République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 mars 2021 à 16h15
2e législature - 3e année - 9e session - 57e séance
M 2737
Débat
Le président. Nous passons à l'urgence suivante, la M 2737 de Mme Glenna Baillon-Lopez et consorts. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. L'auteure ne demandant pas la parole, je la donne à M. le député Alberto Velasco.
M. Alberto Velasco (S). Merci, Monsieur le président. Je me permets de lire un texte de Mme Baillon-Lopez puisqu'elle n'est pas présente aujourd'hui.
«Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je viens vous parler d'une situation et de personnes qui passent souvent inaperçues et qui sont les oubliées du système, particulièrement en ces temps de crise covid. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons aidé les entreprises, les indépendants, les commerces, mais, aujourd'hui, les locataires d'habitations privées, ceux et celles qui avaient un emploi temporaire, sont les grands oubliés de la situation alors qu'ils ont besoin de nous, particulièrement ceux qui ont perdu leur emploi, qui sont dans une situation précaire et qui, par manque de revenus, ne peuvent plus faire face au paiement de leur loyer.
«Notre indifférence envers ces personnes est innommable; elles sont en train de perdre espoir en nous alors qu'elles nous ont élus pour justement les protéger dans des crises comme celle du covid. Que faisons-nous ? Exactement le contraire ! Elles menaient déjà une vie difficile avant la crise, leur salaire leur permettait juste de survivre et elles sont à présent menacées d'expulsion car bon nombre d'entre elles ne perçoivent ni le chômage ni aucune autre aide de l'Etat.
«Hier, j'ai écouté les arguments qui allaient à l'encontre du PL 12798-B concernant l'aide individuelle aux locataires. Certains d'entre vous, décriant ses faiblesses, ont refusé un projet dont la finalité visait à aider en urgence les locataires, ceux-là mêmes qui, dès le 1er juin, seront expulsés de leur domicile et dormiront dans les rues de notre ville car l'ultimatum arrive à échéance le 31 mars. Oui, vous avez bien entendu, les locataires seront expulsés, parce que l'arrêté de M. Poggia empêchait l'expulsion des locataires pendant deux mois seulement, alors que nous savons tous que la crise sanitaire dure depuis plus d'un an ! La solution était dérisoire face à un problème aussi dramatique qui aurait nécessité une conclusion bien plus humaine.
«Les réponses négatives que nous donnons à des projets de solutions exceptionnelles à la hauteur de cette crise ne donnent aucune chance à une discussion ou à des modifications du PL 12798-B qui pourraient faire aboutir un accord. Après tout, nous parlons ici d'êtres humains, de vies brisées et non de statistiques sans visage. Notre système ne protège pas suffisamment les locataires et la loi n'est pas en harmonie avec ce type de crise sanitaire. Je vous parle de familles avec des enfants qui vont bientôt se retrouver dans la rue et augmenter le nombre des SDF à Genève. Nous nous devons de les aider, non seulement par solidarité, mais aussi parce qu'ils ont des droits, au regard de l'article 38 de la constitution. Avoir un toit est un droit fondamental.» J'ajoute qu'il en va aussi de la dignité des personnes. «Il y a quelques années, nous avons refusé la trêve hivernale. Pourtant, ce projet aurait permis aux personnes qui sont aujourd'hui dans une situation difficile de maintenir leur statut de locataires»...
Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe.
M. Alberto Velasco. ...«et par conséquent, nous aurions eu une problématique en moins à gérer. Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le conseiller d'Etat, nous ne vous demandons pas ici la charité mais voulons vous présenter aujourd'hui deux solutions qui pourront alléger le tourment des locataires.
«Premièrement, il faudrait agir auprès des propriétaires pour que les locataires en situation de défaut de paiement puissent, dans toute la mesure du possible, conserver leur logement, y compris les personnes dont le bail aura été résilié au cours des douze derniers mois, en coordination avec le département de la cohésion sociale.
«Deuxièmement, il faudrait prolonger en parallèle le moratoire sur les expulsions sine die étant donné l'impossibilité, pour l'heure, de prévoir la reprise de l'activité économique et la difficulté de se loger avec un loyer convenable.»
Je vous prie donc, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir accepter cette motion. (Applaudissements.)
