens, fort souvent - de prendre les décisions, car ce sont les seuls universitaires présents à ce moment-là. Le système, je m'excuse du terme, déconne à fond, il déconne à plein tube ! Il faut vraiment faire quelque chose.
Pour conclure, je remercie le département pour son travail. La logique de cette politique fait que nous la refuserons, mais je tenais quand même à souligner le travail du département ainsi que ses efforts, notamment dans le cadre des différentes négociations qui ont eu lieu en commission et qui ont permis de faire passer des textes avec de grandes majorités alors qu'ils étaient particulièrement discutés. Voilà, merci beaucoup. J'espère être entendu ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo, Thomas.
Mme Delphine Bachmann (PDC). Dans le cadre du budget pour l'année prochaine, c'est-à-dire 2023, je souhaiterais aborder quatre points. Le premier, c'est la question de la prévention et de la promotion de la santé. Malheureusement, on n'avance pas, on avance peu. Le parti démocrate-chrétien avait déposé plusieurs textes touchant notamment à la nutrition, à l'institution d'une taxe sur les sucres ajoutés, une résolution avait été envoyée à Berne signée par l'intégralité des membres de la commission de la santé; peu ou pas de nouvelles, aucune mesure prise malgré ces textes parlementaires, pas d'information sur le groupe de travail qui était censé être formé. Or, on le sait, investir dans la prévention aujourd'hui, c'est diminuer les coûts de demain. Nous avons donc de fortes attentes vis-à-vis du département en ce qui concerne la prévention.
Le deuxième élément a déjà été mentionné par certains de mes collègues, il s'agit du gros enjeu de la pénurie de personnel soignant qui, à terme, pourrait aussi devenir une pénurie de personnel médical. Oui, cela a été relevé, les conditions de travail sont difficiles dans ce domaine, mais je rappelle qu'elles sont intrinsèques à ces professions ! Les professionnels de la santé, comme les policiers, comme les pompiers, travaillent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par année. Les gens n'arrêtent pas d'être malades la nuit, ils n'arrêtent pas d'être malades le week-end.
Que constate-t-on sur le terrain ? Le covid est passé par là, les employés ont été beaucoup applaudis, puis un an est passé, deux ans sont passés, et aujourd'hui, plus personne ne les applaudit. Et ces gens qui ont été au front, comme toute une partie de la société - c'est un phénomène qu'on retrouve dans d'autres secteurs d'activité -, n'ont plus nécessairement la même motivation à s'imposer un week-end de travail sur deux, n'ont plus la même envie de sacrifier une part de leur vie personnelle pour être au boulot. C'est un vrai enjeu, mais ce n'est pas qu'une question de conditions de travail; certaines conditions de travail sont intrinsèques à des métiers, et on ne peut rien y faire.
Quelles mesures pourraient être prises pour empêcher cette pénurie ? D'abord, il s'agit de garder le personnel en emploi ! Avant, la durée de vie professionnelle moyenne des infirmières était de sept ans; aujourd'hui, elle est en moyenne de trois ans. Cela signifie qu'à l'heure actuelle, vous faites un bachelor en soins infirmiers - c'est trois ans -, puis vous travaillez trois ans et ensuite vous raccrochez la blouse parce que vous en avez ras le bol.
En même temps, j'ai envie de vous dire qu'avec l'image qu'on donne de ces professions, je ne sais pas qui a encore envie de s'engager là-dedans. Nous devons aussi communiquer positivement, et l'Etat a un important travail de recrutement à accomplir. Actuellement, il y a 200 étudiants infirmiers par année; on pourrait en prendre 240, on pourrait en prendre 250, mais la réalité, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de candidats. Il va donc falloir déployer de gros efforts en matière de recrutement en ce qui concerne non seulement le personnel infirmier, mais aussi les professions intermédiaires.
J'entendais dire tout à l'heure que c'est n'importe quoi et que les soins se dégradent; je suis vraiment ravie, je pense que les aides-soignants et les ASSC qui nous écoutent, s'il y en a, ou qui liront la presse demain seront enchantés d'apprendre que leur travail se dégrade par rapport à dix ou vingt ans en arrière. Non, en fait, les professions intermédiaires sont basées sur la complémentarité, c'est-à-dire qu'au lieu d'avoir une infirmière qui fait tout, de la toilette à une prise en charge comme maintenir un patient sous ventilation assistée quand on est infirmière spécialisée aux soins intensifs, on stratifie les compétences. Cette complémentarité fonctionne aujourd'hui, parce que les gens ont la capacité de travailler en équipe et ont du respect pour les compétences de chacun.
Enfin, je rappelle que les mesures qui doivent être prises pour permettre la pérennité du personnel soignant en emploi vont au-delà de la question des conditions de travail et des conditions salariales; celles-ci sont bien évidemment importantes, mais il faut quand même relever que l'Hôpital cantonal offre les plus hautes rétributions pour le personnel soignant de toute la Suisse. Malgré cela, le bloc opératoire des HUG compte plus de 20% d'absentéisme, ce qui n'est pas le cas dans les EMS ou les cliniques privées qui, pourtant, emploient avec des salaires parfois jusqu'à 30% inférieurs. Cela démontre que ce ne sont pas seulement les conditions salariales qui comptent, mais aussi les possibilités d'évolution, de formation continue ainsi que la qualité du travail que l'on trouve.
Le troisième point que je voulais aborder et sur lequel nous serons extrêmement attentifs, c'est la mise en place du contrôle qualité pour les personnes en situation de handicap; c'est le GRESI, sous la tutelle du département de la santé, qui devra mener cette tâche à bien. Nous avons à coeur de nous assurer non seulement que ce sera la bonne personne qui effectuera ces contrôles, mais surtout qu'une grille adéquate sera utilisée.
