République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 7 novembre 2019 à 8h
2e législature - 2e année - 6e session - 32e séance
PL 12133-A
Premier débat
Le président. Nous traitons maintenant le PL 12133-A en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité est de M. André Pfeffer...
M. Stéphane Florey. Où est-ce qu'il est ?
Mme Salima Moyard. Il n'a pas l'air d'être dans la salle.
M. Stéphane Florey. Mais il était là tout à l'heure ! (Remarque.) Non, non.
Mme Salima Moyard. Salut, le groupe UDC ! (L'oratrice rit. Un instant s'écoule.) Ah, le voilà. Allez, André ! (Un instant s'écoule.)
Le président. Bon, patientons le temps que M. Pfeffer s'installe, puis je lui passerai la parole. (Un instant s'écoule.) Allez-y, Monsieur Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi relaie une demande exprimée par les syndicalistes. L'objectif est de compléter le répertoire des entreprises du canton de Genève. Si l'idée peut paraître respectable, les coûts et le travail requis seraient totalement disproportionnés. Les auteurs du texte souhaitent que nos 20 000 entreprises, qui emploient 245 000 salariés, transmettent les informations suivantes: le nombre de collaborateurs et, pour chacun d'eux, l'âge, le sexe, la nationalité, le domicile, les fonctions, les qualifications, le taux d'occupation et évidemment le salaire. En plus, elles devraient fournir chaque mois diverses données relatives aux licenciements et aux nouveaux engagements.
Ce projet de loi est inacceptable pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la finalité du répertoire des entreprises de Genève serait dénaturée. Aujourd'hui, cet instrument sert à planifier, à étudier et à rationaliser la gestion de notre marché du travail; il permet par exemple de piloter l'action de l'Inspection paritaire des entreprises. Avec ce projet de loi, le REG se transformerait en outil pour contrôler nos sociétés et leurs employés. Ensuite, comme je l'ai dit, les coûts et la charge administrative seraient disproportionnés. Le système informatique actuel ne serait pas en mesure d'accueillir ces nouvelles données, il faudrait en prévoir un nouveau. Enfin, le répertoire des entreprises donne satisfaction et remplit déjà le rôle pour lequel il a été créé. C'est grâce aux informations de ce registre qu'on édicte les contrats types de travail, qu'on fixe les usages professionnels, qu'on peut par exemple constater de la sous-enchère salariale et bien d'autres choses encore.
Genève effectue déjà à la fois quantitativement et qualitativement plus de contrôles que les autres cantons suisses. Pour la majorité, il faut un marché du travail qui fonctionne de manière harmonieuse avec un sain équilibre entre les contrôles et les libertés. Pour ces raisons, je vous recommande de refuser ce projet de loi. Merci.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, après cette vision apocalyptique, permettez-moi de vous apporter un autre éclairage sur ce projet de loi, qui propose une modification de la loi sur l'inspection et les relations du travail afin de compléter le répertoire des entreprises du canton de Genève. Celui-ci existe d'ores et déjà, il s'agit surtout d'y ajouter des informations afin de réunir en un même registre l'ensemble des données relatives au marché de l'emploi.
L'une des principales objections des opposants à ce projet est la surcharge administrative dont il accablerait les sociétés. Cet argument affirmé avec force est étonnant: on se demande pour quelle raison une compilation de renseignements connus et disponibles représente un tel repoussoir, à plus forte raison à l'ère informatique où un simple clic permet de déplacer et d'enregistrer des données en série. Il ne s'agit pas de générer une nouvelle charge administrative, mais bien de rationaliser la gestion des ressources.
Plus encore, et les auteurs ne s'en cachent pas, le nouveau registre permettrait d'observer les pratiques salariales et, partant, de mieux lutter contre la sous-enchère salariale, objectif dont chacun se prévaut ici, mais qu'on peine à poursuivre avec assiduité, voire avec détermination. Ce texte nous offre l'opportunité d'améliorer un outil déjà existant pour atteindre ce but. Ce faisant, passé l'effort de départ pour sa mise en place, il simplifiera les multiples démarches administratives qui incombent aux entreprises en rassemblant, en enrichissant et en rationalisant les données relatives au personnel.
