République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 9 décembre 2021 à 20h30
2e législature - 4e année - 6e session - 35e séance
R 886
Débat
Le président. Nous terminons notre séance avec la R 886. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à M. le député André Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. Je demande le renvoi en commission de cette résolution. Dans ce texte, il est simplement question de demander que le taux de chômage soit établi sur le système BIT, c'est-à-dire selon les mêmes critères que ceux de l'Union européenne. (Remarque.) Il est essentiel de renvoyer cette résolution en commission, parce que pour parler de tout type de politique de l'emploi, il faut appliquer à la base les mêmes critères et les mêmes références. Merci de renvoyer cet objet en commission.
M. Serge Hiltpold (PLR). Nous avons brièvement traité cet objet à la commission de l'économie. Je mentionnerai à l'intention du plénum que nous venons de traiter en parallèle la M 2567, qui portait justement sur ce taux de chômage évalué selon les critères du BIT - donc qui comprend les demandeurs d'emploi et les chômeurs; on a pu relever les différences qui existent entre ces deux chiffres, l'un des deux se basant sur des catégories beaucoup plus précises. Je vous invite à traiter cette proposition de résolution sur le siège et à la refuser. Merci, Monsieur le président. (Commentaires.)
M. François Lefort (Ve). Je m'en veux de faire de la peine au premier signataire de ce texte, mais, comme l'a dit M. Hiltpold, nous avons déjà traité ce sujet en commission et nous sommes un peu en retard, c'est pour cela que cet objet se retrouve en délai de traitement dépassé. Mais il ne faut pas oublier ce que demande cette proposition de résolution: elle demande que la Confédération utilise ce taux du BIT comme taux officiel pour chiffrer le chômage. Ce n'est évidemment pas possible, parce que ce taux n'est pas un chiffre précis: c'est un sondage trimestriel. Par ailleurs, la Confédération utilise cette référence dans l'évaluation du chômage. L'évaluation officielle est basée sur les chiffres communiqués par les différents ORP. Cette méthode est de toute façon pratiquée par tous les pays européens, qui utilisent leurs chiffres officiels issus des ORP, qui enregistrent les gens vraiment inscrits dans leurs offices de chômage et également le taux BIT propre à leur pays.
Il est donc hors de question pour nous qu'un sondage devienne le chiffrage officiel du chômage en Suisse. Je vous propose, comme M. Hiltpold, de voter sur le siège et de refuser cet objet.
M. Rémy Pagani (EAG). Je m'étonne de ces prises de position des uns et des autres. Nous étions en faveur du renvoi en commission, puisque ce sujet a déjà été traité à la commission de l'économie, comme l'a dit M. Hiltpold. Mais comme le débat est ouvert, je dirai sur le fond que, comme l'a relevé Mme Fontanet dans le cadre du budget avorté - si j'ose dire -, Genève a un taux de chômage élevé, dû à toute une série de facteurs. Or certains chômeurs - les chômeurs malades, par exemple - ne sont pas répertoriés aujourd'hui, ils sont sortis des statistiques; d'autres chômeurs sont sortis des statistiques pour d'autres raisons, cela nous a été précisé en commission. Et puis, pire que ça - pire que ça ! -, on est passé d'un chômeur digne qui demande du travail à un assisté social, en transférant les chômeurs en fin de droit à l'Hospice général et en les stigmatisant ! Nous avons toujours dénoncé cette manière de procéder. De fait, cela vise à cacher le véritable taux de chômage. D'ailleurs, de manière générale, on lit dans les journaux internationaux que la Suisse n'a pas de chômage, mais en fait, tout ça est un peu de l'esbroufe, parce que ce taux est nettement supérieur à ce que les autorités défendent ! Nous souhaitons donc que les normes internationales soient appliquées, qu'il y ait les mêmes critères partout, non pas pour stigmatiser les chômeurs, mais pour montrer que le système capitaliste a structurellement besoin du chômage pour faire pression sur la masse salariale, sur les salariés, afin d'amasser encore plus vite du capital. On l'a vu ces cinq, six dernières années: les fortunes des super riches ont doublé, c'est ça qu'il est essentiel de protéger, et on instrumentalise le chômage contre celles et ceux qui produisent la richesse. Je vous remercie de votre attention.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames et Messieurs, chers et chères collègues, comme l'ont rappelé nos collègues Serge Hiltpold et François Lefort, nous avons effectivement traité cet objet en commission de façon approfondie et nous sommes arrivés à la conclusion que les chiffres du BIT - cela a été rappelé, mais j'aimerais le répéter ici puisque certains ne semblent pas l'avoir compris - ne sont pas une statistique: c'est un sondage qui porte sur un nombre limité de demandeurs d'emploi. Ce n'est pas une statistique mensuelle, c'est un sondage trimestriel qui ne donne pas du tout des résultats correspondant à la situation réelle du chômage. Ces chiffres sont utilisés par le SECO, ils sont complémentaires aux statistiques du chômage, et avec la façon de procéder actuelle, nous obtenons une image tout à fait représentative d'une part du nombre de demandeurs d'emploi et d'autre part du nombre de chômeurs. On ne peut pas remplacer systématiquement une statistique précise par un simple sondage qui concerne un nombre limité de personnes. Au nom du groupe démocrate-chrétien, je vous recommande de voter sur le siège et de refuser cette proposition de résolution. Je vous remercie.
