République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 2 juillet 2021 à 18h05
2e législature - 4e année - 2e session - 15e séance
PL 12752-A
Premier débat
Le président. Et nous abordons notre dernière urgence, à savoir le PL 12752-A. Le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Le rapporteur de deuxième minorité, M. Marc Falquet, est remplacé par M. André Pfeffer. Je cède immédiatement la parole au rapporteur de majorité, M. Pierre Bayenet.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant et rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, prenons un exemple fictif et somme toute assez banal d'un couple qui se marie: Monsieur est suisse ou habite en Suisse depuis quelques années, Madame vient de l'étranger, ils s'unissent et s'établissent à Genève, ils ont peut-être un enfant. Après un certain temps, Madame découvre ce qui arrive malheureusement fréquemment, à savoir que son époux se montre violent avec elle, et finit par être obligée de s'enfuir de la maison pour se réfugier dans un endroit qui pourrait être le Coeur des Grottes.
Or la structure est pleine, il n'y a plus de place. Pourquoi ? Parce que le Coeur des Grottes est engorgé par des personnes qui, en raison de l'adoption du projet de loi que nous traitons maintenant, ne remplissent plus les conditions d'accès aux logements sociaux. L'extrême droite entend en effet limiter les possibilités pour les étrangers de s'inscrire à un logement subventionné et, de manière assez surprenante, une majorité du Grand Conseil semble la suivre aujourd'hui. C'est une sorte de scénario catastrophe que je dépeins là, mais qui est tout à fait susceptible de se réaliser.
La saturation des lieux d'hébergement d'urgence aura des répercussions sur tous ceux qui ont besoin de la protection de l'Etat, ils ne pourront plus la trouver. Mesdames et Messieurs, ce qui vous est proposé ici peut sembler anodin en apparence, mais il s'agit de prolonger la durée de résidence dans le canton de Genève, qui constitue l'une des conditions pour avoir droit à un logement social: actuellement de deux ans, ce délai passerait à cinq ans - quatre selon l'amendement déposé par le MCG.
La commission a accompli son travail de manière efficace et a entendu Mme Marie-Hélène Koch-Binder, directrice administrative de l'OCLPF, laquelle a expliqué ce que signifierait concrètement cette extension de l'échéance. D'abord, le critère de deux années de présence sur le territoire avait été adopté pour éviter le tourisme social, l'idée étant que les personnes ne viennent pas à Genève pour bénéficier du logement bon marché qu'elles ne trouvent pas chez elles. Cette condition est remplie, le but est atteint.
Le problème, a souligné Mme Koch-Binder, c'est que l'objectif poursuivi par les auteurs, soit de concentrer l'offre de logements sociaux à destination des habitants du canton, est déjà atteint aussi, puisque seuls les résidents légaux peuvent aujourd'hui accéder à un logement subventionné après deux ans de titularité d'un permis de séjour. Ainsi, il n'y aura pas de diminution du temps d'attente - ou elle sera minime -, car 80% des demandeurs de logements sociaux répondent d'ores et déjà au critère des cinq ans de résidence.
En revanche, l'acceptation de ce projet de loi aurait pour conséquence un engorgement des dispositifs situés en amont du logement subventionné, soit les foyers et les hôtels, et ceux-ci représentent un coût très important pour l'Etat, un coût plus important que la construction de nouveaux logements. Mme Koch-Binder nous a enfin rappelé qu'il y a actuellement 7300 demandes en attente.
La réalité, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que l'on constate une forte discrimination à l'encontre des étrangers en ce qui concerne l'accès au logement, et ce sur tous les plans. Des études démontrent qu'ils ont par exemple beaucoup plus de mal à trouver un logement locatif privé. En 2015, l'Université de Berne avait procédé à un test en envoyant deux requêtes identiques, l'une arborant le nom de Daniel Fischer, l'autre celui d'Arunan Vaidyanathan, un nom tamoul; les chercheurs ont constaté que les bailleurs préféraient louer leur bien à une personne portant un nom helvétique qu'étranger. Cela a été confirmé par une étude de l'Office fédéral du logement publiée en 2019.