Pour bien saisir l'utilité d'un tel instrument dans la gestion d'un pan de la politique économique de notre canton, il est nécessaire de prendre conscience des failles de notre système statistique, qui impose trop souvent un décalage temporel: les représentants de la CGAS nous ont indiqué qu'il aura fallu attendre le printemps 2017 pour disposer des données 2014 de l'enquête suisse sur la structure des salaires ! Selon le directeur de l'OCSTAT, un tel outil constituerait un avantage et nous permettrait de disposer d'une vue en continu des données des entreprises. Actuellement, a-t-il imagé, nous ne disposons sur le plan cantonal que d'une photo tous les deux ans, car l'enquête se déroule tous les deux ans et nécessite de longs délais de livraison des données. Avec ce projet de loi, nous vous proposons de recueillir les informations chaque année et ainsi de bénéficier d'un film et d'une vision en continu.
Le registre tel qu'amélioré facilitera et allégera la tâche de l'OCIRT et de l'IPE, qui indiquent que les vérifications sont trop souvent menées à l'aveugle, ce qui ne favorise pas une utilisation rationnelle des ressources. Ajouter au REG les données salariales nous permettra d'établir une sorte de répertoire des rétributions; il sera ensuite plus simple de vérifier l'application de la réglementation en vigueur, de cibler les contrôles et d'optimiser les ressources disponibles.
Après l'argument administratif, les opposants au projet de loi lui ont fait le reproche de ne pas respecter la confidentialité. Or outre sa soumission naturelle et systématique à la LIPAD, le projet énonce clairement à son article 40, alinéa 5, que les éventuelles limites à l'accessibilité des données au public seront définies par voie réglementaire. Par ailleurs, des dispositions supplémentaires ont été expressément prévues pour protéger la confidentialité. De nombreux députés de la majorité se sont focalisés sur ce risque de violation bien qu'il leur ait été assuré que seuls les résultats et les éléments statistiques seraient accessibles au public, et en aucun cas des données permettant d'identifier travailleurs ou entreprises. Compte tenu de cette crainte et dans une perspective d'apaisement, pour réitérer l'intention des auteurs de préserver comme il se doit les données confidentielles, je vous proposerai, au nom de la minorité, un amendement de nature à écarter tout danger.
Cela étant, c'est moins la question de la protection des données qui a été au coeur des discussions que le spectre invoqué par certains commissaires d'un Etat fouineur - voilà, les choses sont dites. Une notion un peu particulière, si l'on considère qu'il ne s'agit là que de transparence et de contrôle quant à l'application de la réglementation en vigueur. Cette mise en question est suspecte, comme si l'Etat n'était pas habilité à veiller à l'application des lois, comme si un délinquant pouvait dire que la police se mêle de ce qui ne la regarde pas lorsqu'elle exerce son pouvoir de surveillance pour éviter des infractions à la loi.
Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi 12133 vous propose de doter l'Etat et ses instances déléguées - l'OCIRT, l'IPE - d'un véritable outil de surveillance du marché du travail. Nous ne pouvons pas nous plaindre à longueur d'année de la détérioration du marché professionnel, de l'appauvrissement d'une partie croissante de la population et, dans le même temps, ne pas être prêts à protéger l'emploi et à lutter contre la sous-enchère salariale. C'est pourquoi la minorité vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, moyennant l'acceptation de l'amendement que je vous présenterai, d'adopter ce projet de loi... Ou est-ce que je donne tout de suite la teneur de l'amendement ? Ah non, c'est bon, il est projeté à l'écran. Merci.
M. Jacques Béné (PLR). Mesdames et Messieurs, ce projet de loi, il faut le dire, a été initié par la Communauté genevoise d'action syndicale. Encore une fois, il s'agit d'une attaque frontale contre le partenariat social: les syndicats cherchent le combat à tout prix alors que, de l'autre côté, les entreprises visent la paix du travail, souvent au prix de concessions difficiles à accepter. Pour les syndicats, il est beaucoup plus facile de faire dire non à leurs membres en leur laissant miroiter des avantages supplémentaires qu'ils entendent négocier plutôt que de faire consentir les sociétés à des concessions qui sont toujours d'ordre financier, et ce alors qu'elles sont de plus en plus ponctionnées.
