République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 28 janvier 2022 à 14h
2e législature - 4e année - 7e session - 41e séance
PL 12806-A
Premier débat
Le président. L'ordre du jour appelle le PL 12806-A. Le rapport est de M. Sandro Pistis, à qui je cède la parole - une fois qu'il se sera installé à la table. (Brouhaha.) Je prie la salle de bien vouloir diminuer le brouhaha. (Commentaires.) Cela concerne toutes les personnes dans la salle: députés et membres du Conseil d'Etat. (Brouhaha.) Je crains de ne pas avoir été entendu ! (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Monsieur le rapporteur, c'est à vous.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Plus de 80% des jeunes ont commencé à fumer avant 21 ans. Les enfants sont la première cible de la cigarette et il faut les protéger. C'est ce que permet ce projet de loi. Il a comme objectif de les protéger dans des situations précises. Les enfants se retrouvent face aux fumeurs quand, par exemple, ils sont dans un préau d'école ou des espaces de jeu. Il faut bien avoir en tête que chaque fumeur est un exemple pour nos enfants et que chaque fumeur qui se montre en public représente une promotion de la consommation de tabac pour nos jeunes.
Ce texte est une avancée pour la prévention et la santé de nos enfants. L'enjeu est considérable et il donne un signal fort. Ce projet de loi a été voté à l'unanimité de la commission de la santé et je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à en faire de même. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je vous remercie de vous rappeler que nous intervenons avec le masque. Monsieur le député Didier Bonny, vous avez la parole.
M. Didier Bonny (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le débat que nous avons aujourd'hui sur le projet de loi intitulé «Renforcement de la protection de la jeunesse contre le tabagisme» fait écho à l'initiative «Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac», qui veut promouvoir la santé des enfants et des jeunes et interdire toute forme de publicité pour les produits du tabac qui leur est adressée, sur laquelle le peuple suisse est appelé à voter le 13 février prochain.
En Suisse, le taux de fumeuses et fumeurs se situe autour de 27%, un tiers étant âgé de 15 à 25 ans. 87% ont commencé à fumer avant 20 ans. Chaque année, le tabac tue 9500 personnes et coûte 5,6 milliards de francs. Il réduit l'espérance de vie de quatorze ans. 85% des cancers du poumon sont dus à la fumée. Ces statistiques font froid dans le dos. Commencer à fumer tôt augmente la probabilité de devenir dépendant à terme, puis de tomber malade.
D'un point de vue environnemental, on estime qu'un tiers seulement des mégots finissent à la poubelle, les autres étant jetés au passage dans la rue ou par la fenêtre. Ils atterrissent dans la nature, polluant les cours d'eau, empoisonnant les animaux et entravant la croissance des plantes. Bien qu'il existe désormais des filtres biodégradables, les cigarettiers misent toujours sur une variante des années 50 qui a besoin de plus d'une décennie pour se décomposer - en microplastiques !
Le tabagisme est donc un problème important de santé publique et toutes les mesures qui permettent de combattre ce fléau sont les bienvenues. Ce projet de loi qui rend sans fumée des espaces extérieurs particulièrement fréquentés par les jeunes, tels que les aires de jeux, les pataugeoires, les terrains sportifs, les patinoires, les piscines ou encore les abords des établissements de formation, des écoles et des garderies, va très exactement dans ce sens. C'est la raison pour laquelle les Vertes et les Verts le soutiendront.
Mme Jennifer Conti (S). Mesdames et Messieurs les députés, il est urgent d'agir pour protéger la santé des jeunes. En pleine pandémie mondiale, ils ont payé et paient le prix cher: cours à distance, fermetures des lieux de loisirs, annulation des vacances, isolement social, un avenir incertain. Des éléments qui pèsent sur leur santé psychique et augmentent les risques en matière d'addiction, en l'occurrence au tabac. Il est fondamental de mettre à disposition de la population des espaces publics sains, propices à leur développement. Il est reconnu que voir des personnes fumer ou des signes de l'usage du tabac comme les mégots contribue à l'initiation au tabagisme chez les jeunes. (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Madame la députée ! (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Poursuivez.
