République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 31 octobre 2019 à 20h30
2e législature - 2e année - 6e session - 28e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Jean-Marie Voumard, président.
Assistent à la séance: M. Mauro Poggia et Mme Nathalie Fontanet, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Serge Dal Busco, Pierre Maudet, Anne Emery-Torracinta et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Simon Brandt, Pablo Cruchon, Christian Dandrès, Patrick Dimier, Amanda Gavilanes, Adrien Genecand, Jean-Marc Guinchard, Delphine Klopfenstein Broggini, Vincent Maitre, David Martin et Stéphanie Valentino, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Jacques Apothéloz, Olivier Baud, Christian Bavarel, Pierre Bayenet, Emmanuel Deonna, Sylvie Jay, Yves de Matteis, Christina Meissner, Souheil Sayegh, Francisco Valentin et Helena Verissimo de Freitas.
Annonces et dépôts
Néant.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment d'une magistrate du Pouvoir judiciaire. Je prie le sautier de la faire entrer et l'assistance de bien vouloir se lever. (La magistrate entre dans la salle et se tient debout, face à l'estrade.)
Madame, vous êtes appelée à prêter serment. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- d'être fidèle à la République et canton de Genève, comme citoyenne et comme juge;
- de rendre la justice à tous également, au pauvre comme au riche, au faible comme au puissant, au Suisse comme à l'étranger;
- de me conformer strictement aux lois;
- de remplir ma charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité;
- de ne point fléchir dans l'exercice de mes fonctions, ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par espérance, ni par crainte, ni par faveur, ni par haine pour l'une ou l'autre des parties;
- de n'écouter, enfin, aucune sollicitation et de ne recevoir, ni directement ni indirectement, aucun présent, aucune faveur, aucune promesse à l'occasion de mes fonctions.»
A prêté serment: Mme Maya Cramer.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment et vous souhaite une heureuse carrière. La cérémonie est terminée. Vous pouvez vous retirer. (Applaudissements.)
Débat
Le président. Nous abordons notre premier point fixe, l'IN 172-B, en catégorie II, soixante minutes. (Brouhaha.) J'attends le silence pour continuer ! (Un instant s'écoule.) Le rapport de majorité est de M. Jean-Marc Guinchard, remplacé par M. Jean-Luc Forni, celui de minorité de M. Jean Batou. Monsieur Forni, c'est à vous.
M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, l'IN 172 a été lancée et déposée par la Communauté genevoise d'action syndicale et les partis de l'Alternative suite au refus populaire de la RIE III par 60% des votants. Cette initiative constitutionnelle entend fixer le cadre cantonal d'application de la réforme de l'imposition des entreprises. Il est à noter qu'elle a abouti - 10 000 signatures ont été récoltées - avant l'acceptation de la RFFA le 19 mai dernier, c'est un élément important pour cadrer le débat. Selon les initiants, le rejet de la RIE III dans le canton de Genève s'explique notamment par la prise en considération des données de la réforme cantonale, même si ce n'était pas formellement l'objet de la votation, d'où le dépôt de leur initiative.
Le 9 avril 2019, alors que l'on était en plein débat politique sur la RFFA, les initiants déclaraient devant la commission fiscale que si le nouveau projet adopté par le Grand Conseil devait être accepté par le peuple, cette initiative servirait de garde-fou eu égard à - je cite - «une situation où les personnes physiques, les salariés et les retraités, seraient amenées à contribuer proportionnellement davantage à la redistribution de richesses que les entreprises, particulièrement les grandes entreprises qui réalisent, pour certaines d'entre elles, des centaines de millions de francs de bénéfices». Il y aurait là - je cite encore - «une inégalité de traitement face à l'impôt qui est quelque chose de complètement opposé à la notion globale de la progressivité de l'impôt». Les auteurs s'opposent au régime des statuts spéciaux qui favorisent un certain nombre de multinationales. Selon eux, ce système doit être aboli, mais pas en créant d'autres privilèges et surtout pas en causant des pertes fiscales pour les collectivités publiques, qui se traduiraient immanquablement par une dégradation des prestations, que ce soient les aides directes à la population ou simplement la qualité et l'étendue du service public.
L'initiative dénonce également une sous-enchère fiscale permanente entre cantons: chacun avance comme argument que celui d'à côté a déjà baissé ses impôts et que si on ne le suit pas, les contribuables vont partir dans les cantons voisins. Pour les initiants, tout ce qui peut empêcher la sous-enchère fiscale intercantonale est bon à prendre. Ainsi, l'initiative comprend une disposition constitutionnelle prévoyant que l'Etat de Genève doit lutter contre cela par tous les moyens. Si on additionne les trois symboles que sont la taxe personnelle, l'imposition des petits propriétaires immobiliers et le fait que les petites entreprises ne sont actuellement pas imposées, on observe, toujours selon les initiants, que le curseur fiscal se déplace vers les personnes physiques.
En fait, Mesdames et Messieurs les députés, la commission a refait le débat politique sur la RFFA durant de longues heures avant de devoir se rendre à l'évidence: le 19 mai, le peuple acceptait très largement la RFFA, ses tenants et aboutissants, à Genève comme en Suisse, ce qui rendait caducs les arguments des auteurs de l'initiative. Malgré les appels du pied de la commission fiscale qui lui proposait de retirer son texte, le comité d'initiative a décidé à l'unanimité de le maintenir, arguant qu'il ne concerne pas uniquement la RFFA, mais soulève des principes constitutionnels, dont celui d'un engagement de l'Etat à lutter contre la concurrence fiscale intercantonale et à favoriser la progressivité de l'impôt ainsi que le maintien des prestations de l'Etat. Voilà les mesures que les auteurs entendent inscrire dans la constitution, lesquelles vont bien au-delà de la RFFA.
Bon nombre de commissaires au sein de la majorité ont regretté l'attitude du comité d'initiative, qualifiant celui-ci de mauvais perdant. En effet, l'initiative a toujours été focalisée sur la RFFA, même si, depuis la votation du 19 mai 2019, ses partisans prétendent qu'elle touche d'autres principes constitutionnels. Par respect pour les 10 000 signataires, la commission fiscale a accepté de mener des auditions supplémentaires afin de traiter les thématiques constitutionnelles invoquées. Néanmoins, les prises de position tant de l'Union des villes suisses que de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances n'ont pas modifié les points de vue divergents des commissaires sur cette initiative.
Mesdames les députées, Messieurs les députés, refaire un débat sur la RFFA alors que le peuple a tranché et avant même que la réforme ne déploie ses effets ne serait pas sérieux et pourrait même être assimilé à de l'obstruction parlementaire. On connaît les méthodes de la gauche pour tenter de fragiliser le tissu économique via l'imposition des dividendes, via des attaques récurrentes contre le bouclier fiscal pour taxer davantage les gros contribuables. La commission a maintes fois discuté du fond de l'initiative. S'il y a un accord quant à la volonté de minimiser les pertes fiscales, il n'y en a pas s'agissant de la méthode. A droite, on explique qu'avec une baisse d'impôts, pour autant qu'elle soit menée de manière intelligente, c'est-à-dire avec des mesures d'accompagnement telles que celles qui sont prévues dans le projet RFFA, le canton sera gagnant à terme. La gauche dit que non et que d'autres mesures sont nécessaires.
Mesdames les députées, Messieurs les députés, une grande majorité de la commission fiscale vous invite à rejeter l'initiative 172 ainsi que le principe d'un contreprojet. Le peuple a très largement accepté la RFFA le 19 mai dernier, rendant obsolètes les fondements de ce texte. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, de toute évidence, tout le monde devrait soutenir cette initiative, puisqu'on nous explique continuellement que l'introduction de la RFFA permettra à l'Etat de réaliser des recettes supplémentaires. On connaît la devise: trop d'impôt tue l'impôt, et si on les baisse, les recettes augmentent. Eh bien voyez-vous, nous aimerions que cela soit inscrit dans la constitution, et ce pour les raisons suivantes: d'abord parce qu'il faut combattre la concurrence fiscale intercantonale, c'est-à-dire le dumping fiscal entre cantons, ensuite parce que - vous le dites toutes et tous - nous voulons garantir le financement des prestations publiques et le maintien des recettes de l'Etat.
En ce qui nous concerne - mais ce n'est sans doute pas partagé par les bancs de droite - nous voulons même accroître la progressivité de l'impôt. C'est exactement ce qui figure dans la nouvelle disposition constitutionnelle: chacun contribue selon ses moyens aux dépenses publiques. Dans une société où les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, le rôle de l'impôt consiste à redistribuer un peu plus. Or les riches qui deviennent toujours plus riches n'ont pas envie de céder une part de leur pactole aux gens qui en ont le plus besoin, c'est d'une banalité évidente.
Cette initiative demande quatre choses, que nous souhaitons voir inscrites dans la constitution. Avant tout, il s'agit de lutter contre la concurrence fiscale intercantonale. Il y a deux aspects à la concurrence fiscale intercantonale: l'aspect réel et l'aspect épouvantail. L'aspect épouvantail est tout à fait discutable. En effet, il n'est pas toujours vrai que les entreprises ou les personnes physiques choisissent de s'établir dans tel ou tel canton pour des motifs purement fiscaux. Nous le savons, toutes les études le montrent, il existe bien d'autres critères dans le choix de la domiciliation. Mais évidemment, quand il est question d'impôts, on prétend généralement qu'il est nécessaire de les diminuer parce que le canton voisin l'a fait. L'un des arguments majeurs en faveur d'une réforme à Genève, c'était la baisse de l'imposition des entreprises dans le canton de Vaud.
Pourtant, des études sur la suppression de l'imposition des héritages en ligne directe - la chose avait commencé à Schaffhouse, puis s'était répandue comme une traînée de poudre dans toute la Suisse - prouvent que la concurrence fiscale entre cantons est beaucoup plus limitée que ce qu'avait prétendu chaque canton pour justifier la diminution ou la suppression de cette imposition. Voilà l'aspect épouvantail: il s'agit de faire peur et de forcer chaque canton à s'adapter aux baisses fiscales en faveur des privilégiés.
Mais il y a aussi un aspect réel, et le Conseil fédéral le reconnaît en disant: «[...] dans la littérature, on s'attache essentiellement à deux aspects des inconvénients de la concurrence fiscale. Premièrement, on craint que la concurrence fiscale ne conduise à une surenchère au niveau des baisses d'impôts entraînant une dégradation rampante» - c'est le Conseil fédéral qui le dit, ce n'est pas Jean Batou - «une dégradation rampante des infrastructures. Deuxièmement, on affirme que la concurrence fiscale limite par trop les possibilités politiques de redistribuer les revenus et la fortune.» Oui, Mesdames et Messieurs, «la concurrence fiscale limite par trop les possibilités politiques de redistribuer les revenus et la fortune» ! C'est la raison pour laquelle nous exigeons que soit inscrite dans la constitution la volonté de l'Etat de Genève de combattre la concurrence fiscale intercantonale.
Maintenant, j'en viens à l'argument inepte - et je vais peut-être mordre sur le temps de mon groupe, Monsieur le président - selon lequel trop d'impôt tue l'impôt. Vous savez que c'est une courbe en cloche, il n'y a pas besoin d'avoir fait beaucoup de mathématiques pour le comprendre: s'il n'y a pas d'impôts, il n'y a pas de recettes; s'il y a des impôts, ça monte, ça monte, ça monte et puis à un moment donné, les impôts sont trop importants, ça redescend. Il ne s'agit pas d'une théorie scientifique, mais d'une courbe qui a été tracée par M. Laffer sur une nappe en papier de restaurant à Washington, laquelle est aujourd'hui conservée au musée national d'histoire américaine, car elle cristallise un grand moment: la naissance du néolibéralisme sur le plan fiscal. Après, on s'est interrogé: comment déterminer le sommet de la courbe de Laffer, où est-ce que ça commence à baisser ? Ah, personne ne peut le dire, bien malin qui le sait ! Eh bien je vous le dis, moi, parce que nous l'observons dans tous les pays d'Europe: on diminue les impôts des privilégiés et on réduit les prestations sociales ainsi que le financement des infrastructures publiques.
Il nous faut rompre avec cette logique, faute de quoi nous allons revenir au XIXe siècle - c'est ce que dit Thomas Piketty dans ses différents bouquins - à l'époque de Balzac où les rentiers qui possédaient beaucoup d'argent dans leur bas de laine dominaient la société tandis qu'il était impossible pour les travailleurs d'accumuler ne serait-ce qu'un tout petit peu de bien-être. Nous sommes en train de revenir à une société de propriétaires, d'héritiers, de multimillionnaires, de gros actionnaires qui ne veulent plus payer leur contribution aux dépenses publiques alors que se creuse le fossé social en défaveur des personnes les plus précarisées. Il nous faut rompre avec cette logique, inscrire dans la constitution que toute réforme fiscale fédérale doit nécessairement se traduire premièrement par la préservation des prestations et subventions, deuxièmement par le maintien des recettes publiques, troisièmement par un renforcement de la progressivité de l'impôt.
Vous allez me demander: comment augmenter la progressivité de l'impôt des personnes morales ? Eh bien c'est très simple: plus votre bénéfice est important, plus votre taux d'imposition augmente. J'avais déposé un projet de loi pour réintroduire cette progressivité et je vous assure - j'en prends l'engagement ici - que je redéposerai un texte similaire dans le cadre de la RFFA. En effet, on a malgré tout abaissé les impôts à 13,99%; alors c'est très bien pour les petites entreprises - même si, en général, celles-ci ne paient pas d'impôts sur le bénéfice - mais on pourrait imaginer que pour des sociétés qui réalisent de gros bénéfices, on monte par paliers à 14%, 14,5%, 15%, jusqu'à 16% ! 16%, le taux fatidique qui nous permettrait de parvenir à la neutralité fiscale. Je vais vous faire une révélation. (Exclamations.) Avec une progressivité de l'impôt des personnes morales, nous pourrions épargner 95% des entreprises et rentrer dans nos fonds en taxant un peu plus les grandes compagnies, en tendant pour elles vers les 16%.
Pour cette raison, Mesdames et Messieurs, surtout sur les bancs de droite, je vous incite à faire un examen de conscience. Puisque vous nous garantissez que nous toucherons davantage de recettes fiscales grâce à la baisse de moitié des impôts des entreprises, eh bien chiche, soutenez l'initiative 172; elle ne vous engage qu'à respecter vos convictions. Ainsi, nous allons tous voter ce texte de manière unanime. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, l'initiative 172... (Brouhaha.) Si je pouvais avoir un peu de silence !
