République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 novembre 2020 à 18h
2e législature - 3e année - 7e session - 39e séance
M 2704
Débat
Le président. L'objet que nous abordons maintenant est classé en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à Mme Françoise Sapin - je suppose que vous remplacez l'auteure ? Très bien, vous avez la parole.
Mme Françoise Sapin (MCG). Merci, Monsieur le président. 2020 est une année très spéciale; on pourrait même dire que c'est une année très difficile ! Les entreprises fermées ont bien entendu besoin de soutiens financiers, que nous avons accordés, mais il n'y a pas que les fermetures qui posent des problèmes. Les RHT, le télétravail, les mises en quarantaine, l'augmentation des tâches administratives pour les diverses demandes ont un impact sur le reste des activités, voire les désorganisent. Aussi, par ces temps difficiles, il est choquant que l'administration fiscale refuse les délais supplémentaires et envoie systématiquement des rappels et sommations aux contribuables et aux entreprises.
Durant cette année de covid, il y aurait lieu de laisser les entreprises souffler et de faire preuve de beaucoup plus de souplesse que d'habitude. Ne pas facturer les intérêts ne suffit pas, aussi nous vous demandons de bien vouloir soutenir cette proposition de motion qui demande à l'administration fiscale de stopper l'envoi des rappels et des sommations, cela jusqu'à la fin des mises en quarantaine et des vagues de la pandémie.
M. Sébastien Desfayes (PDC). Monsieur le président, très brièvement, le PDC soutiendra ce texte qui manifeste une bonne intention. On a vu des retards en cascade dans les entreprises à Genève, retards dus au covid. D'abord, des retards dans la clôture des comptes en raison du semi-confinement; ensuite, une surcharge des bureaux fiduciaires au mois de juin qui n'ont pas pu auditer les sociétés. Malheureusement, le droit suisse ne reconnaît pas la tenue d'assemblées générales en non-présentiel, tant et si bien que beaucoup de comptes de l'exercice 2019 de sociétés genevoises n'ont pas pu être votés. Enfin, aujourd'hui, les fiduciaires croulent sous le travail et n'arrivent pas à remplir l'ensemble des déclarations fiscales pour le compte de leurs clientes. Suivant cette proposition de motion, il s'impose que l'administration fiscale fasse preuve d'une certaine souplesse et ne notifie pas aux contribuables des taxations d'office. On connaît le caractère inique de ces taxations qui ne correspondent aucunement à la situation financière du contribuable.
M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion très bien rédigée est frappée au coin du bon sens. Mon préopinant Sébastien Desfayes l'a dit tout à l'heure, les fiduciaires sont aujourd'hui complètement sous l'eau, comme beaucoup d'entreprises d'ailleurs. Pour des raisons légales, nombre de conseils d'administration n'ont pas pu valider les comptes annuels et tenir des assemblées générales conformément à la loi. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC soutiendra la M 2704. J'ai dit, merci, Monsieur le président !
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, dans le contexte actuel, les entreprises mais aussi les particuliers sont assaillis par de multiples préoccupations et craintes dont l'essentiel concerne leur avenir, leur santé et celle de leurs entreprises. Les personnes physiques ont aussi des craintes concernant leur situation financière. Dans un tel climat, les entreprises et les personnes physiques doivent affronter de nombreuses démarches administratives particulières, en plus de celles auxquelles elles sont astreintes habituellement. Absorbées qu'elles sont par leur effort de survie, leurs esprits sont ailleurs et il serait injuste et préjudiciable que les personnes physiques et morales soient sanctionnées pour n'avoir pas rendu leur déclaration fiscale dans les temps requis. Notre groupe soutiendra donc cette proposition de motion qui demande une suspension des procédures de rappel et de sommation et, surtout, des taxations d'office, qui sont des procédures qui génèrent des frais conséquents, nous le savons.
Nous ne souhaitons toutefois pas que l'on comprenne cette proposition de motion comme une volonté de ne pas voir les déclarations fiscales rendues, comme une suspension du processus d'imposition. Ce n'est d'ailleurs pas ce que dit ce texte et nous ne voudrions pas soutenir cela. Nous sommes attachés à une fiscalité redistributive dont nous avons plus que jamais besoin, mais, en ces temps difficiles tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques, l'administration doit éviter d'ajouter des pénalités financières à ces entités.
C'est pourquoi nous soutiendrons ce texte et préconisons que le temps épargné par une suspension des sanctions soit investi dans un plus grand soutien aux contribuables qui le requerraient, afin que ces déclarations puissent rentrer. Nous vous invitons aussi à soutenir ce texte.