M. Pablo Cruchon (EAG). Mesdames les députées, Messieurs les députés, en 2020, la population suisse a vu ses revenus baisser largement: d'après les projections, les ménages perdent environ 2,5% à 3% en moyenne, soit environ 1700 francs sur l'année. C'est une moyenne, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui n'ont pas été lésés, il y en a qui ont gagné et d'autres qui ont beaucoup perdu ! Parmi les gens qui ont beaucoup perdu ou qui perdent un peu, certains étaient à la limite et se retrouvent avec des difficultés de paiement. Or, à Genève, la question du logement est centrale concernant les coûts à charge d'un ménage puisque nous sommes dans une des villes les plus chères de Suisse, où les loyers sont particulièrement élevés. On ne va pas refaire le débat là-dessus, mais c'est clairement hors de prix !
Rien n'a été fait par ce parlement pour protéger ces gens. Or, pourquoi est-ce qu'il faut protéger ces gens ? Encore une fois, parce que nous avons confié la gestion de notre habitat, la gestion de nos appartements et de nos maisons au secteur privé; l'Etat et notre Grand Conseil continuent de confier cette gestion au secteur privé qui a pour seule finalité de s'en mettre plein les poches, qui n'en a rien à faire de la gestion de la crise sociale, de la crise économique, etc. Nous sommes donc complètement dépourvus d'une politique sociale du logement prenant en compte les éléments conjoncturels ou structurels et qui permettrait de lutter efficacement contre le décrochage dans la pauvreté voire dans le sans-abrisme !
Face à ça, la réponse proposée dans cette proposition de motion est certes assez modeste, mais celle-ci contient deux invites qui devraient attirer notre attention - trois invites même ! Elle propose d'abord de renouveler les baux aux mêmes conditions s'ils ont été résiliés dans les douze derniers mois. Il s'agit ensuite de geler l'exécution des jugements d'évacuation pendant cette période de pandémie, ce qui nous semble évidemment sensé; je pense que le Conseil d'Etat le cautionnera aussi. Surtout, l'invite la plus intéressante concerne l'obligation pour les régies de transmettre copie des mises en demeure et des résiliations de baux au département de la cohésion sociale pour suivi. Effectivement, nous avons un problème de suivi et ce n'est pas que dans ce cas-là ! Nous avons un problème de suivi de ce qui se passe sur le marché du logement, sur le marché des résiliations ! De ce point de vue, cette invite va dans le bon sens. A défaut de pouvoir socialiser le logement et la gestion du territoire, comme il serait bon de le faire, et d'exproprier ces propriétaires qui n'en ont rien à faire, nous soutiendrons cette proposition de motion qui est un petit pas dans la moins mauvaise direction !
Mme Claude Bocquet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat et le Grand Conseil ont pris des mesures pour soutenir les locataires en difficulté via un arrêté qui suspend l'évacuation des locataires jusqu'au 31 mars et via le PL 12836 qui a mis 12 millions de francs à disposition des personnes en situation de précarité. Lors des auditions à la commission du logement, l'Hospice général a indiqué qu'il n'y avait pas d'augmentation des expulsions de locataires depuis le début de la pandémie et il a mentionné que les régies faisaient preuve de souplesse et de compréhension afin de trouver des arrangements avec les locataires en difficulté. Le PDC refusera donc cette proposition de motion qui est une ingérence dans les rapports de droit privé.
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Monsieur le président, cette proposition de motion, ajoutée hier en urgence, a de toute évidence pour but de contrecarrer le refus, hier, du PL 12798. Ce procédé qui consiste à proposer le même sujet, dans une même séance, avec quelques variations, est à mes yeux discutable. En effet, ce texte demande peu ou prou la même chose que le PL 12798, soit l'interdiction des expulsions, un suivi social et un moratoire sur le paiement des loyers.
Cette proposition de motion présuppose que nous avons constaté ces derniers mois une augmentation massive des expulsions, ce qui n'est pas le cas. Le Conseil fédéral a prolongé, au plus fort de la crise, la possibilité de payer son loyer à nonante jours au lieu de trente jours et le Conseil d'Etat prolonge l'interdiction des expulsions. De plus, hier, le canton de Genève, l'Union suisse des professionnels de l'immobilier - qui regroupe l'immense majorité des régies de Genève - et la Chambre genevoise immobilière ont finalisé la préparation d'une lettre commune destinée à tout locataire qui connaît des difficultés à s'acquitter de son loyer et reçoit une mise en demeure. Grâce à cette information proactive - qu'on retrouve également sur internet - les locataires en difficulté de paiement sont clairement orientés vers le Bureau d'information sociale, c'est-à-dire la permanence mise en place par le département de la cohésion sociale pour expliquer aux personnes concernées à quelles aides elles ont droit et ainsi leur venir en aide concrètement et rapidement.