Une voix. On n'entend rien !
Le président. Attendez un instant que ça se calme ! (Un instant s'écoule.) Voilà, vous pouvez poursuivre.
M. Christo Ivanov. Merci, Monsieur le président. L'initiative 172 a en effet été lancée par la CGAS et les partis de l'Alternative suite au refus populaire de la RIE III par 60% des votants à Genève. Or cette année, le peuple genevois a adopté à la fois la réforme fédérale et la réforme cantonale, avec un taux d'acceptation de plus de 58%.
Les initiants demandent tout d'abord à l'Etat d'agir pour réduire la concurrence fiscale intercantonale. On peut y être favorable ou opposé, mais la réalité, c'est que quasiment tous les autres cantons ont déjà mené leur propre réforme fiscale: Bâle-Ville, par exemple, a opté pour un taux de 13%, Vaud pour un taux de 13,79%, Fribourg pour un taux de 13,72%. Genève a décidé, par la voix populaire, que son taux s'établirait à 13,99%. Je rappelle que de nombreux pays étrangers ont également baissé leur taux d'imposition sur le bénéfice, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne - et ce sera très bientôt le cas de la France.
Le texte vise ensuite la préservation du financement des services publics et le maintien du niveau des recettes fiscales cantonales et communales. Les auteurs ont-ils mesuré le risque que les entreprises partent, à commencer par les sociétés à statut ou les forfaitaires fiscaux, sans lesquels nous aurions de grandes difficultés à financer le social dans notre canton ? Cela représenterait un coût bien supérieur aux chiffres de la réforme et à ceux qu'ils évoquent. La RFFA ne connaît pas de progressivité, puisque l'impôt sur le bénéfice est un taux fixe. Quant au coût, il n'est pas de 186 millions, mais de 372 millions, car il faut y ajouter les 186 millions du contreprojet à l'initiative 170. Je me permets de demander aux initiants comment tout cela serait financé.
La RFFA ayant été votée en mai 2019, cette initiative est obsolète et vous devriez la retirer. Vous la maintenez pour des raisons stratégiques que je peux tout à fait comprendre, mais par honnêteté intellectuelle vis-à-vis du vote du souverain, par respect pour notre population, vous devriez la retirer. Mesdames et Messieurs, le groupe UDC refusera cette initiative et vous demande de voter non également. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, les propos de mon préopinant sont simplement faux, et les partis comme les syndicats qui ont récolté des signatures pour cette initiative n'ont absolument pas à la retirer. Pourquoi ? Parce qu'elle ne concerne pas seulement la RFFA, mais intervient dans le cadre extrêmement large de toute réforme fédérale sur la fiscalité, aussi bien des personnes physiques que morales. Je reviendrai à la fin de mon intervention sur la progressivité de l'impôt qui, à Genève, porte exclusivement sur les personnes physiques - mais le canton du Valais, par exemple, connaît une progressivité de l'impôt des personnes morales.
Je suis un peu déçu, parce que je pensais à titre personnel que suite à la RFFA, on manifesterait une certaine sagesse, une certaine raison s'agissant des finances publiques, mais force est de constater que je me suis trompé. En effet, depuis le vote de cette réforme, la droite a effectué plusieurs baisses d'imposition, notamment des déductions fiscales supplémentaires pour les frais de garde d'enfants, sous prétexte qu'elles arrangent les familles; c'est parfaitement faux, je l'ai prouvé lors du dernier débat. En réalité, ces déductions pénalisent les finances cantonales et donc les prestations publiques, c'est-à-dire ce dont ont vraiment besoin les familles aujourd'hui. Je me suis trompé, je croyais qu'on pourrait faire preuve d'esprit de compromis, négocier, pourquoi pas en élaborant un contreprojet à cette initiative - je l'ai mentionné en commission. Rien à faire, aucune ouverture, la discussion en matière de fiscalité est close. Je me suis donc trompé, je nourrissais peut-être trop d'espoirs.
Maintenant, Mesdames et Messieurs, analysons cette initiative. Tout d'abord, elle pose un cadre en mentionnant que l'Etat doit lutter contre la concurrence fiscale entre les cantons. Comment s'opposer à ce principe ? Chaque mardi midi, à la commission fiscale, et lors de chaque séance du Grand Conseil, nous évoquons cette fameuse concurrence fiscale, et les représentants de la droite martèlent que Genève aurait le taux d'impôt sur la fortune le plus élevé et qu'il faut le baisser, que la charge fiscale dans notre canton serait la plus élevée du pays et que, partant, il convient de diminuer les différentes impositions. La droite fait constamment référence à la concurrence fiscale pour réduire le niveau d'imposition !
Le résultat, on le voit très concrètement avec la réforme sur les forfaits fiscaux. Il y a quelques années, la majorité de droite a opté pour le modèle de calcul des forfaits fiscaux qui avantage le plus les grandes fortunes, le pire modèle de Suisse en comparaison intercantonale, un véritable cadeau aux plus nantis du canton. Si on joue à la concurrence fiscale, on se retrouvera comme le canton de Lucerne qui introduit une semaine de vacances supplémentaire pour les enfants parce qu'il n'a plus les moyens de financer l'ensemble de la scolarité.
Examinons les autres éléments de cette initiative: préservation des finances publiques et maintien du niveau des recettes fiscales. Là encore, si on ne veut pas devenir le canton de Lucerne, il nous faut conserver nos recettes. Pourquoi ? Ce n'est pas juste pour la beauté du chiffre, mais parce que nous assumons d'importantes charges. Aujourd'hui, malheureusement, Genève connaît un appauvrissement et un vieillissement de la population ainsi qu'un accroissement démographique. Année après année, on le voit, les charges augmentent, non pas parce que Genève offre la moindre nouvelle prestation publique - non, non, pas du tout ! - mais parce que notre canton connaît un vieillissement et un appauvrissement de la population ainsi qu'un accroissement démographique. C'est ce qu'on appelle des charges automatiques, c'est-à-dire qu'en ne changeant rien à nos prestations, les charges augmentent. Voulons-nous davantage d'élèves par classe ? Voulons-nous un accès à la santé de moins bonne qualité ? Non, je ne crois pas, et c'est pourquoi ces deux éléments - préservation du financement des prestations publiques et maintien du niveau des recettes fiscales - sont indispensables.
Le dernier aspect, c'est le renforcement de la progressivité de l'impôt. Bien sûr, nous pouvons modifier les dispositions actuelles s'agissant des personnes morales, et peut-être que M. Batou déposera un projet de loi à ce sujet, mais en ce qui concerne les personnes physiques, c'est-à-dire les individus - je rappelle que les personnes morales sont les entreprises, les personnes physiques les individus - nous pouvons continuer à jouer là-dessus, nous pouvons augmenter la progressivité de l'impôt. Pourquoi ? Parce qu'il y a dans notre canton une inégale répartition des richesses, qui va hélas croissant, on l'observe année après année. La part de la population qui ne paie pas d'impôts parce qu'elle n'en a pas les moyens atteint 35%; à l'inverse, le ratio des contribuables multimillionnaires augmente, pas nécessairement en effectifs - même si ceux-ci progressent aussi - mais en fortune.
Quant au fameux départ des riches, c'est un mythe, puisqu'ils continuent à arriver. Tant mieux pour notre canton, ils amènent avec eux des recettes fiscales ! Cependant... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...ils doivent contribuer en fonction de leurs moyens. Or nous constatons aujourd'hui que cette inégale répartition des richesses s'accroît, et si nous visons le bon fonctionnement de l'imposition, une plus juste répartition des richesses pour permettre une vraie égalité des chances dans notre canton, eh bien ça doit passer par une progressivité de l'impôt. Cela signifie que plus on a de moyens, plus on participe; c'est normal, c'est un effort en faveur de la collectivité. A l'heure actuelle, c'est la classe moyenne qui fait cet effort, ce sont les milieux les plus précaires qui souffrent en premier, car les prestations publiques sont menacées...
Le président. C'est terminé. Je passe la parole...
M. Romain de Sainte Marie. ...et c'est pourquoi il faut augmenter la progressivité de l'impôt. (Applaudissements.)
Le président. ...au député M. Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci beaucoup, Monsieur le président. Ce débat, vous savez, c'est comme «Top Models»: vous pouvez louper 250 épisodes, vous comprenez toujours la suite, parce que c'est continuellement la même discussion ! (Rires. Applaudissements.)
En ce qui me concerne, je serai très court, ça ne sert à rien de perdre douze minutes sur ce sujet. On a voté, le peuple a décidé, le peuple a arbitré, et on va maintenant attendre de voir ce que donne cette réforme sur la fiscalité des entreprises. On ne va pas recommencer le débat, on ne va pas s'amuser à déposer des projets de lois. Non, il faut accepter la voix populaire, c'est le minimum, et se donner rendez-vous dans deux ou trois ans pour voir qui aura eu raison. Je vous remercie.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. Je rappelle que nous disposons tous d'une carte et que les députés qui souhaitent prendre la parole doivent d'abord l'insérer dans le lecteur; ensuite, je leur passerai la parole. C'est le tour de M. Rossiaud.
M. Jean Rossiaud (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, l'initiative «Zéro pertes» a été déposée démocratiquement, elle doit être soumise au peuple démocratiquement, il n'y a aucune raison qu'on la retire et qu'on décide de ne pas la mettre aux voix. En effet, son principe est toujours valable: elle a été lancée pour tempérer les risques de la RFFA - et, avant elle, de la RIE III - et encadrer les mesures fiscales qui feront subir à l'Etat des pertes considérables et endetteront la collectivité pour longtemps - c'est ce qu'on est en train de voir avec le budget qui nous est présenté.
L'initiative demande la neutralité fiscale. Il aurait été possible, Mesdames les députées, Messieurs les députés, de consulter les citoyens sur ce texte avant de leur poser la question de la réforme fiscale. La population s'est prononcée en faveur d'un taux unique pour les entreprises locales comme pour les sociétés à statut, c'est un point sur lequel nous étions tous d'accord. Ce que nous, les Verts, avions demandé en commission, ce sur quoi nous n'avons pas été écoutés, c'est que cette initiative sur la neutralité fiscale soit soumise au vote populaire avant la RFFA.
En repoussant le scrutin de quelques mois, le peuple aurait pu se prononcer avant, il aurait été possible de mener une réforme fiscale avec zéro pertes, en passant d'un taux de 24% à 15,5% ou 16%, ce que proposaient les Verts, au lieu des 13,99% décidés par la droite de ce Grand Conseil. Le Conseil d'Etat a privilégié son entente avec les multinationales plutôt que la démocratie; c'est regrettable, mais nous pouvons encore corriger cette erreur. Je vous remercie.
Mme Françoise Sapin (MCG). Cette initiative, déposée par les Verts, Ensemble à Gauche et le parti socialiste dans le cadre des réformes RIE III et RFFA, est basée sur la crainte que l'Etat ne puisse plus délivrer les prestations à la population. Elle a été balayée à la commission fiscale par tous les partis de droite, qui ont également décidé de ne pas présenter de contreprojet.
Le MCG estime que l'ensemble des risques - baisse des recettes, frein à l'endettement, pour ne citer que ceux-là - étaient connus et ont été analysés, et que tout a été mis en oeuvre pour limiter les pertes fiscales et garantir les services publics. Nous précisons que la RFFA permettra si ce n'est la création d'emplois, à tout le moins le maintien des postes actuels, puisque les sociétés pourront rester à Genève. Par ailleurs, le MCG rappelle que la RFFA a non seulement été acceptée par le peuple, mais constitue un consensus entre les partis qui se sont entendus pour élaborer une loi qui soit plausible à la fois pour la droite et la gauche, et c'est ce qui est arrivé avec le projet présenté.
Quant à l'autre élément relevé dans le texte, à savoir la concurrence intercantonale, je ne pense pas, et le MCG non plus, que le canton de Genève pourra régler ce problème seul dans son coin. Par conséquent, cette initiative est totalement inutile et le MCG votera non.
Mme Danièle Magnin. Bravo, Françoise !
M. Yvan Zweifel (PLR). Mon préopinant Bertrand Buchs a raison: c'est un débat à la «Top Models». Il faut néanmoins constater, concernant ledit feuilleton, que malgré son nombre infini d'épisodes, les gens ne s'en lassent pas; il semble que ce soit pareil pour la RFFA. Comme je suis un poil plus jeune que lui, je n'ai malheureusement pas sa sagesse et je vais prolonger quelque peu l'épisode en cours.
Mesdames et Messieurs, que dit cette initiative ? D'abord, que l'Etat doit agir pour réduire la concurrence fiscale intercantonale. Eh bien bonne nouvelle, c'est déjà fait ! Avec la RFFA, le canton de Genève s'est doté d'un taux de 13,99%; si sept cantons en ont certes un plus élevé, il y en a aussi dix-huit où il est plus bas, ce qui fait que Genève a parfaitement oeuvré dans le sens de cette initiative. Il en va de même pour les personnes physiques, Mesdames et Messieurs, puisque Genève, vous le savez, est le canton qui utilise le plus son potentiel fiscal - ce n'est pas moi qui le dis, mais le Département fédéral des finances. Alors si quelqu'un doit revoir l'idée de la concurrence fiscale intercantonale, ce sont tous les autres cantons, mais en aucun cas celui de Genève, qui a déjà fait sa part du travail. Voilà, le premier point est réglé.
S'agissant des deux points suivants - préservation du financement des services publics et des prestations à la population, ainsi que maintien du niveau des recettes fiscales cantonales et communales - encore une bonne nouvelle, Mesdames et Messieurs: la politique mise en place ces dernières années, notamment par la majorité de droite, a porté ses fruits, puisque nous avons su garder ici de la substance fiscale, laquelle permet à notre canton d'avoir les moyens - oui, Mesdames et Messieurs, les moyens ! - d'offrir des prestations de qualité à la population. Pourtant, sur les vingt dernières années, nous avons baissé les impôts par deux fois de manière importante et plusieurs autres fois de manière moins importante. Malgré ces diminutions et bien que, dans la même période, la population ait augmenté de 24%, les recettes fiscales ont crû de 100%. Nous avons ainsi répondu aux alinéas a et b du texte.