Mme Danièle Magnin (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, il faut garder en mémoire que chaque rappel qui part a un coût; les sommations aussi ont un coût et, ensuite, on facture encore des intérêts. Aujourd'hui, parce que le Tribunal fédéral en a décidé ainsi, on sait que l'administration fiscale ne peut plus faire des taxations d'office dites punitives: l'administration est obligée de se référer aux revenus des années précédentes et ne peut plus faire des taxations x 10. Néanmoins, les taxations d'office sont toujours assorties d'une amende qui peut être relativement élevée et ce sont les motifs pour lesquels il nous semble important de voter cette proposition de motion: merci beaucoup de la soutenir !
M. Romain de Sainte Marie (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste peut comprendre le but de cette proposition de motion en entendant les arguments liés au report d'assemblées générales pour des personnes morales qui devraient faire valider leurs comptes. On peut l'entendre. Est-ce que le problème est le même pour les personnes physiques qui doivent retarder le renvoi de leur déclaration d'impôts ? Faut-il demander ici de stopper l'envoi de rappels ou de sommations pour les personnes physiques ? C'est peut-être une autre question ! Nous sommes sensibles à la demande d'arrêt des taxations d'office, parce que des personnes pourraient se retrouver dans des situations sociales extrêmement difficiles; on sait notamment qu'à partir du moment où une personne perd son emploi, elle va avoir un tas de problèmes administratifs. Beaucoup de personnes sont malheureusement concernées et un engrenage vers l'endettement peut très rapidement se mettre en place pour aboutir à une cessation du paiement des impôts puis à une taxation d'office.
Nous souhaiterions donc renvoyer cette proposition de motion à la commission fiscale pour l'étudier de façon plus concrète et avoir un retour sur le traitement concret de l'imposition par l'administration fiscale ainsi que sur l'impact financier que cela pourrait avoir.
M. Jean Rossiaud (Ve). Monsieur le président, les Verts vont soutenir la demande de renvoi à la commission fiscale. Nous sommes face à un dilemme: on doit comprendre aussi quelles sont les conséquences de cette mesure pour l'administration fiscale. Face à une situation exceptionnelle, les Verts sont d'accord d'entrer en matière sur des mesures exceptionnelles, et je pense qu'une de ces mesures est de stopper le processus des sommations et des taxations d'office, qui vont fragiliser fortement à la fois les entreprises et les personnes physiques. Evidemment, les Verts restent aussi attachés à une fiscalité redistributive et nous savons tous que nous aurons besoin de faire entrer de l'argent assez vite pour toutes les dépenses décidées, notamment ces trois derniers jours. Comme on doit absolument savoir ce que va nous coûter cette mesure, il est sain et nécessaire de renvoyer ce texte à la commission fiscale.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Daniel Sormanni pour deux minutes douze.
M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, dans cette période difficile, il ne faut pas assommer les entreprises avec des taxations d'office qui vont leur poser des problèmes majeurs alors qu'elles sont déjà en grande difficulté. C'est effectivement une bonne mesure et ça ne coûte rien à l'Etat. Ça diffère la taxation et retarde les retours de recettes fiscales, mais ça ne coûte directement rien à l'Etat.
C'est donc une bonne mesure, compte tenu des difficultés à établir des comptes puisque certaines assemblées n'ont pas pu se tenir. Je crois qu'il est tout à fait utile de pouvoir reporter ces délais et de ne pas mettre sous pression les entreprises avec cette taxation. Nous souhaitons donc un vote sur le siège: pas besoin de renvoyer cette proposition de motion en commission, nous nous y opposons et vous prions de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.
M. Yvan Zweifel (PLR). Monsieur le président, je ne vais pas faire extrêmement long parce que l'essentiel de ce que je voulais dire l'a déjà été. Laissez-moi simplement répéter un élément évoqué par mon collègue Desfayes en le disant avec la connaissance du terrain; vous savez que je suis moi-même patron de fiduciaire. Il faut en parler humblement, ma profession n'étant évidemment pas celle qui a le plus souffert de cette crise, bien au contraire: l'activité de beaucoup de nos clients a été interrompue ce printemps, ce qui fait que nous-mêmes avons dû arrêter une partie de notre activité alors que c'était la période la plus chargée pour cette même activité, la remise des comptes et les révisions se faisant précisément au printemps, notamment durant les mois de mars et avril. Tout ceci a dû être décalé et a été repoussé alors que les fiduciaires décalent en général déjà à l'été voire au début de l'automne tout ce qui concerne la fiscalité. Nous avons encore dû reporter cela et, de plus, nous avons surtout dû aider nos clients à parer à l'urgence: l'urgence n'était pas forcément la remise de leurs comptes ou la révision, mais nous avons bel et bien dû les aider dans les demandes qu'ils avaient pour les APG ou pour les RHT de leurs employés.