Nous constatons donc que les autorités et les diverses parties prenantes font le nécessaire dans la situation particulière que nous vivons aujourd'hui. Je rappelle également que notre parlement a voté un crédit de 12 millions de francs à la fin de l'année passée, qui sert notamment à venir en aide aux personnes qui n'arrivent plus à payer leur loyer en raison du covid. Pour toutes ces raisons, le groupe PLR vous invite à refuser cette proposition de motion. (Applaudissements.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion, elle va dans le bon sens ! Elle va dans le bon sens parce qu'on doit effectivement rester attentif à ce que les locataires qui ont des difficultés suite à cette crise, cette pandémie, ne se retrouvent pas dans la rue. Même si les statistiques montrent aujourd'hui qu'il n'y a pas une liste très longue d'expulsions, il faut bien être attentif à éviter ce type de situations, les mises en demeure et ensuite les expulsions. Parce qu'une fois que le mécanisme est enclenché, il est extrêmement difficile de l'arrêter, malgré toute la bonne volonté qu'on peut avoir: vous le savez bien, le droit fédéral est assez impitoyable. Certains bailleurs jouent le jeu, mais il y en a beaucoup qui ne jouent pas le jeu ! Il y en a aussi beaucoup qui n'ont pas joué le jeu dans le cadre des accords Vesta qui avaient pour mission d'aider les locataires commerciaux ! Même des bailleurs sociaux n'ont pas joué le jeu ! Par conséquent, le MCG va soutenir cette proposition de motion qui va dans le bon sens.
J'aimerais rappeler ici qu'il y a peu de temps, il y a environ un an, le MCG avait déposé un projet de loi visant à responsabiliser les services sociaux des communes, dans le cas de mises en demeure et d'expulsions. Ce Grand Conseil a traité cet objet et l'a refusé pratiquement à l'unanimité - à part le MCG évidemment ! Mesdames et Messieurs, vous l'avez refusé - y compris la gauche ! C'eût été de bon aloi d'accepter ce texte, parce que c'était juste avant la pandémie. La proximité est importante, on avait justement pensé que les services sociaux des communes devaient être informés des mises en demeure et des expulsions, de façon à pouvoir agir préventivement le cas échéant. Bon, ce projet de loi est passé à la trappe parce que vous en avez voulu ainsi, y compris la gauche !
Cela dit, cette proposition de motion va dans le bon sens et une partie des demandes a déjà été réalisée avec le gel des évacuations et de l'exécution des jugements qui sera peut-être prolongé, si c'est nécessaire. Par conséquent, je redis que le MCG votera ce texte.
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, nous vivons une situation particulière: on a interdit à certaines personnes de travailler, non pas parce qu'elles ont fait une erreur, mais pour des raisons sanitaires, alors que d'autres continuent à travailler. Il y a donc une sorte d'inégalité flagrante dans notre canton ! Cela place certaines personnes - pas toutes ! - dans une situation de précarité extrêmement forte. D'autant plus qu'une sorte de tradition dans ce canton veut que les aides administratives mettent un temps phénoménal pour arriver ! Les RHT sont prévues pour arriver trente jours après le versement du salaire, mais quand on a un peu de retard pour faire les choses, il n'est pas rare que les RHT arrivent avec soixante jours ou plus de retard, ce qui cause des problèmes lorsque vous êtes chef d'une petite entreprise avec des employés. A cause de cela, des gens n'arrivent pas à payer leur loyer. Cette situation est extrêmement particulière: ce n'est la faute de personne, mais ces personnes ont interdiction de travailler parce qu'elles sont actives dans un secteur où c'est comme ça, parce que ça a été décidé administrativement, et on se retrouve avec des gens qui ont puisé dans leurs réserves, qui sont allés jusqu'au bout de ce qu'ils pouvaient faire en essayant de maintenir le paiement de leur loyer. Bien évidemment, ce n'est pas la première chose dans laquelle ils ont coupé: ils ont coupé dans tout le reste d'abord !
