République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 29 octobre 2020 à 17h
2e législature - 3e année - 6e session - 28e séance
PL 12707-A
Premier débat
Le président. Nous poursuivons l'ordre du jour avec le PL 12707-A, classé en catégorie II, trente minutes. La parole est à M. le rapporteur de majorité Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité. Monsieur le président, nous sommes au troisième épisode de la trilogie «c'est une bonne idée mais ça coûte un peu trop cher». La commission des affaires sociales a étudié ce projet de loi en une seule séance et a décidé de vous demander de refuser l'entrée en matière parce que cette augmentation des subsides de l'assurance-maladie va coûter entre 50 à 80 millions par année à l'Etat, ce qui n'est pas possible actuellement. L'élément pris en compte par la commission est qu'une somme de 180 millions de francs a été votée dans le cadre de la réforme de la fiscalité des entreprises: cette augmentation des subsides suffit dans un premier temps. La majorité de la commission désire d'abord juger de l'effet de cette somme sur le budget des assurés genevois avant d'aller plus loin. La majorité ajoute que dans le cadre d'une perte de 20% de revenu, une demande de subside peut être déposée auprès du service de l'assurance-maladie par les personnes qui auraient besoin d'une aide supplémentaire. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous demande de refuser l'entrée en matière.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi propose principalement, pour une durée de dix-huit mois, un élargissement des subsides à une nouvelle catégorie d'ayants droit et l'augmentation des montants des subsides. La commission des affaires sociales a rejeté d'un revers de main ce projet de loi. Elle s'est montrée défavorable à l'idée de modifier le nouveau système de subsides à l'assurance-maladie, issu du contreprojet à l'initiative 170 entré en vigueur en 2020.
De fait, pour l'essentiel, les commissaires se sont bornés à poser des questions sur le système d'allocation des subsides, indépendamment du présent projet de loi. Sur ce texte à proprement parler, l'appréciation dominante a semblé se résumer à: «Laissons le nouveau système se déployer, ne le modifions pas à ce stade.» Il a été considéré que les 170 millions de francs investis représentaient déjà une somme considérable. A nouveau, le mantra «nous n'avons pas d'argent et ça coûte trop cher» a été largement utilisé.
La perspective du budget 2021 et de son déficit prévu à près d'un milliard a joué un rôle prépondérant dans la fin de non-recevoir opposée à ce projet de loi. Pourtant, alors que les voyants étaient déjà au rouge, on n'a pas entendu cet argument lorsqu'il s'est agi de soutenir les entreprises, les cadres ayant des responsabilités d'encadrement ou les indépendants ! Non pas que ces aides soient superflues, mais relevons simplement que lorsqu'il est question d'aides pour la population en difficulté, pour les citoyens lambda, là, la mobilité de la main au portefeuille est plus laborieuse, l'urgence d'agir devient soudain moins immédiate !
Renforcer les subsides à l'assurance-maladie, c'est bien l'objectif du projet de loi 12707, considérant la lourde charge que constituent pour une grande part de la population les cotisations d'assurance-maladie; un poids qui sera aggravé par les pertes de revenus que de nombreux ménages devront affronter en raison de la crise de la covid-19.
Les auteurs du projet de loi 12707 ont estimé qu'il était nécessaire de renforcer transitoirement le dispositif de subsides à l'assurance-maladie existant pour aider cette catégorie de personnes à passer le cap d'une période que l'on peut craindre comme plus difficile, ceci afin d'éviter à bon nombre de ménages des retards de paiement et de permettre aux individus et aux familles d'échapper à l'endettement et à sa spirale destructrice.
Lorsque les situations des personnes fragilisées par les incidences des mesures de gestion de la crise sanitaire se seront dégradées en cascade, les mesures pour y remédier seront à l'évidence éminemment plus coûteuses ! Elles ne pourront pas, de surcroît, compenser les effets corollaires de ces pertes de maîtrise; elles ne pourront pas non plus compenser les coûts humains qu'elles induiront. A l'orée d'une crise majeure, c'est donc là une occasion manquée d'améliorer notre dispositif de protection sociale.
