République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 28 août 2020 à 14h
2e législature - 3e année - 4e session - 21e séance
M 2399-A
Débat
Le président. Nous reprenons maintenant notre ordre du jour ordinaire avec la M 2399-A que nous traitons en catégorie II, trente minutes. La parole va à M. Jacques Apothéloz.
M. Jacques Apothéloz (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de motion 2399 intitulée «Subsides d'assurance-maladie: Les citoyennes et les citoyens doivent pouvoir comprendre !» a été déposée en mai 2017. Elle a été étudiée par la commission des affaires sociales en octobre 2017 avant d'être reprise en mai et juin 2019. Les auteurs considèrent que le règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie, en particulier son article 11A, est illisible et que les bénéficiaires ne s'y retrouvent pas; ils invitent le Conseil d'Etat d'une part à proposer une modification de la disposition incriminée afin de la rendre plus claire et compréhensible, d'autre part à l'adapter de sorte que les subsides d'assurance-maladie soient attribués de la même manière qu'aux bénéficiaires des prestations complémentaires familiales et de l'aide sociale.
Le texte fait suite à la question écrite urgente 599, à laquelle le gouvernement avait pourtant apporté une réponse complète et argumentée: dans sa conclusion, il expliquait qu'il n'est pas plus simple pour les acteurs concernés - bénéficiaires, assureurs privés ou administration - d'appliquer une approche au franc près, ce qui figure au coeur de la demande. La solution retenue, à savoir une attribution par paliers, allie souci d'équité entre les personnes et efficience administrative. Cette manière de procéder permet non seulement d'éviter le versement de montants plus faibles que le coût de la décision rendue par l'administration - c'est le principe de proportionnalité - mais également de réduire la multiplication des échanges entre l'administration, les bénéficiaires et les assureurs pour de faibles variations de montants.
Il faut savoir que la majeure partie des problèmes rencontrés et surtout l'illisibilité de certaines dispositions devraient disparaître avec l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2021, de la réforme des prestations complémentaires fédérales. En effet, il est prévu de profiter des adaptations liées à cette révision pour procéder à diverses corrections et simplifications. La prime moyenne cantonale sera ainsi intégrée dans le calcul du droit aux prestations complémentaires et non ajoutée par la suite. De plus, l'acceptation par le peuple du contreprojet à l'IN 170 le 19 mai 2019 a entraîné des modifications législatives. D'un point de vue formel, cette motion n'a donc plus de sens, et il ne sert à rien de transmettre un texte obsolète au Conseil d'Etat. Enfin, il est bon de rappeler que les organisations sollicitées dans le cadre des travaux, soit l'Association suisse des assurés et l'AVIVO, n'ont pas fait état de réclamations de la part de leurs membres quant à l'article incriminé.
Pour l'ensemble de ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission des affaires sociales vous recommande de refuser cette proposition de motion. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. Je passe la parole à Mme Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller. Je vous remercie, Monsieur le président, mais le rapporteur de minorité souhaite sans doute s'exprimer avant.
Le président. Eh bien il avait visiblement oublié de solliciter la parole, mais c'est maintenant chose faite. Je la lui laisse et je vous la repasserai après.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de minorité ad interim. Excusez-moi, Monsieur le président, et merci de me donner la parole. Mesdames les députées, Messieurs les députés, contrairement à ce que soutient le rapporteur de majorité, la réponse à la QUE 599 est loin d'être convaincante. Il semble hélas difficile d'obtenir un éclairage de l'administration sans passer par un texte parlementaire. En résumé, la proposition de motion demande au Conseil d'Etat de reformuler l'article 11A du RaLAMal afin de le rendre clair et compréhensible dans le respect des bénéficiaires, de l'ensemble de la population, de la volonté initiale du législateur et des règles élémentaires de rédaction législative.
Il est vrai que depuis son dépôt, passablement d'eau a coulé sous le pont de l'Ile, avec l'adoption du contreprojet à l'IN 170 et une prochaine révision des prestations complémentaires fédérales. Or même si la majorité cherche à nous faire croire que ce texte est caduc, il n'en est rien. Force est de constater que le libellé de l'article 11A est d'une complexité inouïe, à tel point qu'il se révèle totalement incompréhensible pour le citoyen lambda qui souhaiterait calculer son potentiel droit à un subside d'assurance-maladie pour lui-même et sa famille. Par principe, un texte de loi doit être accessible à des citoyennes et citoyens qui ne sont pas experts en la matière. Même le département a reconnu que sa formulation n'était pas idéale, et c'est un doux euphémisme. Par ailleurs, rien ne nous garantit que le règlement sera plus clair une fois que les modifications législatives citées plus tôt seront entrées en vigueur.
