République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 19 mai 2022 à 20h30
2e législature - 5e année - 1re session - 2e séance
PL 12945-A
Premier débat
Le président. Nous arrivons aux urgences et nous commençons avec le PL 12945-A, classé en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de Mme Céline Zuber-Roy, à qui je donne la parole.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. La commission des Droits de l'Homme a étudié le PL 12945, déposé le 28 avril 2021, au cours de trois séances, en septembre 2021 et mars 2022. Ce projet de loi vise à inscrire le droit à l'intégrité numérique dans la constitution genevoise. Il est la reprise d'une initiative populaire PLR, avortée en raison de la difficulté à récolter des signatures en période de pandémie.
Le développement technologique, en particulier numérique, lance de nombreux défis à notre société. Dans ce cadre, une meilleure protection des citoyens et de leurs données est un enjeu fondamental. Les travaux de la commission ont confirmé qu'il y a un intérêt, sur le plan tant symbolique que juridique, à ajouter un nouveau droit fondamental dans notre constitution. Grâce à l'engagement du département, qui a mis en place un groupe de travail incluant des experts, le texte a pu être amendé afin d'être précisé et complété. Il a ainsi été décidé de créer un nouvel article consacré uniquement à cette thématique plutôt que de la rattacher à un droit déjà existant, comme la protection de la sphère privée et la liberté personnelle. (Brouhaha.) L'objectif est que le nouvel article 21A serve de courroie de transmission entre la liberté personnelle et la protection de la sphère privée. (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Le président. S'il vous plaît ! Un peu de silence, s'il vous plaît.
Mme Céline Zuber-Roy. Merci. Il a également été jugé utile de préciser la notion d'intégrité numérique, car ce concept est récent et n'est pas défini par la jurisprudence. Ainsi, un deuxième alinéa a été prévu pour énoncer, à titre exemplatif, des composantes de ce droit. Sont listés: le droit d'être protégé contre le traitement abusif des données liées à la vie numérique, le droit à la sécurité dans l'espace numérique, le droit à une vie hors ligne ainsi que le droit à l'oubli. Cette définition permet de donner un cadre initial à ce nouveau droit fondamental, mais ne vise en aucun cas à empêcher son évolution au fil du temps à travers la jurisprudence. Un alinéa 3 a également été ajouté afin de lutter contre la fracture numérique. L'Etat se voit ainsi attribuer la mission de favoriser l'inclusion numérique et de sensibiliser la population aux enjeux du numérique. De plus, l'Etat devra s'engager en faveur du développement de la souveraineté numérique de la Suisse.
Pour finir, il convient d'apporter deux précisions. Ce nouvel article ainsi complété paraît suffisamment précis pour ne pas nécessiter de loi d'application. Deuxièmement, en tant que droit fondamental cantonal, il s'appliquera principalement à l'administration cantonale genevoise, aux communes, aux établissements publics autonomes ainsi qu'à tout autre organisme de droit public ou de droit privé chargé d'accomplir des tâches de droit public cantonal ou communal. De ce fait, il serait souhaitable que ce droit, à terme, soit repris au niveau fédéral. Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des Droits de l'Homme vous invite, Mesdames et Messieurs, à accepter le projet de loi amendé.
M. Pierre Vanek (EAG). C'est un droit fondamental nouveau que nous inscrivons dans la constitution. C'est important d'inscrire des droits fondamentaux nouveaux dans la constitution. Je trouve donc qu'on bâcle le travail en traitant ce point en urgence - les gens n'ont pas pu forcément se préparer -, en trente minutes, ce qui me donne par exemple trois minutes de parole, alors que ça va finir en votation populaire ! Je serais donc enclin, et je le ferai à la fin de mon intervention, à demander un renvoi en commission de ce projet de loi. Je pense en effet que dans l'enthousiasme suscité par la matérialisation de l'initiative du PLR qui n'avait pas abouti, la commission a un tout petit peu, je ne dirai pas bâclé le travail, mais elle a été un peu vite en besogne; elle n'a pas abordé tous les aspects de la question.
Il s'agit en effet ici du recyclage d'une initiative PLR dont on nous dit qu'elle n'a pas pu aboutir parce qu'il y avait le covid; mais enfin, la gauche a fait aboutir une, deux initiatives fiscales durant cette période. Je crois aussi qu'elle n'a probablement pas abouti non parce que le sujet est inintéressant, mais parce que les gens n'ont pas bien compris ce que voulait le texte ! L'initiative disait juste: «Toute personne a le droit à la sauvegarde de son intégrité numérique.»
