République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 4 mars 2021 à 20h30
2e législature - 3e année - 9e session - 55e séance
IN 176 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous abordons le point fixe, l'initiative 176 et le rapport du Conseil d'Etat sur cet objet. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à M. Rémy Pagani.
M. Rémy Pagani (EAG). Merci, Monsieur le président. Je dirai quelques mots avant le renvoi en commission de cette initiative. (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Monsieur Pagani ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Veuillez faire silence pour écouter votre confrère, le député Pagani ! (Commentaires.)
M. Rémy Pagani. Merci, Monsieur le président. Je dirai donc quelques mots avant que cette initiative soit renvoyée en commission. Tout d'abord, sous l'angle formel du droit supérieur, on a constaté que cette initiative était valable, sauf sur un point. Elle sera donc rectifiée le cas échéant. Toujours est-il que ce texte est bien trompeur par rapport à ses objectifs, parce qu'en principe, l'objectif de la démocratie, c'est de faire valoir les intérêts de la collectivité. Or là, les intérêts de la collectivité cantonale et globale vont bien être mis à mal, puisque en fait, l'idée même de cette initiative, c'est de donner un poids très important aux conseillers municipaux et aux propriétaires quant aux changements d'affectation et aux changements de zones dans notre canton. Cela veut dire, de fait - et on a déjà assisté à ce premier coup de canif quand une majorité de ce Grand Conseil a donné un poids plus important aux communes dans l'adoption des plans localisés de quartier - qu'on arrive à des situations où... On peut prendre l'exemple d'une école à construire, parce qu'à chaque fois qu'on réalise un plan localisé de quartier important, il s'agit de désigner l'emplacement d'une école. On le sait, dès le moment où le plan localisé de quartier tombe sur certaines parcelles, les propriétaires ne retrouvent pas le gain qu'ils espéraient et sont donc forcément contre l'intérêt commun.
Donc ces propriétaires, qui aujourd'hui n'ont pas beaucoup d'arguments - et pour cause: c'est l'intérêt public qui prédomine -, demain, avec cette initiative - bien qu'elle se prétende démocratique - auront tous les pouvoirs pour non seulement s'opposer aux plans localisés de quartier qui ont été adoptés ou qui pourront être adoptés - parce que l'initiative n'a pas d'effet rétroactif -, mais aussi pour en proposer d'autres et demander à avoir un pouvoir important; de même pour les conseillers municipaux de certaines communes, qui ont par ailleurs déjà fait valoir un certain nombre de positions quant à la densification de leur commune et qui s'y opposent, contrairement à d'autres communes qui ont fait de grands efforts de densification ces derniers temps.
Par conséquent, nous prenons acte du fait qu'une majorité va se dégager pour renvoyer cette initiative en commission, et on se réserve le droit d'en discuter de manière tout à fait importante en ce qui concerne le droit de la collectivité de faire valoir ses besoins de prime abord, comme c'est aujourd'hui la règle. Je vous remercie de votre attention.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste rejoint les propos qui viennent d'être tenus par M. Pagani. J'aimerais ajouter qu'il est faux de croire que l'initiative va répondre aux besoins des habitants du fait de la seule consultation des voisins et des propriétaires de parcelles, car ces besoins sont aussi ceux des personnes qui n'habitent pas encore sur place: ce sont les 8000 demandes de logement; ce sont celles et ceux qui aimeraient déménager mais qui ne trouvent pas de logement; ce sont les 2000 personnes qui quittent Genève chaque année pour se loger et qui viennent chaque jour à Genève pour travailler, mais qui aimeraient vivre plus près de leur lieu de travail. Est-ce à dire que l'on va choisir a posteriori qui peut habiter dans un secteur ? Selon quels critères ? Cette initiative ne dit pas non plus que la commune est déjà associée au développement de son territoire par le biais du plan directeur communal. Elle ne dit pas qu'elle est aussi associée dès le départ dans la définition des besoins, lors du développement d'un quartier.
Le titre de cette initiative est aussi de la poudre aux yeux: le processus de concertation est déjà inscrit dans la loi générale sur les zones de développement. Oui, la qualité n'a pas toujours été au rendez-vous, mais l'initiative ne propose rien d'autre que de renforcer les particularismes et ne répond pas à l'intérêt général. Elle retarde même les processus souvent déjà décrits comme trop longs. Or, toute commune ne peut pas attendre pour la mise à disposition d'équipements, et l'absence de cohérence générale nuit gravement à la cohésion sociale.