D'autres éléments liés aux subsides restent choquants. Le principe d'égalité de traitement au sein d'un couple, par exemple, n'est pas respecté: un conjoint peut se voir octroyer un subside de 30 francs alors que l'autre reçoit 250 francs. Pour l'un, c'est presque la moitié de la prime qui est prise en charge contre une petite réduction de 30 francs pour l'autre. Au fond, ce que la loi 11540 visait à corriger en rétablissant une certaine équité de traitement entre les bénéficiaires de subsides réapparaît sous une autre forme dans son règlement d'exécution.
Autre aspect critiquable dans l'approche retenue, la volonté de limiter le nombre de cas de non-paiement des primes au motif qu'elles devront ensuite être prises en charge par l'Etat à travers un acte de défaut de biens. Selon le département, il s'agit de «limiter le nombre de cas de non-paiement des primes, dès lors que les montants sont utilisés, à concurrence du solde disponible, pour le paiement intégral de la prime d'au moins un des membres du ménage». En agissant de la sorte, l'Etat réduit certes le nombre d'impayés, mais génère des injustices potentielles: en cas de séparation ou de divorce, l'un des conjoints - le plus souvent la femme - se verrait alors bien plus endetté que l'autre. Aux yeux de la minorité, c'est un procès d'intention à l'égard des bénéficiaires.
Encore une fois, l'objectif de cette proposition de motion est d'obtenir un règlement d'exécution compréhensible afin que chaque citoyenne et citoyen puisse calculer son droit à un subside, respectivement contester une décision du SAM. C'est aussi une question de transparence vis-à-vis de la population.
Le président. Vous passez sur le temps du groupe.
M. Pierre Eckert. Très bien, merci. En effet, comment contester une décision d'octroi de subside dès lors que le bénéficiaire n'a même pas les moyens d'en vérifier le contenu et d'identifier une éventuelle erreur ? Notre message est le suivant: la loi est très claire, son application se doit de l'être tout autant et de ne pas souffrir d'ambiguïté.
Bien que la proposition de motion ait émergé dans un contexte politique différent, comme l'a souligné le rapporteur de majorité, elle garde toute sa pertinence aujourd'hui; le fond et l'intention demeurent. La minorité en conclut que la majorité refuse d'envoyer un message clair au Conseil d'Etat quant à la nécessité de rédiger des textes dont la formulation d'une part préserve la volonté du législateur, c'est-à-dire vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les députés, d'autre part soit intelligible pour la population. En outre, l'Etat se doit d'être transparent sur la manière dont il redistribue les deniers publics dans ses politiques sociales, c'est ce que chacun est en droit d'attendre de sa part.
A l'évidence, la majorité refuse de prendre une décision de principe. Cette posture est décevante, et il faut que le Grand Conseil réagisse, car cela revient à baisser les bras face à une certaine opacité dont le risque est le glissement vers l'arbitraire. Du reste, la commission l'a bien constaté en découvrant l'inégalité de traitement qui existe entre conjoints et l'anticipation du non-paiement des primes. Le diable se cache donc dans les détails. Par son refus, la majorité valide la teneur d'un texte insatisfaisant et contestable sur deux aspects au moins. Au final, la population devra soit avoir confiance dans les décisions prises par l'administration, soit exiger des explications, occasionnant par là un surcroît de travail pour les services de l'Etat. Il serait bien plus simple d'être attentif à la formulation des règlements d'exécution lors de leur rédaction.
La minorité observe enfin que l'article incriminé se fonde sur une hypothétique défaillance financière des bénéficiaires, puisque l'objectif est d'éviter des impayés de primes d'assurance-maladie, et ce au détriment des principes d'égalité entre citoyennes et citoyens, de clarté et de transparence. A nos yeux, cette approche est particulièrement douteuse. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, la minorité vous invite à accepter cette proposition de motion et à la renvoyer au Conseil d'Etat.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, l'essentiel a été dit par M. Eckert. Très franchement, avec un titre comme celui-ci - «Les citoyennes et les citoyens doivent pouvoir comprendre !» - je pensais que l'on ne pouvait que souscrire à cette proposition de motion. Eh bien non, la majorité de la commission s'y est refusée, donc on peut en conclure qu'il n'est pas nécessaire pour elle que la population saisisse les règles qui lui sont appliquées. Certains processus administratifs sont si obscurs que les citoyens et citoyennes s'y perdent; nous-mêmes parfois, administrateurs éclairés - du moins ose-t-on l'espérer - ne nous y retrouvons pas non plus.