La commission n'en a pas voulu. Dont acte ! La réalité nous contraindra sans doute à parer à cette perspective tôt ou tard. Aussi, pour le faire plus tôt que tard, la minorité vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à entrer en matière sur le PL 12707, puis à l'accepter.
Mme Ana Roch (MCG). Monsieur le président, si la charge de l'assurance-maladie sur les ménages n'est plus à prouver, le MCG trouve prématuré de traiter ce projet de loi maintenant: il préfère attendre l'effet des 180 millions de francs votés dans le cadre de la réforme de la fiscalité des entreprises. De plus, nous rappelons que dans le cas d'une perte de 20% de revenu, il est possible de faire une demande de subside ou d'augmentation de subside auprès du service de l'assurance-maladie. Cela permet une révision de l'octroi pour une augmentation de ce subside. Pour ces raisons, le MCG refusera cet objet.
M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, Mme Haller l'a rappelé, ce projet de loi a été exécuté en une séance, en trente-six minutes pour être précis, alors que la question des primes d'assurance-maladie est quand même un enjeu fondamental qui préoccupe tous les citoyens et citoyennes. Le parti socialiste vous propose de voter le renvoi à la commission des affaires sociales afin que l'on prenne véritablement le temps d'étudier ce texte. Si, comme la droite l'énonce, ce projet de loi est prématuré et qu'elle souhaite attendre le déploiement des effets des 180 millions de francs votés dans le cadre de la réforme de la fiscalité, eh bien, attendons quelques mois ! Nous pourrons reprendre l'étude de cet objet au début de l'année prochaine afin de vraiment faire honneur à cet enjeu quand même fondamental. Mme Haller l'a dit, les primes d'assurance-maladie écrasent nos concitoyens et mettent en péril certaines familles. Vous le savez, nous sommes aujourd'hui dans une crise tellement importante que les prochains mois donneront très certainement raison à ce texte: il sera nécessaire d'étendre le champ des bénéficiaires de subsides.
Il n'est donc pas urgent d'attendre, il n'est pas urgent d'exécuter, il est urgent de renvoyer ce projet de loi et de commencer à travailler dessus sérieusement ! Nous ne pouvons que regretter le mauvais timing qui fait qu'il arrive à l'orée du budget 2021. Il faut le dire, nous avons senti la crispation, une double crispation. D'abord celle de partis qui ont eu le sentiment de donner beaucoup d'argent au printemps pour l'économie - des centaines de millions de francs. A un moment, ils se sont dit: «Ça suffit, halte-là !» Ensuite, il y a un mauvais timing parce que le projet de budget 2021 est arrivé, ce qui a suscité une deuxième crispation. Mesdames et Messieurs les députés, la question des primes d'assurance-maladie va toutefois au-delà des crispations conjoncturelles; c'est une question de fond que nous devons traiter sérieusement. Nous vous invitons donc à renvoyer ce projet de loi à la commission des affaires sociales. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. J'invite l'assemblée à se prononcer sur cette demande.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12707 à la commission des affaires sociales est rejeté par 42 non contre 28 oui et 1 abstention.
Le président. Nous reprenons le débat et la parole va à M. le député Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'intention de ce projet de loi est louable, on a vu les problèmes financiers existants et qui vont persister suite à la crise que nous vivons. Chez les Verts, le problème que nous voyons, c'est qu'on augmente en bloc l'ensemble des subsides à l'assurance-maladie. Or, il se trouve que les citoyennes et citoyens ont traversé la situation de confinement avec des fortunes diverses: certains ont pu conserver un emploi à 100%, même en travaillant à domicile; d'autres ont été placés en RHT mais ont continué à percevoir leur salaire à 100% grâce à une vision à long terme de leur employeur; passablement d'autres ont été placés en RHT avec un salaire réduit de 20%; enfin, les derniers, au bénéfice - si on peut dire - de contrats précaires, n'ont rien reçu du tout. Les RHT vont progressivement s'éteindre - on verra avec la crise qui se profile - si bien qu'il faut s'attendre à ce que le taux de chômage augmente sensiblement dans les mois qui viennent, avec des revenus qui s'abaisseront en fonction de ce statut.