Enfin, l'urbanisme à la parcelle renforce les inégalités, renforce le manque de qualité et ne permet pas de produire du logement, car il ne résout rien s'agissant des droits à bâtir. Il renforce l'étalement urbain dans un canton qui ne peut se le permettre au vu de son territoire contraint.
En résumé, je pense, et le groupe socialiste avec moi, qu'en fait, les initiants ne veulent tout simplement pas construire pour toutes et tous sans privilèges. Mais, évidemment, nous discuterons de cela en commission. A n'en pas douter, cela posera énormément de questions. Merci beaucoup.
M. David Martin (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je rejoins les propos de mes préopinants. J'aimerais repartir du constat que les initiants formulent: ils reprochent aux nouveaux quartiers d'être «des barres d'immeubles sans âme». Si on peut être d'accord avec ce constat dans un certain nombre de cas; si on peut être d'accord sur le fait qu'il y a une marge de progrès pour la qualité architecturale, la diversité architecturale, peut-être le choix des matériaux; si on peut être d'accord avec le fait qu'il y a des efforts à fournir en matière de biodiversité dans les secteurs construits ou encore que certains quartiers pourraient être rendus plus vivants par un soin plus grand de la dimension sociale, on ne peut en revanche pas être d'accord avec la solution que proposent les initiants.
Pour éclairer ce propos, j'aime bien raconter l'anecdote du PLQ de Rigaud, à Chêne-Bougeries, qui se trouve être le quartier que les initiants ont choisi comme photo pour illustrer le carton de l'initiative. Sur cette photo, on voit effectivement des barres de béton, tristes, assez mornes, assez uniformes, qui sont le résultat d'une promotion en l'occurrence privée, pas forcément très réussie. Il se trouve que sur ce même PLQ - donc défini avec les mêmes règles -, si on tourne la focale de l'appareil photo, on voit l'autre moitié du quartier qui a été développé par la commune de Chêne-Bougeries, à travers un droit de superficie accordé à une coopérative, qui est, à mes yeux, un des projets de construction de logements les plus réussis du canton et qui a par ailleurs reçu de nombreux prix architecturaux.
Cet exemple constitue pour moi la démonstration par a + b que les initiants ont tort de prétendre que ce sont les PLQ qui sont mauvais; je ne dis pas que les PLQ ne sont pas perfectibles, mais les initiants ont tort de dire que le problème se trouve à ce niveau. Ils ont surtout tort de prétendre que des PLQ développés par les propriétaires et les voisins seront plus démocratiques. Au contraire: les propositions des initiants nous mènent tout droit vers des blocages des processus démocratiques.
Mesdames et Messieurs, la démocratie en matière d'aménagement du territoire fonctionne déjà très bien. La concertation sur les PLQ existe déjà et les voisins ont la possibilité de s'exprimer. Mais on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif ! Cette initiative est portée par des voisins, typiquement propriétaires de villas, qui ne veulent pas de nouvelles constructions et qui sont en train d'orchestrer le blocage programmé de la production de tout nouveau logement à Genève, alors que nous savons tous à quel point nous en avons besoin.
Voilà donc une première appréciation de cette initiative que nous nous réjouissons d'étudier avec plus de détails en commission. Je vous remercie.
M. Adrien Genecand (PLR). Pour le groupe libéral-radical, dans le prolongement de ce qui a déjà été dit, il nous semble que si les buts peuvent être louables, ce qui est demandé dans l'initiative va beaucoup trop loin, dans la mesure où, il faut le rappeler, la loi fédérale sur l'aménagement du territoire prévoit déjà la concertation avec les habitants. Un des points qui nous semble particulièrement problématique, c'est - sans entrer dans les aspects techniques, puisqu'on étudiera ça en commission - le fait que les initiants demandent de pouvoir solliciter en tout temps l'abrogation, la modification ou l'adoption d'un nouveau plan localisé de quartier. Vous imaginez bien qu'on se trouve là bien au-delà de la pesée des intérêts qui doit être menée par les autorités, communales ou fédérales. Si chaque propriétaire peut solliciter en tout temps l'exécutif pour lancer un processus qui est déjà extrêmement long, on comprend bien que la finalité de cette initiative, au-delà de ce qui est déclamé, c'est qu'en effet, on ne construise plus. En cela, elle nous semble effectivement peu adéquate et peu à même de répondre aux problématiques de construction de logements, puisque, comme l'a relevé la préopinante socialiste, souvent, on tient compte assez largement de ceux qui se trouvent dans les périmètres, mais assez peu de ceux qui ont dû quitter Genève parce qu'ils ne trouvaient pas de quoi se loger. En cela, on se prive depuis de nombreuses années d'un nombre certain de Genevois qui sont contraints de quitter le canton, parfois pour aller dans le canton de Vaud, parfois pour aller en France voisine. Or, particulièrement dans ces temps de budget post-covid, se priver de forces vives de travail... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés qui bavardez là-bas au fond, qui faites des réunions, il y a de la place à l'extérieur de la salle ! Laissez votre collègue s'exprimer ! (Commentaires.) Monsieur Genecand, vous pouvez continuer.