Aujourd'hui, on voit que ces gens arrivent au bout et vont finir par perdre leur logement. Que veut dire perdre son logement ? Ça veut dire qu'au moment où la situation redémarrera, ils ne seront plus là; ils ne seront plus là pour participer au redémarrage de notre économie; ils ne seront plus là pour reprendre leur poste de travail, simplement parce qu'on aura totalement détruit leur vie ! Quand elles ne se retrouvent pas dans la rue, si elles ont de la chance, ces personnes se retrouvent dans un hôtel payé par la collectivité, et c'est encore quelque chose qui va nous coûter de l'argent. C'est la responsabilité de la collectivité d'assumer, quand elle a ordonné l'arrêt du travail durant un certain temps pour des questions sanitaires. Les Verts soutiendront donc cette proposition de motion et demanderont simplement que l'on fasse un effort collectif en se rendant compte que certaines personnes ne peuvent pas travailler et que ce n'est pas de leur fait. C'est le fait de décisions que nous avons prises et que nous devons assumer en tant qu'autorité et en tant que responsables politiques. Et là, nous leur devons absolument un soutien ! (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Monsieur le président, le groupe UDC ne soutiendra pas non plus cette proposition de motion, cela pour quatre raisons.
La première est le crédit de 12 millions de francs que nous avons voté, qui permet d'aider et de fournir une aide financière à des personnes qui ont des problèmes pour payer leur loyer. Comme il a été dit juste avant, 1600 personnes ou 1600 familles bénéficient déjà de cette aide.
La deuxième raison concerne l'arrêté covid suspendant les évacuations, que nous avons également voté hier: lors de l'étude de cet arrêté, nous avons appris qu'il y avait 41 dossiers concernés par cette suspension d'évacuation, et le Conseil d'Etat nous a indiqué que probablement aucun de ces 41 dossiers n'avait de lien avec la crise covid.
La troisième raison concerne le projet de loi de soutien individuel aux locataires que nous avons aussi voté hier: lors des travaux sur ce projet de loi, l'audition a clairement démontré que les régies genevoises n'avaient pas constaté d'augmentation des difficultés de paiement et elles ont précisé qu'elles étaient à l'écoute et qu'elles avaient une attitude très conciliante si un problème devait être avéré. La gérance immobilière de la Ville de Genève n'a rapporté aucune résiliation.
Le quatrième point est sans doute le plus important: les invites 2 et 4 relèvent du droit fédéral et sont certainement contraires au droit de la propriété inscrit dans notre constitution.
Pour ces raisons, le groupe UDC refusera cette proposition de motion.
M. Alberto Velasco (S). Quand il s'agit de verser 220 millions de francs pour les loyers commerciaux, vous êtes bien alignés et vous ne vous posez pas les questions que vous vous posez quand il s'agit de voter 12 millions de francs pour aider des locataires afin qu'ils n'atterrissent pas chez Caritas ! Quand il s'agit d'accorder un droit dans une situation difficile, un droit qui restaure la dignité, systématiquement, la droite renvoie les locataires vers le système caritatif ! Dans un canton avec 80% de locataires, je dois relever que la droite de ce parlement refuse toujours toute aide et tous droits à ceux-ci ! C'est quand même incroyable, avec 80% de locataires dans ce canton, Mesdames et Messieurs ! Par contre, quand il s'agit d'aider les 17% de propriétaires, là, systématiquement encore, l'UDC, le PLR et le PDC votent avec le coeur dans la main: c'est incroyable ! Je dois dire que c'est profondément choquant dans une république qui dit être là pour s'occuper de préserver la dignité de gens qui risquent de perdre leur logement.
Perdre son logement à Genève veut dire que vous n'en retrouverez pas un nouveau, parce que si vous deviez en retrouver un, ce serait avec un loyer deux à trois fois supérieur à celui que vous payiez avant. C'est la réalité et ce sera à l'Etat de rattraper ça en dépensant deux ou trois fois ce que ça aurait coûté de maintenir ces personnes dans leur logement actuel ! Mesdames et Messieurs, je suis consterné par ça et surtout par l'attitude du PDC qui est un parti de coeur et d'aide ! (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat prend très au sérieux la fragilité de certains locataires. Aujourd'hui, dans l'absolu, le nombre de locataires qui se sont vu résilier leur bail reste relativement modeste ou n'est pas nettement supérieur à celui des années précédentes. Mais de l'aveu même des milieux immobiliers, une fragilité se fait sentir, et c'est aussi le constat fait par l'ASLOCA. En cette période de confinement, je veux ici parler des gens de la classe moyenne inférieure. Je ne parle pas des classes les plus modestes, qui bénéficient d'un logement social et sont automatiquement aidées; elles sont, elles, déjà au bénéfice d'une allocation de logement qui peut être adaptée à la situation personnelle. Je ne parle pas des personnes au bénéfice d'un logement d'utilité publique ou vivant dans un HBM appartenant à des fondations publiques, parce que là encore, des décisions ont été prises. On parle bien de la classe moyenne inférieure qui touche normalement peu ou pas d'aides, mais qui est aujourd'hui fragilisée par la situation économique que nous connaissons.