Tout cela a vraiment décalé tout le processus et il est aujourd'hui important de s'en rendre compte. Il faut tout faire pour éviter les tracasseries administratives alors que nombre d'entreprises et nombre d'indépendants souffrent évidemment à cause de cette crise et suite aux décisions étatiques de fermer nombre d'activités. Si, en plus, on ajoute à cela l'assommoir bureaucratique étatique, il y en a vraiment qui ne vont pas s'en sortir !
Le PLR votera donc cette proposition de motion. Nous refuserons aussi son renvoi en commission. Pourquoi ? Parce que la demande est ici de suspendre ces sommations, ces taxations d'office et ces tracasseries administratives jusqu'au 31 décembre de cette année. Vous le savez très bien, la commission fiscale traite en ce moment un autre projet en long et en large, celui de la révision du patrimoine immobilier; si on renvoie cette proposition de motion à la commission fiscale, eh bien nous n'aurons simplement pas le temps de nous en occuper avant la fin de cette année ! Ce texte deviendrait caduc, un renvoi de cette proposition de motion équivaudrait donc simplement à un refus. C'est pourquoi nous refuserons le renvoi en commission et adopterons cet objet.
Mme Françoise Sapin (MCG). Monsieur le président, comme l'a bien expliqué mon préopinant, M. Zweifel, un renvoi en commission est absolument stupide, parce que c'est maintenant et pas au mois de janvier prochain qu'il faut décider de mettre cette mesure en place, cela jusqu'à la fin de l'année ! La commission fiscale est effectivement très chargée actuellement, avec un gros projet, comme l'a relevé M. Zweifel.
J'aimerais aussi répondre à M. de Sainte Marie que les personnes physiques concernées sont essentiellement des indépendants qui doivent tenir des comptabilités et qui ont été perturbés par toutes les tâches que j'ai énumérées. Cela ne concerne donc pas les personnes qui touchent une rente AVS et qui remplissent leur déclaration avec un compte salaire ou un compte bancaire. Ce ne sont pas ces gens qu'on touche ! Il s'agit surtout des indépendants qui doivent établir une comptabilité et qui ont eu beaucoup de travail pour autre chose comme l'établissement des RHT, etc.
Monsieur Rossiaud, vous aimeriez connaître le coût de cette proposition. Il n'y a pas de coûts, elle induit simplement un déplacement dans le temps: au lieu de taxer en novembre ou en décembre, on taxera en janvier ou en février. Je vous remercie donc de ne pas renvoyer ce texte à la commission fiscale, mais de le voter immédiatement.
Le président. Merci, Madame la députée. Nous sommes malgré tout saisis d'une demande de renvoi à la commission fiscale, que je mets aux voix.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2704 à la commission fiscale est rejeté par 62 non contre 23 oui et 1 abstention.
Le président. Monsieur Sandro Pistis, pour une minute !
M. Sandro Pistis (MCG). Monsieur le président, le groupe MCG aurait quand même voulu connaître la position du Conseil d'Etat sur cette proposition de motion... (Rires.) Si cela est possible, bien sûr ! J'ai bien dit: la position du Conseil d'Etat !
Le président. Monsieur le député, le Conseil d'Etat a estimé jusqu'à maintenant qu'il n'avait pas à se prononcer, mais peut-être que Mme la conseillère d'Etat voudra bien vous dire quelques mots, suite à votre demande insistante ? Madame la conseillère d'Etat, vous avez la parole !
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Avec grand plaisir, Monsieur le député ! Je me réjouis de traiter cette proposition de motion. J'avais abordé cette question avec mon administration pour voir s'il y avait une possibilité, mais vous savez que tout fonctionne de façon automatique. Ce qui m'avait été répondu à ce moment était que toute personne qui en ferait la demande, même par téléphone, obtiendrait un délai.
Ce que vous abordez concerne le délai pour le dépôt de la déclaration, de façon qu'il n'y ait pas de problème. Ce qui est avancé, c'est que certaines personnes seraient dépassées par la situation ou trop occupées pour demander un délai: je doute que ce soit la situation des fiduciaires et des entreprises, qui peuvent effectivement demander un délai. Evidemment, nous examinerons ce texte très rapidement et verrons ce qu'il est possible de faire !
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. La parole n'étant plus demandée, j'invite l'assemblée à se prononcer sur ce texte.
Mise aux voix, la motion 2704 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 66 oui contre 14 non et 4 abstentions.