M. André Pfeffer (UDC). J'aimerais quand même apporter quelques compléments. Il est évident que le taux de chômage prend en compte plusieurs critères, et le nombre de personnes inscrites aux offices régionaux de placement est bien entendu un critère important. Par ailleurs, comme l'ont mentionné plusieurs personnes, il s'agit d'un calcul qui ne requiert pas d'interprétation. Mais tous les pays de l'Union européenne utilisent le taux de chômage BIT; on prend donc en compte, en plus du nombre de personnes inscrites au chômage, le nombre de celles qui recherchent un emploi.
Je vous donne deux chiffres: actuellement, à Genève, le dernier taux de chômage annoncé était de 4,9%; il était basé sur le taux de chômage SECO, donc ce qui s'applique en Suisse. Mais si nous appliquons le taux de chômage BIT, Genève est à 11,7%. Actuellement, en France, le taux s'élève à 7,9%. A Genève, nous avons donc plus de 30% de chômage de plus qu'en France. (Remarque.) Je pense qu'il est important de prendre en compte cet élément. Pour être crédible, toute politique liée au chômage doit absolument se baser sur des critères identiques, sur des éléments comparables. Autrement, ça n'a aucun sens.
Ensuite, cette résolution est tout à fait importante, parce que s'il est vrai que la Suisse et Genève calculent également un taux de chômage selon la définition du BIT, cela est fait d'une manière tout à fait indicative et un peu légère. Je précise que plutôt que d'effectuer correctement un travail de fond, actuellement, on établit les estimations pour le taux BIT en Suisse et à Genève sur seulement quelques milliers de personnes sondées; la qualité de ces estimations est donc vraiment discutable. C'est pour cela que je pense que cette résolution mérite de retourner en commission pour que l'on mène un vrai débat sur ce sujet. Merci de votre compréhension.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je rends la parole à M. le député François Lefort pour une minute et cinquante et une secondes.
M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Il semblerait qu'il y ait une incompréhension, et pourtant les membres de la commission le savent: la Confédération utilise le taux de chômage BIT. Elle a d'ailleurs émis une référence à ce sujet, qui est consultable par tout un chacun sur le site de l'administration fédérale. Le taux de chômage BIT comprend toutes les personnes qui ne sont pas occupées par rapport à la population active réelle; il comprend donc les personnes qui pourraient faire partie de cette population active, mais qui ne travaillent pas et qui ne sont pas inscrites au chômage. Le taux officiel de la Suisse dépend, lui, des chiffres des ORP, qui sont compilés par le SECO.
La situation est bien sûr imparfaite, mais suivre l'idée de l'UDC tendrait à rendre le taux de chômage incompréhensible. Tous les pays européens cités par M. Pfeffer utilisent aussi comme référence le taux BIT. Mais de toute façon, la référence pour rendre compte du nombre de personnes qui cherchent vraiment un travail est celle des gens inscrits au chômage.
Par ailleurs, tout ce qu'a dit M. Pagani était juste; il a dit beaucoup de choses justes. Mais on ne peut pas adopter cette proposition de résolution, qui demande que le taux de chômage au sens du BIT devienne le taux officiel de la Suisse. La façon de calculer le chômage par le BIT est un sondage trimestriel, qui prend en compte les gens qui pourraient travailler mais qui ne sont pas forcément inscrits au chômage. Pour cette raison-là, nous n'allons pas suivre la proposition de renvoyer cet objet à la commission de l'économie. Nous avons étudié cette question; l'idée de la proposition de résolution est de demander que le taux de chômage officiel soit celui du BIT: cela n'est pas possible. Ce n'est qu'un sondage, qu'une évaluation, qui n'est pas juste.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je cède à nouveau la parole à M. le député Rémy Pagani pour cinquante-cinq secondes.
