République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 7 octobre 2021 à 20h30
2e législature - 4e année - 4e session - 24e séance
PL 12594-A
Premier débat
Le président. Nous enchaînons avec la prochaine urgence, le PL 12594-A, et sommes en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à M. le rapporteur Edouard Cuendet.
M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, le projet de loi 12594 n'est pas seulement technique, il est aussi ambitieux. Il vise à faire sortir notre canton du néolithique hypothécaire pour le faire entrer dans les temps modernes. En substance, ce projet de loi entend favoriser le développement à Genève de la cédule hypothécaire de registre en modifiant la perception des droits d'enregistrement.
Pour rappel, la cédule hypothécaire de registre a été introduite au niveau fédéral au 1er janvier 2012. Elle permet l'inscription d'un gage immobilier au registre foncier sans qu'il soit nécessaire d'établir un papier-valeur à cet effet. (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Monsieur le rapporteur. (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Poursuivez, Monsieur Cuendet.
M. Edouard Cuendet. Merci. Le transfert de la cédule hypothécaire de registre a lieu par simple inscription du nouveau créancier au registre foncier. Cette innovation permet d'éviter des frais d'établissement et de conservation des titres physiques, de même que les frais de communication de ces titres entre les offices du registre foncier, les notaires et les banques. Elle permet également de supprimer les risques de perte de cédule. Cette cédule hypothécaire de registre s'est imposée dans tous les cantons suisses, à l'exception de Genève, en raison d'un système fiscal défavorable et obsolète. Le projet de loi 12594 vise donc à supprimer le droit d'enregistrement de 0,65% de la valeur nominale de la créance hypothécaire lors d'une cession de cette créance; ce droit serait conservé uniquement lors de la constitution de la créance en question.
Ces travaux sont évidemment assez techniques. Afin d'être éclairés dans nos réflexions, nous avons donc convié la Chambre des notaires, qui est venue nous expliquer toute la genèse des cédules hypothécaires et leur caractère technique. Mais le point particulièrement intéressant auquel les notaires présents nous ont rendus attentifs est le risque très important lié aux cédules hypothécaires au porteur: il y a un risque de perte important, or une perte de cédule hypothécaire fait courir le risque au débiteur de voir le créancier qui a trouvé la cédule par terre venir toquer à sa porte pour réclamer le montant indiqué sur ce titre. C'est donc extrêmement risqué et, pour éviter ce risque... En cas de perte, il faut lancer une procédure judiciaire longue et coûteuse: passé le délai de six mois au cours duquel le créancier doit s'annoncer, c'est le juge qui est chargé d'annuler la cédule en question. C'est donc une procédure lourde et compliquée. De plus, la cédule hypothécaire est un titre fragile, puisque, comme nous l'ont rappelé les notaires, rien que le fait de faire des trous dans ce type de document pour le mettre dans un classeur le rend nul et non avenu. Par conséquent, la cédule hypothécaire de registre permet de passer à une nouvelle ère. Ce qui est intéressant, c'est que les notaires ont aussi rappelé que cela ne changeait rien pour les droits de perception.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Edouard Cuendet. Ce point a été confirmé par l'administration fiscale cantonale qui a été entendue et qui a confirmé qu'elle soutenait aussi cette évolution - pour ne pas dire cette révolution -, tout en proposant un amendement technique pour justement clarifier la portée de ce texte.
Tout le monde était donc à peu près d'accord, jusqu'au moment du vote, où Ensemble à Gauche s'est opposé à ce texte. Ce qui est intéressant, c'est que le représentant d'Ensemble à Gauche - vous transmettrez, Monsieur le président - était censé déposer un rapport de minorité pour tenter de justifier le maintien de Genève dans la préhistoire numérique hypothécaire, mais il n'a sans doute pas pu transporter le menhir sur lequel il avait gravé son rapport, tant il était lourd. C'est pour cela que je vous invite toutes et tous à soutenir cette réforme nécessaire. Merci.
Une voix. Bravo ! (Commentaires.)