Le dernier point concerne le renforcement de la progressivité de l'impôt. Je ne reviendrai pas sur cette question pour ce qui concerne les personnes morales, on serait quand même un peu idiots d'être les seuls à instaurer un tel dispositif alors qu'aucun autre canton ne le pratique - j'imagine que pour Ensemble à Gauche, on est plus intelligents que tous les autres réunis ! Mais parlons des personnes physiques: bonne nouvelle, Mesdames et Messieurs, Genève est l'un des cantons suisses où la progressivité est la plus forte. En effet, le temps d'entrer dans le barème est extrêmement long, ce qui signifie que les plus bas revenus ne paient pas d'impôts pendant très longtemps tandis que les riches s'acquittent des taux les plus élevés.
J'en profite pour corriger M. de Sainte Marie qui disait, je cite: «La droite martèle que Genève aurait le taux d'impôt sur la fortune le plus élevé.» Non, Monsieur de Sainte Marie, il s'agit bel et bien du taux d'impôt sur la fortune le plus élevé ! Il supposait ensuite que Genève ponctionnerait le plus. Non, Monsieur de Sainte Marie, Genève ponctionne le plus, vous pouvez abandonner le conditionnel, c'est malheureusement une réalité. Mais heureusement pour vous, puisque ainsi, tous les points de votre initiative sont remplis, on est finalement en avance sur les autres. D'ailleurs, si on met le dernier point, à savoir le renforcement de la progressivité de l'impôt, en lien avec le premier, soit la réduction de la concurrence fiscale intercantonale, cela signifie que Genève doit se mettre au niveau des autres et se montrer un peu moins progressif. J'imagine que ce n'est pas ce que vous souhaitez, mais si c'est ce que vise l'initiative, alors je pourrais m'y rallier.
Mesdames et Messieurs, je reviens maintenant sur deux éléments évoqués par M. Batou. D'une part, il disait que les riches veulent garder leur pactole pour eux, ce qui est normal, et qu'ils doivent cracher un petit plus au bassinet - je caricature vos propos, mais je crois que c'est ce que vous vouliez dire, Monsieur le député, cher ami, cher collègue. Pourtant, une fois de plus, les chiffres montrent que c'est déjà le cas, puisque 4% des personnes physiques paient aujourd'hui 50% de l'impôt sur le revenu. Oui, 4% des contribuables versent 50% de ce qui est encaissé par l'Etat au titre de l'impôt sur le revenu ! Quant à l'impôt sur la fortune, 1% des citoyens seulement s'en acquittent à hauteur de 65%. Là encore, Monsieur Batou, soyez heureux: votre politique est d'ores et déjà mise en oeuvre à Genève, bien plus que dans n'importe quel autre canton. En réalité, il faudrait prendre exemple sur les autres et revenir au bon sens plutôt que de faire n'importe quoi, comme vous le proposez.
D'autre part, et je conclurai là-dessus, le rapporteur de minorité nous lançait un défi. Il disait: «Au final, vous êtes d'accord avec cette initiative, alors chiche, votez-la.» A mon tour de lui lancer un défi: que la gauche reconnaisse qu'elle s'est trompée. En 2009, lorsque nous avons baissé l'imposition de la classe moyenne et instauré un bouclier fiscal, la gauche nous prédisait une tempête fiscale avec 400 millions de pertes; l'année suivante, il y a bien eu des pertes, c'est vrai, mais seulement de 150 millions; l'exercice d'après, on retrouvait le niveau de deux ans auparavant et depuis, les recettes progressent d'environ 3% chaque année. Eh bien le jour où vous reconnaîtrez que vous avez eu tort, Monsieur le député, j'accepterai de voter votre initiative; comme vous ne le ferez pas, vous ne m'en voudrez pas de ne pas passer à l'acte non plus.
Mesdames et Messieurs, cette initiative est inutile, hypocrite, contradictoire. Il n'y a aucune raison de la voter, il faut simplement la jeter là où elle doit se trouver, c'est-à-dire à la poubelle.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Supprimer la concurrence fiscale intercantonale est une très mauvaise idée et créerait certainement l'inverse du résultat escompté par les initiants. Pour pouvoir redistribuer la richesse et parler de recettes fiscales, il faut d'abord la créer. Or la richesse est créée par les entreprises. Le projet RFFA améliore les conditions-cadres de nos sociétés et des salariés, et les collectivités publiques en profiteront par la suite.
L'Etat ne peut pas vivre en dehors de la réalité. Le budget du canton de Genève était de 7,6 milliards en 2015, il devrait être de 9,2 milliards en 2020, soit une augmentation de 1600 millions en l'espace de cinq ans. Bref, l'Etat croît alors que les Genevoises et les Genevois possèdent le pouvoir d'achat le plus faible de Suisse, plus bas que celui des Appenzellois ou des Glaronais. En l'absence de concurrence, cette détérioration se poursuivra. Les Genevoises et les Genevois ont un intérêt évident à ce qu'il y ait un minimum de concurrence entre les cantons. Merci.
Une voix. Bravo !
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Chers collègues, un certain nombre de choses ont été dites qui sont assez révélatrices. Je vais très rapidement revenir sur les interventions de mes différents collègues. Tout d'abord, M. Pfeffer affirme que la richesse est créée par les entreprises; non, Monsieur Pfeffer, la richesse est créée par les travailleurs, et quand vous aurez compris ça, vous aurez fait un grand pas en avant dans votre appréhension de l'économie politique.
Deuxièmement, M. Zweifel s'exclame: «Ah, c'est épouvantable, une petite couche de gens ultraprivilégiés paie une grande part des impôts !» Eh bien, Monsieur Zweifel, ça montre simplement que la répartition des richesses est de plus en plus inégalitaire. En défendant les grandes fortunes du canton, vous ne faites que mettre le doigt sur la plaie. En effet, la polarisation de la richesse est telle que l'effort fiscal demandé aux privilégiés doit augmenter, c'est une fatalité si on souhaite maintenir les droits sociaux qui sont les nôtres aujourd'hui et qui constituent la base d'une civilisation où on ne laisse pas les plus nécessiteux au bord de la route.
Ensuite, M. Buchs s'écrie - vous transmettrez, Monsieur le président, j'ai oublié de vous le demander pour mes deux autres collègues: «Ouh là, on est dans "Top Models", on nous parle sans cesse de fiscalité !» Oui, Monsieur Buchs, on va reparler de fiscalité, on en parlera encore pendant des années, parce que c'est l'un des dossiers clés que les députés ont à discuter au sein de ce parlement. Et dans cette affaire, les intérêts matériels sont prépondérants. Vous défendez un camp, j'en défends un autre, c'est tout.
De votre côté, vous préconisez de réduire les prestations de l'hôpital public au profit des cliniques privées, vous avez même dit dans «Le Temps» que vous souhaitiez une diminution de 90% des lits de l'hôpital cantonal en faveur des cliniques privées. Avec ce genre de politique, naturellement, il n'y a pas besoin de recettes publiques, il suffit d'offrir le marché de la santé aux cliniques privées ! Bien sûr, le PLR est d'accord avec vous, car l'ensemble des cliniques font des investissements considérables à Genève pour attirer le marché extrêmement juteux de la santé. Eh bien nous disons non à ces perspectives, nous exigeons que l'ensemble des ressortissants du canton soient soignés dans des hôpitaux publics... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...soient pris en charge par un système public, et cela implique des dépenses assurées par les recettes publiques.
C'est la raison pour laquelle il faut soutenir cette initiative. J'invite M. Zweifel à un dernier sursaut de bienveillance, puisqu'il est d'accord avec toutes les considérations de cette initiative et qu'il est presque prêt à presser le bouton vert...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Jean Batou. Qu'il le fasse ! Qu'il le fasse, et on jugera de sa sincérité.
M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur de majorité ad interim. J'aimerais revenir sur l'audition de l'Union des villes suisses, association qui n'est pas spécialement de droite, qui serait plutôt de gauche. Ses représentants ont dit qu'ils ne se prononçaient pas sur la RFFA, qu'ils en avaient accepté le principe et, au sujet de la concurrence, qu'ils préconisaient un taux d'imposition situé dans une fourchette entre 14% et 16%, ce qui fait du canton de Genève un bon élève: avec ses 13,99%, il n'est pas très éloigné de cette fourchette.
Maintenant, comment peut-on dire que les prestations publiques sont en baisse ? Je rappelle que malgré les 186 millions que vont nous coûter les pertes fiscales liées à la RFFA, malgré les 186 millions de l'initiative 170 sur les subsides d'assurance-maladie - je mets de côté les 213 millions de la CPEG - l'Etat crée encore des ETP: plus de 400 nouveaux postes, dont 200 au DIP. Dans ce contexte, Mesdames et Messieurs les députés, comment peut-on soutenir qu'il y a une réduction des prestations dans notre canton ? Ceux qui ont suivi les auditions du département de la cohésion sociale le confirmeront, il y a un maintien des prestations. Même si les prestations complémentaires fédérales baissent, une compensation est effectuée au niveau du canton, donc il est faux de dire que les services publics diminuent. La seule chose qu'il faut se demander, c'est si l'augmentation du nombre de collaborateurs est forcément synonyme d'efficience - mais ça, c'est une autre question.
Mesdames et Messieurs, on a évoqué le petit ratio de contribuables qui paient une majorité des impôts; eh bien oui, et c'est justement pour ça qu'il faut les garder ici, car c'est grâce à eux que les prestations publiques dont nous venons de parler peuvent être délivrées. La RFFA a été largement acceptée par le peuple, certaines dispositions constitutionnelles contenues dans cette initiative ont déjà été votées dans le cadre de la réforme et il convient maintenant de laisser celle-ci déployer ses effets. Nous examinerons dans quelques années les projections du plan financier quadriennal et pourrons alors déterminer qui a eu raison. Dans l'intervalle, Mesdames et Messieurs, je vous invite à rejeter cette initiative tout comme le principe d'un contreprojet. Merci.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous invite à refuser cette initiative ainsi que l'éventualité d'un contreprojet, ceci pour plusieurs raisons. Nous avons entendu le rapporteur de minorité développer ses théories; eh bien ce ne sont que des théories. Venir plaider devant vous en faveur de l'augmentation des impôts, Mesdames et Messieurs, c'est partir du principe que chaque contribuable est captif, c'est refuser le monde globalisé dans lequel nous vivons, c'est fermer les yeux sur les taux différenciés dans les cantons et les pays qui nous entourent, c'est mentir à la population au sujet de l'emploi et des prestations sociales.
Les personnes qui paient aujourd'hui la plus grande part des impôts, contribuant ainsi de manière conséquente aux revenus du canton, nous permettent précisément de délivrer nos prestations sociales, et si ces contribuables s'en vont, notre pyramide fiscale - qui, plutôt que de reposer sur un socle, s'appuie sur sa pointe - s'écroulera, ce qui aura alors vraiment pour conséquence la cessation des services à la population, lesquels font pourtant partie des priorités du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, expliquer aux gens que l'écart entre leur revenu et le montant d'impôts dont ils s'acquittent doit s'amenuiser, c'est se moquer d'eux. Il ne faut pas oublier que le jour où ces contribuables n'auront plus intérêt à travailler, à réaliser des bénéfices, à gagner leur vie mieux que d'autres, ils arrêteront tout simplement de le faire, voire prendront la décision que certains d'entre eux prennent déjà, celle de quitter notre territoire.
Il faut savoir raison garder: finissons-en avec les théories qui omettent la réalité et les calculs statiques selon lesquels un taux d'imposition de 16% aurait évité toute perte. A cet égard, Mesdames et Messieurs, je vous rappelle que le canton avait chiffré le risque, dans le cas où la réforme de la fiscalité des entreprises n'aurait pas été votée avec un taux acceptable, et ce risque avait été évalué à hauteur de 1 milliard de francs. Vous maintenez que nous devons taxer davantage les grandes entreprises, il nous semble quant à nous plus judicieux de donner à la RFFA, qui a été adoptée par plus de 58% du peuple il y a quelques mois à peine, le temps de déployer ses effets dynamiques; dans un second temps, nous pourrons examiner ensemble les conclusions auxquelles parvenir, le montant des pertes subies ou pas par le canton suite à cette réforme.
L'initiative qui nous est soumise ce soir avait été déposée au même moment que la RFFA qui, je le répète, a été acceptée par la population et accompagnée d'une réforme sociale tout aussi importante en ce qui concerne les prestations publiques, nous ne devons pas l'oublier. Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous recommande de refuser ce texte ainsi que le principe d'un contreprojet. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Nous passons au vote sur la prise en considération de cette initiative.
Mise aux voix, l'initiative 172 est refusée par 58 non contre 40 oui.
Le président. Je mets aux voix le principe d'un contreprojet.
Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est refusé par 83 non contre 11 oui et 2 abstentions.
Premier débat
Le président. Nous allons maintenant traiter notre deuxième point fixe en catégorie II, nonante minutes. Il s'agit de l'IN 173-B, qui est liée au PL 12267-A. (Brouhaha.) Un peu de silence, s'il vous plaît ! Le débat commencera dès que les rapporteurs auront pris place à la tribune. (Un instant s'écoule.) La parole est à M. André Pfeffer, rapporteur de majorité.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Même si le Tribunal fédéral a admis la possibilité de légiférer en matière de salaire minimum en tant que mesure sociale, il est nécessaire de se demander si la voie proposée par cette initiative ne créerait pas plus d'inconvénients que d'avantages. En principe, le droit du travail suisse accorde la compétence de négocier les salaires minimums aux partenaires sociaux. Il faut aussi rappeler que des mécanismes en cas de sous-enchère abusive ou de dumping salarial sont prévus. Il existe principalement deux procédures: la première consiste à étendre de manière facilitée une convention collective de travail, ce qui concrètement la rend obligatoire pour toutes les entreprises actives dans le secteur, tandis que la deuxième permet d'édicter un contrat type de travail fixant un salaire minimum pour la branche professionnelle concernée.
Dans l'immense majorité des CCT, l'ensemble des catégories de salariés touchent largement plus que 23 francs l'heure. Cela dit, il existe des CCT dans lesquelles certaines catégories de travailleurs gagnent moins que cette somme. Les personnes dont le salaire est inférieur à 23 francs l'heure sont pour la quasi-majorité des travailleurs non qualifiés. Ce constat illustre le risque et la problématique de cette initiative ! En effet, ces salariés non qualifiés vont-ils voir leur revenu augmenter ou perdront-ils leur emploi ? Pour la majorité de la commission de l'économie, le maintien en emploi des collaborateurs peu ou non qualifiés est essentiel. C'est une question de dignité et même de cohésion sociale.
