République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 mai 2021 à 14h
2e législature - 4e année - 1re session - 3e séance
M 2666-B
Débat
Le président. Nous traitons à présent la M 2666-B et la parole va à M. Sébastien Desfayes.
M. Sébastien Desfayes (PDC). Merci, Monsieur le président. Le groupe PDC a pris connaissance de la réponse du Conseil d'Etat à cette motion; réponse bien étayée, avec de nombreux points positifs. Sans vouloir être exhaustif ici, on remarque que l'exécutif va dans la bonne direction en matière de politique pénitentiaire - et la politique pénitentiaire existe bien, contrairement à ce que prétendent certains. A l'époque des Dardelles, on nous disait que rien n'était possible et qu'il fallait accepter ce calamiteux projet; on s'aperçoit que le champ des possibles s'est élargi avec notamment des engagements en vue de la réinsertion ou de la formation des détenus, la réduction de la détention administrative, la construction prochaine d'une prison réservée aux femmes et, enfin, le redimensionnement de la nouvelle prison d'exécution des peines sans empiétement sur les terres agricoles. Voilà pour les points positifs.
Il n'en demeure pas moins que certaines réponses sur des points fondamentaux n'ont pas été apportées. Il y a en premier lieu la question de la conversion des amendes en détention, en peine de prison. Encore aujourd'hui - ce qui est inadmissible - des personnes se trouvent en détention à Champ-Dollon, un établissement violent, parce qu'elles n'ont pas payé leurs amendes ! C'est un établissement dur, de haute sécurité; nous avons des gens qui ont eu leur destin brisé, leur vie brisée - leur vie familiale brisée ! - alors même qu'il suffirait qu'il y ait des centres de détention en milieu ouvert ou semi-ouvert pour les accueillir.
S'agissant du travail d'intérêt général - le fameux TIG -, les chiffres genevois sont catastrophiques, surtout si on les compare à ceux de Berne ou de Zurich: seulement 17 TIG effectués l'année dernière à Genève, contre 2000 à Berne et à Zurich, un chiffre éloquent. Pour ce qui est ensuite de la détention préventive, comment expliquer que seules cinq personnes ont eu - ou pu avoir - recours au bracelet électronique comme substitut, comme mesure alternative, en 2019 ? Cinq personnes y ont eu recours en 2019, trois en 2020. Alors certes, on vient nous dire: «Oui, mais il y a le risque de fuite.» Mais à quoi sert le bracelet électronique, la surveillance électronique, si ce n'est à prévenir le risque de fuite ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Enfin, un dernier mot sur le transfèrement, c'est-à-dire l'exécution de la peine de prison dans le pays d'origine, sachant que 70% des détenus à Champ-Dollon n'ont pas de titre de séjour: l'accroissement de cette piste n'est absolument pas développé dans ce rapport. Il y a donc des éléments...
Le président. Merci.
M. Sébastien Desfayes. ...positifs, d'autres négatifs; raison pour laquelle nous demandons le renvoi à la commission des visiteurs officiels. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci beaucoup. Nous traiterons votre demande de renvoi à la fin des prises de parole. Je cède le micro à M. le député Christian Zaugg.
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, force est de reconnaître que de l'eau a coulé sous les ponts depuis le refus par le Grand Conseil de l'établissement pénitentiaire surdimensionné des Dardelles. Alors oui, il y a la réponse formelle, un peu abstraite, écrite, du Conseil d'Etat que nous avons en ce moment sous les yeux, mais on trouve également une réponse que je pourrais qualifier de projet en nature: je parle ici des plans officieux soumis par le Conseil d'Etat à la commission des visiteurs officiels. Et là, il faut bien reconnaître que le gouvernement a su rebondir - et de belle manière - suite au refus des Dardelles et au vote de la motion dont nous parlons en ce moment.
On trouve dans le rapport toutes les réponses aux questions posées: l'agrandissement et la rénovation de la prison de Champ-Dollon, la construction d'un établissement très attendu pour les femmes, le redimensionnement de La Brenaz - ce que je trouve intéressant, c'est que ladite proposition offre des combinaisons multiples. J'ai notamment relevé, à cet égard, la possibilité d'offrir un espace de détente dédié aux femmes sur le périmètre ouest de Curabilis. Certes, le concept de village pénitentiaire urbain pourrait en rebuter quelques-uns, mais force est de constater que le Conseil d'Etat a su rebondir en maintenant par exemple le périmètre agricole, sacrifié dans le projet des Dardelles, et en répondant aux questions relatives à une extension qualitative que lui avait posées le Grand Conseil.
Par voie de conséquence, nous enjoignons à la commission des travaux, où il a été renvoyé de façon informelle, d'examiner ce projet avec bienveillance car, si je ne m'abuse, il a retenu l'intérêt attentif de la commission des visiteurs officiels qui souhaite pouvoir le suivre de près. Le groupe Ensemble à Gauche attend donc un projet d'ensemble plus élaboré, et invite le Conseil d'Etat et l'OCD à poursuivre le travail entrepris en y associant la commission des visiteurs officiels. Dans cet esprit, nous soutenons totalement la demande de notre collègue Desfayes, à savoir le renvoi à la commission des visiteurs. Merci pour la proposition !