Ensuite, la commission a traité cette affaire - une petite commission; j'ai beaucoup de respect pour la commission des Droits de l'Homme, mais enfin, l'affaire a été traitée par une petite commission de neuf membres, en trois séances. Pourquoi si vite ? Parce que - M. Dal Busco pourra en témoigner tout à l'heure - son département s'est entiché de l'affaire et a mis en route une machine de réflexion autour de cette question. Il a consulté toutes les régies publiques, le préposé à la protection des données, l'Université de Genève, etc., mais le travail législatif «de réflexion», entre guillemets, a été fait par le département qui a soumis un paquet tout prêt à la commission des Droits de l'Homme, et ce n'est pas très bien ! Normalement, les commissions du parlement doivent plutôt faire elles-mêmes le travail sur ce genre de questions - il s'agit en effet de l'introduction d'un nouveau droit fondamental. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
J'ai préparé un amendement que vous avez tous reçu, que j'ai pris la peine de vous envoyer en début de séance, qui rajoute un alinéa formulé comme ceci: «L'intégrité numérique inclut le droit de toute personne à l'information sur les données personnelles numériques qui la concernent et qui sont détenues par autrui, le droit au contrôle effectif de chacune et chacun...»
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. Je conclus ! «...sur ces données numériques personnelles et le droit à la protection contre toute exploitation marchande de ces données qui ne serait pas explicitement autorisée par la personne concernée.» Or ces éléments-là ne figurent pas dans le projet de loi. Le projet de loi prévoit...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. Oui, mais ça démontre bien ce que je disais, Monsieur le président: on ne peut pas discuter dans ces conditions de l'introduction d'un nouveau droit fondamental - ça va finir en votation populaire ! Donc je me tais volontiers, Monsieur le président, mais je demande en conséquence que cet objet soit d'abord renvoyé en commission pour qu'on discute à fond de cette affaire et qu'on se mette d'accord ! Je pense...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. ...qu'on peut se mettre d'accord. Et ensuite, Mesdames et Messieurs...
Le président. J'ai bien compris que vous demandiez le renvoi en commission.
M. Pierre Vanek. ...qu'on en discute ici en prenant un peu plus de temps...
Le président. C'est terminé !
M. Pierre Vanek. ...que la petite demi-heure qui est accordée à l'inscription d'un nouveau droit fondamental... (Le micro de l'orateur est coupé.)
Le président. Voilà. Sur le renvoi en commission, je passe la parole à la rapporteure.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Je remercie le groupe Ensemble à Gauche de me redonner trois minutes de parole - non, excusez-moi, je ne m'exprime pas sur le temps du rapporteur mais sur celui qui est accordé lors d'une demande de renvoi en commission.
Je suis surprise de la position d'Ensemble à Gauche, parce qu'ils étaient présents en commission; si l'opposition à l'alinéa 3 a effectivement donné lieu à une abstention, il n'y a pas eu d'autre proposition. Je comprends donc que M. Vanek regrette de ne pas pouvoir s'exprimer davantage, mais la représentante d'Ensemble à Gauche n'a ni contesté le temps de parole décidé par la commission ni fait d'autres propositions.
J'ai dû être brève dans mes explications relatives au groupe d'experts mis en place par le département; je trouve intéressant, si on regarde l'amendement de M. Vanek et son argumentaire, qu'il se base sur un excellent article du professeur Mahon, figure reconnue en la matière. Ça tombe bien, le professeur Mahon faisait partie du groupe d'experts à l'origine de la proposition d'amendement qui a été intégralement reprise par la commission.
S'agissant d'un droit fondamental, je dois le dire, l'article que nous proposons est assez long si on le compare à ceux relatifs aux autres droits fondamentaux. En principe, ils sont assez brefs. Là, on a déjà trois alinéas et M. Vanek propose d'en rajouter encore; nous pensons qu'il faut au contraire s'en tenir à ce qui a été fait. Un droit fondamental est appelé à rester longtemps - on l'inscrit dans notre charte fondamentale - et c'est la jurisprudence qui le fera évoluer, notamment dans sa définition. C'est comme cela que ça fonctionne et c'est très bien.
Pour ces raisons, je vous invite à refuser le renvoi en commission proposé par M. Vanek, à refuser ensuite son amendement et à accepter le projet de loi tel qu'amendé par la commission.
Le président. Merci, Madame la rapporteure. Le Conseil d'Etat ne souhaitant pas s'exprimer, j'invite l'assemblée à se prononcer sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12945 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est adopté par 46 oui contre 19 non.