M. Adrien Genecand. Je vous remercie, Monsieur le président. Je termine en vous disant que le groupe libéral-radical étudiera ce texte avec attention en commission... (Brouhaha.)
Une voix. Chut ! (Commentaires. Protestations.)
Le président. Monsieur Genecand, arrêtez de parler ! On va attendre que ce... Comment on dit, maintenant ? Un «cluster» ! ...ce «cluster» de députés qui ne m'écoutent pas veuille bien sortir de la salle pour faire ses réunions. (Commentaires.) Oui, Madame Haller, c'est aussi à vous que je parle ! (Un instant s'écoule. Commentaires.) Ils continuent, hein ! (Un instant s'écoule.) Monsieur Genecand, vous pouvez reprendre la parole.
M. Adrien Genecand. Merci, Monsieur le président. Comme je l'ai dit, nous étudierons ce texte avec attention, mais nous pensons assez clairement que cette initiative doit à la fin être rejetée. Je vous remercie.
M. François Baertschi (MCG). C'est vrai que la situation à Genève est un petit peu inquiétante. Chacun peut déplorer ces barres de style soviétique, cet urbanisme de type concentrationnaire, qui enlaidit notre canton. C'est vrai que cela inquiète une bonne partie de notre population. Ces inquiétudes se sont exprimées au travers de cette initiative, que nous devons examiner ce soir, et...
Le président. Un instant, Monsieur le député. Je suis désolé, mais tous vos collègues ont observé les règles, c'est-à-dire qu'ils parlent avec le masque. Veuillez mettre votre masque ! (M. François Baertschi met son masque.) Merci. Vous pouvez continuer.
M. François Baertschi. Je le fais, mais étant donné les difficultés de s'exprimer... Mais je crois que j'ai une voix qui porte quand même assez, donc ça devrait pouvoir aller...
Une voix. Perds pas ton temps ! (Commentaires.)
M. François Baertschi. Un de mes collègues n'entend rien, mais nous ferons avec ! J'essaierai d'être le plus clair possible, Monsieur le président, malgré ces inconvénients techniques. (Commentaires.) Il est certain que ce grave traumatisme pour la population a donné lieu à cette initiative, qui est soutenue par l'association Pic-Vert, mais aussi par tout un ensemble d'associations, dont Sauvegarde Genève et le collectif Contre l'enlaidissement de Genève, qui portent cette inquiétude. Cette inquiétude, nous devons, déjà de manière très générale, l'entendre. Nous l'avons déjà en partie entendue. Je pense que certaines des actions qui ont été menées ont déjà porté leurs fruits. Après, c'est vrai que l'initiative demande d'aller plus loin, c'est-à-dire d'avoir un contrôle démocratique qui se fasse au niveau des communes - comme cela se fait dans d'autres cantons -, donc qu'elles décident davantage, qu'elles aient davantage voix au chapitre sur les questions d'urbanisme.
Alors on comprend que Genève serait un cas particulier, c'est ce que nous disent les opposants à cette politique; Genève est un tout, quelque chose de centralisé, il y a trop d'oppositions qui s'expriment. On pourrait aussi penser qu'une gestion beaucoup plus proche du terrain, c'est-à-dire au niveau de la commune, pourrait lever ces oppositions; ça n'irait pas nécessairement dans tous les sens.
Cette initiative va être examinée en commission, on verra si elle est acceptée directement, si un contreprojet lui est opposé. Je trouve en tout cas qu'elle est intéressante. Faut-il la voter ? L'avis du groupe MCG n'est pas encore fixé. Néanmoins, nous pensons qu'une discussion nous apportera beaucoup. C'est tout cela que nous pouvons attendre du travail de commission. Merci, Monsieur le président.