En dernier lieu, je dirai un mot sur la réforme des HUG. Un moratoire vient d'entrer en application pour empêcher les installations médicales dans le privé. En 2022, cela a été indiqué, jamais le nombre de départs n'a été aussi élevé. Pourquoi ? Parce qu'à force de chercher à contraindre les gens à rester dans une institution, ceux-ci s'en vont. C'est extrêmement dommage. Je pense que le modèle HUG doit se remettre en question sur le plan du management de ses talents. Il a toujours été question de faire de la recherche, mais aujourd'hui, certains médecins sont bons en recherche, d'autres sont bons en clinique, d'autres encore en management, et au lieu de valoriser de manière individuelle chacun de ces talents, on force les gens à demeurer dans un système qui ne leur convient pas. Résultat: on fera face à une pénurie de personnel médical après celle du personnel soignant. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
M. Patrick Saudan (HP). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais dire en préambule que je ne me reconnais pas du tout dans le sombre tableau qui a été brossé par certains de mes préopinants concernant le domaine de la santé à Genève. Il est vrai que nous sommes confrontés à des difficultés, mais si on compare la situation avec ce qui se passe dans les autres pays européens et voisins, c'est le paradis ici, tant pour les patients que pour les professions de la santé. Cela étant, je ne nie pas que nous connaissions quelques problèmes.
Je reviens sur la planification sanitaire qui a également été évoquée par Mme Bachmann et M. Bläsi. Il y a un paradoxe à Genève. D'un côté, nous sommes un canton surdoté en équipements médicotechniques; je n'ose pas vous révéler le nombre d'appareils pour IRM par habitant, c'est effarant. Effarant ! Notre taux de médecins est, lui aussi, relativement élevé par rapport aux autres cantons suisses, donc la couverture médicale est là. Le paradoxe, c'est que si vous arrivez dans le canton de Genève et que vous voulez obtenir un rendez-vous chez un médecin de premier recours ou chez un spécialiste, vous n'y arrivez pas, ou alors le délai d'attente est énorme.
Là où je veux en venir - et je m'adresse à notre conseiller d'Etat, M. Poggia -, c'est que, s'agissant des indicateurs utilisés pour la planification sanitaire, je m'étonne qu'il n'y en ait pas un relatif au degré de satisfaction de la population; on pourrait par exemple mesurer le pourcentage de personnes qui arrivent à obtenir un rendez-vous chez un médecin de premier recours ou chez un spécialiste dans le mois. A mon avis, cet indicateur fait défaut. Il y a des indicateurs sur la surveillance des cabinets médicaux, sur le temps d'attente aux urgences... Je ne les remets pas en question, parce que c'est le rôle du département, mais je pense qu'on devrait davantage se baser sur l'expérience de la population pour optimiser la planification sanitaire. Je vous remercie.
M. Jean Batou (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, Ensemble à Gauche s'est battu pour obtenir une augmentation de la dotation des immeubles avec encadrement pour personnes âgées. Vous savez qu'au budget, un montant d'environ 1,3 million est prévu pour cet objectif qui résulte d'un crédit supplémentaire voté en 2022. Nous avons enquêté sur les besoins, lesquels sont très largement insatisfaits. Les IEPA permettent à des personnes âgées de vivre avec une certaine autonomie, de disposer d'un confort et d'une sécurité, et à leurs familles de se reposer sur ces institutions. Nous avons donc obtenu - merci à la majorité de la commission des finances - une enveloppe de 500 000 francs supplémentaires pour ces structures.
Dès lors, je m'étonne de voir Le Centre - le PDC - déposer un amendement pour supprimer ces 500 000 francs. Que le PLR le fasse, c'est évident, puisque ce groupe a été jusqu'à supprimer l'indexation pour la fonction publique en la ramenant à zéro - il faut que ceux qui nous écoutent le sachent: zéro indexation pour les fonctionnaires, voilà l'objectif du PLR ! Sur ce point-là, le PDC n'a pas suivi, et on le comprend, parce que ne pas verser un seul centime pour compenser le renchérissement constitue une mesure très peu populaire. Mais que Le Centre - enfin, le parti qui s'appelle Le Centre, je sais bien que l'UDC se dit aussi du centre - s'oppose à 500 000 francs pour les immeubles avec encadrement pour personnes âgées, là, je tombe des nues ! Du coup, je me rassieds et vous invite toutes et tous à voter le budget avec ce supplément au regard de nos aînés. Merci. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). En ce qui concerne la politique de la santé, je me fais beaucoup de souci. J'ai écouté ce qu'ont dit mes collègues. Pour ma part, je trouve que la situation actuelle est totalement déséquilibrée. Pourquoi ? Mme Delphine Bachmann l'a très bien expliqué, M. Saudan aussi: il y a une augmentation de la pression sur les gens qui travaillent sur le terrain. Le fait d'alourdir le travail administratif, d'en exiger beaucoup plus de tout le monde sur le plan administratif engendre une démission sur le terrain. En tant que médecin, je remarque que mes collègues sont de plus en plus nombreux à en avoir marre, et leur réaction est d'abandonner, de ne plus assumer certaines tâches qu'ils assumaient avant.
Le paysage médical a complètement changé. Le modèle du médecin qui était là douze ou quinze heures par jour, 7 jours sur 7, n'existe plus. Les jeunes qui s'installent en pratique privée - ils continueront à le faire pour autant qu'ils le puissent - veulent améliorer leurs horaires, avoir congé le week-end, en soirée ou durant l'après-midi. Et c'est normal ! Le problème, c'est qu'on n'a pas réussi à aménager ces professions pour les rendre plus attractives. Si on commence à vouloir se protéger soi-même et à ne plus être ouvert à la profession, qui, comme tous les métiers dans le secteur médical, est astreignante, exigeante, eh bien on perd en qualité, on perd en présence. Dès lors, il faut absolument et urgemment réfléchir à la manière dont on peut redonner de l'espoir et de l'envie à tous les professionnels des soins, on doit le faire.