D'autre part, il est légitime de se demander si Genève connaît un problème de rémunération ou un problème d'emploi. Dans notre canton, les revenus sont trois fois supérieurs à ceux de la France voisine, mais le taux de chômage genevois est lui aussi plus élevé ! Je rappelle du reste que si nous calculions notre taux de chômage comme nos voisins, il se monterait à 11,8%, alors que celui de la région française limitrophe se situe à 6,9%. Bref, la riche Genève a des revenus trois fois supérieurs à ceux de la France voisine, mais affiche également un taux de chômage bien plus élevé !
Si cette initiative était acceptée, l'une des rares branches économiques touchées serait le secteur de l'hôtellerie-restauration. Il présente actuellement un taux de chômage de 13% selon le SECO, qui bondit à 25% si on le calcule à la manière de nos voisins français ! Ce chiffre est important. Un quart des travailleurs dans le secteur de l'hôtellerie-restauration sont inscrits au chômage ou à la recherche d'un emploi ! De plus, un restaurant sur trois ferme chaque année à Genève. Avec l'adoption de cette initiative, il y aurait donc probablement une augmentation massive du chômage.
Genève connaît avant tout un problème de chômage et non de rémunération. Il est prioritaire de maintenir les collaborateurs peu ou non qualifiés en activité et en emploi. Il est aussi important de préciser le besoin et la nécessité d'assister celles et ceux qui ne pourraient pas vivre correctement avec leur salaire. L'aide sociale constitue un moyen efficace et réaliste, et le filet social genevois est l'un des plus performants au monde: il existe des allocations de logement, des subsides d'assurance-maladie, des rabais pour les crèches et diverses autres prestations.
Pour terminer, il faut rappeler que les expériences des pays ayant introduit un salaire minimum sont plutôt négatives. Ce dispositif élimine beaucoup de personnes peu ou non qualifiées du marché du travail et entraîne de plus une tendance à imposer le salaire minimum légal à une large majorité des travailleurs. L'intention des initiants n'est pas contestable, mais la voie proposée serait plus dommageable que bénéfique, car de nombreuses personnes peu ou pas formées en seraient victimes. Cette initiative est donc une fausse bonne idée et la majorité vous recommande de la rejeter, de même que le PL 12267. Merci.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, avant de revenir argument par argument sur les propos de M. Pfeffer, j'aimerais rappeler un élément en préambule: nous avons aujourd'hui à Genève des conventions collectives dans lesquelles le salaire minimum est inférieur à ce qui est prévu s'agissant du revenu minimum cantonal d'aide sociale, c'est-à-dire ce qu'il faut pour que les plus modestes puissent vivre et subvenir au moins à leurs besoins vitaux sociaux. L'objectif des textes prônant l'instauration d'un salaire minimum de 23 francs l'heure consiste à remédier à la situation toujours plus précaire dans laquelle se trouve une part croissante de la population. Assurer un salaire plancher de 3987 francs - à savoir 23 francs x 40 heures x 52 semaines / 12 - favoriserait, selon les postulats de leurs auteurs, la lutte contre la pression à la baisse sur les salaires ainsi que la diminution des salaires à l'embauche et offrirait surtout une alternative aux salaires inférieurs au revenu minimum cantonal d'aide sociale pour un travail à plein temps. Dans cette attente, il faut prendre acte du fait qu'en 2016 à Genève, 7% des salariés dans le secteur privé et 0,59% dans le secteur public percevaient un salaire inférieur à 3987 francs, soit un total de 7,59%.
L'initiative et le projet de loi proposent l'introduction d'un salaire horaire minimum de 23 francs. Ce montant a été déterminé d'après le modèle du salaire minimum neuchâtelois, dont les modalités de calcul ont été validées par le Tribunal fédéral. Il se réfère aux montants des prestations complémentaires fédérales établissant un revenu minimum cantonal d'aide sociale, avec une adaptation aux chiffres genevois des prestations complémentaires cantonales.
A Genève, deux personnes sur dix n'arrivent pas à joindre les deux bouts malgré leur emploi. Ce besoin, ce droit élémentaire de pouvoir vivre et faire vivre sa famille dignement des fruits de son travail - pourtant reconnu par l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme - n'est ni inscrit dans la loi ni garanti dans les faits. A une exception près, toutefois: une déclaration non contraignante contenue dans la constitution genevoise. L'IN 173 et le PL 12267 visent donc résolument à rendre effective la déclaration selon laquelle l'Etat prend les mesures permettant à toute personne de subvenir à ses besoins par un travail approprié, exercé dans des conditions équitables.
Le salaire minimum est sans conteste une disposition d'utilité publique, et c'est d'ailleurs ce qui permet de le légitimer. La rédaction du projet de loi et de l'initiative s'inscrit dans la foulée du rejet par le Tribunal fédéral en juillet 2017 du recours déposé par des employeurs et des organisations économiques, qui s'opposaient à l'entrée en vigueur du résultat du vote populaire instituant un salaire minimum dans le canton de Neuchâtel. A cet égard, pour éviter d'inutiles arguties sur la légalité d'un salaire minimum, il est fondamental de préciser plusieurs éléments. Le Tribunal fédéral a jugé que le salaire minimum prévu dans la loi neuchâteloise est conforme au droit fédéral et que cette mesure, telle qu'elle ressort de la loi cantonale neuchâteloise sur l'emploi et l'assurance-chômage, ne viole notamment ni le principe de la liberté économique ni celui de la proportionnalité. Il a en outre rappelé que, s'il est en règle générale interdit à l'Etat de prendre une quelconque mesure susceptible d'empêcher la libre concurrence dans le but d'assurer ou de favoriser certaines branches économiques, les mesures étatiques poursuivant des motifs d'ordre public ou de politique sociale ne sont pas contraires à la liberté économique. Cette décision du Tribunal fédéral ouvre donc la porte à l'instauration de salaires minimums au niveau cantonal.
Il en ressort que la lutte contre la pauvreté est l'axe essentiel ouvrant la porte à une disposition, sans conteste d'utilité publique, telle que l'instauration d'un salaire minimum. Sachant qu'il s'agit prioritairement de lutter par ce biais contre le phénomène des travailleurs pauvres qui tend à s'accroître - en dépit des embellies économiques relevées et de la hausse de la croissance, voire du nombre de postes de travail - l'initiative et le projet de loi replacent la question du creusement des inégalités et de la répartition des richesses au centre du débat. Ils rappellent avec acuité la nécessité de pratiquer des salaires décents non seulement pour que les gens puissent vivre dignement, mais aussi par souci de justice sociale.
Vous le savez - nous l'avons indiqué à diverses reprises - le salaire minimum est un instrument de lutte contre les inégalités salariales hommes-femmes et constitue également un obstacle à la sous-enchère salariale. Inutile de vous en faire la démonstration, cela se comprend aisément.
S'agissant de ce qu'a dit M. Pfeffer tout à l'heure, à savoir que Genève connaît un problème non pas de rémunération, mais d'emploi, j'insisterai sur le fait que nous avons un problème qui concerne non seulement la rémunération, mais aussi le coût de la vie. En effet, le coût de la vie à Genève est une gageure pour bien des ménages, puisque notre canton est l'un des plus riches de Suisse. Pourtant, le risque de se retrouver au-dessous du seuil de pauvreté y est plus élevé de 30% que dans les autres cantons. Une grande partie des salaires stagnent, alors que globalement la masse salariale est en hausse. Le chômage, en dépit des apparences et de nouvelles modalités de calcul, reste particulièrement élevé à Genève, à plus forte raison si l'on prend en considération tous les demandeurs d'emploi effectifs non pris en compte dans les statistiques du chômage. De plus, le coût de la vie explose dans notre canton: les loyers ont augmenté en moyenne de 38% en vingt ans, les primes d'assurance-maladie prennent l'ascenseur et ont réalisé le triste exploit de croître de 165% au cours des vingt dernières années, mais les salaires n'ont évidemment pas suivi la même courbe de croissance. Autant d'éléments qui conduisent un nombre toujours plus grand de familles à basculer dans la pauvreté.
Voici encore quelques considérations sur certains chiffres édifiants. En 2014 à Genève, 10% des salariés les mieux payés se partageaient 40% de la totalité de la masse salariale, tandis que le tiers des salariés - 35% - devaient se contenter de 8% seulement de la masse salariale. Aujourd'hui, même les formations professionnelles, pourtant valorisées dans les discours, ne protègent pas contre la précarité. Ainsi, il apparaît que plus d'un tiers des personnes touchant un bas salaire en Suisse sont titulaires d'un CFC.
Enfin, à ceux qui renvoient systématiquement les tenants d'un salaire minimum au partenariat social, auquel ils appellent à ne pas se substituer, il faut quand même rappeler que 48% des travailleurs ne sont pas au bénéfice d'une convention collective de travail. Alors certes, 52% le sont, mais 26% des CCT ne prévoient pas de salaire minimum. On le voit, un salaire conventionné ne protège donc pas forcément contre la pauvreté, et nous l'avons constaté au travers de certains cas. Le salaire minimum fixé par la convention collective de l'hôtellerie-restauration, par exemple, s'élève à 3417 francs brut, versés treize fois par an, pour un emploi à 100% qui peut représenter jusqu'à quarante-cinq heures de travail par semaine. Or si on répartit ce montant sur douze mois, on parvient à un salaire mensuel brut de 3701,75 francs, ce qui avoisine les 3300 francs net, soit près de 14,3% de moins que le revenu minimum cantonal d'aide sociale. Voilà un exemple flagrant de ce dont on parle lorsqu'on dit qu'il s'agit, par l'établissement d'un salaire minimum, de lutter non seulement pour la justice sociale, mais également contre la pauvreté des ménages.
Enfin, il est piquant de relever qu'au cours des travaux de commission est apparu un paradoxe qui ne manque pas de surprendre. On a ainsi vu les tenants du moins d'Etat, ceux qui veulent une diminution des prestations, affirmer qu'il n'y avait aucun mal, aucune contradiction dans le fait de considérer que les aides sociales étaient là pour compléter les bas salaires. Ceux-là mêmes qui n'ont de cesse à journée faite de fustiger l'augmentation constante des charges de l'Etat estimaient en l'occurrence que la préservation des intérêts des milieux qu'ils représentent valait bien cette contradiction. Or spéculer sur l'existence des aides sociales au sens large pour compenser les bas salaires revient à attendre des salariés, des contribuables, qu'ils paient par leurs impôts les salaires que les dirigeants patronaux refusent de leur verser, ce qui signifie légitimer un gonflement artificiel et injuste de la facture sociale, après l'avoir conspué. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Il est important à nos yeux de soutenir le salaire minimum, et je reprendrai la parole plus tard pour compléter cet argumentaire. En attendant, je vous invite à accepter autant l'IN 173 que le PL 12267. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Présidence de Mme Salima Moyard, deuxième vice-présidente
M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de deuxième minorité. J'aimerais apporter quelques éléments en complément au rapport de minorité de Jocelyne Haller. Pour les socialistes, Mesdames et Messieurs, la question des salaires est tout simplement essentielle, car il en va de la réduction des inégalités, et cela à la source. D'autant que dans notre canton les inégalités salariales se creusent: les hauts salaires croissent bien plus vite que les bas salaires, qui ont quant à eux tendance à stagner. Ainsi, entre 2008 et 2012, les 10% des revenus les plus bas ont augmenté de 0,99% seulement, pendant que les 10% des revenus les plus élevés augmentaient de 6,3%.
L'engagement des socialistes porte sur plusieurs niveaux. En effet, nous nous sommes engagés en faveur de l'initiative 1:12, qui a permis de mener le débat sur le plan national. A l'échelon cantonal, nous nous sommes engagés afin de résister aux tentatives de la droite et du gouvernement d'augmenter les disparités dans la fonction publique, notamment avec le projet SCORE. Nous nous sommes en outre engagés pour limiter les salaires des cadres de la fonction publique et des régies, ainsi que des officiers publics que sont les notaires. Et aujourd'hui nous nous engageons également sur le plan cantonal pour l'institution d'un salaire minimum, qui figure en bonne place dans notre programme.
Comme l'a dit Jocelyne Haller, la jurisprudence du Tribunal fédéral a clairement indiqué qu'il était admissible que les cantons interviennent en fixant un salaire minimum. Puisque d'aucuns et d'aucunes nous ont montré ce soir qu'ils ne voulaient plus seulement faire de la politique, mais aussi du droit, nous allons faire un peu de droit, et je vous renvoie à l'ATF 143 I 403. Le Tribunal fédéral a notamment validé la méthode de calcul qui a été utilisée dans le canton de Neuchâtel et qui se base sur les prestations complémentaires cantonales, c'est-à-dire le revenu permettant à une personne seule de couvrir ses dépenses. Il s'agit en effet de réduire la pauvreté et il y a un intérêt public à ce que l'Etat ne doive pas mettre la différence pour que les travailleurs pauvres puissent vivre dignement. Il est légitime de ne pas retenir le montant de l'aide sociale - ce n'est pas moi qui le dis, mais le Tribunal fédéral - car il faudrait procéder à un calcul individualisé beaucoup trop compliqué. Voilà pourquoi le Tribunal fédéral a retenu cette méthode basée sur les prestations complémentaires. A propos des working poors, il est quand même frappant de constater qu'à Genève, en 2014, 3270 bénéficiaires de l'aide sociale de l'Hospice général - soit 18% - étaient des actifs occupés.
Lors des travaux de commission, la majorité de droite élargie n'a pas contesté la méthode de fixation du salaire, et pour cause, puisque cette dernière se base sur une jurisprudence établie par le Tribunal fédéral. Cette majorité élargie s'est bornée à en contester le principe de manière totalement dogmatique, faisant fi des arguments factuels que nous avons pu développer. Il est particulièrement inquiétant, Mesdames et Messieurs, d'avoir notamment dû entendre les commissaires représentant le patronat claironner de façon cynique qu'un salaire minimum remettrait en cause le partenariat social, alors qu'à l'occasion du débat sur les heures d'ouverture des magasins on a vu que sa remise en cause ne venait certainement pas du cadre légal. Rappelons que la majorité des salariés à Genève ne sont pas couverts par une convention collective de travail et que 26% de celles et ceux qui le sont ne bénéficient pas d'un salaire minimum conventionnel.
