République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 12 mars 2020 à 20h30
2e législature - 2e année - 11e session - 58e séance
PL 12663
Premier débat
Le président. Nous commençons avec notre première urgence, le PL 12663, classé en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à M. Pierre Maudet.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, dans les circonstances très difficiles et alarmantes que nous traversons, au jour même où nous prenons connaissance du millième décès dans ce pays voisin, si cher à notre coeur, qu'est l'Italie, au moment où nous prenons connaissance également de mesures telles que les fermetures de frontières, plus loin que dans les pays qui nous environnent - et qui peut-être donneront un temps l'illusion que l'on peut se concentrer sur ces mesures plutôt que de parler de l'état du réseau sanitaire dans les pays concernés - le Conseil d'Etat vous présente ce soir un projet de loi de nature économique. Ce alors que nous parlons bien évidemment d'une crise sanitaire sans précédent, où il s'agit, je le redis, nous l'avons évoqué hier par l'intermédiaire du président du Conseil d'Etat, de protéger notre population et de freiner l'épidémie, la pandémie, qui aujourd'hui nous occupe.
Je ne reviendrai donc pas, Mesdames et Messieurs, sur les aspects sanitaires, si ce n'est pour vous confirmer que le Conseil d'Etat est mobilisé sur ce sujet, derrière le médecin cantonal, derrière les équipes soignantes, les équipes publiques et privées qui - c'est l'occasion de leur tirer notre chapeau - réalisent un travail exceptionnel depuis maintenant plusieurs semaines. Je le redis d'autant plus volontiers que je vais ensuite vous parler d'économie: la santé prime. La santé est un bien public inaliénable. C'est ce qui guide nos décisions. Il ne s'agit pas ce soir, parce qu'on vous présente un projet de loi portant sur des aspects économiques, de nier cet élément qui a présidé à l'ensemble des décisions que nous avons dû prendre, dont certaines, vous l'avez compris, sont difficiles, mais ne sont peut-être rien en regard de celles que nous allons devoir prendre et exécuter dans les jours ou les semaines à venir.
En hommage au corps médical, je prendrai une métaphore pour illustrer ce qui, du point de vue de l'économie, va représenter un défi majeur. Cette métaphore est celle du corps humain. Pour le gouvernement genevois, le corps humain qui a besoin d'oxygène, c'est son économie. L'oxygène passe à travers les poumons, et les poumons, ce sont les PME. Les PME, les petites et moyennes entreprises, Mesdames et Messieurs, souffrent. Elles souffrent d'ores et déjà dramatiquement de cette crise sanitaire. Le risque majeur, c'est l'asphyxie; un risque d'asphyxie pour l'ensemble de notre société, sous l'angle d'une chute de la consommation. Ce sont, très concrètement, Mesdames et Messieurs, des chiffres d'affaires qui s'effondrent, un recul de l'investissement - on le constate d'ores et déjà dans certains secteurs - mais également un arrêt de l'embauche et un redémarrage de la courbe du chômage, lui dont le taux se trouve si bas. En d'autres termes, d'un point de vue économique, c'est un choc de l'offre cumulé à un choc de la demande dans une dimension systémique, une logique de cercle vicieux qui nous amène à un terme qu'évidemment nous fuyons, celui de la récession.
Concrètement, Mesdames et Messieurs - parce qu'il faut être concret ce soir - depuis hier après-midi, depuis l'ouverture de la hotline dédiée aux entreprises dans mon département, ce sont des dizaines d'appels que nous avons reçus de petits et moyens entrepreneurs qui voient leur chiffre d'affaires dévisser, des problèmes de liquidités, des menaces de dépôt de bilan, des annonces de licenciements, principalement dans les premiers secteurs concernés, à savoir l'hôtellerie, la restauration, le tourisme, l'événementiel, tout ce qui, de près ou de loin, touche au domaine de l'accueil. Mais c'est aussi, dans d'autres secteurs de l'économie, l'annonce d'une forme de rupture de la chaîne d'approvisionnement, de difficultés à réaliser dans notre chaîne de valeurs subtile l'ensemble des séquences. Et puis, il faut le dire aussi, c'est une vulnérabilité particulière des indépendants, des chefs d'entreprises, d'employés sous contrat à durée déterminée, qui sont les premiers à souffrir. C'est une réalité que nous recevons de plein fouet depuis deux semaines, notamment à travers l'annulation du Salon de l'auto, une manifestation quasi centenaire, dont j'ai vu certains se réjouir, ce que je dénonce vigoureusement, quand on voit l'impact énorme - de centaines de millions de francs - que cela représente pour notre économie. C'est le tourisme, la restauration, l'hôtellerie - je le disais - l'événementiel. Or l'événementiel, c'est la culture, le sport, les manifestations qui sont annulées et une précarité qui s'installe.