On peut relever une discrimination similaire s'agissant des logements en propriété, parce qu'à moins d'avoir grandi en Suisse, d'y avoir travaillé longtemps et de disposer d'un troisième pilier qui s'est constitué au fil des années grâce à un bon salaire, il est impossible de devenir propriétaire dans notre pays. Il y a déjà ces deux inégalités de traitement pour les étrangers, et on nous propose à présent d'en ajouter une troisième, c'est-à-dire qu'ils n'auront plus accès, ou du moins plus difficilement, aux logements sociaux qui, de fait, représentent les seuls logements envisageables pour eux.
En réalité, ce que cherchent à faire les auteurs de ce texte, c'est fausser les statistiques en diminuant le nombre de personnes figurant sur les listes d'attente et donner l'impression que tout va bien. Plutôt que de s'attaquer au fond du problème, on maquille les chiffres.
Ce que veut Ensemble à Gauche, c'est que ce Grand Conseil construise des logements, pas qu'il en rende l'accès plus compliqué. Nous vous invitons dès lors à rejeter ce projet de loi; j'ai du reste oublié de préciser au début que, quand bien même je suis rapporteur de majorité, les tendances s'étant inversées, il risque d'être voté ce soir contre la volonté de la majorité de la commission. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de première minorité. De nombreux habitants de notre canton rencontrent les plus grandes difficultés à trouver un logement, au point de devoir s'établir dans le canton de Vaud ou en France voisine. Les critères d'accessibilité aux logements bon marché sont déjà très stricts, notamment le revenu, mais malgré cela, les listes d'attente sont impressionnantes.
Pour les auteurs du projet de loi, il est apparu logique de renforcer l'une des conditions, à savoir le temps de présence dans le canton de Genève. Actuellement, pour avoir droit à un logement social, il faut y avoir résidé deux ans en continu durant les cinq dernières années; le texte demande que la durée soit portée à cinq ans de résidence en continu pendant les dix dernières années. L'objectif est d'apporter une réponse pragmatique et efficace, nous pourrons ainsi détendre quelque peu la situation du logement à Genève.
Suite à des discussions avec divers groupes politiques, un amendement a été déposé qui propose une durée de résidence en continu de quatre ans sur les huit dernières années; cela apparaît comme une amélioration modérée qui va dans la direction du projet de loi. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, notre minorité vous invite à voter cet amendement.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi propose de faire passer le délai d'attente des nouveaux arrivants dans le canton de deux à cinq ans avant qu'ils soient autorisés à postuler pour un appartement subventionné. Il ne s'agit pas de favoriser nos résidents, mais d'assumer notre responsabilité, c'est-à-dire d'aider les Genevoises et Genevois à trouver un logement.
Avec la loi actuelle et au vu des difficultés à trouver un logement social, les étrangers se retrouvent mieux lotis et ont l'avantage par rapport aux Genevois. Est-ce bien équitable ? Est-il tolérable qu'un Genevois qui a toujours travaillé et payé ses impôts ici soit considéré comme un vient-ensuite ? En raison de la forte demande en logements subventionnés, la législation contribue à pénaliser, voire à exclure, certains Genevois. A cet égard, un critère de cinq ans de résidence appliqué aux nouveaux arrivants dans le canton paraît tout à fait raisonnable.
J'aimerais maintenant revenir sur l'argumentaire du rapporteur de majorité: en cas de force majeure, il est possible de déroger à la règle. Ainsi, si une personne ne remplit pas la condition de cinq ans de présence à Genève, mais subit une situation de force majeure, il peut y avoir une dérogation - et c'est malheureusement fréquent. Chers collègues, il est question ici de justice, il convient de ne pas encourager la migration sociale. Le groupe UDC soutient ce projet de loi. Merci de votre attention.