M. Stéphane Florey (UDC). Je pourrais résumer ainsi ce que j'ai entendu jusqu'à présent: bla bla, bla bla, bla bla bla, bla bla ! (Commentaires.) Parce qu'on n'a absolument pas parlé du rapport du Conseil d'Etat: on n'a fait que de vastes considérations qui n'ont rien à voir avec les questions sur lesquelles nous sommes appelés à statuer aujourd'hui, s'agissant de la validité ou non de cette initiative. Ce que je me bornerai à faire maintenant, c'est dire que, pour moi, cette initiative est entièrement valide, que l'UDC s'oppose d'ores et déjà à son invalidation partielle par le Conseil d'Etat, parce qu'à bien y regarder, il s'y oppose pourquoi ? Ce qui le dérange le plus, c'est justement donner - et ça, il ne s'en est jamais caché vis-à-vis de ce Grand Conseil et de la population... Il refuse catégoriquement de donner une prérogative populaire, quel que soit le sujet, concernant l'aménagement du territoire ! Ce que demande ce texte, c'est justement d'ouvrir une porte à l'avis populaire, à l'avis de la population, et de donner une possibilité aux communes et aux personnes concernées de se prononcer via un référendum populaire, qui deviendrait obligatoire avec cette initiative. C'est de cela que nous devons parler aujourd'hui, c'est de cela justement que je suis en train de vous faire part, au-delà des bla bla, bla bla bla, bla bla que nous avons entendus jusqu'à présent !
Pour moi, cette initiative doit être, bien évidemment, étudiée en commission. Pour moi, elle est entièrement valide ! (Commentaires.) Je félicite ses auteurs d'avoir d'ores et déjà annoncé qu'ils allaient déposer un recours auprès de la Cour de justice contre l'invalidation partielle par le Conseil d'Etat, et nous n'entendons justement pas entrer dans le jeu du Conseil d'Etat ! Nous soutiendrons, quoi qu'il arrive, l'entier de cette initiative, quelles que soient les considérations du Conseil d'Etat ! Je vous remercie. (Commentaires.)
Mme Christina Meissner (PDC). Merci à mon préopinant d'avoir rappelé qu'effectivement, il s'agissait de se prononcer sur la validité partielle ou totale de cette initiative, et surtout, qu'il s'agit de faire le débat en commission, parce que c'est bien là qu'il doit avoir lieu. (Commentaires.) Cependant, vu que tout le monde a pris la parole, je me permets quand même de mettre aussi mon grain de sel, en rappelant qu'aujourd'hui, la concertation n'est pas inscrite seulement dans la loi fédérale, mais aussi dans la loi cantonale. Oui, elle existe, cette concertation ! Et ce que demandent les initiants, c'est une plus grande concertation et une plus grande marge de manoeuvre au niveau communal.
D'aucuns ont dit: «Oui, mais ça va prendre plus de temps.» Je répondrai que non, et je vous donne un seul exemple: à Versoix, un plan localisé de quartier prévoyant une modification de zones à Lachenal-Dégallier avait été approuvé, et c'est seulement après qu'un référendum s'opposant à cette modification de zones a été déposé et que la commune a accepté de suivre les référendaires, et, surtout, après que le canton a aussi accepté cela - je remercie M. le conseiller d'Etat Hodgers de l'avoir fait de son plein gré, car il n'avait pas besoin de le faire, je tiens à le souligner -, que le plan localisé de quartier a fait l'objet, quatre ans après le référendum, d'un travail de concertation avec les habitants, qui a été très bien mené, pour arriver deux ans plus tard à un nouveau PLQ qui donnait satisfaction à tout le monde.
Ça a été un long processus. Vous ne pensez pas que si on avait, dès le départ, commencé par consulter au niveau local, la commune, les habitants... Madame Valiquer, effectivement, je suis désolée, mais s'agissant des modifications de zones aujourd'hui, on ne peut pas consulter les futurs habitants, on ne les connaît pas; mais au moins que l'on consulte au niveau local, ça me paraît pertinent. Il appartiendra à nous autres d'effectuer le travail en commission, pour améliorer... Il existe toujours une certaine marge de manoeuvre et il y a toujours la possibilité d'élaborer un contreprojet en commission, mais c'est là que doit se faire le débat et non ici, en plénière. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. (Remarque.) Monsieur Rémy Pagani, vous avez épuisé le temps de parole de votre groupe. La parole n'étant plus demandée, ces deux objets sont renvoyés à la commission d'aménagement du canton. Nous passons au traitement de la première urgence, le projet de loi... (Commentaires. Le président s'interrompt.)