Le gouvernement vous propose d'agir avec des mesures très concrètes, des mesures immédiates, et c'est ce sur quoi nous vous invitons à vous prononcer ce soir. Ces mesures immédiates représentent - Genève se flatte d'être, de ce point de vue là, le premier canton, mais il est peut-être le plus touché actuellement - la capacité de répondre très rapidement à cette crise des liquidités que j'évoquais tout à l'heure. Les risques de trésorerie sont une réalité. Ce sont aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, pour citer des chiffres, des hôtels qui, à cette période de l'année, sont normalement remplis à 80% et qui actuellement le sont à 15%-20%. Il y a donc des licenciements et un problème financier immédiat. Nous vous proposons à travers ce projet de loi d'agir rapidement avec un premier montant de 10 millions. J'ai vu que certains dans la salle souhaitaient ce soir nous octroyer la faculté d'aller plus loin. Je les en remercie par avance, si tel est le souhait du parlement, car il ne s'agit pas d'inscrire au budget de fonctionnement cette dizaine de millions: c'est ici un mécanisme de ligne de crédit qui est adossé à la dette consolidée de l'Etat, lorsque l'on fait les comptes à la fin de l'année, mais qui n'entraîne pas la nécessité pour vous de voter des lignes de crédit de fonctionnement au sens strict.
Il est essentiel d'avoir cette capacité très très rapidement, et si, ce soir, vous votez ce projet de loi, nous aurons réussi la prouesse de constater lundi des difficultés de liquidités, de réaliser dans mon département mardi ce projet de loi, de le faire voter mercredi au Conseil d'Etat et de le faire approuver par le parlement ce soir, jeudi, pour que, dès demain - en réalité, pratiquement dès la semaine prochaine - nos entreprises, nos poumons, notre oxygène économique, puissent passer ce cap ou à tout le moins l'entamer avec un peu plus de sérénité que ce que l'on peut aujourd'hui ressentir.
Nous vous proposons donc très concrètement, nous adossant à la Fondation d'aide aux entreprises, un organisme agile, qui connaît le tissu entrepreneurial, qui a de l'expertise, mais qui a aussi cette capacité - obéissant en cela à une injonction politique - de se montrer souple, de lui octroyer, à travers cette première dizaine de millions, la faculté d'intervenir très rapidement. Ce sont ensuite des mesures non pas immédiates mais rapides que nous vous proposons, qui sont d'ores et déjà prises par le Conseil d'Etat, et je souligne l'ampleur du dispositif: une centaine de millions, 95 pour être précis, que nous rendons accessibles - là aussi, via la Fondation d'aide aux entreprises - à travers le cautionnement d'entreprises, mais cela nécessitera - et j'insiste sur ce point - de la part des banques, nos partenaires en matière de cautionnement, un soutien et un appui. J'ai invité les principales banques responsables du crédit à une séance urgente demain matin et j'espère pouvoir vous donner rapidement de bonnes nouvelles, car nous ne pourrons pas, sans les banques, réaliser l'exploit d'adosser à cette centaine de millions de cautionnement les entreprises qui rencontrent aujourd'hui des difficultés.