Mme Léna Strasser (S). Je ne vais pas être bien longue, je pense que mes préopinants ont dit à peu près tout ce qu'il y avait à dire. Je voulais juste annoncer que le groupe socialiste soutiendra le renvoi de cette motion - enfin, de ce rapport sur la motion - à la commission des visiteurs.
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je soutiens également ce qu'ont dit mes trois préopinants. J'ajouterai peut-être un point: la réponse à la motion montre effectivement qu'une autre politique pénitentiaire est possible. Ça va donc dans la bonne direction. En plus des éléments apportés par M. Desfayes, j'en apporterai un ou deux autres.
Un des aspects intéressants, c'est la flexibilité dans l'utilisation des lieux de détention. On nous dit notamment que les personnes qui veulent faire de la détention semi-ouverte sont quasiment obligées d'aller dans un autre canton, tout en précisant que c'est en fonction des places disponibles. Il semble par conséquent qu'il n'y en a pas toujours, que ce soit aux Etablissements de la plaine de l'Orbe ou à Bellechasse, et je ne comprends pas pourquoi on ne pourrait pas développer aussi un ou deux établissements de ce genre-là dans le canton de Genève, par exemple en mélangeant de la détention semi-ouverte avec du travail agricole. A ma connaissance, ça n'existe pas et c'est à mon sens un axe qu'on pourrait développer.
Les orientations sont donc bonnes, mais je pense, tout comme mes préopinants, que ces projets méritent d'être suivis et je soutiens le renvoi à la commission des visiteurs officiels.
M. François Baertschi (MCG). Pour le groupe MCG, la réponse du Conseil d'Etat est tout à fait satisfaisante et nous en prendrons acte. Nous constatons qu'un certain nombre de députés n'en sont pas satisfaits - pourquoi ? Parce qu'ils vivent dans un monde idéal, dans un monde de Bisounours hors du réel, où il faudrait des prisons ouvertes, ouvertes aux quatre vents, alors que la réalité, c'est que 70% de nos détenus n'ont aucune attache avec Genève. Cela signifie qu'une criminalité internationale sévit à Genève, et il faut s'en protéger. C'est une réalité, même si on ne veut pas la voir !
Il manque, c'est certain, une prison à Genève. Les Dardelles auraient été cette prison; le débat a été fait et le projet n'a pas été accepté. Nous le déplorons parce que nous aurions pu rapidement avoir une solution au problème carcéral genevois qui ne soit pas une utopie, mais bien une réalité. Nous avons à la place un projet alternatif qui prendra plus de temps, qui risque d'être difficile à mettre en place, qui va accroître l'insécurité à Genève. Il faut l'assumer: il faut assumer nos actes, assumer la réalité et non vivre dans un monde de rêve comme le font certains. Ils rêvent, ils sont dans un petit monde et se disent: «Tiens, on pourrait faire un champ par-ci, un champ par-là; mettre en plein air, dans un espace de liberté, des détenus dangereux, des détenus qui ne purgeraient pas leur peine.» Mais dans quelle société vivons-nous ! Je pense qu'il y a un décalage réel entre ce que les gens désirent, entre leur vision du monde, et la réalité de ce monde, qui est tel qu'il est, même si on peut le déplorer.
C'est pour toutes ces raisons qu'il faut prendre acte de la réponse du Conseil d'Etat. Le gouvernement a apporté une réponse incomplète parce qu'il a répondu ce qu'il a pu ! Il ne pouvait pas donner les réponses que certains auraient désirées parce qu'elles auraient été contraires à la réalité des faits. Et cette réalité des faits, je crois qu'il faut en tenir compte; nous devons avoir la sagesse de prendre acte de ce rapport. Merci, Monsieur le président.
M. Jean Romain (PLR). Le PLR prendra également acte de cette réponse. Cette réponse est complète; quand on relit la rafale d'invites de la motion, on est dans plusieurs dimensions - plusieurs dimensions qu'un simple retour en commission n'arrivera pas à fédérer dans une seule vision. La motion est évidemment assez intéressante, parce qu'elle demande une modification de la politique générale de l'incarcération: on n'est notamment pas obligé, comme l'a défendu avec bon sens le député Desfayes, de mettre tout le monde à Champ-Dollon.
Ce que l'on doit faire maintenant, ce n'est pas renvoyer cela en commission ! La commission ferait deux ou trois auditions, dirait qu'elle est plus ou moins d'accord avec celui-ci, plus ou moins en désaccord avec celui-là. Ce qu'il faut, c'est que le Conseil d'Etat nous présente prochainement un nouveau projet - vu que les Dardelles n'ont pas été acceptées, ils sont évidemment déjà en train de travailler dessus. Ce nouveau projet, qui nous a été présenté en commission, aura peut-être des lacunes et je suis d'accord avec le député Zaugg qui demande d'une certaine manière, et il a raison, à y participer: c'est une demande de la commission des visiteurs officiels. Mais ce n'est pas en renvoyant cette réponse en commission que nous arriverons à trouver la solution. La solution nous dépasse parce que ce n'est pas à nous de la proposer - c'est par contre à nous de la solliciter et de la commenter. Je répète donc que le PLR prend acte de cette réponse circonstanciée, qui n'est pas du tout une moquerie à notre endroit.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, la parole n'étant plus demandée, je vous fais voter sur la proposition de renvoi de ce rapport du Conseil d'Etat à la commission des visiteurs officiels.
Mis aux voix, le renvoi du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2666 à la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil est adopté par 44 oui contre 36 non.