République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 10 décembre 2021 à 14h
2e législature - 4e année - 6e session - 37e séance
PL 12611-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous reprenons notre ordre du jour ordinaire avec le PL 12611-A qui est en catégorie II, trente minutes. Avant de céder la parole aux différents rapporteurs, je prie M. le premier vice-président de procéder à la lecture du courrier 4005.
Le président. Je vous remercie. Pour commencer, la parole revient à M. Daniel Sormanni.
M. Daniel Sormanni (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission du logement a examiné ce projet de loi, lequel pose un certain nombre de problèmes. Si les faits tels qu'ils nous ont été expliqués, que la lettre de l'ASLOCA qui vient d'être lue a mis en exergue, peuvent se révéler exacts, il s'agit quand même de quelques rares cas et il est très difficile, voire impossible, de rectifier la situation après coup.
Même s'il est avéré qu'à une ou deux reprises, des actes notariés erronés ont faussé le jeu, si je puis dire, ce qui a occasionné certains problèmes - cela a notamment favorisé celui qui a vendu le bien immobilier -, il n'en demeure pas moins que la commission, après avoir auditionné les auteurs du texte - on voit bien que celui-ci vient de l'ASLOCA, d'ailleurs -, le département, la directrice générale ainsi que deux directeurs de l'OCLPF, en a conclu ceci: le projet de loi porte atteinte à la garantie de la propriété et de la liberté économique, viole le principe de la bonne foi, crée une insécurité juridique et entame le principe des actes authentiques et de la profession des notaires. Enfin, il y a une absence de cause juridique pour un paiement qui se ferait en main de l'Etat.
En résumé, suite à l'audition des auteurs et du département, la commission s'est aperçue que le texte n'est absolument pas praticable, engendrerait une insécurité juridique ainsi que d'énormes problèmes d'application de la LDTR. Bien qu'il soit reconnu que des actes notariés inexacts ont été délivrés, le présent objet ne résout en rien la question. C'est la raison pour laquelle, à une très large majorité - enfin, à sa majorité -, la commission l'a refusé et vous invite à faire de même. Merci.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de première minorité. A entendre le rapporteur de majorité, pour respecter la liberté du commerce, on peut sans autre accepter des fraudes ou des actes notariés faux. Voilà, on apprend ça ! Aussi, Mesdames et Messieurs, si un notaire délivre un faux, vous pouvez y aller, il n'y a pas de problème: grâce au principe de la liberté du commerce, vous pouvez y aller ! Non, je crois que le département s'est un tout petit peu égaré dans ce dossier, il aurait dû prêter davantage attention à ce qu'on propose.
Qu'est-ce qu'on propose ? Un dispositif pour lutter contre la vente d'appartements à la découpe. Il y a eu un faux, oui: à l'époque, l'immeuble en question était en SIAL, c'est-à-dire en société immobilière d'actionnaires-locataires, donc il aurait dû être vendu en totalité, et non à la découpe comme ça a été le cas. La transaction s'est effectuée sur la base d'un faux acte notarié. Un faux acte notarié, Mesdames et Messieurs ! Ensuite, comme c'est souligné dans la lettre de l'ASLOCA, un bénéfice a été réalisé sur la base de cette opération.
Que prévoit ce projet de loi ? Je vous le lis, c'est très simple, il n'y a pas de quoi alléguer une atteinte à la liberté du commerce: «Si une autorisation de vente a été accordée sur la foi d'un acte notarié dont le contenu s'avère inexact ultérieurement, et que l'autorisation n'aurait pas été accordée en l'absence de cette inexactitude, le vendeur et l'acquéreur bénéficiaire de ladite autorisation, même s'ils étaient de bonne foi, ainsi que les vendeurs subséquents doivent restituer au département tout bénéfice réalisé en cas de revente de l'appartement.» Cela signifie, Mesdames et Messieurs, que les personnes qui ont acheté un appartement le conservent. Elles le conservent ! Seulement, le profit engrangé par ceux qui ont conclu la vente sur la base d'un faux acte notarié est reversé au département et sera ensuite utilisé pour des oeuvres d'utilité publique.