Ce sont également des mesures fédérales. Je m'y arrête un instant, parce que vous en débattrez tout à l'heure. Autant vous le dire, mon collègue Mauro Poggia et moi-même sommes actifs auprès de la Confédération, parce que c'est elle qui peut intervenir sur cette fameuse mesure de RHT, le chômage partiel. Nous sommes convaincus qu'il s'agit là d'un instrument que nous devons pouvoir activer dans cette situation exceptionnelle, un instrument indispensable en politique économique, Mesdames et Messieurs, pour conserver autant que faire se peut le revenu de nos concitoyennes et concitoyens. Si nous ne réalisons pas - et c'est un appel ici à la Confédération, qui a été repris par l'ensemble de mes collègues chargés de l'économie dans les autres cantons - que nous devons nous départir d'une certaine bureaucratie, que nous devons pouvoir accélérer le traitement de ces procédures, que nous pouvons aussi - et c'est une rupture avec la pratique - utiliser ces RHT, ces réductions de l'horaire de travail, pour des personnes concernées par des contrats à durée déterminée, des chefs d'entreprise qui en principe n'y ont pas droit, des indépendants - je pense aussi aux chauffeurs de taxi, à celles et ceux qui, avec leur petite entreprise unipersonnelle, réalisent un chiffre d'affaires qui s'est effondré - nous passerons à côté, nous tuerons notre substance économique et nous ne permettrons évidemment pas la relève qui sera nécessaire le moment venu.
A moyen terme, Mesdames et Messieurs, le gouvernement agira - autant que faire se peut, parce que ce sont là aussi des compétences fédérales - pour que les banques au niveau national et la Banque nationale puissent également jouer leur rôle. Nous ne sommes pas dupes: l'action sur les taux ne produira pas beaucoup d'effets. Mais au-delà de cela, nous devrons, Mesdames et Messieurs, et mon département le proposera dans quelques jours, relever le défi accéléré de la digitalisation et trouver une capacité renouvelée de créativité et de solidarité, avec des entreprises qui vont devoir très rapidement transformer leur modèle économique. Nous devrons sans doute aussi - je le dis solennellement - faire appel à d'autres acteurs économiques. Je pense ici aux bailleurs de locaux commerciaux, à toutes celles et tous ceux qui vont devoir peut-être se montrer un peu plus élastiques sur des reports de paiements. Vous discuterez tout à l'heure de la question de savoir si l'Etat peut le faire également s'agissant de la matière fiscale. Il faudra se montrer souple, précisément, et élastique.
Enfin, à plus long terme, et c'est par là que j'en termine, le gouvernement va évidemment réfléchir aux failles apparentes qui à travers cette crise démontrent que notre mode de développement et notre consommation doivent nous interroger; que le rapprochement des centres de production des centres de consommation est une nécessité absolue et que cette crise peut sans doute nous amener quelques leçons utiles. C'est pour le futur, bien évidemment, mais il faudra en parler. De même qu'il faudra parler - et le Conseil d'Etat y travaille - d'un plan de relance, d'investissements orientés sur la durabilité et d'une capacité à mieux faire tenir notre infrastructure.
Mesdames et Messieurs, ce soir, c'est finalement un petit ballon d'oxygène que l'on vous demande à travers ce projet de loi. C'est un signal, mais un signal important sur la détermination des autorités politiques, un signal sur la capacité de se rassembler, sur des mesures simples, parce que les entreprises ont besoin non seulement de signaux, mais aussi d'actes concrets et de mesures simples, sur des sommes qui vont être engagées concrètement, pour les travailleuses, pour les travailleurs, pour les chefs d'entreprises, hommes ou femmes, qui aujourd'hui font notre tissu économique. Selon cette métaphore que j'employais tout à l'heure, la collectivité, c'est comme un corps humain: il lui faut tous ses organes, il lui faut également tous ses membres et cela forme un tout. Notre économie, ce sont ses vaisseaux, sa capacité à les irriguer.
En résumé, ce que vous demande le Conseil d'Etat à travers ce projet de loi, mais sans doute aussi à travers d'autres mesures que nous prendrons à l'avenir, avec votre soutien, c'est l'antidote à ce virus, du sang-froid, de la lucidité et du civisme. Ce sont ces trois notions, Mesdames et Messieurs, qui, de notre point de vue, doivent devenir virales. Voilà la ligne du Conseil d'Etat. Nous vous invitons à la suivre, nous vous remercions de votre confiance pour soutenir et faire prospérer l'activité économique de notre canton. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). L'augmentation de la subvention à la fondation d'aide aux entreprises est juste et est surtout efficace. Le ralentissement de l'économie va durement et probablement durablement toucher nos PME et nos artisans. Tous les pays et les régions fortement touchés par le coronavirus prévoient d'aider les entreprises en cas de difficultés de liquidités. Beaucoup d'entre eux prévoient des aides aux banques pour stimuler les crédits. A Genève, l'intervention à travers la FAE est à saluer tout particulièrement. La Fondation d'aide aux entreprises est un acteur reconnu, expérimenté et efficace pour financer nos PME et nos artisans. En favorisant l'aide via la FAE, les demandes seront traitées avec sérieux et compétence. Cette voie est la meilleure manière de s'assurer que le manque de liquidités provient réellement de cette crise sanitaire et également le meilleur moyen d'éviter une distorsion de la concurrence ou un traitement inégalitaire entre les entreprises.