Il est clair que le covid a causé d'importants dégâts à ce niveau-là. Pendant la pandémie, une chose extraordinaire s'est produite: brusquement, le privé et le public se sont parlé, ont trouvé des solutions communes. C'était fantastique, voilà des années que je martèle que le public et le privé doivent collaborer; ils avaient tendance à ne pas communiquer et à s'engueuler. Ils l'ont fait, et c'est très bien. Est-ce que cela va durer ? Les choses vont-elles changer ?
Le fait que l'Hôpital cantonal perde de plus en plus de gens bien formés représente un problème depuis des années. Vous prenez des jeunes, vous les formez dans des métiers extrêmement pointus, dans des spécialisations, et que se passe-t-il ? Dès qu'on n'a plus besoin d'eux aux HUG, on les prie de partir. C'est comme ça, de nombreuses personnes souhaiteraient - auraient souhaité - rester, mais ont dû partir, parce qu'elles n'ont pas eu le choix, il n'y avait pas de postes pour elles.
D'une certaine façon, on a aussi orienté la formation sur les spécialisations et beaucoup moins sur le médecin généraliste, interniste ou de premier recours. Cela a toujours été comme ça, ce n'est pas seulement le cas aujourd'hui; depuis trente, quarante, cinquante ans, les choses se passent ainsi. Pourquoi ? Parce que l'Hôpital cantonal a besoin de spécialistes avec des compétences pointues pour fonctionner, pas de médecins généralistes ou de premier recours. Il faut donc absolument repenser la façon de former les gens, repenser leur présence sur le terrain.
On parle des coûts de la santé, la santé est chère pour les gens qui paient leur assurance-maladie, mais elle rapporte aussi énormément d'argent. C'est l'une des «industries», entre guillemets, qui rapporte le plus ! Il y a une discrépance complète entre ce qui se passe pour les personnes qui paient leurs primes et les investissements opérés dans ce domaine. L'Etat doit absolument réagir, non pas en faisant la guerre au privé, mais en l'accompagnant, en discutant avec lui.
Je donne un exemple tout bête - peut-être que Mme Delphine Bachmann ne sera pas d'accord: on a créé une sous-commission d'enquête sur la chirurgie cardiovasculaire et démontré, dans nos conclusions, qu'il n'était pas judicieux d'ouvrir un troisième centre de chirurgie cardiovasculaire dans le canton de Genève. Or que se passe-t-il ? On ouvre un troisième centre de chirurgie cardiovasculaire dans le canton de Genève ! M. Saudan a déposé une question écrite urgente à ce sujet. Pourquoi fait-on cela ? Parce que les gens n'ont plus confiance dans les HUG, ils désirent aller dans d'autres structures qui offrent des compétences que l'Hôpital cantonal n'a plus. Il faut se poser des questions ! La réponse est claire: en ce qui me concerne, en tant que médecin, je n'envoie plus aucun patient à l'hôpital, je les envoie dans des cliniques privées, parce que les compétences sont meilleures. Je vous remercie.
M. Jacques Blondin (PDC), rapporteur de troisième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je vais revenir sur les amendements ainsi que sur les propos tenus par M. Batou - comme il est d'usage, vous transmettrez, Monsieur le président. Je constate que cette fois, c'est le PDC le méchant; d'habitude, c'est le PLR, ce qui nous met un petit peu à l'abri. Rappelons tout de même les règles du jeu par rapport au débat budgétaire d'aujourd'hui.
Il y a eu un accord ficelé, on l'a déjà indiqué hier: le MCG a posé certaines conditions qui ont été acceptées par d'autres partis, ce qui impliquait quelques amendements supplémentaires de la part d'Ensemble à Gauche. En ce qui nous concerne, s'agissant de la procédure budgétaire, ce n'est pas que nous n'étions pas disposés à discuter de l'augmentation d'un poste ou d'un autre, mais dans une bonne négociation, on essaie de trouver des accords, quitte à faire monter certaines lignes budgétaires et à en équilibrer d'autres.
Or ce n'est pas du tout ce qui a été fait ! Comme relevé hier, les amendements d'Ensemble à Gauche représentent en tout 4,5 millions, donc nous les remettons en question, parce qu'il s'agit d'ajouts. Encore heureux qu'il n'y en ait pas eu pour 20 millions, cela serait peut-être tout aussi bien passé.
Pour nous, et je l'ai précisé hier, le problème ne concerne pas la question très spécifique de l'encadrement des personnes âgées, Le Centre n'est pas opposé à une politique en faveur des personnes âgées, c'est simplement qu'en raison de la stratégie budgétaire adoptée, nous nous retrouvons pieds et poings liés dans cet hémicycle, nous voyons passer le train et toutes les modifications être validées.
C'est dans ce sens que nous mettons en cause les amendements adoptés en commission, lesquels alourdissent encore le budget initial du Conseil d'Etat, un budget qui présentait déjà un déficit de 420 millions et qui, je le rappelle, M. Aellen l'a souligné, avait été jugé excessif par le MCG au mois de septembre. Dans le cadre de ce budget déficitaire de 420 millions, le gouvernement a fait son job et tenu compte des différents paramètres. Voilà pourquoi des amendements touchant cette politique publique vont être présentés, il n'y a aucune autre explication à chercher. Merci beaucoup.