Le président. Je vous remercie. La parole va à Mme Jocelyne Haller pour quarante-six secondes.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Combien de temps, Monsieur le président ?
Le président. Quarante-six secondes.
Mme Jocelyne Haller. Quarante-six secondes ? Bien, alors j'abrégerai en disant que ce projet de loi est une honte, Mesdames et Messieurs les députés, parce qu'il exclut des personnes modestes, dûment autorisées à vivre dans ce canton, des personnes qui paient leurs impôts, du droit à un logement subventionné... (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Madame la députée...
Mme Jocelyne Haller. Ce que vous êtes en train de faire...
Le président. Madame la députée !
Mme Jocelyne Haller. Pardon ?
Le président. Un instant, s'il vous plaît. (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Voilà, poursuivez.
Mme Jocelyne Haller. Ce qui va se produire avec ce projet de loi, c'est qu'on va engorger les hôtels bon marché, les foyers d'accueil, les appartements relais. Vous ne vous rendez pas compte à quel point c'est dur pour des gens en difficulté - que ce soient des étrangers ou des Confédérés, d'ailleurs - d'arriver dans le canton de Genève et de devoir attendre deux ans...
Le président. Merci...
Mme Jocelyne Haller. ...alors qu'ils ont payé leur écot, gagné leur droit à accéder à un logement subventionné. Et vous les en privez !
Le président. Il vous faut conclure.
Mme Jocelyne Haller. Ce faisant, vous augmentez la facture sociale et la fracture sociale ! Vous ne permettez pas à ces personnes...
Le président. C'est terminé.
Mme Jocelyne Haller. ...de vivre correctement...
Le président. Merci, Madame la députée.
Mme Jocelyne Haller. ...vous ne pensez pas que ces hommes et ces femmes qui se trouvent dans des situations précaires... (Le micro de l'oratrice est coupé. L'oratrice poursuit son intervention. Applaudissements. Commentaires.)
Le président. Un peu de tenue dans ce débat, s'il vous plaît ! Monsieur Christian Bavarel, c'est à vous.
M. Christian Bavarel (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est à croire que sur certains bancs, on possède des hôtels et on craint que le business soit mis en danger ! En effet, lorsque quelqu'un dans une situation précaire commence à passer beaucoup de temps dans un hôtel, celui qui se fait du fric, c'est le patron de l'établissement, c'est une bonne manière de gagner de l'argent. Et qui paie pour la personne en situation de précarité qui se retrouve logée ? Le contribuable.
Si un Confédéré arrive à Genève ou même si un Genevois revient après une absence, vous allez lui dire que pendant cinq ans, il n'aura pas accès à un logement subventionné ? En fait, vous ne voulez voir à Genève que des gens dont les revenus les excluent de facto du dispositif social. Pour les personnes concernées, ça signifie qu'il y a toute une catégorie - importante - de logements à laquelle elles n'ont plus droit. Vous êtes en train de dire à ceux qui habitent en France voisine ou dans le canton de Vaud et qui souhaiteraient revenir du côté de Genève: «Allez chasser sur le loyer libre et débrouillez-vous !»
J'aime autant vous dire que les Verts sont fermement opposés à ce projet de loi, ils l'ont été depuis le début. On se demande quels intérêts sont défendus dans cet hémicycle - en tout cas pas ceux de la majorité de nos concitoyens, certainement ceux de certains hôteliers, en revanche. Nous sommes quelque peu surpris d'assister à ce revirement suite aux propositions émises, il y a là quelque chose qui ne sent pas très bon, ce sont des intérêts particuliers qui semblent être protégés ici. Merci.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Le groupe Ensemble à Gauche n'a plus de temps. Je cède la parole à Mme Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez, on le répète à longueur de débat, 7000 personnes sont en attente d'un logement subventionné à Genève, et ce chiffre risque malheureusement d'augmenter ces prochaines années au regard de la situation économique et sociale actuelle. De notre point de vue, la seule et unique réponse à apporter à ce problème, c'est de construire plus de logements sociaux afin de couvrir les besoins. Ce projet de loi ne formule aucune proposition solide et crédible; ce n'est pas parce qu'on réduit le nombre des ayants droit qu'on leur fournit une solution, cela sert juste à fausser les statistiques, à masquer la précarité sociale dans notre canton sans la combattre aucunement.