M. Antonio Hodgers. Je voulais prendre la parole sur l'initiative. Je n'ai pas pu... (Commentaires.)
Le président. Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez appuyé très tardivement, mais exceptionnellement - contrairement à ce qui arrive à certains députés qui se trouvent tout à fait à ma gauche - je vous donne la parole ! (Commentaires.)
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. J'avais cru comprendre... (Commentaires.)
Le président. Oui, c'est une exception, parce qu'il est conseiller d'Etat, Monsieur Burgermeister !
M. Antonio Hodgers. J'avais cru comprendre la dernière fois, s'agissant du système informatique, que si on appuyait, ça s'allumait. Donc, je ne voulais pas parler de manière impromptue, mais la prochaine fois...
Le président. Non, quand vous appuyez, c'est que vous demandez la parole, et après je vous la donne !
M. Antonio Hodgers. Me voilà rassuré ! Je vous assure que l'autre fois, ce n'était pas le cas et ça posait un certain problème ! (Commentaires. Brouhaha.) Bien. Mesdames et Messieurs les députés, je dirai quelques mots, puisqu'il s'agit effectivement d'un débat de prise en considération.
Tout d'abord sur la forme - il est vrai que c'est la première question qui se pose, quand bien même nous sommes dans une instance politique, et il est normal d'aborder le fond -, comme toujours, le Conseil d'Etat s'est plié strictement au préavis de la direction des affaires juridiques de la chancellerie. Cette invalidation partielle est certes un acte politique, parce que le gouvernement est politique, mais en réalité, c'est avant tout un acte juridique, avec le principe «in dubio pro populo»: nous sommes allés le plus loin possible dans l'interprétation positive de ce texte, qui, vous le verrez - vous l'avez vu et vous le verrez encore plus en commission - propose de mettre en place une vraie usine à gaz, avec une production de processus bureaucratiques et administratifs, avec des itérations de retours à la case départ et de grandes inconnues laissées par les initiants. Mais il y a un point qui n'a pas passé, à savoir la possibilité prévue par le texte initial de soumettre deux projets en même temps à la population, on va dire le PLQ bleu et le PLQ rouge, sans indiquer, contrairement à ce que prévoient les droits politiques - avec le système de projets, de contreprojets et de questions subsidiaires que l'on connaît -, quel processus on doit mettre en oeuvre. Cela, ce n'est pas de la démocratie: c'est un ovni dans la consultation populaire, et le résultat issu de ce système-là serait incompréhensible et inapplicable. C'est pourquoi le Conseil d'Etat s'est rangé à l'avis de la direction des affaires juridiques et propose de retirer ce dispositif-là. C'est une petite ablation par rapport à l'ensemble du texte.
S'agissant de l'ensemble du texte, Mesdames et Messieurs, ce qui se joue, et cela a été dit, ce sont les équilibres entre le pouvoir cantonal, les pouvoirs communaux et les pouvoirs des propriétaires. A ce titre, j'apporterai peut-être une première précision, parce qu'on aime bien dire qu'on veut donner davantage de pouvoir aux habitants, mais le mot «habitants» ne figure pas dans cette initiative: c'est le mot «propriétaires» ! C'est-à-dire que si vous habitez le quartier, si vous y êtes né, si vous habitez aux alentours, si vous êtes locataire, eh bien, selon ces initiants, vous n'aurez rien à dire ! Et ça, ça pose déjà un premier problème démocratique. La démocratie n'est pas la démocratie censitaire, ce n'est pas l'opinion des seuls propriétaires terriens, mais c'est bien l'opinion des habitantes et des habitants. J'aimerais insister sur ce point, parce qu'il y a cette confusion permanente. Et non, Mesdames et Messieurs, la participation ne peut pas se limiter aux simples propriétaires. Bien sûr qu'ils ont voix au chapitre, et ils ont des droits individuels extrêmement forts, protégés par les constitutions fédérale et cantonale, mais la participation à l'élaboration de la qualité urbaine et de quartiers qui font envie doit être celle de toutes et tous et pas simplement des propriétaires.