Il a été tout aussi inquiétant d'assister à l'inconséquence de ces mêmes représentants issus de la droite, qui s'accommodent sans rougir de voir les pouvoirs publics investir de plus en plus pour compléter des salaires ne permettant pas de vivre, tout en critiquant l'augmentation des dépenses sociales. Enfin, la minorité n'a été nullement étonnée du peu d'intérêt du MCG et de l'UDC - qui se piquent de temps à autre de discourir sur le dumping salarial - pour la fixation d'un salaire minimum.
Dans ce contexte, Mesdames et Messieurs, la désignation d'un rapporteur de majorité UDC - notre collègue André Pfeffer, que je salue au passage - montre qu'au-delà de la question de la libre circulation, l'Entente et la Nouvelle Force s'entendent à merveille pour maintenir des salaires insuffisants et synonymes de pauvreté dans ce canton comme en Suisse. Face à cela, il faut clairement dire oui à l'initiative ainsi qu'au projet de loi. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Mme Isabelle Pasquier (Ve), rapporteuse de troisième minorité. L'instauration d'un salaire minimum a pour but de combattre la pauvreté, de favoriser l'intégration sociale et de contribuer au respect de la dignité de chacune et de chacun. C'est un moyen de lutter contre la sous-enchère salariale et - j'insiste sur ce point - de réduire les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Il s'agit donc d'un instrument de justice sociale.
La jurisprudence du Tribunal fédéral est claire: dès lors que le salaire minimum vise à garantir à tout salarié des conditions de vie décentes, à l'abri du recours à l'aide sociale, et ainsi à lutter contre la pauvreté, il n'est pas contraire au principe de la liberté économique.
Cette initiative permet de concrétiser l'article 149 de notre constitution cantonale, qui prévoit que l'Etat prend les mesures permettant à toute personne de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille par un travail approprié, exercé dans des conditions équitables.
Le rapport sur la pauvreté, publié en 2016 suite à une demande du Grand Conseil, rappelle que la pauvreté laborieuse est présente à Genève. Si le travail constitue un rempart contre la précarité, avoir un emploi, même à plein temps, ne protège pas nécessairement du risque de pauvreté. Selon ses auteurs, «l'accroissement des inégalités salariales démontré par plusieurs indicateurs, s'il devait se poursuivre, occasionnerait une augmentation du nombre de personnes se situant en dessous du seuil de risque de pauvreté, et probablement aussi des personnes ayant recours à des prestations sociales d'assistance. Il faut donc conclure qu'en l'absence d'un changement de cap dans les politiques salariales, l'intervention de l'Etat pour remédier à la faiblesse des revenus du travail sera appelée à augmenter, faisant dans les faits peser sur les finances publiques une insuffisance découlant de l'évolution du marché du travail.» Cette mise en garde, Mesdames et Messieurs, nous pousse aujourd'hui à prendre des mesures.
Qui serait touché par cette initiative ? Les personnes percevant ce qui est qualifié de bas salaire par l'office cantonal de la statistique - l'OCSTAT - sont avant tout des femmes. En 2016, elles étaient deux fois plus concernées que les hommes: deux tiers des salariés gagnant moins de 4000 francs par mois pour un plein temps étaient des salariées. Les étrangers, les jeunes de moins de 30 ans et les personnes ayant un bas niveau de formation sont aussi proportionnellement beaucoup plus touchés. Sans surprise également, travailler à temps partiel, être au bénéfice d'un contrat à durée déterminée et travailler dans une entreprise de petite taille sont d'autres facteurs qui augmentent les risques, selon les analyses détaillées de l'office cantonal de la statistique.
Un salaire horaire de 23 francs n'est pas excessif. L'office cantonal de la population considère que les salaires inférieurs à 4852 francs sont bas. Le salaire minimum proposé par les initiants se monte à 23 francs l'heure, ce qui correspond à 3987 francs par mois pour quarante heures de travail par semaine. Ce n'est de loin pas excessif au vu de la situation genevoise. Selon l'OCSTAT, à Genève, 19,1% des salariés touchent un bas salaire. 7,6% seraient directement concernés par cette initiative, puisqu'ils gagnent justement moins que ces 3987 francs - ou gagneraient moins que cette somme, parce qu'il s'agit parfois de personnes qui travaillent à temps partiel, or ces 3987 francs se rapportent à un emploi à temps plein.
La proportion des bas salaires est plus élevée à Genève qu'en Suisse et elle tend à s'accroître. De même, l'écart entre les bas et les hauts salaires a augmenté depuis les années 2000. Genève est le canton dans lequel les inégalités salariales se creusent le plus rapidement. Notre canton n'a pas de problème de rémunération, ai-je entendu dire ? J'aimerais quand même rappeler que 4,5% des personnes travaillant au moins à mi-temps dans un ménage sont à risque de pauvreté. Ce pourcentage ne paraît pas élevé, mais ça représente tout de même 7400 working poors, soit près de 20 000 personnes à Genève, compte tenu de leur charge familiale. Et à nouveau, 10% des femmes seules avec enfants sont considérées comme des travailleuses pauvres. 10% ! C'est une situation hautement problématique, tant pour le bon fonctionnement de notre société que pour le développement de ces jeunes.
Il s'agit de compléter le partenariat social. En effet, l'initiative ne vise pas à attaquer ce partenariat social, comme le craignent certains opposants, mais à compléter ses manquements. Il convient tout d'abord de rappeler qu'à Genève, près de la moitié des travailleuses et des travailleurs ne sont pas protégés par une convention collective de travail. De plus, il faut considérer que cet aspect est somme toute peu pris en compte dans les conventions en vigueur, puisqu'un quart des CCT ne prévoient pas de salaire minimum et que pratiquement toutes, je crois, à l'exception du secteur de la construction, fixent des salaires inférieurs à 23 francs l'heure. Il s'agit donc aujourd'hui de compléter ces manquements, voilà pourquoi les Verts vous invitent à accepter cette initiative et ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie, Madame la députée. Monsieur le premier vice-président François Lefort, vous avez la parole.
M. François Lefort (Ve). Merci, Madame la présidente. Cette initiative et ce projet de loi existent en raison d'une réalité indiscutable: un certain nombre de personnes touchent un bas salaire qui ne leur permet pas de vivre à Genève - je ne parle même pas de vivre dignement, mais tout simplement de vivre. Cette réalité est indiscutable et le Conseil d'Etat la reconnaît volontiers dans son rapport, sans toutefois proposer de solution. Derrière l'objectivation par les données statistiques, il y a la réalité quotidienne de quelques milliers de Genevois qui ont un vrai travail à plein temps, avec un vrai salaire, mais qui ne leur suffit pas pour vivre dans notre canton. Quelles en sont les conséquences pour ceux dont c'est la réalité ? Eh bien ils doivent être soutenus par la solidarité de la communauté. Les personnes ayant un bas salaire perçoivent donc des allocations diverses qui leur permettent de faire face au coût de la vie, mais tout juste et pas davantage.
Ce qu'objectivent aussi les statistiques - les nombreuses auditions à la commission de l'économie l'ont d'ailleurs montré - c'est que ces bas salaires ont moins augmenté en trente ans que les salaires moyens ou les hauts salaires. Ce qui signifie qu'en francs suisses de 1990, ces bas salaires ont diminué.
Nous disons donc oui aux 23 francs suisses minimums l'heure. Oui, parce que c'est le rattrapage minimum nécessaire pour ces salaires qui non seulement n'augmentent pas, mais qui surtout, en réalité et en valeur absolue, ont diminué et diminuent depuis trente ans. Quand bien même cela concernerait moins de 5000 personnes à Genève, c'est une question de justice sociale: il s'agit de mieux rémunérer ces bas salaires et de ne pas compter uniquement sur la solidarité obligatoire - qui confine dans ce domaine à la charité chrétienne - pour les compléter. Et cela dans l'une des économies les plus florissantes de la planète, dans l'un des pays les plus riches de la planète, dans l'un des cantons les plus fortunés de Suisse. Cette situation est-elle compréhensible ? Non, elle n'est évidemment pas compréhensible. Cette situation est-elle acceptable ? Non, elle n'est évidemment pas acceptable. Nous disons donc oui aux 23 francs suisses minimums l'heure, oui à l'initiative et oui au projet de loi. Pour toutes ces raisons, les Verts voteront ces deux textes. Merci. (Applaudissements.)
M. Marc Fuhrmann (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, du côté de la théorie économique, les raisons pour lesquelles le salaire minimum est une mauvaise idée sont bien connues. Nous savons tous bien sûr que lorsqu'on augmente le prix d'une chose, généralement - quasiment tout le temps, même - la demande pour cette dernière diminue. Par conséquent, augmenter artificiellement le prix du travail en fixant le salaire minimum à un niveau plus élevé que celui des plus bas salaires va finalement démunir les plus faibles. On peut penser à ceux qui ont déjà de la peine à trouver un job ou une activité à Genève, même passagère, en raison de la concurrence qui nous vient de la France et de l'Union européenne. Ça va être encore plus dur si vous renchérissez le prix de ce travail !
Il ne faut pas non plus oublier que beaucoup d'entreprises - je dirais même la plus grande partie du tissu économique genevois - sont de petites affaires, souvent familiales. Je pense par exemple aux petits magasins, qui sont fréquemment tenus par des familles. Si le salaire minimum se monte maintenant à 25 francs ou à 23 francs et quelques, comme on nous le propose, certains n'arriveront pas à payer cette somme et devront commencer à travailler encore plus.
J'ai entendu que neuf personnes sur dix avaient de la peine à vivre avec les salaires qui sont versés ici. C'est juste, mais on subit une forte concurrence de base à la baisse qui nous vient d'Europe. C'est une réalité ! Et vous, notamment à gauche, vous êtes les premiers à l'applaudir comme s'il s'agissait d'un énorme pas pour la qualité de vie de nos plus faibles. Je n'arrive pas à vous comprendre !
Par ailleurs, si le coût de la vie en Suisse est élevé, c'est qu'on a des normes totalement absurdes, par exemple concernant les crèches, qui deviennent de plus en plus chères. Ce sera bientôt intenable, alors qu'est-ce qu'on va faire ? Importer des enfants qui auraient déjà 12 ans et plus dans le meilleur des cas ? C'est terrible ! Sans parler des normes de construction hors du temps et des coûts de la santé qui le sont tout autant. Je pense qu'il faut d'abord nous protéger du dumping provenant de l'Union européenne et ne pas fixer de salaire minimum, avec de plus des portes grandes ouvertes qui ne font qu'attirer encore plus de gens de l'extérieur et affaiblir nos plus faibles. Ils se trouvent dans des situations dramatiques, et cela ne va pas les aider. Pour toutes ces raisons, je vous enjoins de refuser ces projets de toutes vos forces. Merci.
Une voix. Bravo !
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, si le constat dressé par les différents rapporteurs de minorité est juste, dans la mesure où notre canton compte effectivement un certain nombre de travailleurs pauvres, les solutions sont mauvaises ! Elles sont mauvaises, parce qu'elles ne vont pas résoudre cette problématique. C'est peut-être malheureux, mais elles ne vont pas la résoudre. Vous allez simplement provoquer un appel d'air, avec une demande de travailleurs qui vont venir de l'autre côté de la frontière et de toute l'Europe. Et avec cette problématique vous allez finalement créer un véritable dumping, non pas des salaires, mais des compétences ! Des ingénieurs, des diplômés de l'université vont venir faire le travail, pour des salaires qui seront de toute façon largement supérieurs à ce qu'ils pourraient espérer dans leur pays, et en définitive on n'aura pas réglé le problème. Pire, ceux qui travaillent encore ici maintenant se retrouveront au chômage et à l'aide sociale. C'est ce que vous voulez ? Je ne crois pas, mais c'est la situation à laquelle on va hélas aboutir si on décide d'un salaire minimum dans toutes les professions, indépendamment du type de métier et du type d'emploi.
Je crois que la problématique est tout autre. Ce qu'il faut, c'est faire en sorte que toutes les branches disposent de conventions collectives; toute une série de secteurs n'en ont pas, et on doit fournir des efforts dans ce domaine. Il faut favoriser le partenariat social et faire en sorte que ces conventions collectives comportent un certain nombre de grilles salariales et de minimums salariaux. Mais ça doit se faire dans le cadre de discussions, de négociations, et non pas par le biais d'un diktat fixé par une collectivité publique, même si l'on parle de Genève. Il est incontestable qu'on ne va pas dans la bonne direction en agissant ainsi.
Mesdames et Messieurs, vous savez bien qu'il y a un salaire minimum en France. C'est le fameux SMIC, le salaire minimum interprofessionnel de croissance. Eh bien je ne crois pas qu'il ait résolu la problématique des bas salaires dans ce pays ! Les bas salaires existent également en Allemagne, où un salaire minimum a aussi été fixé. Je vous rappelle que M. Gerhard Schröder, ancien chancelier socialiste, avait instauré les mini-jobs à 500 euros par mois pour éviter que les gens soient au chômage et faire croire que l'Allemagne connaissait le plein emploi. Ce fut un échec ! L'Angleterre aussi propose des salaires minimums et c'est un échec. Je ne pense pas que ce soit la solution ! La solution, c'est la discussion, la négociation et la mise en avant des conventions collectives de façon à freiner la problématique des trop bas salaires. Ce n'est pas la fixation d'un salaire minimum interprofessionnel universel dans toutes les professions ! Vous ne changerez rien à cette problématique. Au contraire, vous allez l'aggraver. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons accepter ni l'initiative ni le projet de loi, et nous vous invitons dès lors à rejeter ces deux textes.
Des voix. Bravo !