De plus, le texte engendre toute une série d'effets néfastes que le rapporteur de majorité Pierre Bayenet a évoqués et qui ressortent très clairement de l'audition de l'Hospice général que nous avons effectuée en commission, notamment l'engorgement des foyers d'hébergement pour migrants, sachant que ceux-ci vont quand même continuer à faire leur vie à Genève. Selon l'Hospice général, 40% des personnes logées dans leurs structures se retrouveront à devoir attendre plus longtemps avant de déposer ne serait-ce qu'une demande de logement subventionné - encore faut-il ensuite qu'elles en obtiennent un. Pareil pour les bénéficiaires de l'Hospice général placés à l'hôtel - un dispositif qui, rappelons-le, coûte extrêmement cher à l'institution et donc à l'Etat: 15% d'entre eux devront y rester encore trois ans supplémentaires avant de bénéficier d'un logement social.
Face à la hausse des besoins que je mentionnais, la droite préfère monter les personnes précaires les unes contre les autres plutôt que de répondre à leurs attentes; les différents projets de lois et textes qu'elle a déposés visant à réduire le nombre de logements subventionnés dans le PAV en sont une parfaite illustration. C'est la raison pour laquelle, sur le fond, non seulement nous vous invitons à refuser cet objet, mais vu l'état actuel des discussions et parce que l'acceptation du projet de loi pourrait avoir des conséquences sur d'autres prestations sociales, par exemple l'allocation au logement, nous proposons son renvoi à la commission des affaires sociales. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission du logement... (Commentaires.) Excusez-moi: à la commission des affaires sociales. Les rapporteurs souhaitent-ils s'exprimer sur cette requête ? Cela ne semble pas être le cas... Ah si ! Monsieur le rapporteur de majorité Pierre Bayenet, vous avez quinze secondes.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant et rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je pense qu'il est important que l'enquête porte davantage sur les conséquences sociales de ce projet de loi et, à cet égard, il serait intéressant d'entendre les services sociaux privés confrontés à ces problèmes. En effet, le CSP ou Caritas, par exemple, n'ont même pas été informés de ce changement majeur qui aura un impact durable sur la gestion de la pauvreté à Genève.
Le président. Merci bien. J'ouvre le vote sur la demande de renvoi...
Mme Caroline Marti. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenue ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est bon, nous procédons donc au vote nominal.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12752 à la commission des affaires sociales est rejeté par 48 non contre 37 oui (vote nominal).
Le président. Nous continuons le débat, et la parole va à M. Sébastien Desfayes.
M. Sébastien Desfayes (PDC). Oui, merci, Monsieur le président. Je précise que le projet de loi amendé ira moins loin que la situation qui prévalait à Genève jusque dans les années 90, où cinq ans de résidence continue étaient requis, donc quand M. Bayenet nous décrit l'apocalypse, qu'il se réfère à cette période-là, je n'ai pas l'impression qu'on y est. Quant à un prétendu lobby des hôtels qui se serait infiltré dans cet hémicycle, je tiens à rassurer M. Bavarel: il n'est pas question de lobby ici, il est question de solidarité, mais la solidarité ne va pas sans responsabilité.
Genève traverse la crise économique, sociale et sanitaire la plus importante de ces cent dernières années. On nous dit: «7000 personnes sont en attente d'un logement sur le territoire», on signale que ceux qui travaillent depuis longtemps dans ce canton perdent leur emploi, leur retraite. C'est une réalité, en effet. Mais cela ne justifie-t-il pas précisément un effort particulier de la part des habitants, indépendamment de leur nationalité ? Bien entendu, la réponse est oui.