M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cela vient d'être dit par mon préopinant, Genève est le seul canton suisse à procéder de la sorte. Peut-être serait-il bon de voter ce soir ce projet de loi pour rejoindre les autres cantons suisses, afin d'éviter de faire une Genferei supplémentaire. Le but est que dans le cadre de la création de nouvelles cédules, les notaires proposent spontanément la nouvelle cédule de registre. L'avantage est qu'elles seront inscrites au registre foncier, alors que, par le passé, les cédules en papier étaient au porteur et se remettaient de main en main, ce qui posait un certain nombre de problèmes, si elles étaient perdues ou égarées: il fallait ensuite passer devant le juge pour les récupérer. C'est quelque chose d'extrêmement compliqué.
Genève applique par ailleurs plusieurs taxes et procède par plusieurs étapes dans ces cédules de registre. Ce qui va être voté, je l'espère, ce soir permettra à l'Etat de mieux fonctionner, de simplifier les procédures et de les rendre plus claires. Cela a été dit par la magistrate en commission, les pertes pour l'Etat sont quasiment nulles. Par conséquent, le groupe UDC vous demande, non pas de perdre de la substance fiscale à Genève, mais de permettre au canton de rattraper le train et de voter pour ces cédules de registre. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Thomas Wenger (S). Mesdames et Messieurs les députés, pour le groupe socialiste, dans le domaine des cédules hypothécaires, il est temps que Genève entre dans le XXIe siècle. Aujourd'hui, quelle est la pratique ? C'est quasi exclusivement celle de la cédule hypothécaire au porteur, c'est-à-dire le bon vieux papier-valeur, telles les parts du «Groupe W» de Largo Winch, qui sont au porteur et conservées dans le bon vieux coffre d'une banque lucernoise.
Quels sont les risques aujourd'hui avec les cédules hypothécaires au porteur ? Cela a été dit par le rapporteur, c'est la perte. Comme on nous l'a expliqué, beaucoup de gens ont placé ce papier-valeur dans leur cave vingt, trente ans auparavant, et ne savent plus exactement où ils l'ont mis. Il y a les risques d'inondation et d'incendie - qui ne vont pas aller en s'améliorant avec le dérèglement climatique. Il y a même un risque beaucoup plus grand, cela a aussi été relevé: celui de l'utilisation malencontreuse d'une perforatrice, en faisant deux trous dans le papier-valeur, le rendant ainsi sans valeur.
Pourquoi dès lors la pratique ne s'oriente-t-elle pas, comme dans les autres cantons, vers la cédule hypothécaire de registre - je vous pose la question, Monsieur le président ? Parce que, justement, au contraire des autres cantons, à Genève, le changement de créancier est taxé, ce qui n'est pas le cas de la cédule hypothécaire au porteur, vu qu'elle est donnée de la main à la main.
Par conséquent, pour favoriser la numérisation, pour améliorer la sécurité de la pratique, et surtout pour éviter une nouvelle Genferei, le groupe socialiste, tout en saluant le dernier téléspectateur qui ne s'est pas encore endormi vu la difficulté du sujet, votera ce projet de loi avec enthousiasme. (Rire.)
Une voix. Bravo !
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, je vais nuancer quelque peu les propos de mon préopinant. Nous comprenons bien entendu l'utilité de passer de la cédule papier à la cédule de registre, qui évite de devoir transmettre physiquement des gages hypothécaires sous forme de documents solides. Comme expliqué très clairement dans le rapport de M. Cuendet, que je salue ici, même s'il est possible depuis 2012 de constituer en Suisse des cédules de registre, cette possibilité n'est pas utilisée à Genève, en raison du fait que la transmission d'un tel titre implique le paiement par trois fois des droits d'enregistrement.
Le projet propose, de fait, de supprimer totalement le droit d'enregistrement de la créance hypothécaire lors d'une cession de cette créance et de conserver ce droit uniquement lors de la constitution de la créance. Une fois de plus, on supprime une possibilité de recette pour l'Etat, même si elle est probablement très faible puisque la cédule de registre est peu ou pas utilisée.