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, je vais tout de suite réagir aux propos du MCG et de l'UDC. Je suis quand même un peu surpris que la solution proposée consiste à dire: «Mesdames et Messieurs les travailleurs du canton de Genève qui touchez un bas salaire, un bien trop bas salaire, la solution c'est que vous le gardiez tel quel.» Je suis un peu étonné par ce genre de discours ! On l'a vu lors de précédentes discussions, il existe une véritable inégalité en matière de répartition des richesses. On a également constaté que de 2000 à 2012 - la méthode de calcul a changé depuis lors - l'écart entre les bas et les hauts salaires n'a cessé de croître, et ce n'est pas une invention de ma part: c'est l'OCSTAT, l'office cantonal de la statistique, qui le dit. Dans ce contexte, comment pouvez-vous dire, alors que visiblement vous reconnaissez quand même qu'il y a un problème avec ces bas salaires, que tout va très bien dans notre canton et que la solution consiste finalement à ce que les travailleurs pauvres gardent leur bas salaire et que les plus aisés puissent voir leur revenu augmenter ? En effet, comment peut-on vivre dignement en gagnant si peu ? C'est la question que l'on doit se poser aujourd'hui.
Des chiffres ont été mentionnés tout à l'heure, et ils sont particulièrement inquiétants. Je n'ai pas envie de tous les répéter - on a indiqué que 7,6% des salariés gagnaient moins de 4000 francs, 20% selon une autre méthode de calcul - mais il faut quand même s'attarder sur quelques données qui me paraissent dramatiques. A mon sens, il est alarmant qu'une mère célibataire sur dix qui travaille soit considérée comme une working poor. Oui, dans un canton aussi riche que le nôtre, il est dramatique de penser qu'une mère célibataire sur dix qui travaille vit totalement dans la pauvreté. On ne peut pas simplement rester les bras croisés et dire: «Il faut que ces mères célibataires gardent leur bas salaire, c'est la meilleure des solutions, qu'elles vivent dans la pauvreté. Laissons les conventions collectives...» Je rappelle que moins de la moitié des salariés de notre canton sont au bénéfice d'une CCT.
L'autre élément dramatique, c'est le fait que 60% des personnes percevant un bas salaire soient des femmes. Là encore on voit l'inégalité entre hommes et femmes, alors que ce parlement aime bien voter parfois, pour se faire plaisir - la droite, pour se donner bonne conscience - des motions ou des projets de lois visant à favoriser l'égalité. Eh bien là on touche au coeur de l'égalité ! Si on vote ce projet de loi et cette initiative aujourd'hui, on touchera réellement à l'égalité et on prendra une mesure concrète pour faire en sorte que les femmes, qui sont les plus précarisées de notre société, puissent gagner davantage.
J'aimerais ensuite parler du pouvoir d'achat, ce fameux pouvoir d'achat... C'est marrant, d'une discussion à l'autre M. Pfeffer change totalement de discours. Vous nous dites là que le pouvoir d'achat est extrêmement faible dans notre canton et qu'il y a des mesures à prendre. On a aussi entendu tout à l'heure lors du débat sur les horaires d'ouverture des magasins qu'il fallait relancer le commerce de détail genevois et que pour s'y prendre il fallait élargir ces horaires. C'est vrai qu'ouvrir les commerces genevois jusqu'à 20h est clairement la solution pour ceux qui gagnent moins de 4000 francs par mois et qui n'ont que très peu à dépenser ! Ils pourront dépenser deux fois plus ! Non, si on veut s'attaquer à la question du pouvoir d'achat, il faut s'attaquer à celle des salaires, car c'est là que réside le problème. Mesdames et Messieurs les représentants des milieux patronaux et du commerce de détail genevois des bancs de la droite, si vous voulez agir efficacement en faveur du commerce genevois, agissez au niveau des salaires ! Voilà la recette pour accroître le pouvoir d'achat. En effet, en vingt ans les primes d'assurance-maladie ont augmenté de 120% en Suisse - Jocelyne Haller a mentionné des chiffres à ce sujet, mais je n'ai pas tout à fait les mêmes - mais savez-vous ce qu'il en a été des salaires durant cette période ? Ils ont augmenté de 14% ! La différence est là ! On a donc un pouvoir d'achat en baisse, et je rappelle qu'à Genève les primes moyennes d'assurance-maladie sont les plus hautes de Suisse et que pour ce qui est de la cherté des logements, c'est aussi dans notre canton qu'on rencontre les loyers les plus élevés. On se retrouve ainsi dans un contexte d'inégalités sociales croissantes, avec des bas salaires qui restent toujours aussi bas et des hauts salaires qui quant à eux augmentent, comme l'indique l'office cantonal de la statistique. Donc si la solution consiste à dire: «Circulez, il n'y a rien à voir, que les personnes qui touchent un bas salaire le gardent et tout finira par s'améliorer», eh bien non, c'est une erreur. L'Etat et le politique doivent intervenir dès à présent pour faire en sorte qu'il y ait une meilleure répartition des richesses, ce qui passe par une action concrète au niveau des bas salaires.
Mais finalement je n'ai plus tellement d'illusions... Je le mentionnais tout à l'heure dans le cadre du débat sur les stages ! L'initiative et le projet de loi visent à intervenir parce qu'il y a un manque, un véritable manque: aujourd'hui, moins de 50% des salariés bénéficient d'une convention collective, il y a donc un manque dans le partenariat social. On le voit, pour le coup le partenariat social ne fonctionne pas complètement, il n'est pas totalement abouti, et le triste constat de la soirée - comme avec le projet de loi sur les stages - est le suivant: lorsque le partenariat social fonctionne, la droite ne vote pas de projet de loi posant un cadre légal relatif à ce partenariat social qui fonctionne, et lorsque le partenariat social ne fonctionne pas complètement, la droite ne vote toujours pas pour légiférer. Finalement - c'est la conclusion de la soirée ! - la droite ne vote jamais pour améliorer les conditions de travail des travailleurs et travailleuses de notre canton. Je vous invite donc à accepter ce projet de loi et cette initiative. (Applaudissements.)
M. Olivier Baud (EAG), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche s'engage pour une société plus juste, vous le savez, et la question salariale est un indicateur important, en particulier quand on mesure les écarts. Or les écarts se creusent: il y a toujours plus de pauvres et toujours plus de millionnaires, je ne vous l'apprends pas. Dans la fonction publique également ! Certes, il ne s'agit pas de millionnaires, mais alors que l'Etat devrait être un employeur modèle, il y a la volonté d'augmenter les écarts entre les plus bas et les plus hauts salaires, notamment avec le projet SCORE - Système COmpétences, Rémunération, Evaluation - qui est combattu par les syndicats et le Cartel intersyndical du personnel de l'Etat.
Mesdames et Messieurs les députés, le rapporteur de majorité UDC le sait, son parti avait lancé l'initiative contre l'immigration de masse. Il est maintenant question d'une initiative pour une immigration modérée, qui devrait être soumise à la population le 17 mai 2020. Quelle est la principale motivation de ce texte ? Eh bien, il faut quand même le rappeler, c'est la crainte de voir les emplois des travailleurs indigènes menacés par l'arrivée massive ou pas de jeunes étrangers, forcément sous-payés. Or, Mesdames et Messieurs les députés, quelle meilleure garantie que l'instauration d'un salaire minimum pour lutter contre cette forme de dumping salarial - ou de sous-enchère salariale, pour parler français ?
On peut trouver tous les défauts possibles et imaginables au salaire minimum, et à l'évidence ce n'est pas la panacée. On peut aussi dire que 23 francs l'heure, c'est insuffisant. Mais il ne s'agit pas de proposer des salaires de 500 euros comme au temps de Gerhard Schröder en Allemagne - le député MCG en a parlé - et de dire que ça ne va pas ! Non, le salaire minimum fonctionne parfaitement bien, notamment en Angleterre, et maintenant il devient absolument nécessaire ici à Genève. Pourquoi ? Eh bien je sais qu'on l'a déjà dit, mais 18% de la population gagne moins de 4000 francs, et les femmes représentent deux tiers de ces 18% - soit 12% - alors que l'égalité entre hommes et femmes, vous vous en souvenez, a été votée et acceptée en 1996. Plus de vingt ans plus tard, nous en sommes toujours là, l'égalité salariale hommes-femmes n'est pas encore réalisée, et ce que vous proposez, Mesdames et Messieurs les députés de la droite, c'est en fait de rester les bras croisés, de ne rien faire.
Le groupe Ensemble à Gauche estime que c'est précisément le moment d'agir et qu'il faut montrer à la population qu'on ne peut pas laisser sans réponse les plus bas salaires, les pauvres, ceux qui sont dans la précarité. Voilà pourquoi nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à voter oui au projet de loi ainsi qu'à l'initiative intitulée «23 frs, c'est un minimum». Merci. (Applaudissements.)
M. Jacques Blondin (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, pour bien illustrer les conséquences qu'aurait un salaire minimum de 23 francs l'heure, permettez-moi de vous en esquisser les contours pour ce qui est de l'agriculture genevoise. La CCT genevoise relative à l'agriculture - il n'en existe pas de nationale - est aujourd'hui déjà supérieure de 20% à celle de Zurich, et on parle même de 30% d'écart par rapport à celle de Glaris, par exemple. Pour un ouvrier agricole non qualifié en première année d'activité, avec un temps de travail de quarante-cinq heures - oui, on travaille quarante-cinq heures dans l'agriculture genevoise, cinquante-deux heures dans l'agriculture zurichoise ! - le salaire mensuel brut serait de 4485 francs; avec les charges, qu'on estime à 15%, on atteindrait 5558 francs, soit une augmentation de 26,5%. Bien évidemment, dans un monde idéal, tout un chacun et toute une chacune devrait pouvoir vivre de son salaire, mais la réalité est malheureusement plus compliquée.
S'agissant de la culture maraîchère, sachant que la main-d'oeuvre dans ce domaine représente 30% à 50% des coûts de production et que le marché est national quant aux provenances, on voit immédiatement les difficultés auxquelles seraient confrontés les agriculteurs du canton. Je précise que cela concerne 1945 emplois directs et 4900 emplois indirects. Je sais que c'est un secteur marginal à Genève, mais quand même !
On parle également de concurrence transfrontalière. Celle-ci serait bien entendu renforcée, car la bonne volonté des consommateurs - qui devraient aussi être des «consommacteurs» - a des limites au niveau du porte-monnaie, même si le label GRTA rappelle tout le bien qu'il faut penser de la production et de la consommation locales.
Je terminerai mon exemple maraîcher par deux remarques. La première, c'est que la production biologique, qui nécessite plus de main-d'oeuvre, vous le savez tous, coûtera proportionnellement encore plus cher, alors qu'actuellement les consommateurs la demandent de plus en plus. Deuxièmement, je relève qu'une exception agricole est envisagée dans l'initiative, mais pas du tout prévue dans le projet de loi. Je n'ai pas choisi mon exemple maraîcher pour rien, car quand bien même on envisage une exception agricole, elle n'est pas clairement formulée dans l'initiative, et surtout sans référence à la CCT cantonale. A Genève, c'est la CRCT - la Chambre des relations collectives de travail - qui gère le dossier salarial, avec la possibilité d'activer un article qui stipule notamment que l'on peut, sur préavis de... Il s'agit clairement d'une «formulation aspirateur» permettant de coller au plus près des salaires de l'économie. Il n'y a donc pas d'illusions à se faire quant à une exception explicite pour l'agriculture, et rien que dans ce secteur - même s'il est vrai que nous serions les premiers à souhaiter payer le mieux possible nos collaborateurs - un salaire horaire de 23 francs aurait des conséquences catastrophiques.
Bien évidemment, l'initiative et le projet de loi ne concernent pas que la culture maraîchère et l'agriculture, mais l'entier de l'économie. Je tiens à relever que je ne suis pas le seul commissaire à avoir été plus que surpris d'entendre de la bouche des syndicats, je cite, que «les secteurs économiques et les métiers incapables de payer 23 francs l'heure n'ont pas leur place à Genève». Cela implique donc la fermeture de salons de coiffure, blanchisseries et commerces, la délocalisation de prestations et d'emplois en France voisine, la suppression d'emplois pour les plus défavorisés en manque de formation professionnelle et le retrait de la dignité de la personne qui se verrait ainsi privée de son activité et d'une place dans la société. Tout cela serait visiblement préférable au maintien de ce qui fait actuellement la force de notre société et de la cohésion sociale via les conventions collectives de travail - même si, je le sais, il y a eu tout à l'heure des critiques à ce propos de la part des rapporteurs de minorité.
Effectivement, le travail apporte un revenu, mais quand celui-ci est inférieur à certains critères sociaux - et je le déplore - c'est à l'Etat de pourvoir au complément via les filets sociaux que nous avons mis en place. Je relève aussi que lors de son audition, M. Giovanni Ferro-Luzzi, directeur de l'Institut de recherche appliquée en économie et gestion - Ireg - a dit: «En résumé, la théorie dit deux choses: si le marché du travail est très concurrentiel, alors dans ce cas le salaire minimum implique une destruction des emplois; si le marché n'est en revanche pas très concurrentiel, alors le salaire minimum accroît les emplois.» Les emplois auxquels s'appliquerait le salaire minimum sont clairement concernés par une forte concurrence et une faible marge, ils répondent donc au premier point de cette théorie. Pour toutes ces raisons, le parti démocrate-chrétien vous invite à refuser l'IN 173 et le PL 12267. Merci. (Applaudissements.)
Présidence de M. Jean-Marie Voumard, président
M. Serge Hiltpold (PLR). Je dois dire que le parti libéral-radical est relativement las de ces attaques répétées concernant la conception du modèle suisse et du partenariat social. On a véritablement le chic, le défaut de sans cesse attaquer un système qui fonctionne. On cite des modèles de salaire minimum, les droits du travail européens, alors qu'en Suisse on a le plus bas taux de chômage, la plus forte employabilité, les salaires les plus élevés et un droit du travail extrêmement libéral, mais qui crée des emplois. Et c'est là qu'il y a une différence majeure ! Je le répète - et M. de Sainte Marie l'a bien compris - effectivement le parti libéral-radical ne veut surtout pas légiférer dans le domaine du droit du travail, parce que c'est grâce à celui-ci qu'on a les meilleures conditions économiques pour les travailleurs en Europe ! Voyagez un peu, sortez de Genève, allez voir ailleurs, faites la promotion de l'apprentissage ! C'est un modèle qui nous est envié. Il nous est envié ! On a vraiment le chic de remettre chaque fois en cause ce qui fonctionne. C'est capital !