M. Eric Leyvraz (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Il s'agit d'un secteur qui concerne tout le monde, un secteur qui coûte très cher, un secteur où sans doute passablement de points sont à améliorer, mais il ne faut pas non plus oublier, Mesdames et Messieurs, la chance extraordinaire que nous avons de vivre ici, à Genève ou en Suisse: la qualité des soins y est juste unique et incroyable. Pas besoin d'aller très loin pour se rendre compte que les difficultés sont bien plus importantes dans d'autres pays. Aux Etats-Unis, vous pouvez mourir devant un hôpital si vous n'avez pas de papiers ou d'assurance.
Quand vous avez un problème grave - c'est ce que j'ai connu en 2019 -, on vous prend tout de suite en main, on vous fait passer tous les examens nécessaires, vous êtes soigné rapidement, avec les meilleurs médicaments et les meilleures possibilités qui existent sur le marché. Pendant que j'étais en soins, un de mes amis du même âge que moi attendait une IRM en Italie: le délai d'attente était de quatre mois ! Vous avez largement le temps de mourir pendant ce laps de temps. Alors on peut bien sûr rouspéter, mais il faut raison garder et nous montrer reconnaissants du système dont nous bénéficions à Genève, parce qu'il est tout simplement unique. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Je serai court, Mesdames et Messieurs. Il y a un sujet que je n'ai pas pu aborder, je l'évoque rapidement: nous rencontrons aussi un problème sur le plan du Grand Genève en ce qui concerne la santé, et il faut s'en préoccuper. Je m'explique. M. le rapporteur de deuxième minorité vient de le relever: vous passez la frontière, vous arrivez en France, et pour obtenir une IRM dans cette région, il faut compter entre deux et trois mois d'attente.
Cela engendre des problèmes tout bêtes, par exemple pour l'assurance perte de gain. Lorsqu'une personne est en arrêt de travail pour maladie, elle peut devoir attendre jusqu'à trois ou quatre mois pour réaliser un examen; durant cette période, elle reste en perte de gain, ce qui coûte aux assureurs. Par contre, si elle avait la possibilité de venir passer l'examen dans le canton de Genève, elle recevrait les résultats dans les deux à trois jours ou dans la semaine, ce qui permettrait de réaliser de grandes économies au niveau de l'assurance perte de gain. Ce n'est pas anecdotique !
Il faut vraiment repenser le système de santé à l'échelle du Grand Genève. Vous savez que le parti démocrate-chrétien - Le Centre avait proposé de reproduire ici l'accord négocié entre la France et l'Allemagne qu'on appelle le traité d'Aix-la-Chapelle et qui permet aux régions de trouver des arrangements sans passer par les capitales respectives de chaque pays, Berlin et Paris, et de développer des politiques communes - c'est par exemple le cas entre l'Alsace et l'Allemagne. Nous demandons qu'on puisse faire de même entre Genève et la région Auvergne-Rhône-Alpes sans s'en référer aux capitales, qu'on puisse gérer les choses à ce niveau-là.
C'est vraiment important, parce que Genève est le centre de cette agglomération. Sur le plan médical, nous avons perdu beaucoup de compétences et de patients, les Français se rendent maintenant à Annecy, Grenoble ou Lyon, plus à Genève. Je vous remercie.
M. Sandro Pistis (MCG). Monsieur le président, vous transmettrez à M. le député Blondin que durant les échanges sur le projet de budget, il était aux abonnés absents ! A aucun moment le PDC-Le Centre n'a pris contact avec le MCG ou avec qui que ce soit ! Aujourd'hui, il nous explique que son parti est opposé à ce budget, qu'il est scandalisé de devoir voter un budget déficitaire. Mais c'est de l'hypocrisie, Mesdames et Messieurs les députés ! Combien de fois le PDC-Le Centre a-t-il accepté un budget déficitaire ?
Une voix. Tout le temps.
M. Sandro Pistis. Tout le temps, merci ! Merci, Monsieur Aellen, vous avez raison.
Concrètement, le PDC a manqué le train. Il y a quelques semaines, ce groupe souhaitait supprimer deux cents postes; il était d'accord de voter un budget déficitaire moyennant la suppression de deux cents postes. Puis, il a fait machine arrière en disant: «Ok, vous avez raison, c'est un peu trop, nous sommes prêts à entrer en matière si on en supprime cent.» Mais, Monsieur Blondin - vous transmettrez, Monsieur le président -, le train est passé, c'est fini. Aujourd'hui, le budget a trouvé une majorité, une majorité qui entend doter l'Etat de Genève d'un budget pour que nous soyons crédibles vis-à-vis de nos entreprises - que vous soutenez également -, vis-à-vis de la Genève internationale. Vous voulez nous faire passer pour des ridicules, vous voulez que Genève fonctionne sans budget pour la deuxième fois consécutive ? Enfin, quel est le message que vous envoyez ?
Je conclurai sur la politique sanitaire. Le PDC s'est toujours mis en avant en énonçant: «Nous soutenons la politique de la santé.» Effectivement, un certain nombre de députés ici sont médecins. Or maintenant, on apprend que, pour des motifs un peu futiles, le PDC ne compte pas voter la politique de la santé. C'est vraiment incohérent ! D'autant plus que sur les bancs du PDC - ou du Centre, si vous préférez -, il y a deux candidats au Conseil d'Etat. Quel est le signal que vous lancez quant à la gestion de notre canton ?
M. Daniel Sormanni (MCG). Je serai rapide, Mesdames et Messieurs. Le député Buchs - vous transmettrez, Monsieur le président - nous a parlé de la problématique des gens de la région qui venaient précédemment se faire soigner à Genève. Mais il faut quand même rappeler une chose: à quel moment tout cela est-il arrivé ? Qui a laissé filer, si j'ose dire, ces clients des HUG qui permettaient d'avoir le nombre suffisant de personnes pour bénéficier de certaines expertises dans notre canton - on a par exemple évoqué la chirurgie cardiaque ? Eh bien c'était du temps du conseiller d'Etat Pierre-François Unger, pour ne pas le citer. Rappelez-moi de quel parti il était: ce n'était pas du PDC, par hasard ?