On le voit donc, certaines et certains s'en tirent plutôt bien, même avec la crise. D'autres tirent la langue, jusqu'à passer à l'aide sociale, voire à allonger les queues de l'aide alimentaire. Le présent projet de loi ne fait toutefois pas de distinction entre ces cas et accorde le rabais d'assurance-maladie supplémentaire sans prise en compte de la situation; il ne prend en compte que les critères de classification liés au RDU. On aurait par exemple pu accorder ce rabais supplémentaire en fonction de la différence de revenu entre l'année 2019 et la situation actuelle. Nous regrettons ce manque de différenciation et proposons en conséquence de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.
M. André Pfeffer (UDC). Monsieur le président, cette augmentation des subsides de l'assurance-maladie - estimée à 50 millions de francs pour 2020 et 80 millions de francs pour 2021 - n'est pas réaliste. Il est déjà prévu d'augmenter les subsides pour un montant de 180 millions de francs suite à la réforme de la fiscalité des entreprises. Pour le groupe UDC, il faut d'une part attendre les impacts de cette réforme ainsi que l'effet des 180 millions de francs déjà injectés. Deuxièmement, nous trouvons que ce texte est inadapté; s'il était accepté, il permettrait par exemple à un couple sans enfant et avec un revenu de 150 000 francs par année d'accéder à cette subvention. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC n'acceptera pas cet objet.
M. Cyril Aellen (PLR). Monsieur le président, vous transmettrez à M. Thévoz qu'il a une mauvaise mémoire puisque cet objet a été étudié le 23 juin 2020, soit bien avant la problématique du budget ! Ma seconde remarque est que je vais être bref parce que les propos tenus par M. Eckert sont des propos raisonnables et cohérents, avec une argumentation identique à celle du PLR.
Aujourd'hui, nous avons un nouveau système en place qui tient compte des situations financières difficiles: le peuple a souhaité consacrer un montant important d'aides - entre 170 et 180 millions de francs - au paiement des primes d'assurance-maladie. Ce projet de loi vient se surajouter à cette aide, mais de façon inappropriée puisqu'il prend pour origine la crise de la covid-19 pour augmenter ou ajouter de nouvelles subventions. Or, comme l'a dit M. Eckert avec pertinence, la crise sanitaire touche fortement les citoyens, mais pas tous de la même façon.
Il est donc effectivement peu opportun de voter un projet de loi arrosoir qui, malheureusement, rate sa cible. Le contreprojet voté par le peuple à l'occasion de la réforme fiscale sur les entreprises est tout à fait pertinent et ses conséquences devront être étudiées d'ici quelques mois ou quelques années.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Ana Roch pour deux minutes vingt-six.
Mme Ana Roch. C'est une erreur, Monsieur le président !
Le président. Très bien, la parole revient au rapporteur de majorité, M. Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Puisque vous n'avez pas donné la parole aux rapporteurs au moment de la demande de renvoi en commission, j'interviens à ce propos pour dire que même si nous avons discuté en une seule séance de ce projet de loi, la question du gel a été posée aux commissaires, et ceux-ci ont refusé cette idée: ça ne servait donc à rien de demander un renvoi pour une question déjà discutée et votée par la commission.
Je rappelle encore que la majorité n'est pas fermée à une augmentation des subsides d'assurance-maladie, mais elle préfère que ce soit fait de façon ciblée et non en arrosant indistinctement. Deuxièmement, il existe déjà une possibilité pour les personnes qui ont perdu 20% de leur revenu de faire une demande au service de l'assurance-maladie pour toucher des subsides supplémentaires. L'Etat ne laisse donc pas les gens sans aides. Avec l'augmentation de 180 millions de francs de subsides décidée en même temps que la baisse des impôts sur les entreprises, nous avions voulu offrir une contrepartie à cette baisse. Ce pendant social est important et il doit maintenant montrer ses effets.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je donne la parole à M. le conseiller d'Etat Thierry Apothéloz... qui ne la prend pas. Nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12707 est rejeté en premier débat par 55 non contre 22 oui et 1 abstention.