Voilà que j'ai utilisé le terme «probablement». J'aimerais bien relever quelques éléments qui figurent dans le rapport de majorité et qui ressortent des diverses auditions menées, qui n'ont pas réellement permis de lever le doute. Je souhaiterais citer quelques phrases du rapport de M. Cuendet: «Il souligne que cette modification ne devrait pas avoir d'impact sur les recettes de l'Etat.» «[Il] répond que le manque à gagner est relatif [...]» «Il semble que la perte engendrée pour les recettes de l'Etat serait à la marge, voire inexistante.» Il y a bien trop de conditionnels dans ces citations pour ne pas engendrer un peu de méfiance de notre part.
Comme vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas du tout le moment de mettre en danger les recettes de l'Etat, et comme la question de savoir si l'impact sur les recettes serait nul ou non n'a pas reçu de réponse claire, nous nous abstiendrons sur ce projet de loi, même si une partie du groupe le soutiendra... peut-être. (Rires.) Je vous remercie.
M. Sébastien Desfayes (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'ai entendu derrière moi, avec l'intervention du député Eckert, le grand retour de la pizza verte ! (Rire.) Je dois dire que j'ai de la peine à comprendre sa position, tant il est vrai que ce projet de loi va dans la bonne direction. S'agissant des recettes fiscales, je relèverai simplement que M. Bopp a rendu une note dans laquelle il concluait, au nom de l'administration fiscale, que cette réforme n'aurait aucun impact sur les recettes du canton. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'aujourd'hui, à Genève, contrairement à ce qui se pratique dans les autres cantons suisses, personne n'utilise de cédule hypothécaire de registre, justement en raison de cette taxation totalement aberrante, c'est-à-dire une taxation en quatre étapes: transmission par la banque au vendeur - première taxation; le vendeur à l'acquéreur - deuxième taxation; l'acquéreur au créancier - troisième taxation; etc. Bien entendu, une telle pratique dissuade tout notaire de conseiller à son client d'utiliser la cédule hypothécaire de registre. Donc, faute d'utilisation de cet instrument, il n'y a pas de recettes fiscales, et l'incitation n'aura aucune espèce de conséquence.
On a parlé des problèmes de la cédule hypothécaire au porteur; on a parlé des inondations, des pertes, des vols, de la mauvaise foi éventuelle du porteur, mais il y a surtout un point qui est fondamental, c'est le principe de la transparence: à l'heure des Pandora papers, la transparence dans les pratiques financières, y compris dans les ventes immobilières, est quelque chose de fondamental. Le Forum mondial sur la transparence a rendu un rapport en 2019 qui préconisait l'interdiction pure et simple des papiers-valeurs au porteur. Notre pratique actuelle est totalement désuète par rapport aux standards mondiaux en matière de transparence. Partant, nous devons tout entreprendre pour mettre fin aux titres au porteur et donc pour favoriser en l'occurrence les cédules hypothécaires de registre. Pour toutes ces raisons, le PDC vous appelle à voter ce projet de loi. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le député Alexandre de Senarclens, vous avez la parole pour deux minutes dix.
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Merci, Monsieur le président. Le PLR se réjouit tellement d'entrer dans le XXIe siècle pour ce qui est des cédules hypothécaires de registre qu'il ne va pas retarder cette échéance et qu'il se bornera dans son intervention à indiquer qu'il soutiendra totalement ce projet de loi. Je vous remercie, Monsieur le président.
Une voix. Bravo ! (Rire.)
Le président. Merci, Monsieur le député, pour votre concision ! Madame la députée Françoise Sapin, vous avez la parole.
Mme Françoise Sapin (MCG). Merci, Monsieur le président. Je ne vais pas répéter tout ce que mes préopinants ont déjà dit. Pour le MCG, le passage de la cédule papier à la cédule de registre est une excellente chose. Le fait d'entrer dans le XXIe siècle l'est également. Comme M. de Senarclens, je dirai donc simplement que notre groupe soutiendra ce projet de loi. Merci.
Une voix. Bravo !
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. L'ensemble du Conseil d'Etat soutient ce projet de loi et se réjouit de pouvoir moderniser ces aspects-là, ce qui était déjà fait dans les autres cantons. Il vous confirme également que ce texte n'aura pas de conséquences sur les revenus fiscaux dans notre canton. Merci beaucoup.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite maintenant à vous prononcer sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12594 est adopté en premier débat par 61 oui et 12 abstentions.
Le projet de loi 12594 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12594 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 59 oui et 14 abstentions.