Ce texte vise clairement à faire du REG un instrument de contrôle du marché du travail alors qu'il constitue actuellement un simple outil d'information. Au-delà des conséquences et de la surcharge administrative que ce projet représenterait pour les entreprises, son coût n'a pas été calculé; or celui-ci est très élevé, c'est ce qu'on nous a dit en commission. De plus, il modifierait considérablement le rôle de l'Etat, mettant en péril un organe qui vient d'être créé, à savoir l'Inspection paritaire des entreprises, et le CSME, lesquels fonctionnent à satisfaction.
Contrairement à ce qu'a soutenu Mme Haller... Bon, il y a une part de vérité: certes, M. Montfort, directeur de l'OCSTAT, souhaiterait disposer d'un système pour mesurer l'évolution des salaires, mais il n'est pas du tout favorable à ce projet de loi qui ne représente pas la bonne méthode à son sens. Le REG, je le répète, est simplement un outil d'information. Pour le PLR, Mesdames et Messieurs, ce sera non à une nouvelle police des entreprises; y en a marre, laissez travailler les entreprises, laissons-les travailler et refusons ce projet de loi...
Une voix. Très bien !
M. Jacques Béné. ...ainsi que l'amendement qui sera proposé par la minorité de ce parlement. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Ana Roch (MCG). Le REG, c'est-à-dire le répertoire des entreprises du canton de Genève, est un registre qui donne des informations. L'Etat n'a pas à s'immiscer dans l'activité des entreprises privées, on l'a souligné, celles-ci doivent pouvoir travailler de manière sereine. Nous subissons déjà, je pense qu'aucun entrepreneur ici ne me contredira, une charge administrative élevée: il y a des formulaires sur les salaires et d'autres documents à remplir pour l'office cantonal de la statistique, les différents décomptes liés aux employés, les commissions paritaires, les conventions collectives... Nous subissons déjà des charges très importantes, les PME le savent et le dénoncent. On ne va pas en rajouter ! L'OCIRT et les syndicats effectuent leur travail de contrôle en cas de problème en lien avec les salaires, on ne va pas s'immiscer dans la bonne marche des sociétés. Encore une fois, les entrepreneurs ne peuvent pas se consacrer uniquement aux tâches administratives, ils doivent pouvoir travailler de manière sereine, et ce n'est pas possible avec ce projet de loi. Pour ces raisons, le MCG le refusera ainsi que la demande d'amendement. Merci.
M. Thomas Wenger (S). Mesdames les députées, Messieurs les députés, comme il a été dit, ce projet de loi vise à compléter le répertoire des entreprises du canton de Genève avec un certain nombre d'informations sur les employés. On parle des données somme toute assez ordinaires que sont le nombre, l'âge, le sexe, la nationalité et le domicile, mais également le taux d'activité et le salaire; ajoutez à cela l'annonce, dans un délai de trente jours, de tout licenciement avec les motifs et le salaire de la personne licenciée, ainsi que de tout nouvel engagement avec le montant du revenu également.
Toutes ces informations sont indispensables, Mesdames et Messieurs: indispensables pour le Conseil de surveillance du marché de l'emploi, indispensables pour l'Observatoire genevois du marché du travail qui bénéficiera ainsi d'une vraie vision du marché de l'emploi - salaires, engagements, licenciements - indispensables pour l'Inspection paritaire des entreprises qui réalise un travail très important aux côtés de l'OCIRT, indispensables pour les différentes commissions paritaires.
Il ne s'agit pas, comme on a pu l'entendre, de créer un monstre bureaucratique ou une police de l'Etat qui viendrait fouiner dans les entreprises; non, ces données sont d'ores et déjà en possession des sociétés qui les communiquent au cas par cas à différentes institutions, que ce soit à l'office cantonal de l'emploi, à l'OCIRT, à l'administration fiscale ou aux caisses de compensation. L'idée, c'est de récolter l'ensemble de ces renseignements afin d'obtenir, comme je viens de le dire, une véritable cartographie de la situation. Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, avec les avancées technologiques et les différents outils numériques, ne me dites pas que transmettre des données poserait un problème fondamental aux entreprises !