Mesdames et Messieurs, ce texte combat la fraude et la vente d'appartements à la découpe. Je ne comprends pas, nous ne comprenons pas comment il est possible que le département s'y oppose. D'abord, il faut de toute façon condamner les personnes ayant dressé un faux acte notarié - c'est la première chose - et ensuite, si le département considère que ce qu'on propose ici ne lui convient pas ou ne correspond pas aux normes légales, alors qu'il nous soumette une autre disposition qui permette d'en finir avec ces affaires.
En effet, il n'y a pas que ce cas-ci, Monsieur le chef du département - permettez-moi, Monsieur le président, de m'adresser au conseiller d'Etat -, d'autres actes ont été signifiés à l'ASLOCA. C'est un problème qui existe ! Mesdames et Messieurs, eu égard à ce que je vous ai indiqué, je vous demande de bien vouloir voter ce projet de loi. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Monsieur Pagani, vous aviez demandé la parole en remplacement de M. Pierre Bayenet ? (Remarque.) Oui, pour le rapport de deuxième minorité. Ah, vous avez changé ? (Remarque.) C'est M. Cruchon, maintenant, d'accord. Alors, Monsieur Cruchon, vous avez la parole.
M. Pablo Cruchon (EAG), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, en tant que rapporteur de deuxième minorité, le groupe Ensemble à Gauche va vous exposer la raison pour laquelle il est important d'accepter ce projet de loi. Il est très important de l'adopter, et pourquoi ? Parce qu'il faut protéger la nature de la LDTR.
La LDTR a été créée à une fin quasi unique, à savoir préserver le parc locatif en ville. Face à la pression des promoteurs immobiliers, à la nécessité de réaliser des bénéfices sur les logements, qui représentent une source de profit considérable, surtout quand il y a une abondance de capitaux comme maintenant, il fallait protéger le parc locatif afin qu'il ne se retrouve pas complètement disloqué. Concrètement, qu'est-ce que ça voulait dire ? Ça voulait dire interdire la vente à la découpe, un procédé qui consiste à vendre les biens appartement par appartement, puis à les mettre en propriété par étage alors qu'il s'agit de logements locatifs.
Ce phénomène s'est fortement produit par le passé, la LDTR l'a combattu. Je rappelle qu'une votation a eu lieu il n'y a pas si longtemps, M. Zacharias voulait réintroduire l'idée des congés-vente, c'est-à-dire mettre les locataires à la porte pour vendre les appartements en PPE et ainsi disloquer les immeubles, et la population s'est largement prononcée là contre. Le Conseil d'Etat comme la commission du logement et notre Grand Conseil devraient être bien inspirés de suivre ce que le peuple a dit, à savoir: «Nous devons protéger le parc locatif, un parc locatif toujours plus menacé par la soif de profit des gros groupes immobiliers et des promoteurs.» Ce projet de loi va dans ce sens.
Pourquoi va-t-il dans ce sens ? Parce qu'il instaure une condition supplémentaire en cas de fraude constatée. Je signale que quatre cas ont été relevés jusqu'à maintenant, et on peut se dire que si quatre cas ont été repérés, il y en a sans doute bien plus en sous-main. Le contournement de la loi par un acte notarié erroné, à dessein ou non, non seulement a des conséquences pour les personnes qui habitaient le logement, qui ont dû le quitter ou l'ont vendu, mais des profits indus ont été réalisés.
Le problème, c'est qu'actuellement, les procédures pénales ne permettent pas de récupérer ces bénéfices illégitimes engrangés grâce à une autorisation qui n'aurait pas dû être donnée. Avec ce projet de loi, l'Etat disposerait d'un moyen de plus pour faire respecter le cadre légal de la LDTR et protéger le parc locatif contre les intérêts financiers des plus puissants, le tout dans l'intérêt de la collectivité. C'est pourquoi le groupe Ensemble à Gauche vous invite à le soutenir. Merci.
M. Sébastien Desfayes (PDC). Le PDC votera contre ce projet de loi qui porte atteinte à des principes cardinaux de l'ordre juridique suisse. J'ai entendu le rapporteur de première minorité se référer à la liberté du commerce et de l'industrie; non, le fondement constitutionnel qui est violé dans ce texte, c'est la garantie de la propriété.