Ensuite, le deuxième biais de cette initiative - quand bien même le processus est, à nouveau, assez complexe dans les itérations -, c'est qu'elle pourrait conduire Genève à avoir quarante-cinq urbanismes. Est-ce que notre petit canton peut se permettre d'avoir quarante-cinq urbanismes différents ? La réponse est non: nous devons avoir une dimension participative, nous devons écouter le plus possible les communes, mais à la fin, seule l'instance cantonale peut trancher, c'est-à-dire arbitrer, procéder à la pesée des intérêts et indiquer, comme on le fait maintenant, dans un débat... Pour prendre un projet cher aux tenants de cette initiative, le pôle football, nous devons replacer ce pôle dont on n'a pas voulu au Grand-Saconnex, et si on demandait l'avis des quarante-cinq communes, pas une seule ne voudrait accueillir un terrain de football sur son territoire. Il y a moult exemples sur la question de l'aménagement qui montrent qu'au bout d'un moment, l'intérêt public est aussi l'intérêt public des instances cantonales. Je ne parle pas en plus des crèches, des infrastructures plutôt communales, pour lesquelles, on le voit, les communes participent effectivement, mais je parle bien de ces infrastructures cantonales: les centres de formation, les cycles, les lieux culturels, tout ce qui fait que notre canton est vivant et de qualité.
Finalement, c'est bien cela qui se joue: qu'est-ce que la démocratie ? La démocratie ne peut pas être la minorité de blocage. Cette initiative ne permet pas davantage de participation, et pas moins; elle permet à des minorités de bloquer des projets d'intérêt collectif, d'intérêt global. Or aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, quel est le mécanisme d'arbitrage ? La loi actuelle est ainsi faite que les plans localisés de quartier sont adoptés au niveau communal par les Conseils municipaux avec possibilité de référendum - ce qui arrive parfois, cela a été dit - et au niveau cantonal par le Conseil d'Etat. Mais que se passe-t-il lorsque la commune et le Conseil d'Etat ne sont pas d'accord ? Eh bien, c'est le Grand Conseil qui tranche. Donc, le premier effet de cette initiative, c'est d'enlever cette compétence au Grand Conseil. La loi aujourd'hui est à mes yeux bien faite: on laisse les instances exécutives cantonales être garantes du plan directeur cantonal que vous avez adopté; on passe aux éléments participatifs avec les élus municipaux, les associations, mais, en cas de différend, c'est le Grand Conseil qui tranche. Or l'initiative évacue cette instance de contrôle ultime qu'est le parlement cantonal. Dans ce sens-là, elle affaiblit la cohérence urbanistique de l'ensemble du dispositif.
Je terminerai en relevant que dans leur texte, les initiants se fourvoient en soutenant le principe selon lequel un processus d'adoption d'un plan localisé de quartier est garant de qualité. Non, Mesdames et Messieurs: regardez le magnifique patrimoine européen ! Il a été réalisé par des rois, des reines qui n'avaient pas de parlement et qui n'avaient même pas d'autorisation de construire à demander ! Les beautés historiques ont souvent été réalisées à des moments où le geste artistique importait plus que tout, par des rois, par des puissants, par des patriciens. Et à l'inverse, quel est l'exemple dont nous avons beaucoup débattu ces dernières années, avec une architecture ou un urbanisme qui ne sont pas contrôlés par l'Etat et qui ne font pas l'objet de plans localisés de quartier ? C'est la zone villas. C'est celui de la zone villas, à propos de laquelle nous avons récemment tous convenu qu'on ne pouvait plus continuer à laisser cette liberté, qui était celle des propriétaires de faire tout simplement ce qu'ils voulaient. Eh bien, cela a abouti à une architecture de copier-coller, à un bétonnage de nos périmètres de zones villas, avec une insatisfaction globale, à part peut-être pour des propriétaires qui ont réalisé de belles marges, alors que pour leurs voisins, pour la commune, et pour la qualité du paysage, cela a constitué un appauvrissement.
On voit donc que le processus ne garantit pas la qualité. Ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas revoir le processus; ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas valoriser la participation. Mais cette participation, Mesdames et Messieurs les députés, elle doit se faire sous un contrôle souverain qui est celui du Grand Conseil, instance d'adoption du plan directeur cantonal. C'est bien lui qui peut, in fine, avoir le dernier mot en matière d'urbanisme. C'est pourquoi, au-delà de l'adoption formelle qui valide l'essentiel du texte de l'initiative, le Conseil d'Etat vous recommande de la rejeter sur le fond. Merci de votre attention.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat.
L'initiative 176 et le rapport du Conseil d'Etat IN 176-A sont renvoyés à la commission d'aménagement du canton.