Le partenariat social dépend des réalités des branches. Certaines branches connaissent donc de meilleures rémunérations et d'autres de moins bonnes. Quel en est le résultat ? Vous l'avez dit, les plus hauts salaires des conventions collectives se trouvent dans la construction, et c'est là que le partenariat social est le plus fort. Il est rugueux ! Il est dur ! On s'affronte ! Mais le résultat, c'est que les gens sont mieux payés et bénéficient de meilleures conditions, parce que les patrons, comme ne le dit pas M. Mizrahi, ne sont pas tous des salauds, des rats qui veulent exploiter le prolétariat. On entend sans cesse le lundi à la commission de l'économie que le patronat abuse. J'essaie de dire que la conception d'un patron... Et on n'est plus beaucoup dans ce parlement ! On n'est plus que trois ou quatre à faire des salaires, à payer des gens, à se battre, à s'en prendre plein la figure à longueur d'année... (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Serge Hiltpold. Quand vous voulez un collaborateur, vous le rémunérez ! Voilà la conception ! Le but d'un patron, ce n'est pas de licencier quelqu'un, mais de le garder dans son entreprise, de le payer et de lui donner des conditions qui lui permettent d'être heureux, d'être formé et de travailler pour gagner de l'argent. C'est une équipe ! Alors sortez du cliché selon lequel le patronat veut sans arrêt exploiter les salariés. Allez voir les gens qui travaillent dans des PME. Le résultat est simple ! Deux tiers de la population genevoise ne veut pas du salaire minimum, parce que les gens ont compris la réalité économique. N'essayez pas de créer des clivages !
J'en viens maintenant à la question du salaire. Soit, plus de 50% des travailleurs ne sont pas conventionnés, mais le salaire médian genevois se situe à 7278 francs, ce qui représente 40 francs l'heure. Ce n'est pas 23 francs ! D'accord, je ne compte pas la fonction publique, parce qu'on devrait ajouter 400 francs, et le but n'est pas de se dresser les uns contre les autres. Mais je crois qu'on a un modèle qui fonctionne ! On a des syndicats, qui font leur boulot et qui se battent. Et même si tout est négatif et pourri selon vous, on arrive malgré tout à renouveler des conventions collectives de travail ! Si ça n'allait pas, elles ne seraient pas renouvelées ! Eh bien elles l'ont été dans le gros oeuvre et le second oeuvre. Ce n'est pas simple, ce n'est pas facile, mais c'est un accord ! Donc ne légiférons pas lorsque des gens trouvent des solutions et cessons d'aller toujours voir ailleurs alors que notre système fonctionne bien. Pour toutes ces bonnes raisons, je vous invite à rejeter cette initiative et ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Mme Isabelle Pasquier (Ve), rapporteuse de troisième minorité. Je voudrais juste revenir sur certains éléments. Je peux répondre directement ou je dois le faire par votre intermédiaire, Monsieur le président ? Je ne sais plus... Ce n'est pas grave ! S'agissant notamment de ce qui a été dit par M. Blondin sur la question de l'agriculture et des salaires agricoles, c'est un point qui a été abondamment discuté à la commission de l'économie, puisqu'on a aussi auditionné AgriGenève à ce sujet. Cet élément n'a dès lors absolument pas été sous-estimé et l'initiative est claire à ce propos, dans la mesure où il est explicitement indiqué dans les premières lignes de l'exposé des motifs que des exceptions pour les jeunes en formation et pour le secteur de l'agriculture sont prévues. On peut donc déjà être rassuré à ce niveau-là.
D'autre part, je pense qu'il est tout à fait juste, comme vous l'avez fait tout au long de votre vie professionnelle, d'appeler les consommatrices et les consommateurs, les citoyennes et les citoyens à privilégier les produits genevois et à dépenser plus pour l'agriculture de proximité. Je trouve d'ailleurs qu'on peut tenir le même discours pour les coiffeuses et les coiffeurs ainsi que les blanchisseuses et les blanchisseurs, parce que je ne vois pas pourquoi on dirait qu'à partir du moment où on va les payer correctement, il n'y en aura plus. Cette solidarité dont vous souhaitez que les consommatrices et les consommateurs fassent preuve - vous l'appelez de vos voeux à longueur de journée - en achetant davantage de produits genevois pour soutenir l'agriculture de notre canton, je crois qu'on peut l'attendre de la part des citoyennes et des citoyens qui ont envie d'avoir des quartiers vivants ainsi que des services de proximité et qui sont prêts le cas échéant à payer un peu plus parce qu'ils trouvent correct que d'autres citoyens comme eux touchent un salaire décent pour vivre.
Ensuite... (Remarque.) Je n'ai plus beaucoup de temps ? Ce n'est pas grave ! J'aimerais juste relever encore un ou deux points. Je ne crois pas que l'un de nous ait laissé entendre ici que les patrons étaient tous des salauds... (Commentaires.) Certains ont dit que ce genre de propos avaient été tenus ! Bien sûr qu'il y a des patrons responsables, bien sûr que les patrons constituent un élément essentiel de l'économie et qu'ils sont représentés ici, mais moi j'ai aussi plaisir à représenter ces 10% de femmes, de familles monoparentales qui ne peuvent pas vivre, qui n'ont pas de salaire correct - on en a parlé. Il arrive sans doute souvent qu'elles ne soient pas à même de se défendre, je pense donc qu'il faut leur faire une place ici, et c'est aussi pour les défendre que cette initiative et ce projet de loi ont été déposés. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Murat Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous avons un pays voisin, la France, dans lequel on a vu les ravages causés par le salaire minimum. Est-ce cela que nous voulons à Genève ? Certainement pas. L'exemple français démontre on ne peut plus clairement que l'introduction d'un salaire minimum a pour effet de tirer le niveau général des salaires vers le bas. Donc sous couvert de lutter contre la paupérisation, ce que vous faites avec cette initiative, Mesdames et Messieurs de la minorité, c'est exactement le contraire: vous voulez appauvrir les Genevois, et c'est pour cette raison qu'il faut refuser cette initiative populaire. Merci. (Applaudissements.)
M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de deuxième minorité. J'aimerais apporter encore quelques éléments de réponse à ce stade, à l'intention d'abord de M. Alder. Je pense que pour compléter votre raisonnement, il faudrait quand même prendre la peine d'analyser le taux de conventions collectives en France et de considérer ce que nous dit véritablement la droite en filigrane par votre intermédiaire. Si cette dernière fait jouer l'argument de la menace en disant que si l'on instaure un salaire minimum, elle va supprimer les conventions collectives, ça montre bien quelle est la vision un peu hypocrite de la droite, qui d'un côté défend le partenariat social et de l'autre, alors que ce projet de loi et cette initiative prévoient clairement le maintien des conventions collectives, nous dit en fait: «Si vous instaurez ce salaire minimum et que le peuple l'accepte, nous allons supprimer les conventions collectives.» Nous voyons clairement ici votre double discours.
Je réponds maintenant à l'UDC. C'est l'absence de salaire minimum et de régulation qui entraîne la concurrence débridée que vous prétendez combattre. Mesdames et Messieurs - vous transmettrez, Monsieur le président - vous êtes en réalité favorables à la fermeture des frontières afin de pouvoir exploiter les Suissesses et les Suisses à l'intérieur de celles-ci. (Protestations. Huées. Le président agite la cloche.) Le PLR et le PDC, quant à eux, sont pour ouvrir ces mêmes frontières afin d'exploiter tout le monde... (Commentaires.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Cyril Mizrahi. ...pas seulement les Suisses et les Suissesses. Nous, la gauche - je vous le dis avec fierté - nous sommes pour assurer la liberté de mouvement des citoyens et des citoyennes de cette planète et leur garantir à toutes et tous, quelle que soit leur nationalité, des salaires équitables. Non, Monsieur Hiltpold - vous transmettrez, Monsieur le président - le système ne fonctionne pas. Près d'une personne sur cinq à l'aide sociale est un travailleur ou une travailleuse pauvre... Est-ce un système qui fonctionne ?
D'autre part, j'ai parlé des représentants du patronat et non des patrons, Monsieur Hiltpold. Si vous aviez à coeur une saine concurrence, vous soutiendriez ce salaire minimum, qui permettrait aux 7,5% de nos salariés qui gagnent moins de 4000 francs d'avoir au moins ce revenu. Au lieu de cela, vous défendez les patrons qui ne versent pas des salaires suffisants pour vivre. Comment peut-on être contre un salaire minimum ? Vous n'avez pas honte, Mesdames et Messieurs de la droite élargie - vous transmettrez, Monsieur le président - de vouloir maintenir dans la pauvreté celles et ceux qui triment pour gagner leur croûte, les méritants et méritantes, selon vos critères ? (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Serge Hiltpold.
M. Serge Hiltpold (PLR). Volontiers, Monsieur le président, parce que j'ai été mis en cause personnellement en tant que représentant patronal et entrepreneur. (Commentaires.) Par l'intermédiaire du député Mizrahi, on voit là typiquement la vision clichée qu'il a du patronat. C'est simple, sa démonstration nous l'a montré ! Eh bien non, je n'ai pas honte, parce que je me bats pour mes collaborateurs. La seule différence entre vous et moi, peut-être, c'est que pour ma part j'essaie de me battre pour trouver du travail afin de verser un salaire à vingt personnes environ à la fin du mois. C'est notre conception globale de la société et du respect envers les employés et les employeurs ! Quand on doit chercher du travail pour rémunérer des collaborateurs, ce n'est pas la même chose que lorsqu'on est salarié, mais c'est une responsabilité que j'assume très volontiers. Vous oubliez précisément la responsabilité des employeurs - c'est capital ! - et je trouve que ça résulte d'une particulière mauvaise foi. Merci. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Vincent Subilia (PLR). Dans le sillage des propos tenus à l'instant, je ne résiste pas au plaisir qui est le mien de me saisir du micro pour dénoncer la vision parfaitement dogmatique - vous transmettrez, Monsieur le président - qui vient d'être exposée ici, avec encore une fois cette conception qui malheureusement attise ce que nous cherchons précisément à éviter, c'est-à-dire une lecture dichotomique, une tension à propos d'une hypothétique lutte des classes qui aurait lieu sous nos latitudes. C'est faux, Monsieur le président ! Et si M. Mizrahi avait une pratique un peu plus approfondie du monde des relations du travail, il ne tiendrait pas les propos qui le déshonorent aujourd'hui. (Protestations.)
Une voix. Bravo !
M. Vincent Subilia. Mesdames et Messieurs, avant de payer leurs employés, les patrons doivent veiller à générer des revenus qui les autorisent à le faire. Je le répète - et celles et ceux qui travaillent dur le savent ici - la richesse ne pousse pas sur la plaine de Plainpalais. Lorsque vous voulez payer décemment vos employés, vous devez vous assurer de disposer d'un outil de travail qui fonctionne. (Commentaires.) De par vos propos, vous trahissez les mêmes que vous prétendez servir au quotidien, les travailleurs qui vous font confiance les yeux fermés et qui ont bien tort de le faire. Ceux qui imaginent que vous pourrez les soutenir, c'est ceux-là mêmes, Monsieur Mizrahi - vous transmettrez, Monsieur le président - que vous trahissez aujourd'hui. Vous trahissez aussi l'ADN de ce qui a fait la Suisse, cette «Willensnation» qui se base sur le compromis, sur le consensus qui veut que pour arriver à une solution équilibrée - je le répète - le dialogue doit prévaloir. C'est ce dialogue que le patronat et les patrons présents ici, ceux-là mêmes qui, à la différence de beaucoup d'entre vous, se lèvent tôt et se couchent tard pour nourrir leurs employés... (Protestations. Commentaires.) ...défendent avec nous. Monsieur Mizrahi - vous transmettrez, Monsieur le président - on ne peut pas... (Chahut. Le président agite la cloche.)
Le président. S'il vous plaît ! Un peu de calme ! (Commentaires.)
M. Vincent Subilia. Non, non, j'assume totalement mes propos...
Le président. Laissez parler l'orateur ! Chacun s'exprime à son tour.
M. Vincent Subilia. Au même titre que vos propos sont parfaitement outranciers, on ne peut pas dire n'importe quoi dans cet hémicycle. Votre façon de vouloir opposer la société en stigmatisant ceux qui créent de l'emploi au quotidien ici à Genève est indéfendable. (Commentaires de Mme Salika Wenger.)
Le président. Madame Wenger, s'il vous plaît !
M. Vincent Subilia. Elle est indéfendable ! N'inversez pas les rôles et souvenez-vous de ceux qui ici créent de la richesse à Genève avant de vouloir la dilapider. Bonne soirée. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Christo Ivanov (UDC). En tant que petit patron - et ils ne sont plus nombreux dans cette salle, on doit être moins de dix - je suis tout à fait d'accord avec ce qu'ont dit mes préopinants, en l'occurrence Serge Hiltpold. Nous croyons au partenariat social ! C'est le cas dans le domaine du bâtiment - puisque c'est dans ce secteur que je suis un petit patron - où nous travaillons septante à quatre-vingts heures par semaine; nous ne comptons pas nos heures, et pour nous il importe surtout de trouver du travail et de pouvoir payer nos employés avant de nous payer nous-mêmes. Il faut donc arrêter ce discours lénifiant, parce que c'est une véritable honte ! C'est nous qui créons de la richesse, c'est le tissu des PMI et des PME qui fait vivre ce canton... (Commentaires.) ...et ce n'est personne d'autre. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs... (Chahut.) J'ai été mis en cause et vous le savez pertinemment ! (Commentaires. Le président agite la cloche.) J'utilise le temps de parole de mon groupe, vous pouvez prendre un peu de votre temps pour m'écouter ! (Protestations.) C'est vous, Monsieur Subilia, qui vous déshonorez - vous transmettrez, Monsieur le président - c'est aussi vous, Monsieur Hiltpold, vous qui prétendez me donner des leçons... (Chahut.)
Le président. S'il vous plaît ! Un instant, Monsieur Mizrahi !
M. Cyril Mizrahi. J'ai le temps de parole de mon groupe !
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle que ce débat est censé durer tout au plus nonante minutes. Comme notre chronomètre se limite à quatre-vingts minutes réparties en dix tranches, nous y ajoutons une minute afin d'allouer une enveloppe de neuf minutes aux groupes, aux rapporteurs et au Conseil d'Etat. Ne vous inquiétez pas, nous sommes dans les délais ! Ceux qui le souhaitent pourront prendre la parole s'il leur reste du temps, mais laissez finir les orateurs. Je vous remercie. Monsieur Mizrahi, vous pouvez poursuivre.