Pour réagir au contenu du courrier de l'ASLOCA, une limitation de la garantie de la propriété, comme pour tout droit fondamental, n'est possible que s'il existe un intérêt juridique. Ce projet de loi vise à augmenter la sanction en cas d'acte authentique faux, ce qui n'est pas possible. Si le Tribunal fédéral fait une pesée des intérêts lors de l'atteinte à une garantie constitutionnelle, l'alourdissement de la peine ne peut en aucun cas justifier une telle violation.
Il y a un autre problème avec cette proposition, c'est celui de la sécurité juridique ou plus exactement de l'insécurité juridique qui en résultera. Imaginons qu'une vente soit réalisée, puis une vente postérieure, puis une autre, il y aurait plusieurs propriétaires successifs de bonne foi et on leur dirait, cas échéant dix ans après: «Toutes les transactions sont considérées comme nulles, vous devez restituer le logement.» Il s'agit d'une atteinte grave au principe de la sécurité juridique !
Par ailleurs, le rapporteur de majorité l'a évoqué, lors de l'exécution d'un transfert de propriété ou de tout acte relatif aux droits réels, on doit pouvoir se fier aux actes notariés; douter de ceux-ci, c'est contrevenir à un principe pourtant clair de notre ordre juridique. Il est d'ailleurs étonnant que le projet de loi institue les mêmes mécanismes pour un acquéreur de bonne foi; cela revient à punir de manière excessive des acheteurs honnêtes. Pour conclure, je relève qu'en cas de titres faux, le droit pénal prévoit des sanctions. Merci.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). On a affaire ici à un projet de loi ASLOCA, fait par l'ASLOCA pour l'ASLOCA. Mes préopinants de gauche ont indiqué que quatre cas d'abus avaient été constatés. Or durant les travaux de commission, le département n'en a mentionné que deux et M. Velasco, lors de sa présentation, n'a pas pu en citer d'autres que les deux préalablement évoqués. Le premier a été tranché au Tribunal fédéral et le second est en cours d'examen par le département, il est donc faux de prétendre que rien n'est entrepris; en l'occurrence, le dossier est à l'analyse actuellement.
Maintenant, revenons au projet de loi. Au cours de sa présentation par le deuxième signataire, quelque chose nous a sauté aux yeux: le cas de figure incriminé n'a pas plu à l'ASLOCA car la loi actuelle ne lui permettait pas d'avoir gain de cause selon sa vision. Aussi, qu'a-t-elle fait ? Elle a décidé de modifier la loi ! C'est malheureusement la limite de notre exercice parlementaire: nous n'édictons pas des lois parce que nous ne sommes pas satisfaits d'un jugement.
Lors de son audition, le département a justifié son refus pour quatre motifs. Sébastien Desfayes en a fait mention, je vais les rappeler également, puisque apparemment, ils ne sont pas clairs pour M. Velasco. Le premier, c'est la violation de la garantie de la propriété et de la liberté économique. En l'occurrence, un alourdissement de la sanction ne constitue pas un but d'intérêt public.
Ensuite, il y a l'atteinte au principe de la bonne foi qui va créer une insécurité juridique, car la sanction prévue dans le projet de loi s'appliquera à tous les acteurs économiques, y compris ceux qui sont de bonne foi. On viole ici l'un des fondements de tout ordre juridique. La situation installée ne devrait pas pouvoir être remise en cause lorsqu'un acte notarié est réalisé sous seing privé. Aujourd'hui, il existe un moyen pour reconsidérer un contrat, c'est le recours à la justice.
Le troisième point, c'est le principe des actes authentiques et de la profession des notaires qui doit être respecté. Les notaires ne sont pas tous de vilains filous, pas plus que les promoteurs immobiliers ou les propriétaires - mais là, je sais que je n'aurai pas gain de cause auprès de mes chers amis de la gauche.