La rapporteure de minorité, Mme Haller, l'a souligné: aujourd'hui, l'OCIRT et l'IPE ne disposent pas de suffisamment de ressources pour contrôler les salaires et les conditions de travail. Ainsi, par manque d'information, ces organismes sont amenés à effectuer des vérifications à l'aveugle. Ce n'est vraiment pas productif, surtout en ce qui concerne des entreprises qui sont parfaitement en règle et qui doivent quand même passer un temps conséquent à fournir l'ensemble des documents dont ont besoin l'OCIRT ou l'IPE, tout ça en raison du manque d'information à la base. Compléter le répertoire est extrêmement important, cela permettra de mener un travail beaucoup plus rationnel et productif.
Vous savez, Mesdames et Messieurs, qu'il y a encore de nombreux abus aujourd'hui s'agissant des conditions de travail, des salaires, des licenciements, notamment dans les domaines de la restauration, de l'hôtellerie, de la construction et du nettoyage. Il est essentiel que nous puissions mieux contrôler le marché du travail, autant pour les salariés que pour les entreprises. N'oublions pas que lutter contre la sous-enchère salariale, c'est également lutter contre la concurrence déloyale menée par quelques compagnies qui jouent le rôle de brebis galeuses. Il s'agit ici d'un projet «win-win», comme on dit en anglais - «gagnant-gagnant» en français - à la fois pour les employeurs et pour les employés. Merci beaucoup.
M. Jacques Blondin (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi demande, sous couvert de relevés statistiques plus fiables et actuels ainsi que d'une lutte accrue contre la sous-enchère salariale, que les entreprises communiquent un certain nombre d'informations, ce qui ressemble fâcheusement à du flicage: les sociétés sont perçues comme des fraudeuses en puissance à qui il convient d'exiger des comptes, c'est malheureux. Le répertoire des entreprises deviendrait ainsi un registre des travailleurs, ce qui n'est plus du tout la même chose. Cela pose des problèmes, il faudrait fournir toutes les informations sur les politiques salariales et les licenciements, et je ne parle même pas de la confidentialité - je pense que l'amendement évoqué a été fait dans ce sens.
Je me plais à relever que quand différentes personnes lisent un rapport, elles n'en tirent pas forcément les mêmes conclusions. Pour ma part, en effet, j'avais cru comprendre à la lecture du rapport que le directeur de l'OCSTAT jugeait le projet certes intéressant, mais que les obstacles à la collecte des informations étaient trop importants et que, par conséquent, il donnait un préavis négatif.
De l'avis de nombreux auditionnés, les registres actuels sont suffisants, une couche de bureaucratie supplémentaire serait disproportionnée. Inutile d'en rajouter, car pour les entreprises et les PME, les sollicitations sont déjà nombreuses en matière de recensements et requêtes diverses: OCSTAT, OCIRT, OFS, enquêtes conjoncturelles, COF et j'en passe. Pour toutes ces raisons, le parti démocrate-chrétien vous invite à refuser ce projet de loi. Merci.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Monsieur le président, vous voudrez bien transmettre à M. Béné que je trouve quelque peu particulier de faire passer les syndicats pour des bellicistes forcenés et les milieux patronaux pour de doux émissaires de la paix. Nous savons très bien que sur le marché du travail, la situation n'est pas aussi binaire. Quand il le faut, les deux parties parviennent à se mettre d'accord, ainsi qu'elles l'ont fait pour instituer l'Inspection paritaire des entreprises, organe qui aurait justement besoin d'un instrument comme celui-ci pour mieux faire son travail, tout comme l'OCIRT.
En fait, ce qu'il serait intéressant de savoir, c'est ce qu'il y a à cacher. Toutes ces données sont disponibles, alors qu'on ne vienne pas nous dire que les rassembler représenterait un travail astronomique. Elles existent, les employeurs en disposent déjà ! Alors, qu'y a-t-il à cacher ? Cette crainte du flicage est pour le moins étonnante. La vraie question qui se pose est la suivante: voulons-nous réellement lutter contre la sous-enchère salariale et la dérégulation du travail ? Parce que c'est de ça qu'il s'agit, de se doter d'un meilleur outil de contrôle et de surveillance des entreprises pour mieux cibler le travail de l'OCIRT et de l'IPE.