M. Rémy Pagani (EAG). Merci, Monsieur le président. Je m'inscris en faux contre ce que vient de dire M. Lefort. J'ai travaillé vingt ans avec des chômeurs, et cela fait longtemps que je connais cette situation. Elle est proprement scandaleuse, parce qu'elle repose sur un paradoxe: la Suisse a besoin de montrer à l'économie mondiale que son taux de chômage est bas; on ne prend donc pas en compte des éléments qui pourraient montrer que le taux de chômage est plus élevé. Or il est plus élevé, Mesdames et Messieurs ! Y compris en Suisse alémanique ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On a fait passer beaucoup de gens à l'assurance-invalidité sous prétexte de diminuer le taux ou les indices de chômage, alors que ce sont des demandeurs d'emploi, des employés... (Remarque.)
Le président. Merci.
M. Rémy Pagani. ...des salariés, qui demandent à être traités dignement, parce qu'ils recherchent un travail pour nourrir leur famille !
Le président. Merci.
M. Rémy Pagani. Je vous rappelle ce principe de base, et vous essayez de cacher cette vérité ! Je vous remercie de votre attention, Monsieur le président.
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, tout d'abord sur la forme et sur la demande de renvoi à la commission de l'économie, le groupe socialiste s'y opposera, pour la raison que les auditions demandées ont été menées, notamment celle de l'office cantonal de l'emploi, en la personne de son directeur. Nous avons mené les débats en commission, nous les menons également ce soir en plénière, même s'il est tard et bien que nous ne disposions pas d'un rapport sur cet objet.
Maintenant, sur le fond, je rejoins complètement la préoccupation de M. Pagani: il faut en effet disposer d'un chiffre global, prenant en compte les demandeurs et demandeuses d'emploi, et pas simplement les personnes inscrites aux ORP. Seulement, cette résolution demande d'appliquer le taux de chômage du BIT. Or c'est vrai, comme l'a indiqué François Lefort, vous pouvez aller sur le site de l'Office fédéral de la statistique et vous trouvez exactement le taux de chômage en Suisse et par canton au sens du BIT. Il y a simplement deux types de statistiques: certaines sont basées sur les éléments recensés par les ORP et d'autres sont, en effet, établies par méthode de sondage. L'office cantonal de l'emploi nous l'a indiqué.
Par conséquent, cette proposition de résolution n'a aucun sens. Imposer un seul taux et une seule statistique basés sur un sondage, alors qu'aujourd'hui nous avons les deux à disposition - ce qui permet d'établir une comparaison entre l'économie de la Suisse et celles du reste de l'Europe -, n'a pas lieu d'être. Raison pour laquelle le groupe socialiste refusera ce texte.
M. François Baertschi (MCG). On constate que le chômage reste un tabou à Genève. Les véritables chiffres du chômage, ceux qui ne sont pas publiés ou que l'on publie en catimini et que cette résolution demande de véritablement mettre sur la place publique de manière beaucoup plus visible... La situation genevoise, et je le répéterai sans fin, est due à la présence massive... (Exclamation. Commentaires.) ...des frontaliers, permis G, qui déstabilisent l'entier du marché du travail. Ils déstabilisent aussi notre société par la sous-enchère salariale et la sous-enchère massive de compétences qu'ils causent année après année. Nous devons à tout prix nous battre contre ce phénomène, et c'est uniquement par une politique de vérité que nous pourrons le faire. C'est pour cela que le groupe MCG vous demande de renvoyer en commission cette résolution ou, au pire, si par malheur ce n'était pas le cas, de l'accepter sur le siège. (Commentaires.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je rends la parole à M. le député Serge Hiltpold pour deux minutes trente.