Enfin, quatrième argument, c'est l'absence de cause juridique pour un paiement qui se ferait en main de l'Etat. Le dispositif prévoit une restitution des montants perçus. Or l'Etat n'ayant jamais possédé cet argent, il s'agirait d'une amende déguisée. Mesdames et Messieurs, le PLR vous invite à refuser ce projet de loi qui a été élaboré par une partie déboutée et déçue; un texte législatif n'a pas pour vocation de satisfaire des mécontents. Merci donc de le rejeter.
M. Pablo Cruchon (EAG), rapporteur de deuxième minorité ad interim. J'aimerais réagir aux propos qui ont été tenus par la droite, lesquels ne concernent que l'aspect juridique. Aucun argument de fond n'a été avancé sur les cas présentés, sur la fraude, sur le fait que des immeubles à visée locative sont transformés, vendus à la découpe au détriment de l'intérêt prépondérant de la population. Là-dessus, rien n'est dit ! On se cache derrière des normes légales en s'exclamant: «Ça ne va pas, ça ne va pas !» Mesdames et Messieurs, vous étiez libres, en commission, d'émettre des propositions pour que le texte vous convienne du point de vue législatif, mais qu'on s'attache tout de même à lutter contre les phénomènes de fraude et de contournement de la loi qui permettent à certains de s'en mettre plein les poches.
Par ailleurs, le principe de la sécurité juridique selon lequel un bien mal acquis demeure acquis, et tant pis pour le reste du monde, est complètement imbécile ! Le vol n'est pas autorisé, que je sache; quand quelqu'un revend quelque chose de volé, ça s'appelle du recel. Je ne vois pas pourquoi une personne qui a acquis un bien immobilier sur la base d'un faux acte notarié pourrait continuer à en jouir sous prétexte que c'est méchant de lui piquer son logement ou l'argent qu'il a gagné ! Redescendez sur terre ! Vos discours sur la mendicité ne s'appliquent plus quand il s'agit de dilapider les biens publics et de desservir les intérêts de la collectivité. Par conséquent, je vous remercie de voter ce projet de loi...
Ah non, pardon, encore un dernier détail: on nous dit que c'est un projet de l'ASLOCA pour l'ASLOCA, déposé parce que l'ASLOCA est mécontente. Mais qui est l'ASLOCA ? C'est l'association des locataires, elle représente des dizaines de milliers de personnes dans ce canton. Aussi, quand vous dites que l'ASLOCA est mécontente, eh bien ce sont les locataires qui sont mécontents, ce sont les gens confrontés à la pénurie qui n'arrivent pas à trouver de loyer abordable parce que vous, Mesdames et Messieurs, n'arrêtez pas de frapper sur le clou, cherchez à tout prix à privatiser les espaces, essayez de liquider le parc locatif, restreignez l'accès aux logements sociaux. Vous démantelez tout cela, puis vous vous écriez: «Ouh, l'ASLOCA est mécontente !»
Bien sûr que l'ASLOCA est mécontente, bien sûr que les locataires sont mécontents, bien sûr que la majorité de la population est mécontente de la politique du logement que vous imprimez dans ce parlement, une politique au service de vos petits copains qui s'en mettent plein les poches. Alors merci de voter ce projet et d'arrêter de faire vos pleurnicheuses ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. Je rappelle qu'on s'adresse à la présidence dans cette salle. Madame Barbier-Mueller, le PLR ne dispose plus de temps de parole. Monsieur Alberto Velasco, c'est à vous pour deux minutes et quarante-quatre secondes.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Je voudrais signaler à mon collègue Desfayes - si vous permettez, Monsieur le président - que la garantie de la propriété n'est pas remise en question par la disposition que nous proposons, puisque les personnes qui ont acquis un appartement le gardent, il n'y a aucun problème. Il faut bien le souligner, car il y a apparemment une confusion à ce sujet.
Non, ce qui est mis en cause, ce sont les bénéfices réalisés lors d'une transaction basée sur un faux acte notarié. A cet égard, je précise à l'attention de ma collègue Mme Barbier-Mueller que je ne fais pas le procès de la profession de notaire. Je suis d'accord avec elle: nombre d'entre eux sont honnêtes, mais ceux qui ne le sont pas, les véreux, doivent être mis à l'index, parce que d'autres notaires en pâtissent, et c'est ce que nous mettons en exergue ici.