Ce projet de loi est à soutenir. Il complétera également la possibilité, cela a déjà été relevé, du chômage technique, qui permet aux PME et aux artisans de garder leurs collaborateurs et salariés en cas de période difficile. Ce chômage technique est une mesure qui existe et qui a déjà été à plusieurs reprises mise en vigueur avec un succès incontesté. Le groupe UDC soutiendra ce projet de loi et vous encourage également à soutenir ce signal, comme vient de le faire notre conseiller d'Etat Pierre Maudet. Merci de votre attention.
Mme Delphine Bachmann (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, la situation actuelle n'incite pas à l'optimisme et notre canton se trouve dans une situation critique. Critique, car le contexte est compliqué: nous n'avons à ce stade pas atteint le pic de l'épidémie et tout porte à croire que, loin de lisser la courbe, nous suivons les mêmes travers et les mêmes chemins que nos pays voisins qui subissent aujourd'hui de plein fouet les conséquences du coronavirus. Les milieux soignants font face, mais les ressources ne sont pas illimitées. Il s'agit aujourd'hui de ne pas paniquer, mais de faire face aux réalités. Les mesures prises sont correctes. Elles sont concrètes et visent avant tout à sauver la vie de ceux et celles d'entre nous qui sont les plus fragiles.
Cependant, ces mesures ont des conséquences. Des conséquences économiques, sociales, des conséquences pour notre canton. Il est de notre devoir, aujourd'hui, en tant que politiques, d'apporter une réponse concrète aux préoccupations non seulement de la population, sur le plan de la santé de nos concitoyens, mais également aux préoccupations de nos entreprises, qui sont en train de faire face à des difficultés majeures. Lors de la crise du franc fort, la base légale ayant permis d'aider les entreprises a mis plus d'une année à arriver. J'aime autant vous dire que le temps de trouver une majorité, il était trop tard. Ce soir, le Conseil d'Etat rejoint d'ailleurs une position et un texte PDC, en souhaitant donner davantage de moyens à la Fondation d'aide aux entreprises. (Commentaires.) Nous pensons que c'est une manière intelligente de soutenir notre économie de proximité, de soutenir les emplois de notre canton et de maintenir, à terme, notre prospérité.
Le PDC souhaite toutefois aller plus loin, raison pour laquelle il a proposé un amendement qui permet de donner davantage de moyens au Conseil d'Etat, une marge de manoeuvre pour activer si nécessaire des crédits supplémentaires. Aujourd'hui, il s'agit d'être prudents: nous ne savons pas si, dans cinq semaines, nous aurons la même marge décisionnelle que celle d'aujourd'hui. Peut-être ne pourrons-nous plus siéger. Il s'agit donc aujourd'hui d'activer un vrai levier, un vrai mécanisme de soutien à l'économie et au tissu de notre canton. Nous devons agir maintenant, car dans six, huit ou douze semaines, il sera peut-être trop tard.
Le parti démocrate-chrétien vous invite donc à entrer en matière sur ce projet de loi et à voter l'amendement proposé. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, pour les Verts, nous vivons une crise sanitaire et économique. Le pilote, en cas de crise, c'est le gouvernement; il ne s'agit pas pour le parlement de se mettre à faire autre chose. Il s'agit donc aujourd'hui d'appliquer ce qu'on demande traditionnellement aux entreprises, à savoir de la solidarité et de la responsabilité sociale, mais cela va dans les deux sens: il s'agit aussi pour nous, parlement, de soutenir le monde économique dans une période particulièrement difficile.