Maintenant qu'ils sont partis, dès lors que la France a créé ses propres centres, je ne vois pas comment faire pour les récupérer. C'est extrêmement difficile, voire impossible, à mon avis. Hélas ! Il eût été intéressant de faire en sorte qu'ils ne s'en aillent pas, mais ce n'est pas ce qui s'est passé sous l'ancien conseiller d'Etat PDC. C'est dommage, et aujourd'hui, on se trouve malheureusement dans cette situation.
Quant au troisième centre de chirurgie cardiaque qui a ouvert, eh bien oui, c'est une erreur, mais en quoi le département est-il impliqué ? En rien ! Il ne peut pas empêcher une entreprise privée de créer un centre ! L'appel a été lancé, il n'en fallait pas plus que deux, ce qui est déjà énorme pour le bassin genevois, mais il a tout de même été créé, et nous n'y pouvons rien. En l'occurrence, ce sont des privés qui, pour des raisons très certainement non sanitaires - plutôt financières -, ont décidé d'ouvrir cette structure.
Alors je n'ai rien contre les cliniques, mais ce qui arrive souvent, c'est qu'en cas de grandes difficultés, eh bien on appelle l'ambulance et on descend les patients aux HUG pour les soigner - pour autant qu'ils y arrivent encore en vie. C'est dommage et c'est la raison pour laquelle je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à voter cette politique publique.
M. Jacques Blondin (PDC), rapporteur de troisième minorité. Je me dois de répondre au député Pistis qui est en face de moi - vous transmettrez, Monsieur le président. J'ai trouvé assez piquant de l'entendre dire d'abord que le PDC avait loupé le train et refusé toute négociation, puis, trente secondes plus tard, nous exposer le contenu des échanges qu'il aurait eus avec nous, puisque nous avions apparemment placé la barre trop haut. Voilà qui est déjà répondre à la question, Mesdames et Messieurs: oui, nous avons négocié avec le MCG. Après, je vous avoue que les discussions se font de manière orale, il n'y a pas de mail ni quoi que ce soit d'écrit, ce sont juste des tractations.
La grosse différence avec ce que vous avez raconté, Monsieur Pistis, vous la connaissez. Dans le cadre de l'élaboration du budget à laquelle nous étions intéressés, il fallait prévoir quelques cautèles. De votre côté, vous vouliez un budget à tout prix, vous l'avez dit, vous exigiez des conditions salariales acquises. Ce que vous m'avez indiqué entre quatre yeux, c'est que vous étiez prêts à sabrer des postes - alors vous n'avez pas cité de chiffres, vous avez employé un certain vocabulaire -, mais ensuite, vous êtes tombés d'accord avec d'autres partenaires. Ça fait partie du jeu ! Toujours est-il que nous souhaitions aussi un budget, je maintiens que nous souhaitions un budget, mais pas celui-ci.
Vous avez conçu un magnifique paquet ficelé, je le répète, la mécanique est bien huilée et je dois vous féliciter, parce que jusqu'à présent, vous n'avez rien lâché. C'est juste par rapport à ça que nous intervenons, ça n'a rien à voir avec la politique publique dont il est question maintenant. Je redis ici que nos amendements visent à annuler des postes qui ont été ajoutés dans le cadre du deal. Alors ce n'était pas le vôtre, c'était celui de la partie d'en face, mais pour signer un contrat, il faut être deux; vous l'avez signé, donc s'il vous plaît, ne nous mettez pas en porte-à-faux sur ce sujet.
Oui, nous voulions négocier. Peut-être avons-nous placé la barre un peu trop haut par rapport à certaines attentes, mais notre but n'était pas d'aboutir à tout prix. Voilà pourquoi j'ai parlé de s'aplatir devant certaines conditions imposées par la gauche, laquelle a déposé les amendements qui allaient avec l'accord. Il s'agit seulement de ça et de rien d'autre, et nous maintenons notre position. Dommage que le déficit de ce budget s'envole à des hauteurs stratosphériques, parce que je reste persuadé que nous aurions pu trouver une cote intermédiaire. Merci. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Une autre voix. Très bien !
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de première minorité. J'allais également parler des amendements, mais en préambule, j'insiste sur le fait qu'il ne faut pas faire dire aux autres ce qu'ils n'ont jamais dit. D'aucuns ici prétendent par exemple que le PLR ne veut pas de budget, c'est faux: nous sommes entrés en matière et avons présenté des amendements - j'évoquerai ceux qui concernent la politique de la santé dans un instant - précisément parce que nous souhaitons un budget, mais un budget triple R - responsable, rigoureux et raisonnable -, qui respecte la volonté populaire d'une part et la loi d'autre part. En effet, l'article 68 de la LGAF à laquelle nous sommes soumis prévoit, pour le budget 2023, un déficit maximal de 302,3 millions. Nous voulons un budget qui entre dans ce cadre-là; vous voulez un autre budget, pas de souci, mais soutenir ici que le PLR refuse tout budget est simplement mensonger.