La proposition de motion 2399 met en lumière le fait que le règlement d'exécution de la loi 11540 tel que modifié le 1er juillet 2016, notamment son article 11A, est illisible; elle invite donc le Conseil d'Etat à proposer une modification de cette disposition afin de la rendre claire et compréhensible, et de l'adapter de sorte que les subsides d'assurance-maladie soient distribués de la même manière qu'aux bénéficiaires des prestations complémentaires familiales et de l'aide sociale, par analogie avec l'article 11B. Je n'entrerai pas dans les détails kafkaïens dudit règlement, il suffit de savoir que le principe d'un franc pour un franc n'est pas appliqué rigoureusement et que le droit aux subsides dans les groupes familiaux est réparti de manière peu claire.
La minorité réfute l'argument avancé par la majorité consistant à dire que ce règlement d'exécution a dû être édicté dans la précipitation, comme si cela pouvait justifier le problème, et que des correctifs interviendront plus tard, à savoir en 2021, au moment de l'entrée en vigueur de la réforme des prestations complémentaires. Une échéance tout de même un peu tardive pour un texte déposé en 2017 ! Il se peut que les défauts les plus saillants de ce règlement d'exécution aient été corrigés au fil du temps, mais cela ne nous dispense en rien d'affirmer que les lois et leurs règlements doivent être aussi clairs que possible, accessibles à la compréhension de ceux auxquels ils s'appliquent.
C'est au nom de ce principe élémentaire, au nom du droit absolu des citoyennes et citoyens à comprendre les règles qui les concernent que le groupe Ensemble à Gauche acceptera la proposition de motion 2399 et vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à en faire de même.
Mme Sylvie Jay (PLR). La lecture de cette proposition de motion appelle le fameux dicton: le mieux est l'ennemi du bien. Si nous reconnaissons que la demande de rendre le règlement d'exécution de la LAMal plus compréhensible est louable et que l'on peut s'interroger quant à une potentielle simplification de l'article 11A, il faut cependant admettre la complexité intrinsèque du calcul du droit aux subsides. La rédaction de cette disposition s'est certainement faite dans une volonté de clarté et en respect avec les techniques légistiques, et l'on peut s'attendre à ce qu'une simplification soit extrêmement difficile à opérer.
Concernant la volonté des auteurs de substituer à l'attribution des prestations par paliers une approche au franc près, il nous semble que cela irait à l'encontre de l'efficience administrative, sans garantie d'amélioration. En effet, un service qui gère 340 millions de subsides accordés à près de 100 000 bénéficiaires ne serait pas en capacité de se voir contacté par chaque personne faisant l'objet d'une modification de revenu d'une valeur d'un ou deux francs.
Quant à modifier l'article 11A pour que le processus d'attribution des subsides soit comparable à celui des PCFam et de l'aide sociale, l'explication du rapporteur de majorité est claire: l'adoption du contreprojet à l'initiative 170 et de la réforme des prestations complémentaires fédérales, dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2021, rend la motion 2399 obsolète et son vote non nécessaire.
Selon le rapporteur de minorité, l'article 11A est d'une complexité inouïe, mais c'est omettre la mise à disposition au public, sur le site internet de l'administration, d'une calculette très simple à utiliser, permettant au citoyen de déterminer son éventuel droit à un subside d'assurance-maladie pour lui-même ou sa famille. Quel que soit le message que souhaite faire passer la minorité en votant le renvoi de la proposition de motion au Conseil d'Etat, celui qu'adresse le PLR est de veiller à la transparence de la réglementation et au respect de l'équité; nul besoin pour cela de ce texte. De fait, le groupe PLR le refusera. Merci.
Mme Ana Roch (MCG). Dans la conclusion du rapport de majorité, il est mentionné très clairement que cette proposition de motion arrive comme la grêle après les vendanges: elle est obsolète aujourd'hui. S'il est compliqué de comprendre l'article en question, la réforme des prestations complémentaires fédérales - qui, comme cela a été dit, entrera en vigueur le 1er janvier 2021 - clarifiera les choses. Du reste, les associations comme l'ASSUAS ou l'AVIVO ont précisé qu'elles ne rencontraient aucun problème avec cette disposition et pouvaient aider nos assurés le cas échéant. Pour ces raisons ainsi que celles soulevées par mes préopinants, le MCG ne soutiendra pas non plus ce texte. Merci.