M. Serge Hiltpold (PLR). Merci, Monsieur le président. Je serai plus bref. J'aimerais juste recentrer un peu le débat. Dire que les chiffres sont cachés, c'est absolument faux ! Ils sont extrêmement transparents, vous avez la possibilité de les consulter en ligne régulièrement et vous avez accès à ces deux chiffres, ceux du BIT et ceux du SECO. Ces derniers sont capitaux, c'est ce qui détermine le taux de chômage en Suisse. D'ailleurs, je m'étonne, je m'étonne que l'UDC aille chercher un modèle extranational, européen, dans d'autres pays qui en général ne font pas preuve de la plus grande ouverture du point de vue de leur politique, et veuille appliquer un taux différent de ce qui est recommandé en Suisse, de ce qui est appliqué dans tous les autres cantons. D'un point de vue institutionnel, c'est complètement erroné. Je vous demanderai donc de bien vouloir refuser cette résolution. Comme mes préopinants l'ont relevé, il n'y a absolument rien à cacher, et je crois que si on parle du chômage, d'autres chiffres sont plus intéressants, notamment le produit intérieur brut de notre pays. C'est aussi à mettre en perspective avec le chômage. Le Conseil d'Etat approuvera peut-être notre démarche et la véracité de nos propos. Je vous demande de bien vouloir refuser cette proposition de résolution. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va maintenant à M. le député Jean-Marie Voumard pour une minute et quarante-huit secondes.
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Merci, Monsieur le président. Je renonce, M. Baertschi s'est déjà exprimé.
Le président. Très bien, merci. Monsieur André Pfeffer, il ne reste plus de temps au groupe UDC. Pour clore ce débat, je cède la parole à M. le conseiller d'Etat Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Le Conseil d'Etat vous demandera de rejeter cette proposition de résolution, ne serait-ce que pour sauver la crédibilité de Genève auprès des instances fédérales.
D'abord, j'avoue ne pas comprendre la stratégie des signataires, qui sont tous de l'UDC, le parti le plus représenté sous la coupole fédérale: par stratégie, il demanderait à sa section genevoise de déposer un texte pour aller saisir les autorités fédérales d'un sujet national ? J'avoue que cela me dépasse. Si véritablement votre parti considère qu'il faut changer les méthodes de calcul du chômage en Suisse, je pense qu'il faut s'adresser directement au Parlement fédéral à travers ceux qui y siègent.
Ensuite, j'ai relevé une perle quand même admirable de la part du premier signataire, qui nous dit que pour être crédible, la Suisse devrait faire comme l'Union européenne pour établir ses chiffres. C'est une perle, venant de celui qui a prononcé ces mots. Il faudra les retenir à l'avenir ! (Rire.)
Plus sérieusement, Mesdames et Messieurs, en ce qui concerne le calcul du taux de chômage, Genève est un des rares cantons qui applique les deux méthodes, et nous pouvons à tout moment savoir quel est le taux de chômage BIT à Genève. C'est vrai que ce n'est pas vraiment un taux de chômage, puisque c'est une statistique sur un millier de personnes, qui prend également en considération les personnes qui sont en emploi, qui n'en sont pas satisfaites et qui cherchent à changer de travail. On comprend que c'est un peu extensif et extrêmement subjectif. Il est vrai que si on reproduit la même opération durant des années, cela confère une certaine crédibilité à ces méthodes; celles-ci sont en effet reproduites de mois en mois. Mais de là à vouloir substituer cette méthode à la nôtre, qui est fiable et qui, je le rappelle, est à Genève encore plus fiable qu'ailleurs, puisqu'elle intègre dans le taux de chômage les personnes prises en charge par le service de réinsertion professionnelle de l'Hospice général... Ces statistiques comprennent donc aussi une bonne partie des personnes qui sont à l'aide sociale et qui sont considérées comme suffisamment proches du marché de l'emploi pour être prises en compte dans le taux de chômage.
Je pense que nous devons travailler avec nos taux. Nous savons qu'ils sont imparfaits. Si nous voulons établir des comparaisons - et nous l'avions fait il y a quelques années pour nous rendre compte que le taux de chômage BIT à Genève était supérieur au taux de chômage BIT de la France voisine, ce qui voulait bien dire que celle-ci, d'une certaine façon, profitait du marché de l'emploi genevois, c'est une banalité de le dire, mais les chiffres le montraient clairement -, si donc les signataires veulent obtenir ce type de renseignements, ils sont disponibles, il n'y a pas besoin de demander que toute la Suisse fasse comme nous. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer en premier lieu sur la demande de renvoi à la commission de l'économie.
Mis aux voix, le renvoi pour six mois (article 194 LRGC) de la proposition de résolution 886 à la commission de l'économie est rejeté par 62 non contre 24 oui.
Mise aux voix, la proposition de résolution 886 est rejetée par 63 non contre 23 oui.