Il en va de même en ce qui concerne l'indexation. M. Batou, dans ses propos, essaie de faire croire que le PLR n'entendait octroyer aucune augmentation de salaire à la fonction publique. Ce n'est pas vrai, puisque - j'ai dit et répété ce qui s'est passé à la commission des finances, et à moins qu'il ait été en train de dormir à ce moment-là, il ne pourra pas prétendre le contraire - nous avons toujours indiqué que nous étions d'accord de voter l'annuité, mais pas l'annuité plus l'indexation, dont je rappelle qu'additionnées ensemble, elles représentent une hausse de revenu de 3,44% ! Il y avait une marge entre zéro et 3,44%. Le PLR souhaitait un budget avec un déficit de 302,3 millions et une augmentation pour les fonctionnaires, mais évidemment pas de 3,44%. (Remarque.) Pas de 3,44%, Monsieur Batou, ça va peut-être rentrer un jour ou l'autre.
Toujours pour M. Batou: peut-être l'a-t-il oublié, mais pourquoi indexe-t-on aujourd'hui ? Parce qu'il y a de l'inflation. Pendant plusieurs années, il n'y a pas eu d'inflation; en fait, c'était même le contraire. A-t-on indexé les salaires de la fonction publique à la baisse ? Non, bien sûr que non. C'est normal, je ne l'exige pas, mais à un moment donné, il faut savoir raison garder. On ne demande jamais rien quand c'est à la baisse, et dès que c'est à la hausse... C'est un peu comme le prix à la pompe: dès que le pétrole grimpe, il faut tout de suite augmenter; par contre, quand il baisse, ah, on va attendre un petit moment, on ne sait jamais. Eh bien c'est la même politique pour M. Batou et Ensemble à Gauche.
Concernant nos amendements, je redis ce qu'a indiqué mon collègue Blondin: il ne s'agit pas de couper quoi que ce soit, mais d'effectuer le travail dans le bon ordre. Le bon ordre, c'est quoi ? C'est quand le Conseil d'Etat ou l'administration nous dit pour commencer: «Voici notre projet», par exemple pour l'encadrement des personnes âgées, puis nous propose des montants concrets; si ce parlement, après avoir étudié le projet, estime que c'est une bonne chose et qu'il faut aller dans ce sens, alors on le vote et on valide les crédits qui vont de pair. Or là, Mesdames et Messieurs, vous procédez à l'envers, c'est-à-dire que vous adoptez d'abord un crédit sans même savoir à quoi il va servir. Ce n'est juste pas logique ! Et c'est insultant pour les contribuables qui paient des impôts: vous dépensez l'argent avant même de l'avoir reçu.
J'aimerais citer quelques chiffres du rapport BAK - je sais, vous ne l'aimez pas, mais enfin, si jamais, vous trouvez ceux-ci à la page 29. C'est l'étude des coûts par cas. Je rappelle qu'il ne s'agit pas de prendre l'intégralité des coûts et de les diviser par toute la population, mais de les prendre politique publique par politique publique, puis de les diviser par les bénéficiaires de chaque politique publique, le tout en ne les comparant pas avec les 25 autres cantons, mais uniquement avec ceux qui sont comparables, parce qu'il est évident que comparer Genève avec un canton où il n'y a pas d'hôpital est stupide, donc on compare avec des cantons comparables.
Quel est le résultat ? S'agissant des hôpitaux, c'est 14% de plus à Genève, c'est-à-dire que notre canton paie 73 millions supplémentaires par rapport à des cantons comparables. Pour ce qui est des réseaux de soins, c'est 26% de plus, c'est-à-dire que nous versons 260 millions de plus que la moyenne des cantons comparables.
Nous sommes déjà extrêmement généreux, et M. Leyvraz l'a souligné à juste titre: nous menons une politique sanitaire généreuse qui bénéficie largement à la population. Aussi, faire croire ici que nous sommes dans l'austérité, que nous refusons de voter à la fois des postes et des moyens pour cette politique, laquelle est effectivement fondamentale, est tout bonnement mensonger. Nous présentons des amendements pour revenir à la situation préconisée par le Conseil d'Etat en réfléchissant d'abord à des projets concrets, puis à des crédits, non pas en premier lieu à des crédits sans même savoir ce qu'il est prévu d'en faire. Merci. (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG). Mesdames et Messieurs, il faut dire la vérité à celles et ceux qui nous écoutent. Premièrement, nous avons voté à une large majorité le respect de la loi - c'est tout de même la moindre des choses -, le respect des annuités qui sont dues au personnel de la fonction publique. Il s'agit de respecter un contrat, de respecter la législation. Nous devrions toutes et tous y être sensibles.
Après cette décision, le PLR nous a soumis un amendement pour qu'il n'y ait aucune indexation des salaires pour les fonctionnaires, ce qui signifie un recul de 2,7% du revenu des travailleurs de la fonction publique qui étaient en première ligne pendant le covid, qui sont en sous-effectif, qui sont en difficulté, qui sont en souffrance. Il faut que tout le monde sache, parce que c'est la vérité, que le PLR veut réduire à zéro l'indexation des salaires. Voilà. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu de nombreux discours pleins de bon sens, des choses très vraies ont été relevées, les défis dans le secteur sanitaire sont nombreux. Il s'agit d'une politique publique complexe, car lorsqu'on agit sur un facteur, on en influence automatiquement d'autres, et tout le monde est un expert dans le domaine, il faut le dire, puisque nous sommes tous conscients que la santé est fondamentale pour chacun de nous en particulier et pour la collectivité en général.
Je voudrais ici remercier votre Grand Conseil. Nous avons passé trois années difficiles, et je dois dire que les choses ne se seraient pas aussi bien déroulées si nous n'avions pas été épaulés par un parlement solidaire et soutenant. Pour cela, je tiens à vous adresser mes remerciements. Le travail a été bien effectué, certes, mais il est plus facile d'accomplir du bon travail lorsqu'on dispose de moyens financiers que lorsqu'on est dénué de ressources. Voilà pourquoi j'exprime ici les remerciements de l'ensemble de la population genevoise.