Notre discours autour de la relocalisation de notre économie, vous le connaissez depuis longtemps. On voit aujourd'hui que des fournitures qui viennent de trop loin péjorent très fortement notre économie; cela nous place dans une situation fragile. A l'heure actuelle, les entreprises souffrent, et souffrent terriblement. Nous soutiendrons aussi l'amendement proposé par le PDC, car il s'agit de laisser les mains libres au gouvernement. Il s'agit d'une autorisation de dépenses. Ce n'est pas une obligation de dépenses, c'est bien clair, mais les Verts sont conscients de la situation et vous invitent tous et toutes à soutenir ce projet de loi.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Patrick Dimier (MCG). Juste pour compléter l'exposé du conseiller d'Etat, s'agissant de la BNS - il l'a évoquée au détour d'une phrase - je tiens à vous rappeler que, dans l'exercice 2019, la Banque nationale suisse a réalisé un bénéfice de 54 milliards et, par un tour de passe-passe que j'ai déjà dénoncé plusieurs fois, notre canton ne recevra pas du tout la part qui lui revient. (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Monsieur le député ! S'il vous plaît, un peu de calme, là-bas ! Merci. Allez-y, Monsieur le député.
M. Patrick Dimier. Merci, Monsieur le président. Je rappellerai donc le contenu de l'article 99, alinéa 4, de notre Constitution, qui stipule que les cantons doivent récupérer deux tiers de ce bénéfice. Ce n'est absolument pas le cas ! C'est donc l'occasion d'inviter notre Conseil d'Etat à se réveiller. L'assemblée générale de la BNS se tiendra le 24 avril. Il a donc encore le temps de faire entendre sa voix, de sorte que les cantons obtiennent davantage d'argent et que cet argent vienne appuyer la proposition du Conseil d'Etat, qui, bien entendu, sera soutenue par notre groupe. Certes, on ne peut pas éviter le virus de la «Corona»; évitons au moins la «Mort subite» ! (Exclamations. Commentaires.)
M. Romain de Sainte Marie (S). Le parti socialiste votera ce projet de loi. L'enjeu en matière d'emploi pour notre canton est extrêmement important, et la crise que celui-ci va traverser par le biais d'une crise sanitaire peut en effet s'avérer une crise économique et avant tout une crise sociale majeure. S'agissant de cet aspect social, dans notre canton qui connaît déjà de grandes inégalités sociales ainsi que l'un des plus forts taux - si ce n'est le plus fort taux - de chômage de Suisse, et une pauvreté qui se trouve être aussi la plus importante de Suisse, nous devons anticiper, et nous devons, par le moyen des dépenses publiques, par le moyen des politiques publiques... Et je crois que cette crise sanitaire nous montre aujourd'hui à quel point l'Etat a un rôle à jouer. En effet, lorsque les entreprises se portent mal, l'Etat - puisque c'est l'Etat qui va voler au secours des entreprises qui se portent mal à cause de la crise sanitaire - est là. Il est présent. Ce n'est pas la main invisible qui gère les interactions entre les entreprises et qui gère notre société. Non, c'est le rôle de l'Etat. Et ce soir, nous prenons nos responsabilités et nous votons des dépenses pour faire en sorte que notre canton ne connaisse pas un chômage qui explose, une aide sociale qui explose à cause de cette crise sanitaire.
Mesdames et Messieurs les députés, cette notion est importante, et pour que l'Etat fonctionne, pour qu'il puisse délivrer ces politiques publiques, au-delà des politiques de nature notamment sanitaire - et on voit aujourd'hui à quel point celles-ci ont besoin de moyens suffisants - il doit disposer des recettes qui les accompagnent. Mesdames et Messieurs - et je regarde particulièrement les bancs de droite - j'aimerais que vous ayez conscience ce soir que voter ce montant, voter ces dépenses... (Remarque.) ...d'aide aux entreprises... Il faudra trouver cet argent ! Il faudra le trouver ! Nous savons que les finances de notre canton ne sont pas pérennes, que nous avons un réel manque de recettes fiscales, et il faudra faire preuve de solidarité. (Commentaires.) Et quand je parle de solidarité, ce sont les personnes les plus aisées de notre canton, ainsi que les entreprises qui se portent le mieux, qui devront se montrer solidaires vis-à-vis des très petites entreprises, des PME qui, elles, subiront cette crise de plein fouet. Cette solidarité passera par la fiscalité, par la redistribution des richesses, par le fait d'aider les très petites, petites et moyennes entreprises ce soir et lors de cette crise. Nous devrons donc nous attaquer à des niches fiscales. Le groupe socialiste attend que le Conseil d'Etat aille dans ce sens, et, de sorte à pouvoir garantir cette cohésion sociale dans notre canton, qu'il cherche à rétablir une véritable justice fiscale. C'est pourquoi le groupe socialiste votera ce projet de loi et l'amendement qui l'accompagne.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Serge Hiltpold (PLR). On peut dresser un premier constat, c'est tout d'abord que rien n'est jamais acquis en ce qui concerne l'économie et la vie en général. On voit que les secteurs sont interdépendants et le nerf de la guerre des entreprises, des PME et du monde économique, c'est la trésorerie. La trésorerie permet de faire face aux salaires et d'anticiper - généralement sur un ou deux mois - la production. Elle permet d'acheter à bon escient, de constituer des réserves, de faire de la recherche et du développement. C'est la solidité d'une entreprise. Cette solidité est accompagnée souvent, soit par des fonds propres, soit par des crédits commerciaux des banques qui sont nécessaires et qui sont un relais de l'économie.