Quant à la sécurité juridique, Mesdames et Messieurs, je ne vois pas en quoi elle serait affectée. On relève un fait qui s'est passé dans le canton, pas une seule fois, mais deux; c'est déjà trop. Une fois, c'est déjà beaucoup; deux fois, c'est trop. La moindre des choses, c'est que le département intervienne. A la rigueur, qu'il renforce cette sécurité juridique, mais il ne peut pas tout simplement dire: «Non, nous ne pouvons pas agir, nous ne faisons rien parce que cela porte atteinte à la sécurité juridique.»
Je le répète: les personnes qui ont acquis un logement dans le cadre de ces transactions le conservent, elles ne sont pas touchées par la mesure. Tout ce qu'on demande, c'est que dans le cas d'espèce, le bénéfice de 2 410 000 francs qui a été engrangé revienne au département pour être affecté au logement social ou à des activités d'utilité publique. C'est la seule chose qu'on exige, et ça vous semble déjà beaucoup. Ça vous semble beaucoup !
En refusant ce projet de loi, vous dissimulez la vérité, vous admettez qu'on peut conclure des opérations sur la base de faux dans ce canton et que cela profite à quelques-uns. Mesdames et Messieurs, je suis parfaitement choqué d'entendre mes collègues députés signifier que ce projet de loi contrevient à l'intérêt public. Voilà, merci.
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai été surpris par l'intervention de ma collègue Diane Barbier-Mueller, qui a l'air de ne pas comprendre notre travail de parlementaires. La mission qui nous a été confiée, à nous députés, c'est de modifier la loi. Lorsque celle-ci ne convient pas, lorsque les choses ne fonctionnent pas comme elles devraient, le Grand Conseil légifère. Cela me semble constituer le b. a.-ba de la politique, et je suis donc extrêmement étonné des propos qu'elle a tenus dans cette enceinte. Merci.
M. Daniel Sormanni (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, dans cette affaire, il faut d'abord savoir qu'on n'est pas du tout dans le cadre des fameux congés-vente que d'aucuns ont condamnés - et nous aussi, d'ailleurs. En réalité, il y a extrêmement peu de ventes d'appartement aujourd'hui tant la loi est restrictive. Je relève en outre que s'il fut un temps où la vente à la découpe était juteuse pour les promoteurs immobiliers, ce n'est plus le cas à l'heure actuelle, les bénéfices se font sur la vente des immeubles et non sur la vente à la découpe. Ce n'est pas une justification, simplement un constat.
Maintenant, si on établit que la loi ne convient pas, d'accord, on peut la modifier, mais il faut qu'elle soit applicable, on ne peut pas créer un dispositif qui sera contesté parce qu'il viole la garantie de la propriété et de la liberté économique, et à coup sûr cassé par le Tribunal fédéral.
Le département est attentif à cette problématique. Comme cela a été signalé tout à l'heure, l'un des cas a été traité au Tribunal fédéral, l'autre est à l'étude en ce moment au département. Celui-ci fait son travail, ses représentants sont venus nous le dire en commission, ils nous ont exposé leurs arguments - les quatre points essentiels qui ont été cités, que j'ai moi-même évoqués au départ. On ne peut pas soupçonner le département du territoire - M. Hodgers, aux dernières nouvelles, est toujours membre du parti des Verts, donc de l'Alternative - de ne pas vouloir agir.
Le projet est contesté simplement parce qu'il n'est pas constitutionnel ni praticable, voilà tout. A un moment donné, il faut se rendre compte que cela n'a pas de sens de se donner bonne conscience en votant un texte tout en sachant pertinemment qu'il ne pourra pas être appliqué. Qui plus est, il serait extrêmement compliqué de mettre ce dispositif en oeuvre quand bien même le projet de loi serait validé. Non, on est à côté la plaque, ce n'est pas comme ça qu'on résoudra le problème.