J'aimerais également saluer tous les acteurs du domaine sanitaire: la direction générale de la santé - qui se trouve dans mon département et qui, par la force des choses, a enflé durant cette période pour répondre à de nouveaux défis, des défis que jamais on n'avait expérimentés ces dernières années, voire ces dernières décennies -, mais aussi l'ensemble du personnel médical et soignant qui a oeuvré au front, dans le secteur public comme privé, d'ailleurs, avec une excellente collaboration entre les deux.
Naturellement, tout cela a un coût, mais le résultat est là. Quand on entend des gens critiquer la situation que nous avons vécue, il suffit de leur poser une question toute simple: dans quel autre pays, dans quel autre canton auriez-vous voulu vivre ces années ? La réponse est généralement: «Finalement, ce n'était pas si mal.» Nous avons traversé cette épreuve le moins mal possible, quoique bien sûr avec des limitations à nos libertés, avec des personnes qui ont souffert, avec un personnel soignant sous tension.
Ce personnel soignant en paie les frais aujourd'hui. Le taux d'absence est élevé, parce qu'une surcharge se fait ressentir. Comme toujours, quand on est au front, on s'oublie; ensuite, quand la tension se relâche, la fatigue apparaît et on peut craquer, c'est normal, nous le comprenons parfaitement. Nous souhaitons à toutes les personnes qui ne se trouvent pas sur leur lieu de travail actuellement pour des raisons de santé de récupérer rapidement, d'abord pour elles, puis pour nous toutes et tous.
Maintenant, de manière générale, ce qui a été évoqué quant aux défis de la santé est parfaitement juste. Nous avons à Genève un nombre de médecins et de matériel lourd de diagnostic qu'on nous envie partout, bien que cela ait un coût, qu'il faut assumer. Et pourtant - pourtant ! - la réponse n'est parfois pas au rendez-vous. Notre canton affiche la densité de spécialistes la plus élevée de Suisse, avec des médecins qui organisent leur temps de travail, parce qu'ils ont la possibilité de le faire - ce n'est pas une critique, à nous d'agir -, en fonction de leurs convenances personnelles.
Si la LAMal est une assurance sociale que l'on peut critiquer, elle a tout de même apporté deux avancées fondamentales. D'une part, tout le monde dans ce pays est assuré contre le risque de maladie. On sait que sans obligation de s'assurer, certains pourraient estimer qu'ils n'ont pas besoin de soins, mais comme nous vivons dans un Etat solidaire, nous ne laissons pas les gens mourir au motif qu'ils ne seraient pas assurés. Cette obligation d'assurance est extrêmement importante. D'autre part, la corrélation directe avec cette obligation, c'est la solidarité, c'est-à-dire que les bien portants paient pour les malades. Ce sont là deux progrès essentiels.
Tout cela a un coût, évidemment. Aujourd'hui, le grand enjeu n'est pas tant de maîtriser les primes, comme se borne à le faire le Parlement fédéral, mais de maîtriser les coûts: si l'on maîtrise les coûts, on maîtrise bien entendu les primes. Gérer les primes en transposant la charge financière des assurés aux contribuables constitue un tour de passe-passe, et c'est la seule chose que font nos autorités à Berne. Or, contrairement à d'autres assurances sociales, la LAMal n'est pas une assurance en déficit dans laquelle il faut investir sur le plan fédéral. Quand il manque de l'argent, on laisse les assureurs augmenter les primes, et le système s'équilibre.
Toutefois, quand la population commence à exprimer son mécontentement, il faut faire en sorte de contenir la hausse des primes d'assurance-maladie. Comment faire pour qu'elles augmentent moins ? Mettre à la charge des cantons des coûts revenant normalement à nos assureurs qui, on l'espère, vont moins augmenter les primes ? Cette méthode fonctionne moyennement, vous le savez, puisque les courbes entre la hausse des coûts et celle des primes ne cessent de s'écarter l'une de l'autre alors qu'elles devraient être collées l'une à l'autre; cela signifie qu'il y a un problème de déperdition. Nous connaissons cette problématique, le travail doit absolument se faire à l'échelle fédérale.
Je remarque avec satisfaction que des parlementaires de droite sont maintenant sensibles à cette préoccupation alors qu'auparavant, on observait une forte bipolarisation du sujet, avec une droite considérant que la concurrence allait réguler le marché et une gauche estimant - autant par dogmatisme que la droite, d'ailleurs - que le marché devait être contrôlé par l'Etat. Aujourd'hui, tout le monde se rend bien compte que l'Etat doit véritablement ouvrir le capot du moteur et mettre les mains dans le cambouis pour corriger tout cela.
Nous oeuvrons dans ce sens à Genève dans le cadre des petites marges qui nous sont laissées. La clause du besoin est critiquée, parce que si nous formons assez de médecins de premier recours, ceux-ci ne vont pas toujours là où nous souhaiterions qu'ils aillent, là où les besoins se font sentir. Nous disposons certes de suffisamment de spécialistes, mais il ne faut pas non plus fermer le robinet des spécialistes au risque de venir ensuite à en manquer. Il s'agit d'un travail minutieux de régulation pour faire en sorte de répondre aux besoins de la population.
Vous le savez, vous l'avez d'ailleurs souligné, les médecins ne sont pas toujours au rendez-vous lorsqu'on les appelle. On pourrait se poser la question d'imposer des gardes, mais imaginez si j'annonce demain une astreinte aux gardes pour tous les praticiens installés en ville: on assistera à une levée de boucliers ! Pourtant, vous signalez ici qu'il n'est pas normal de ne pas trouver de docteur lorsqu'on en cherche à certaines heures et de devoir se rendre aux urgences à la place. Cette situation génère en effet une surcharge du service des urgences, avec des coûts portés par la collectivité.