Il y a une différence fondamentale entre ma réflexion et celle de M. de Sainte Marie: les entrepreneurs assument un risque entrepreneurial, et j'aimerais bien qu'on soit clairs sur ce point. On ne demande pas du tout d'arroser l'économie et de payer les entrepreneurs ! On demande d'avoir une avance de fonds. C'est là toute la différence ! C'est pallier une situation délicate pour éviter une rupture de trésorerie, ce qui fait que les entrepreneurs responsables ou les entreprises - parce que ce n'est pas un patron et des employés, c'est une entreprise en général - vont pouvoir rembourser. Et c'est capital ! C'est capital ! C'est le remboursement. C'est ça qu'on vous demande. On ne vous demande pas d'irriguer l'économie et que ça soit à fonds perdu. Parce qu'en tant que patron, ça me dérange. Je dois assumer des risques. Quand on gagne, on prend. Quand on perd, on assume. Ça, c'est un problème de notre société; on ne peut pas toujours gagner. La Fondation d'aide aux entreprises est là pour ça.
Une voix. Bravo !
M. Serge Hiltpold. Le sens de l'amendement, c'est d'éviter le «stop-and-go», c'est-à-dire que maintenant, la responsabilité est entre les mains du gouvernement, et qu'il faut qu'il ait cette flexibilité, cette souplesse, pour dire: «Là, on a un besoin tout de suite, là non !» et pour pallier le problème.
J'aimerais revenir encore sur des mesures qui sont capitales et qui ont fait le ciment de ce pays - vous savez que je suis un défenseur du partenariat social - à savoir les réductions de l'horaire de travail, les RHT. Ça, on va le voir, c'est un élément qui va permettre de passer le cap. Je suis assez confiant. Je suis assez confiant dans le modèle suisse. On est sans arrêt en train de le critiquer, mais vous verrez que ça va fonctionner. Pourquoi ? Parce que pour recourir à des RHT, lorsqu'on diminue le temps de travail, on doit obtenir l'accord des employés, des ouvriers. Si le personnel n'est pas d'accord sur une diminution du temps de travail, la mesure n'est pas applicable. C'est là qu'on verra la force du partenariat social. Il ne s'agit pas de dire qu'on fiscalise trop, qu'on paie trop. On va simplement voir que, dans les entreprises, la majeure partie des employés va jouer le jeu, la majeure partie des patrons va jouer le jeu, et on va passer le cap. Nous, ce qu'on nous demande, c'est de prendre nos responsabilités, c'est de pallier durant ces trois mois, ces six mois, les difficultés de trésorerie. J'aimerais qu'on dépolitise ce sujet et qu'on soit unanimes derrière ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur Hiltpold. Je passe la parole à M. Christo Ivanov pour cinquante secondes.