Mme Caroline Marti a apporté un élément de réponse. C'est vrai, l'un des leviers qui nous permettent de faire face à la crise des logements sociaux, c'est de construire. Toutefois, le sens de l'intérêt général nous impose ici un constat, à savoir que notre territoire n'est pas extensible à l'infini. Allez consulter le site du Conseil d'Etat et notez les dix plus grands projets du canton, un potentiel de 25 000 à 30 000 logements est prévu à l'horizon 2030: vous vous apercevrez que l'envergure de certains d'entre eux a déjà été diminuée ou qu'ils sont menacés.
Mesdames et Messieurs, la crise immobilière ne concerne pas uniquement les logements sociaux, elle touche toutes les catégories de logements et toutes les couches de la population, donc on ne peut pas construire que du subventionné. Peut-être érigera-t-on 10 000 logements bon marché d'ici 2030, mais cela ne sera pas suffisant. Que fait-on des gens qui ont travaillé toute leur existence, qui ont perdu leur retraite, qui n'ont pas les moyens de vivre décemment ? Que fait-on des jeunes qui, après leurs études, ne trouvent pas d'emploi ? On leur dit: «Ce n'est pas grave» ?! Il faut faire quelque chose, et ce projet s'inscrit dans ce contexte. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole va à M. Alberto Velasco pour vingt-quatre secondes.
M. Alberto Velasco (S). Merci, Monsieur le président. Je constate que celles et ceux dans cette enceinte qui ont voté la libre circulation des personnes sont les mêmes qui, aujourd'hui, ne veulent pas que les étrangers viennent travailler ici en vertu de ce droit, refusent qu'ils accèdent à un logement social.
Le président. Merci.
M. Alberto Velasco. Vous savez, Mesdames et Messieurs, je connais des maçons, des gens qui ont travaillé dans la restauration et qui viennent d'Italie, d'Espagne, qui ne touchent pas de grands salaires. Et ils devraient...
Le président. C'est terminé...
M. Alberto Velasco. ...attendre quatre ans pour bénéficier d'un logement subventionné ?!
Le président. C'est fini, Monsieur le député !
M. Alberto Velasco. C'est ça que vous voulez ? (Le micro de l'orateur est coupé.)
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est triste. Comme le débat que vous venez de mener l'illustre, il monte les gens dans la précarité les uns contre les autres. La crise du logement touche certes toutes les catégories de la population, mais lorsqu'on a un revenu confortable, il est tout de même plus facile de trouver à se loger que quand on se situe dans la classe moyenne inférieure, sans parler des couches les plus modestes, où cela devient beaucoup plus difficile.
Alors bien sûr, il est aisé de plaider pour une catégorie ou pour une autre, parce que les problèmes soulevés sont réels. Quiconque issu de la classe moyenne qui a dû déménager ces dernières années a pu constater à quel point il est dur de trouver un appartement sur le marché immobilier libre. En ce qui concerne le domaine subventionné, les règles d'attribution sont ouvertes et transparentes, basées sur des critères objectifs; d'ailleurs, la durée d'attente, c'est-à-dire le laps de temps qui sépare l'inscription à la liste de l'obtention du logement, constitue un critère fondamental; eh bien même dans ces cas-là, les temps sont longs.
Ce projet de loi est triste, parce qu'il clive entre eux des gens qui, dans les deux cas, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, qu'ils soient nés à Genève ou viennent d'arriver, se trouvent dans la même situation de précarité; triste, parce qu'il discrimine les migrants d'une part et les Confédérés d'autre part. A l'instant même où la Suisse vibre avec les Shaqiri, Xhaka, Seferovic, Embolo et autres Mehmedi, ce parlement s'apprête à voter un texte qui vise précisément ce type de migration: une migration modeste, laborieuse, une population de working poors le plus souvent, c'est-à-dire des personnes qui travaillent, mais dont le revenu ne suffit pas toujours à subvenir à leurs besoins. Ce projet de loi est triste, parce qu'il cible les Confédérés au moment où, dans cette enceinte, certains portent fièrement les couleurs de la Suisse. Si vous êtes un Fribourgeois, un Saint-Gallois, que vous êtes issu d'un milieu modeste - travailleur, mais modeste - et que vous avez besoin de l'aide de l'Etat à Genève, eh bien vous n'aurez pas accès à la liste d'attente pour obtenir un logement social.