Mme Jennifer Conti. Merci beaucoup. Pour lutter efficacement contre ce phénomène, des pays comme la France, l'Espagne, les Etats-Unis ou encore le Canada ont généralisé la création d'espaces extérieurs sans fumée. Coire est la première ville de Suisse à avoir préservé de la fumée les aires de jeux en 2008. Depuis, de nombreux cantons et communes ont mis en oeuvre des mesures similaires. Mais grâce à ce projet de loi, le canton de Genève va aller encore plus loin et élargir les environnements extérieurs sans fumée aux abords des écoles et des crèches, aux terrains sportifs - y compris les aires réservées aux spectateurs -, aux patinoires, aux piscines, aux terrains de camps de vacances ainsi qu'aux arrêts de transports publics. Avec un périmètre aussi large, si nous votons ce projet de loi, Genève deviendra un canton pionnier en matière de protection de la jeunesse contre le tabac.
Pour terminer, je tiens à remercier l'ensemble des députés qui ont soutenu ce projet de loi dès le début, cosignataires et membres de la commission de la santé, en particulier le rapporteur de majorité, M. Pistis, qui a rendu le rapport rapidement, ce qui nous permet de voter ce projet de loi aujourd'hui. Je vous remercie.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je remercie Mme Conti de ce projet de loi et je remercie le rapporteur de majorité. On est vraiment à la traîne par rapport aux pays européens du point de vue du nombre de fumeurs, puisqu'il y a beaucoup plus de jeunes qui fument en Suisse que dans d'autres pays européens. On voit dans le débat qu'on mène sur la votation du mois de février qu'il y a clairement une très forte pression de l'industrie pour ne pas augmenter les cautèles permettant aux gens d'éviter de fumer. Absolument toutes les études ont démontré qu'à partir du moment où on laisse les jeunes fumer, il est très difficile pour eux d'arrêter et par conséquent de diminuer le nombre de fumeurs. Il faut donc vraiment concentrer ce travail sur les jeunes, se concentrer sur le fait qu'ils ne doivent pas commencer à fumer, et c'est ainsi qu'on arrivera à diminuer le nombre de fumeurs et surtout à diminuer les coûts liés aux problèmes de santé des fumeurs. C'est un problème essentiel, il faut commencer par là. Les mesures que nous préconisons dans ce projet de loi sont tout à fait intelligentes, elles existent déjà dans d'autres pays. Je vous encourage à voter ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, depuis un certain nombre d'années, nous nous sommes habitués à voir sur les paquets de cigarettes cette mention assez paradoxale: «Fumer tue.» Ailleurs, sur un tout autre sujet, ce serait pris comme une menace, comme quelque chose qu'il faudrait éradiquer. Or là, c'est simplement une mention consistant à dire: attention, la fumée peut tuer, elle tue. Et finalement, on continue à vendre des cigarettes, à percevoir des taxes sur les cigarettes et à ne pas s'émouvoir plus que cela.
Nous avons entendu un certain nombre d'experts, dont certains - dont on ne peut pas nier l'expertise - indiquaient très clairement que la cigarette tue un fumeur sur deux. Alors je pense qu'on devrait proposer d'ajouter sur les paquets de cigarettes: la fumée tue un fumeur sur deux; ce ne sera peut-être pas toi, mais ton voisin, ou ce sera peut-être toi et pas ton voisin ! Dans cette banalisation du risque lié à la cigarette réside quelque chose de particulièrement déconcertant et de plutôt inquiétant, puisqu'il y a finalement là un réel danger qui coûte extrêmement cher sur le plan de la santé publique, mais encore plus sur le plan humain. Pourtant, une forme d'impunité au commerce de la cigarette perdure.
Nous savons qu'il est plus facile de ne pas commencer à fumer plutôt que de s'arrêter. Eh bien, l'objectif de ce texte est très clair: il s'agit véritablement d'en finir avec cette banalisation, de ne pas permettre de voir des personnes fumant dans la rue ou autour des places où se concentrent les jeunes et les enfants pour éviter la banalisation de ce message qui laisse à penser que fumer ne tuerait pas tellement, ou en tout cas pas vous.