M. Christo Ivanov (UDC). Merci, Monsieur le président. Je vais essayer d'être rapide - d'habitude, je suis bavard ! Pas de hausse d'impôts, mais une vraie solidarité nationale ! Notre collègue Patrick Dimier a tout à fait raison. La Banque nationale a réalisé des bénéfices pharaoniques et il est normal que lorsque le pays est en crise, la solidarité envers les entreprises, envers les employés - cela vient d'être relevé par notre collègue Serge Hiltpold... Nous croyons en nos conventions collectives de travail et nous croyons en la dynamique de notre économie. Il convient donc, comme nous l'avons fait dans les heures noires de notre pays, avec le fameux plan Wahlen - Wahlen qui finira d'ailleurs conseiller fédéral UDC - où on avait décidé de planter des pommes de terre dans les caves... Nous avons survécu après la Deuxième Guerre mondiale, parce que le pays était uni. Ça, c'est fondamental. Aujourd'hui, plus que jamais, il convient de voter cet amendement. Je vous remercie, Monsieur le président.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, un certain nombre d'entreprises ressentent effectivement déjà les effets du coronavirus et de l'épidémie en cours. Certaines sont particulièrement inquiètes et on peut craindre en effet que leur fonctionnement et leur trésorerie soient affectés par les effets de l'épidémie. Ce projet de loi répond en partie à ces inquiétudes et nous le saluons. Toutefois, nous constatons qu'il n'est question là que de l'économie. Or nous aurions souhaité des garanties en matière de préservation de l'emploi, que l'on parle des travailleurs, des personnes. Cet aspect-là manque dans la définition qui nous est proposée. L'exposé des motifs parle de ces questions, et préserver les entreprises, c'est évidemment sauver les emplois, mais le dire, c'est encore mieux, parce que cela n'est pas garanti.
Le groupe Ensemble à Gauche ne soutiendra pas l'amendement proposé, parce que, si l'économie ou certaines entreprises sont d'ores et déjà affectées par le coronavirus - ou vont l'être très prochainement - elles ne seront évidemment pas les seules. Je vous rappelle qu'un certain nombre de services de l'Etat, qui seront particulièrement sollicités si l'épidémie se développe, travaillent déjà aujourd'hui à flux tendu. Il est important que ceux-ci puissent bénéficier également d'un déplafonnement des dépenses. C'est ce que proposait la résolution que nous avons déposée et dont l'ajout a été accepté tout à l'heure. Pour nous, ces questions sont extrêmement importantes. Vous le savez, l'épidémie, qui confine les gens chez eux, amènera de nouveaux besoins: interventions médicales ou paramédicales, appui aux personnes qui seront bloquées chez elles, auxquelles il faudra apporter un certain nombre de soutiens, tant du point de vue des repas que des démarches, et là, nous aurons besoin de personnes qui seront en mesure d'y aller. Aujourd'hui, les services sont déjà saturés et ils ne pourront pas faire face à une charge de travail supplémentaire.
Aussi, si nous soutenons ce projet de loi, c'est avec la très ferme intention, et une demande expresse à l'intention du Conseil d'Etat, que les aides qui seront apportées le soient moyennant une protection très étendue des postes de travail et que toute la réglementation applicable en matière de protection de l'emploi soit hautement appliquée. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Baertschi pour une minute quarante-six.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. La crise du coronavirus est un révélateur. C'est un révélateur montrant que notre économie est beaucoup trop ouverte sur l'extérieur. (Commentaires.) Elle révèle que notre économie est beaucoup trop ouverte sur le marché de l'emploi frontalier.
Des voix. Roooh ! (Commentaires.)
Une voix. Et la santé ?!
M. François Baertschi. Eh oui ! Eh oui ! Je sais que ça dérange beaucoup de personnes... (Le micro de l'orateur est coupé en raison d'une panne technique. Un instant s'écoule. Brouhaha.)
Le président. Exceptionnellement, vu l'ambiance qui règne, je suspends la séance quelques minutes.
La séance est suspendue à 21h03.
La séance est reprise à 21h11.
Le président. Nous reprenons nos débats. Tout refonctionne ! Je repasse donc la parole à M. le député François Baertschi.
M. François Baertschi. Merci, Monsieur le président. C'est vrai que la crise du coronavirus est le révélateur d'une économie dépendante de l'extérieur, dépendante de manière excessive de l'extérieur et principalement aussi des frontaliers. Nous sommes allés trop loin et nous devons maintenant soutenir les travailleurs locaux et les PME locales. Nous devons les soutenir de manière générale. C'est pour cela que le MCG votera cette aide pour nos PME, parce qu'elles souffrent. Il y a une demande d'urgence.