M. Patrick Hulliger (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de motion 2399 ne fait plus sens suite à l'acceptation par le peuple du contreprojet à l'IN 170, lequel a entraîné des modifications législatives qui entreront en vigueur au début de l'année 2021. Soyons vigilants, mais ne transmettons pas au Conseil d'Etat un texte obsolète, cela ne sert à rien. Même les associations sollicitées, comme l'ASSUAS et l'AVIVO, n'ont pas fait état de réclamations de leurs membres sur ce sujet. Pour cette raison, l'Union démocratique du centre votera non. Merci de votre écoute.
Mme Patricia Bidaux (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, la proposition de motion 2399, déposée en 2017, met en avant les difficultés rencontrées par les citoyens mais aussi, oserai-je ajouter, par les professionnels pour comprendre les modalités d'application du règlement relatif aux prestations complémentaires. L'objectif était de proposer une réflexion sur ce thème, mais les choses ont changé. En effet, depuis 2017, le législateur fédéral a révisé la loi relative aux prestations complémentaires, et comme l'a très bien démontré le rapporteur de majorité, ce qui était demandé par les invites est intégré aux nouvelles dispositions. Si les exigences d'équité restent d'actualité, elles ne dépendent pas d'un texte parlementaire. L'entrée en vigueur de la réforme se fera dans moins d'une année, soit le 1er janvier 2021. Comme à la majorité de la commission, il apparaît au PDC que les propositions de ce texte sont obsolètes. Par conséquent, nous vous encourageons à le rejeter.
Le président. Merci, Madame la députée. Je repasse la parole à Mme Jocelyne Haller pour trente-quatre secondes.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, je précise que nous parlons ici des subsides d'assurance-maladie pour les personnes au bénéfice de prestations complémentaires, et non des subsides ordinaires. Or il existe des différences dans leur accès et leur application. Ainsi, on balaie le problème d'un revers de main alors qu'il n'est pas encore réglé aujourd'hui. Il y a un trop grand décalage entre le moment du dépôt de cette proposition de motion, celui de son traitement...
Le président. Merci...
Mme Jocelyne Haller. ...et celui où la modification interviendra...
Le président. C'est terminé.
Mme Jocelyne Haller. Indépendamment de tout ce que vous voudrez bien dire, votre refus constitue un déni de droit à la compréhension des règles qui sont appliquées aux citoyens et citoyennes de ce canton.
M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, beaucoup de choses ont été dites; il serait inutile, tout comme l'est cette proposition de motion, de rappeler les éléments qui ont conduit la majorité de la commission à s'y opposer. Mon premier message, c'est que le domaine de l'action sociale dans notre canton - comme en Suisse, d'ailleurs - revêt certains principes, mais également une grande technicité. En effet, on parle d'une disposition technique: combiner l'application des prestations complémentaires fédérales à celle des prestations complémentaires cantonales dans la délivrance des subsides d'assurance-maladie constitue un processus complexe, et nous l'avons reconnu lors des différentes auditions menées durant les travaux de commission.
Cela étant, je répète que le train est passé, qu'il convient maintenant de nous concentrer sur la réforme des prestations complémentaires fédérales qui a été votée par le Parlement et dont le Conseil fédéral a ordonné la mise en oeuvre pour le 1er janvier de l'année prochaine. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat vous a proposé de traiter aussi rapidement que possible le PL 12756 qui concerne la prise en compte des primes d'assurance-maladie dans le calcul des prestations complémentaires; nous y retrouverons quelques principes, notamment en lien avec l'applicabilité des subsides.
Je rappelle encore, Mesdames et Messieurs les députés, en particulier à celles et ceux qui représentent la minorité, que la Chambre des assurances sociales a confirmé dans ses différentes prises de position la validité de l'article 11A. Dès que la révision des prestations complémentaires fédérales sera entrée en vigueur, c'est-à-dire le 1er janvier 2021, la loi 11540 deviendra obsolète. Partant, le Conseil d'Etat vous invite à rejeter cette proposition de motion. La préoccupation principale que j'entends dans vos échanges est celle de l'accès aux droits; nous en avons parlé lors de l'audition du département, nous y sommes particulièrement sensibles. Poursuivons les combats qui ont un réel impact sur cet accès aux droits - ce n'est pas le cas de ce texte.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous procédons au vote.
Mise aux voix, la proposition de motion 2399 est rejetée par 34 non contre 20 oui et 1 abstention.