Pour ces motifs et pour toutes les raisons évoquées par les autres orateurs, il me semble véritablement important de donner un signal clair et de faire en sorte de purger l'espace public de ce message de pseudo-innocuité de la cigarette, qui porte préjudice aux fumeurs, aux personnes qui se trouvent autour d'eux, mais aussi à la société et à la santé de la population. C'est pourquoi nous voterons ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
Mme Danièle Magnin (MCG). Je voudrais remercier les personnes qui ont pris l'initiative de rédiger ce projet de loi, parce que franchement, voir ne serait-ce que les enseignants fumer devant les enfants dans les préaux d'école m'a toujours profondément choquée. Alors bravo, merci à elles et merci à la commission de la santé ! Le projet de loi a été voté à la quasi-unanimité, puisqu'il y a eu une abstention - je ne sais pas pour quelle raison. Franchement, félicitations ! Le MCG se réjouit de voter ce projet de loi. Merci.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est effectivement novateur, puisqu'il complète l'interdiction de fumer dans les espaces clos et accessibles au public par une interdiction de fumer dans certains - je dis bien certains - espaces publics extérieurs ouverts. Il s'agit évidemment de mettre le curseur au bon endroit, parce que j'entends d'ici les fumeuses et les fumeurs dire que les atteintes liberticides se poursuivent.
Il faut, je pense, se pencher sur le texte pour comprendre le but de la commission lorsqu'elle a accepté ce projet de loi. Il s'agit de protéger les personnes les plus jeunes dans des lieux où il n'existe manifestement pas de possibilité d'échapper à la fumée passive. C'est vrai que nous devenons, en tant que non-fumeurs - puisque j'ai la chance d'en faire partie, et ce n'est pas qu'une chance, c'est aussi un choix -, de plus en plus, je dirais, allergiques à la fumée. On voit à quel point même sur les terrasses en été, alors que la fumée est autorisée, cela peut être particulièrement désagréable. Il n'en demeure pas moins que les fumeuses et les fumeurs qui prennent place sur les terrasses continuent, comme ils le faisaient malheureusement par le passé à l'intérieur des restaurants, à fumer sans beaucoup de considération - pour la plupart d'entre eux - pour les personnes à côté, estimant que, tant que c'est autorisé, on peut le faire sans limites, alors qu'avec un peu de circonspection, je pense qu'on pourrait essayer de mieux vivre ensemble.
Il ne s'agit pas ici d'être excessif, puisque ce projet de loi parle des aires de jeux. On imagine volontiers, on l'a vu bien sûr, des parents qui sont avec leurs enfants dans les aires de jeux la cigarette à la main, et c'est vrai que c'est difficilement compréhensible. On parle des patinoires, des piscines, des terrains sportifs, des arrêts de transports publics - c'est le point qui peut-être suscitera une discussion, si quelqu'un décide de recourir devant une cour constitutionnelle. Peut-être que la question se posera de savoir si on va trop loin en faisant en sorte que les fumeurs doivent s'éloigner des arrêts de transports publics pour fumer leurs cigarettes avant de monter dans le bus, et jusqu'à quelle distance ils doivent s'éloigner. C'est un texte que le Conseil d'Etat n'a pas lui-même élaboré. Il y a donc une marge d'interprétation, je ne me prononce pas. Mais il est vrai aussi qu'on n'a pas toujours le choix de ne pas rester à attendre le bus lorsqu'on a un voisin qui fume et qui nous souffle sa fumée dans les narines.
L'objectif est louable et le Conseil d'Etat ne peut évidemment que le soutenir. Maintenant, en ce qui concerne la formulation de certaines des dispositions de cette loi, nous ne pouvons pas, faute d'avoir nous-mêmes procédé à une analyse juridique approfondie, vous dire si elles passeront toutes sans encombre l'analyse potentielle d'une autorité judiciaire supérieure.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Plus personne ne souhaitant s'exprimer, j'ouvre la procédure de vote sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12806 est adopté en premier débat par 66 oui contre 4 non et 7 abstentions.
Le projet de loi 12806 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12806 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 63 oui contre 4 non et 9 abstentions.