Mais, indépendamment de l'urgence, nous devons réaliser un travail de fond. C'est toute la grande tâche du MCG depuis des années... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...à savoir faire en sorte que l'on aide les PME locales et les employés locaux, qui sont broyés par des mécanismes internationaux de destruction, on le voit maintenant: les marges ne sont plus là pour permettre d'affronter une crise. C'est quand même un élément révélateur. Ce n'est pas pour rien qu'on doit débloquer ces sommes, parce que nos PME sont fragiles, et c'est une réalité...
Le président. Je vous remercie, Monsieur Baertschi.
M. François Baertschi. Pardon ?
Le président. C'est terminé, je vous remercie.
M. François Baertschi. Voilà, je vous remercie. Donc juste pour vous dire que nous voterons...
Le président. Merci.
M. François Baertschi. ...cette aide pour les PME. Merci.
Le président. Je passe la parole pour trente-quatre secondes à Mme Delphine Bachmann.
Mme Delphine Bachmann (PDC). Merci, Monsieur le président. Je souhaitais juste dire un mot par rapport aux milieux culturels. On a entendu beaucoup le terme «entreprise», mais on n'a pas entendu parler des milieux culturels. Ils ont des attentes immenses, ils font face à des pertes colossales et j'espère que le Conseil d'Etat empoignera également cette thématique en collaboration avec les communes, qui ont elles aussi un grand rôle à jouer à ce niveau-là. Je vous remercie.
Le président. Merci. Monsieur Cerutti, votre groupe n'a plus de temps de parole. Je passe la parole au conseiller d'Etat, M. Mauro... (Le président hésite.) Pierre Maudet. (Rires.) Excusez l'erreur ! (Commentaires.)
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Je n'avais pas prévu de reprendre la parole, mais j'aimerais insister au nom du Conseil d'Etat sur un élément qui me semble essentiel au terme de cette discussion. Nous ne pouvons pas, dans cette crise, nous payer le luxe d'ériger une catégorie de la population contre une autre, comme les travailleurs contre les patrons - cette réalité n'existe plus, tout le monde est concerné dans les entreprises - de la même façon que l'on ne peut pas ériger les frontaliers contre les résidents. Et je dis ici volontiers au nom de Mauro Poggia qui ne pourrait pas s'exprimer sur ce point - vous comprendrez pourquoi - que si 50% de notre capacité sanitaire, 50% des travailleuses et travailleurs de l'hôpital sont des frontaliers, nous comptons sur eux aussi et nous sommes derrière eux. Parce que oui, Mesdames et Messieurs, que l'on soit résident ou frontalier, aujourd'hui, ce sont ces hommes et ces femmes qui font tourner cette boutique, qui rendent possible notre capacité de lisser cette fameuse courbe et qui ont besoin de votre aide et de votre appui. Nous ne pouvons pas nous permettre d'ériger une catégorie de la population contre une autre ! Nous devons tous être solidaires dans cette crise ! Je vous remercie de soutenir ce projet de loi.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12663 est adopté en premier débat par 89 oui (unanimité des votants).
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 4, al. 1, lettre g (nouvelle).
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement à l'article 7D déposé par Mme Bachmann, dont voici la teneur:
«Art. 7D, al. 1 (nouvelle teneur)
1 L'Etat met à disposition de la fondation une ligne de crédit de 50 millions de francs, que le Conseil d'Etat peut débloquer par tranches de 10 millions de francs, afin de permettre à la fondation de répondre aux besoins de trésorerie des entreprises se trouvant en situation passagère de manque de liquidités pour des raisons exceptionnelles liées notamment à des crises sanitaires ou d'autres événements entraînant une paralysie du système économique.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 77 oui contre 11 non.
Mis aux voix, l'art. 7D (nouveau) ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté.
Le président. Nous nous prononçons à présent sur l'article 2 souligné «Clause d'urgence». Je rappelle que selon l'article 142 de la LRGC, pour être adoptée, la clause d'urgence doit être votée par le Grand Conseil à la majorité des deux tiers des voix exprimées, les abstentions n'étant pas prises en considération, mais au moins à la majorité de ses membres.
Mis aux voix, l'art. 2 (souligné) est adopté par 85 oui contre 3 non et 1 abstention (majorité des deux tiers atteinte).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12663 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 90 oui et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)