Il est bien clair que pour qu'une mesure de ce genre passe, une mesure qui restreint le principe constitutionnel de la liberté économique, il faut un but d'intérêt public, et non d'intérêt privé. Or le département du territoire est venu nous dire qu'il ne voyait pas quel était le but d'intérêt public poursuivi ! De toute façon, il n'est pas possible de mettre en pratique ce projet de loi, c'est le constat auquel une large majorité de la commission du logement est arrivée, comme je l'ai indiqué tout à l'heure. Voilà pourquoi elle a refusé ce texte et vous invite à faire de même. Merci.
Le président. Je vous remercie. Monsieur Pablo Cruchon, vous avez la parole pour trente-neuf secondes.
M. Pablo Cruchon (EAG), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je souhaiterais réagir aux propos du député Sormanni, qui soutient que le projet n'a rien à voir avec la vente à la découpe. Au contraire, il s'agit précisément d'astuces... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...pour contourner les lois ! D'ailleurs, le PLR et le MCG en font leur cheval de bataille, puisqu'ils ont déposé, le 20 septembre dernier, un texte pour assouplir les règles dans ce domaine, pour favoriser la vente à la découpe, pour disloquer le parc locatif en ville de Genève...
Le président. Merci...
M. Pablo Cruchon. ...et ce au détriment de la population. Mesdames et Messieurs, je vous invite à faire de ce projet de loi un exemple...
Le président. Merci !
M. Pablo Cruchon. La population s'est déjà prononcée, à nous de le confirmer: nous refusons les ventes à la découpe et les arnaques de ce genre ! Merci.
Le président. La parole revient à M. Alberto Velasco pour vingt-cinq secondes.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. M. Sormanni - vous transmettrez, Monsieur le président - a une foi sans limites dans le département ! A ce niveau, ça relève vraiment de la foi ! Aucun tribunal, que je sache...
Le président. Merci...
M. Alberto Velasco. ...n'a reconnu les arguments...
Le président. Merci !
M. Alberto Velasco. ...émis par le département. Non, Monsieur Sormanni, c'est juste le département qui le dit, voilà tout ! Tout simplement !
Le président. Merci, Monsieur.
M. Alberto Velasco. Il peut avoir raison ou pas, mais s'il vous plaît, ne vous en remettez pas à la foi !
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas si c'est de la foi, mais c'est sans doute une lecture un peu plus pragmatique de la situation qu'il faut présenter concernant ce projet de loi. Tout d'abord, à la connaissance du département, seules deux ventes se sont produites de manière non conforme à la loi à cause d'actes notariés inexacts. Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat estime que ces deux cas sont choquants et qu'il est juste de réagir face à des comportements qui, parce qu'ils violent la loi, parce qu'ils portent atteinte au principe de la bonne foi, ont des conséquences négatives, ici notamment la soustraction de logements du marché locatif.
Cela étant, le premier constat que nous devons dresser, du moins en ce qui concerne le département, c'est que les procédures judiciaires qui entourent ces deux cas de faux ne sont pas achevées. Il est dès lors quelque peu cavalier de la part de l'ASLOCA ou de ses représentants de chercher à modifier la loi alors que des processus sont en cours. Naturellement, si une loi se révélait être une passoire, que tous les recours avaient été épuisés et que le Tribunal fédéral venait finalement à ratifier une pratique illégale, eh bien il s'agirait d'un trou dans le corpus législatif qu'il nous appartiendrait collectivement de combler; je suivrais l'ASLOCA si nous étions dans une situation où il serait avéré qu'il y a une brèche dans le bouclier et que tout le monde pourrait s'y engouffrer parce que les autorités et les juridictions suprêmes l'auraient confirmée.
Mais tel n'est pas le cas, Mesdames et Messieurs. Et cela renverse les choses, parce qu'en l'occurrence, l'ASLOCA fait un procès au département, respectivement à la LDTR, lui reprochant de ne pas être assez solide, d'avoir laissé passer ces deux malheureux abus. Or le département et la justice civile n'ont pas dit leur dernier mot. Aussi, la première des choses serait à tout le moins d'attendre la fin des procédures judiciaires, puisqu'il ne s'agit que de deux cas et que ce n'est pas un contexte général dans lequel nous vivons.