Il ne s'agit pas de faire de notre canton de Genève un régime totalitaire dans lequel la santé serait entièrement régulée par l'Etat, mais de rappeler à chacun sa responsabilité, et surtout que la médecine n'est pas une profession libérale totalement comme les autres dès lors qu'elle est financée par une assurance sociale.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, Mesdames et Messieurs. On a parlé des ASSC qui font grève et exigent une revalorisation salariale...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le président du Conseil d'Etat.
M. Mauro Poggia. Je termine, Monsieur le président. Rappelons que l'on ne négocie pas les salaires à l'Etat, mais que les réévaluations s'opèrent par des processus bien cadrés. Une réévaluation a eu lieu, elle est considérée comme insuffisante. Nous ne pouvons pas simplement nous installer autour d'une table et demander: «Combien voulez-vous ?», sachant que tout est lié: certaines professions sont sanctionnées par un CFC, d'autres par un diplôme HES, soit de niveau universitaire.
Voilà, j'en resterai là. Il y aurait tant à dire, mais je reste évidemment à disposition de la commission de la santé pour exposer la démarche du département, parce que la stratégie mise en place depuis neuf ans semble porter ses fruits, mais de nouveaux défis arrivent sans cesse et il convient de s'adapter constamment. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Nous allons maintenant traiter les amendements. La première proposition nous vient du PLR et consiste à supprimer la revalorisation des salaires des assistants en soins: -1 729 846 francs au programme K01 «Réseau de soins et actions en faveur des personnes âgées», nature 36 «Charges de transfert».
Une voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenue ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, nous procédons donc au vote nominal.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 62 non contre 30 oui et 2 abstentions (vote nominal).
Le président. Voici l'amendement suivant, présenté par le PLR et le PDC: -500 000 francs au programme K01 «Réseau de soins et actions en faveur des personnes âgées», nature 36 «Charges de transfert», afin de supprimer l'amendement d'Ensemble à Gauche adopté en commission sur l'encadrement pour personnes âgées.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 51 non contre 43 oui et 1 abstention.
Le président. M. Jean Batou, le PLR et le PDC nous soumettent un autre amendement: -100 000 francs au programme K02 «Régulation et planification sanitaire», nature 36 «Charges de transfert», observatoire de la santé.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 91 oui et 4 abstentions. (Applaudissements et rires à l'annonce du résultat.)
Une voix. Victoire !
Le président. Nous passons au prochain amendement PLR-PDC: -530 000 francs au programme K03 «Sécurité sanitaire, promotion de la santé et prévention», nature 31 «Charges de biens et services et autres charges d'exploitation», suppression d'un amendement du Conseil d'Etat adopté en commission concernant les mandats pour la livraison de vaccins.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 51 non contre 43 oui et 2 abstentions.
Le président. L'amendement suivant du PLR et du PDC concerne le programme K03 «Sécurité sanitaire, promotion de la santé et prévention», nature 31 «Charges de biens et services et autres charges d'exploitation»: -700 000 francs. Il s'agit de supprimer un amendement du Conseil d'Etat voté en commission concernant le mandat communication covid-19.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 51 non contre 43 oui et 2 abstentions.
Le président. Enfin, nous sommes saisis d'un amendement de l'UDC au programme K03 «Sécurité sanitaire, promotion de la santé et prévention», nature 36 «Charges de transfert»: +100 000 francs pour l'association Diabète Genève. Monsieur Christo Ivanov, à vous le micro.
M. Christo Ivanov (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, c'est un amendement, je dirais, collectif. Il s'agit ici d'accorder une augmentation de 100 000 francs à l'association Diabète Genève, une structure qui s'est radicalement transformée, puisque au départ, elle n'était là que pour soutenir ses membres. Or, aujourd'hui, c'est le seul acteur associatif de prévention en matière de diabète. Je ne vais pas faire trop long, mais investir dans la prévention aujourd'hui, ce sont des économies pour demain. Merci de voter cet amendement pour le bien de toutes et de tous. Je vous remercie.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Je signale à cette assemblée que je suis membre du comité de l'association Diabète Genève et que, partant, je ne participerai pas au vote. Merci.
M. Sandro Pistis (MCG). Le groupe MCG votera cet amendement, mais nous sommes tout de même un peu surpris par la position de l'Union démocratique du centre. L'UDC nous demande d'accepter son amendement pour lutter contre le diabète. Alors très bien, zéro souci pour nous, nous allons soutenir cet amendement, ça coule de source. Mais quant à vous, Mesdames et Messieurs de l'UDC qui avez pris la parole sur le sujet, eh bien votez le budget ! Ne soyez pas hypocrites: si le budget n'est pas adopté, les 100 000 francs supplémentaires qu'on accorde à l'association Diabète Genève tombent à l'eau !
Une voix. Il a raison.
M. Sandro Pistis. Je m'excuse, mais il faut arrêter de nous prendre pour des cons ! (Exclamations.) Vous transmettrez, Monsieur le président. Alors oui, le groupe MCG acceptera l'amendement, mais j'invite le groupe UDC, de son côté, à voter le budget ! A quoi sert-il de donner 100 000 francs... C'est bien 100 000 francs, n'est-ce pas ? ...si on refuse le budget au final ? En ce qui me concerne, j'ai vraiment de la peine avec ce genre de discours à géométrie variable. (Applaudissements.)
Le président. Bien, merci. Mesdames et Messieurs, je constate que cet amendement suscite un certain nombre de demandes de parole. (Commentaires.) Dès lors, je vous propose qu'on fasse d'abord une pause, faute de quoi on ne va pas s'en sortir: avec un tel nombre d'interventions, il nous faudra bien deux heures pour conclure le débat; on ne pourra pas poursuivre avec les autres politiques publiques avant midi et demi !