Eh bien, durant cette année difficile, cette classe moyenne inférieure a dû se serrer la ceinture. Un constat intéressant a été fait ces derniers mois par les milieux immobiliers, qui ont carrément remarqué qu'il y avait moins de résiliations que d'habitude ! Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en période de confinement, ces familles et ces ménages fragiles - ces indépendants, ces commerçants, ces petits patrons, ces salariés mis aux RHT et ayant perdu 20% de leur salaire - ont fait le choix de payer avant tout leur loyer ! Dans une société où le seul endroit où vous pouvez être, c'est chez vous parce que tout est fermé, il est assez humain et naturel de sécuriser ce chez-soi. C'est pertinent, à vrai dire. Mais ces gens-là ont bientôt fini de manger leur pain blanc, Mesdames et Messieurs les députés ! Par conséquent, le problème dont nous débattons ce soir risque de s'accentuer, même après la levée des mesures sanitaires: tout le monde ne retrouvera ou ne récupérera pas les revenus qui auront été perdus permettant d'assurer le paiement régulier d'un loyer. Nous sommes donc dans une situation encore relativement maîtrisée, mais qui montre des signes d'aggravation. C'est dire si le Conseil d'Etat estime importante la question de la protection des locataires, ou de la protection du droit au logement, pour être plus précis - parce qu'on pourrait aussi avoir des difficultés à payer son crédit hypothécaire. Sur le fond, le Conseil d'Etat suivra attentivement cette question, et il conviendra d'ajuster les mesures en conséquence.
Pour revenir brièvement sur les invites, globalement, le Conseil d'Etat pourrait vivre avec cette motion, quand bien même certaines concernent purement le droit fédéral, on l'a rappelé. Il ne sera pas possible pour le Conseil d'Etat d'intervenir de manière trop frontale ou contraignante dans les rapports entre les locataires et les bailleurs. Cependant, comme on l'a dit aussi, ces dernières semaines, en collaboration avec les milieux immobiliers et en consultant les milieux des locataires, nous avons pu préparer une lettre d'information qui sera envoyée à tout locataire ayant des difficultés à payer son loyer; cette lettre sera relayée par toutes les régies membres de l'USPI, c'est-à-dire l'essentiel des régies genevoises. Elle informe les locataires de leurs droits, indique l'existence du Bureau d'information sociale et donne des adresses qui leur permettent d'accéder à une défense personnelle. Elle permettra donc aux citoyennes et aux citoyens en difficulté de bénéficier d'un certain nombre de dispositifs existants et gérés par mon collègue Thierry Apothéloz au département de la cohésion sociale. Bien évidemment, nous allons toujours assurer un suivi avec les propriétaires et les régies qui jouent le jeu - la majorité d'entre elles, il faut le souligner. Si le volume des résiliations vient à augmenter, nous étofferons peut-être notre dispositif. Enfin, je confirme ce que mon collègue Poggia vous a dit hier: le Conseil d'Etat a déjà pris la décision par arrêté de suspendre les expulsions judiciaires en lien avec les jugements d'évacuation pendant la période de la crise sanitaire. Par cette décision, il a déjà accompli la quatrième invite.
Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit d'un dossier à suivre et cette proposition de motion est un signal, mais il appartiendra surtout aux partenaires sociaux que sont les milieux immobiliers et les représentants des locataires d'évaluer la situation en lien avec le Conseil d'Etat, mois après mois, et il s'agira de prendre des mesures complémentaires si la situation vient à se dégrader.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je soumets cette proposition de motion au vote.
Mise aux voix, la motion 2737 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 47 oui contre 46 non et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)