Mesdames et Messieurs, cet objet ne vise pas à alléger les finances de l'Etat ni même à résoudre la crise du logement, parce qu'on parle de personnes légalement installées à Genève. Ces gens-là, du moment qu'ils se trouvent légalement sur notre territoire, entrent dans notre dispositif d'aide sociale, donc si vous les retirez aujourd'hui des listes d'attente auprès des fondations immobilières de droit public, eh bien ils iront s'inscrire à l'Hospice général, au sein des structures d'accueil, dans les hôtels. Quel est le gain de cette démarche, finalement, si ce n'est qu'elle accentue la précarité ?
Est-ce que notre système provoque le tourisme social ? On le saurait ! Il y a tout de même deux ans d'attente, aussi n'est-il pas possible pour un migrant très modeste, par exemple, qui viendrait d'ailleurs en Europe ou de Suisse, de débarquer à Genève, ding-dong, je m'inscris et je décroche un logement directement ! Non, il faut patienter deux ans, une limite raisonnable, dure peut-être pour les personnes concernées, mais qui permet d'asseoir une installation réelle dans le canton. Pourquoi la porter à cinq ans ? Pourquoi maintenir les gens dans une pauvreté accrue ?
Mesdames et Messieurs, il me faut encore mentionner un autre aspect: pour obtenir un logement à Genève, que ce soit du loyer libre, de la PPE ou du logement social, voire des coopératives d'habitation, eh bien la durée de l'inscription compte. On le sait, le réseau à Genève est important, mais le temps d'attente sur une liste vous fait gagner des points également. Bien sûr, l'attribution des logements sociaux est principalement basée sur les situations de précarité: une femme battue qui doit se réinstaller avec ses deux enfants aura un avantage sur quelqu'un qui est inscrit depuis dix ans, il en va ainsi. Mais à deux personnes ou deux ménages à situation égale, celui qui patiente depuis plus longtemps a un avantage. Ainsi, nos résidents historiques sont de toute façon favorisés par rapport aux gens qui sont là depuis trois ou quatre ans, ce qui signifie que ce projet n'aura pas d'effet réel sur le marché du logement, il contribuera seulement à renforcer les inégalités.
Il est triste, à l'heure où nous sommes tous derrière notre équipe nationale, de valider cette attaque contre les migrants, cette attaque contre les étrangers modestes, cette attaque contre les Confédérés. Mesdames et Messieurs les députés de la droite, si vous voulez aider les personnes qui cherchent un logement - social, classe moyenne, PPE -, alors soutenez-nous dans le développement des nouveaux quartiers: là, nous proposons une solution qui est intégrative et qui ne discrimine pas. En l'état, le Conseil d'Etat s'oppose fermement à ce projet de loi. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Il y a une demande de vote nominal, est-elle soutenue ? (Plusieurs mains se lèvent.) C'est le cas. A présent, je mets aux voix l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12752 est adopté en premier débat par 49 oui contre 38 non et 2 abstentions (vote nominal).
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement déposé par M. François Baertschi, qui fait passer le critère de la durée de résidence de cinq à quatre ans:
«Art. 31B, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Peuvent accéder à un logement soumis à la présente loi les personnes assujetties à l'impôt sur le revenu à Genève et ayant, en principe, résidé à Genève pendant quatre années continues dans les huit dernières années.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 48 oui contre 12 non et 23 abstentions.
Mis aux voix, l'art. 31B, al. 3 (nouvelle teneur), ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12752 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 45 oui contre 38 non et 4 abstentions.
Une voix. Goal ! (Applaudissements. Exclamations.)