Pour finir, M. Blondin évoquait la position de l'OCSTAT vis-à-vis de ce nouvel outil; je le remercie d'avoir admis qu'il s'agissait bien d'un préavis positif, le directeur ayant relevé qu'aujourd'hui déjà, les entreprises rechignent à fournir les éléments nécessaires à l'établissement de l'enquête suisse sur la structure des salaires. Le problème est là, c'est celui de la résistance des milieux patronaux à donner des indications indispensables au canton, à la fois pour suivre l'activité économique, mais également pour protéger les droits des travailleurs qui, vous voudrez bien nous le concéder, Mesdames et Messieurs, constituent un élément fondamental de la cohésion sociale. Je vous remercie de votre attention et surtout de voter l'amendement, puis d'accepter ce projet de loi.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. La question que pose ce projet de loi est fondamentale: faut-il collecter des données supplémentaires afin que l'Etat contrôle et planifie davantage ou faut-il laisser une marge de manoeuvre à l'économie de marché ? Dans ce sens, le projet de loi pose une question vraiment essentielle.
J'aimerais ajouter deux choses à ce sujet. Nous avons auditionné la responsable de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail, qui a clairement dit que la collecte de toutes ces informations était peu opportune - cela figure à la page 7 du rapport. Toujours selon cette personne, le coût et le travail à réaliser seraient excessifs, et il faudrait modifier complètement l'actuelle organisation du répertoire des entreprises, notamment en prévoyant un nouveau système informatique.
Au final, souhaitons-nous vraiment que notre Etat contrôle et planifie absolument tout ? La majorité ne veut pas de ce projet cher et inutile, elle ne veut surtout pas affaiblir notre partenariat social. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, je vous recommande vivement de refuser ce projet de loi. Merci.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a été déposé dans un contexte d'interrogations légitimes quant à la pertinence de l'enquête suisse sur la structure des salaires. En effet, malgré les réformes mises en place, nous constatons que cette étude ne permet que très partiellement d'observer l'évolution des politiques salariales en Suisse, car elle est d'ordre structurel, et non conjoncturel. A cet égard, nous comprenons que certains milieux s'en inquiètent. Cette enquête fournit suffisamment d'éléments pour établir un calculateur des salaires, mais peu de données sur les tendances actuelles. En matière de licenciements, par exemple, nous ne disposons d'aucune information, si ce n'est en cas de licenciements collectifs, donc là encore, nous comprenons qu'on cherche à obtenir davantage de renseignements.
Cependant, ce projet de loi introduirait à Genève ce qui n'existe nulle part ailleurs; ce n'est pas encore une raison pour y renoncer, mais cela pourrait être perçu comme une genevoiserie par l'ensemble des cantons suisses. Les informations sollicitées sont extrêmement détaillées, ce qui exigerait un travail conséquent. On demande le nombre de collaborateurs, ce qui en soi est encore faisable, ainsi que l'âge, le sexe, la nationalité, le domicile, la qualification, le taux d'activité et le salaire de chaque employé; mais il faut encore annoncer chaque licenciement, en indiquer les motifs, le salaire de la personne remerciée, puis communiquer l'engagement de celle venant en remplacement de même que le montant de son revenu, ceci afin que l'on puisse constater si on licencie quelqu'un pour engager quelqu'un d'autre meilleur marché.
Naturellement, tout cela me met un peu l'eau à la bouche, puisque cela m'intéresse de connaître les politiques salariales menées dans le canton de Genève, mais soyons raisonnables et pragmatiques. Ce projet de loi part sans doute d'une bonne intention, mais il va largement trop loin et créerait une véritable usine à gaz: il faudrait embaucher de nombreux fonctionnaires supplémentaires pour récolter ces informations, sans que l'on sache exactement ce que l'on en fera.
Cela étant, nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle. A titre informatif, sachez qu'au sein de mon département, puisque nous disposons tout de même d'un certain nombre d'offices qui ont accès à des informations particulièrement sensibles dans le domaine des politiques salariales et économiques de nos entreprises, nous travaillons à la mise en place de structures de récolte d'informations, que ce soit par l'office cantonal de la population et des migrations, le service de la main-d'oeuvre étrangère ou encore l'office cantonal de l'emploi. Nous obtenons déjà des renseignements intéressants, et je suis certain que le CSME en fera bon usage. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous demande de ne pas soutenir ce projet de loi.
Le président. Merci bien. Nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12133 est rejeté en premier débat par 48 non contre 38 oui.