D'autre part, la manière dont le projet de loi est rédigé est problématique au sens de l'intérêt public défendu. Pourquoi ? Parce que contrairement à ce que soutient M. Cruchon, ce texte ne protège pas le parc locatif: il admet que des ventes à la découpe ont déjà eu lieu et que les nouveaux propriétaires peuvent conserver leur bien immobilier. Il n'y a pas de retour à la situation antérieure, c'est-à-dire qu'on n'en revient pas à des appartements locatifs, on maintient la situation issue de la fraude, mais en demandant à l'administration d'encaisser la plus-value réalisée dans le cadre de l'opération immobilière.
Or, Mesdames et Messieurs les députés de la gauche qui avez initié ce projet de loi, ce bénéfice n'appartient pas à l'Etat, la transaction a été effectuée entre deux contractants privés. Sous quel motif l'Etat viendrait-il s'approprier une somme qui ne lui appartient pas ? Et qui, à aucun moment, ne lui a appartenu ? Cela soulève un problème fondamental, et chacun comprendra l'incompatibilité de ce dispositif avec le droit supérieur. L'Etat prélève légalement de l'argent par l'impôt, par des lois très précises qui indiquent à quel moment il est en droit de le faire, mais il ne peut pas s'attribuer un montant issu d'un contrat civil, quand bien même celui-ci aurait été frauduleux. Il revient bien à la justice civile d'aller de l'avant dans ces dossiers et de rétablir la situation en redistribuant les profits réalisés aux vrais bénéficiaires, qui sont issus du monde privé.
C'est un principe cardinal, d'autant plus que comme cela a été souligné, si l'on revient au coeur de l'affaire, il s'agit bien de faux. Alors soit ce sont des faux de mauvaise foi de la part des notaires, ce qui est très grave et comporte un enjeu pénal sur lequel le Ministère public doit se pencher - et l'ASLOCA a tout loisir d'agir sur dénonciation -, soit il y a une dimension de bonne foi, auquel cas c'est la compétence même du notaire qui est mise en cause, et dans cette situation, les autorités de surveillance de l'activité notariale, qui est une activité souveraine de l'Etat effectuée par délégation à des privés, doivent intervenir. Là encore, il faut que les procédures aillent jusqu'au bout avant que nous puissions venir ici avec un projet dans l'optique de légiférer.
Mesdames et Messieurs les députés, ces affaires sont graves et importantes. A notre connaissance, il n'y en a eu que deux jusqu'à maintenant. Je vous propose, Mesdames et Messieurs les initiants, d'attendre la fin des procédures judiciaires, de voir ce que les tribunaux vont statuer, d'établir un constat global une fois que les cas auront été jugés de manière définitive, et s'il reste une brèche dans notre arsenal LDTR, nous travaillerons ensemble pour la colmater. En l'état, ce projet de loi arrive beaucoup trop tôt.
Le président. Je vous remercie. L'usage veut qu'on ne s'exprime pas après le Conseil d'Etat, mais M. Cruchon m'a assuré qu'il serait bref pour une question de procédure.
M. Pablo Cruchon (EAG), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Etant donné la position de M. Hodgers, je propose un renvoi à la commission du logement.
Le président. Bien, merci. M. Velasco aimerait-il réagir à cette requête ?
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de première minorité. Oui, Monsieur le président, merci. Eu égard aux propos tenus par le président du département, il nous semble intéressant de retourner en commission en attendant que les faits soient jugés. Merci.
M. Daniel Sormanni (MCG), rapporteur de majorité ad interim. La majorité refusera le renvoi en commission de ce projet de loi qui, dans tous les cas, si j'ai bien compris les propos de M. Hodgers, serait illégal. Je pense qu'il faut le rejeter aujourd'hui. Nous aurons éventuellement l'occasion, après les procédures judiciaires, de nous reposer la question - pourquoi pas sur l'initiative du magistrat ?
Le président. Je vous remercie. Est-ce que le Conseil d'Etat désire s'exprimer sur la proposition de renvoi en commission ? Ce n'est pas le cas, aussi nous procédons directement au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12611 à la commission du logement est rejeté par 56 non contre 38 oui.
Mis aux voix, le projet de loi 12611 est rejeté en premier débat par 55 non contre 26 oui et 14 abstentions.