M. Cyril Mizrahi. C'est vous, Messieurs, disais-je, qui vous déshonorez - vous transmettrez, Monsieur le président - vous qui prétendez me donner des leçons. Vous croyez que je fais la grasse matinée et que je me couche tôt après ces séances du Grand Conseil ? Vous croyez que je ne sais pas ce que c'est que de diriger une entreprise, de travailler sans compter ses heures, de payer ses employés - et de les payer correctement ? Je fais partie de ces dix dirigeants de PME, Monsieur de l'UDC, donc je vous remercie de garder vos leçons de morale pour vous. (Commentaires. Applaudissements.)
Le président. Merci. La parole est à Mme Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de première minorité. Ah ! Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais tout d'abord faire deux mises au point. Ceux qui créent la richesse, ce sont les travailleurs. Qu'on soit clair sur cet élément ! (Applaudissements.)
Mme Salika Wenger. Exactement !
Mme Jocelyne Haller. Je vais maintenant revenir sur un autre aspect. M. Fuhrmann incriminait tout à l'heure les travailleurs étrangers s'agissant de l'abaissement des salaires, je voudrais donc lui rappeler que ceux qui fixent les salaires, ce sont les employeurs, pas les employés ! (Applaudissements.) Ceux-là n'ont qu'à faire face aux tentatives de sous-enchère salariale des premiers.
J'aimerais également revenir sur toutes ces leçons de morale qu'on nous a données. Certes, tous les patrons ne sont pas des salauds, on vous le concède, mais admettez qu'il y a un certain nombre de brebis galeuses, et n'allez pas vous cacher derrière quelques patrons vertueux pour oblitérer ce fait !
Prétendre que le système dans lequel nous sommes fonctionne, alors que le taux de pauvreté augmente dans ce canton... Je vous rappelle qu'en 2014, 13,6% de la population touchait des prestations sociales au sens large. Deux ans plus tard, ce taux s'élevait à 14,4% ! Qu'on ne vienne pas nous dire que le système fonctionne alors que les gens s'appauvrissent et ne peuvent pas faire face à leurs frais ! Vous le savez, nous l'avons indiqué à plusieurs reprises. Une personne sur cinq ne peut pas assumer de frais médicaux, alors comment dire que le système fonctionne ?
Pour revenir sur la question du salaire minimum, il s'agit effectivement d'une mesure de lutte contre la pauvreté, ne vous en déplaise. Il est évident que l'instauration d'un salaire minimum pourrait mettre sous pression un certain nombre d'entreprises, mais d'autres - et sans doute une majorité d'entre elles - devraient simplement réduire leur marge de bénéfices. Il convient à ce stade de rappeler que selon l'OCSTAT, 7,59% des salariés gagnent moins que ce que nous proposons comme salaire minimum. Mais c'est 19% de la population active qui risque de se situer sous le seuil de pauvreté. Dès lors, si rien ne permet d'exclure qu'une partie des entreprises présente une fragilité financière, rien ne permet d'exclure non plus qu'une autre partie tire douteusement profit d'une politique salariale qui ne rétribue pas le travail à sa juste valeur.
La lutte contre le chômage, le combat contre la pauvreté et la précarité, la défense de la justice sociale ne peuvent s'accommoder d'un système qui tolère et banalise les emplois mal rémunérés. Si les locaux et les machines ont un coût qui s'inscrit naturellement dans les charges des entreprises, le versement d'un salaire décent ne bénéficie pas de la même compréhension. Pourtant, la force de travail des salariés a également un coût; elle reste productrice de richesse, de plus-value, et doit être rétribuée à son juste prix.
J'ajouterai enfin, parce que nous n'avons pas les mêmes lunettes, que dans aucun pays l'introduction d'un salaire minimum légal n'a eu d'impact négatif sur l'emploi. Au contraire, l'amélioration du pouvoir d'achat de dizaines de milliers de salariés stimule la consommation et génère très vite de nouveaux emplois. Elle bénéficie également aux finances publiques par de nouvelles rentrées fiscales et de nouvelles contributions aux assurances sociales. Et s'il s'avère, comme l'indique le Conseil d'Etat, que le salaire minimum tel que proposé par l'IN 173 et le PL 12267 serait le plus élevé du monde, il n'empêche que son montant serait au moins en phase avec la réalité du coût de la vie dans notre canton. Dont acte. Pour toutes ces raisons, je vous invite encore une fois à accepter cette initiative et ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC). J'ai été mis en cause par M. Mizrahi, qui vient ici nous donner des leçons. (Commentaires.) Premièrement, j'aimerais quand même rappeler à ce parlement que M. Mizrahi avait demandé que nous mettions à sa disposition des baby-sitters pour qu'il puisse faire de la politique ! Alors avant de nous donner des leçons, commencez par balayer devant chez vous ! Vous transmettrez, Monsieur le président... Deuxièmement, je vous rappelle que le souverain, le peuple genevois, s'est déjà prononcé contre le salaire minimum lors d'une votation populaire en 2014, et aujourd'hui vous revenez à la charge. Soutenez le partenariat social, soutenez les conventions collectives, et nous réglerons ensemble les problèmes ! Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Le débat porte sur un sujet grave, car nous sommes dans une situation réelle où il y a effectivement de la pauvreté, des gens qui ont de la peine à joindre les deux bouts. Mais si on se réfère un peu à l'histoire et qu'on relit certains textes, on constate - je suis désolé - que les propos de Mme Haller selon lesquels les travailleurs sont la richesse de l'entreprise correspondent exactement à ce que Karl Marx a dit quand il a défini la plus-value. Or, Mesdames et Messieurs - je le relève simplement - nous avons vu où le communisme nous a conduits. Il est clair que notre situation actuelle de libéralisme à outrance ne nous mène peut-être pas au bon endroit, mais ce que vous dites, Madame, a été vécu et expérimenté, et ce n'est pas une solution. L'histoire et les faits l'ont prouvé ! Merci.
M. Jean Burgermeister (EAG). J'entends une droite qui chante les louanges d'un système qui, nous dit-on, fonctionne très bien... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...profite à toutes et à tous, mais en réalité les conventions collectives protègent à peine 50% des salariés de ce canton, dont seulement 40% avec un salaire minimum. Et que fait la droite lorsqu'elle remet en question les accords conclus entre les syndicats et le patronat... (Brouhaha.) ...sur les heures d'ouverture des magasins, par exemple ? Que fait-elle, si ce n'est offenser ces conventions collectives et défoncer le partenariat social ? Voilà ce qu'elle fait ! Il faut le dire, il faut le dénoncer. Le système actuel ne fonctionne pas, parce que certains patrons cupides veulent systématiquement remettre en question le partenariat social, et ils sont chaque fois soutenus par la droite de cet hémicycle.
Je reviens maintenant sur le débat que nous avons mené tout à l'heure, durant lequel vous avez pleuré sur cette pyramide fiscale inversée. Eh bien la seule manière de la remettre à l'endroit, Mesdames et Messieurs, c'est d'augmenter les salaires ! Si vous voulez que le reste de la population paie plus d'impôts, il faut les payer davantage ! C'est la seule solution ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. La parole est à... (Brouhaha.) On va attendre qu'il y ait un peu de calme ! (Un instant s'écoule.) Monsieur Sormanni, c'est à vous.
Une voix. On compte sur toi, Daniel ! (Commentaires. Rires.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Pour paraphraser ce qui vient d'être dit, eh bien c'est justement l'inverse qui va se passer: à partir du moment où vous aurez instauré un salaire minimum, vous allez abaisser tous les salaires...
Une voix. C'est juste !
M. Daniel Sormanni. ...comme ça s'est fait dans les pays voisins. Le salaire minimum deviendra la norme, et tous ceux qui gagnent plus aujourd'hui se retrouveront avec ce salaire-là. C'est ce que vous voulez ? Ce n'est pas comme ça qu'on va résoudre la problématique ! Prenez votre bâton de pèlerin et faites en sorte qu'on mette en place des conventions collectives dans les secteurs où il n'en existe pas. Chacun doit y apporter sa contribution: les employeurs, les patrons, mais aussi les travailleurs, avec l'appui des syndicats. Il y a justement un effort à faire dans ce domaine, mais souvent, hélas, ce n'est pas ce qui se passe.
On a pris une sage décision lors du débat de tout à l'heure sur les heures d'ouverture des magasins: on a renvoyé les différents projets en commission, parce que des discussions sont en cours entre les partenaires sociaux et notamment le Conseil d'Etat en vue de trouver une solution concernant la convention collective du secteur du commerce. Je pense que c'est comme ça qu'il faut fonctionner ! C'est comme ça qu'on avance, et ce n'est pas en instaurant un salaire minimum qu'on va résoudre le problème de la pauvreté et des personnes qui touchent un salaire trop bas. Selon moi vous faites fausse route en allant dans cette direction, et c'est la raison pour laquelle il faut refuser cette initiative et ce projet de loi, Mesdames et Messieurs.
J'aimerais encore ajouter ceci: je ne sais pas combien on est dans ce parlement, mais moi aussi je suis un tout petit patron et je peux vous dire, vu qu'on est le 31 octobre et qu'il est bientôt minuit, qu'on se gratte la tête pour savoir comment on va faire pour payer nos employés. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Daniel Sormanni. On fait en sorte de pouvoir toujours les payer avant nous et avant toutes les autres charges, pour qu'ils puissent continuer à avoir un emploi et à gagner leur vie à peu près convenablement, et je peux vous dire que ce n'est pas tous les jours facile d'être face à ce type de situation. Mettez-vous à cette place ! Vous ne le savez pas, vous ne l'avez pas fait, à gauche, pour la plupart, vous ne vous rendez pas compte ! Il ne suffit pas de dire aux patrons qu'ils n'ont qu'à payer et que c'est comme ça que ça se passe ! Quand l'argent n'est pas dans les caisses, vous vous demandez comment vous allez pouvoir verser vos salaires à la fin du mois. Mettez-vous un peu à la place de certains ! C'est vrai, il y a des patrons qui ne jouent pas le jeu, il faut donc se prendre par la main pour qu'on puisse avancer et résoudre les problèmes, mais ils se règlent par le partenariat social et rien d'autre, pas par des lois. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Romain de Sainte Marie (S). Monsieur le président, vous rappellerez juste à M. Sormanni qu'une solution précisément digne du partenariat social qu'il prône avait été trouvée concernant l'ouverture des trois dimanches par année. (Exclamations.) Il a un peu de mal à s'en souvenir ! Ces ouvertures devaient se faire à la seule et unique condition qu'il y ait une convention collective dans la branche du commerce de détail.
Une voix. Etendue !
M. Romain de Sainte Marie. Oui, étendue. (Commentaires.) Malheureusement, les milieux syndicaux et patronaux n'ont pas réussi à se mettre d'accord, du coup la droite dont vous faites partie est légitimement passée en force, s'est totalement moquée du partenariat social, qui n'avait pas fonctionné, et a finalement imposé l'ouverture de ces trois dimanches par année, peu importent le partenariat social et les conditions des salariés. Vous vous en moquez, on l'a compris ce soir dans le cadre des différents projets de lois concernant les conditions de travail, alors ne venez pas nous faire la leçon sur le partenariat social. Quand celui-ci ne fonctionne pas entièrement - et à Genève c'est hélas le cas, malgré la bonne volonté de certains patrons et des milieux syndicaux - il faut assurer des conditions de travail minimums et un salaire minimum ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. La parole est à M. Daniel Sormanni.
M. Daniel Sormanni (MCG). Désolé, Monsieur le président ! Vous transmettrez à M. de Sainte Marie que ce qu'il vient de dire est simplement faux ! C'est faux, parce qu'au lendemain de cet accord, qu'ont fait les syndicats ? Ils ont dénoncé la convention collective pour demander plus et encore. Voilà pourquoi on s'est retrouvé sans convention collective ! Ils l'ont dénoncée au moment même de cet accord, et je pense que c'était une erreur, car ça a abouti à la situation dans laquelle on se trouve maintenant. Les employeurs ont cherché un autre partenaire social, un autre partenaire, pas présent à Genève, et ils ont signé une convention au rabais. Voilà comment on en est hélas arrivé là. Aujourd'hui, semble-t-il, les liens sont renoués, et l'ensemble des forces syndicales et patronales sont réunies et discutent pour essayer d'avancer et de sortir de cette situation. Votre exemple est donc simplement faux ! C'est justement à cause des syndicats qu'on s'est retrouvé dans ce cas de figure, parce qu'ils ont dénoncé la convention collective au lendemain de l'accord sur l'ouverture des trois dimanches par année.
Le président. Merci. La parole est à Mme Jocelyne Haller pour cinquante-huit secondes.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président. J'aimerais simplement dire qu'on ne va pas réécrire l'histoire de la convention collective du commerce de détail, nous l'avons abondamment évoquée ici. Quant à l'argument du nivellement par le bas qui découlerait du salaire minimum, il était déjà tenu il y a plus de quarante ans. Je constate encore une chose: on a entendu aujourd'hui qu'il ne fallait pas instaurer de salaire minimum parce que les employeurs pourvoiraient au bien-être des travailleurs, or ce qu'on vient de nous dire, c'est que s'il devait y avoir un salaire minimum... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...les employeurs profiteraient de l'occasion pour baisser tous les salaires. Il faudrait donc savoir ce que vous voulez, parce qu'en l'occurrence c'est incohérent ! Nous défendons un salaire minimum parce qu'il s'agit de fixer un plancher - nous ne parlons pas des plafonds - et vous savez très bien que les écarts qu'on rencontre aujourd'hui dans le monde salarial sont particulièrement élevés, alors ne venez pas dire que tous les salaires vont baisser et qu'il y aura un nivellement par le bas, parce que c'est faux. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Plusieurs théories non réalistes ont été exposées. Il y a malheureusement le monde réel, la réalité ! Je vais à nouveau citer l'exemple du secteur de l'hôtellerie-restauration. Je le répète: à Genève, dans cette branche, une personne sur quatre est au chômage ou à la recherche d'un emploi. Si les salaires minimums de la convention collective de travail de ce secteur devaient être relevés de 5% ou 7% avec effet immédiat, le taux de chômage - déjà catastrophique - augmenterait certainement davantage.
Il faut rappeler un autre élément important: en Suisse, c'est en principe les partenaires sociaux qui ont la compétence de fixer les salaires - et les salaires minimums. Ce modèle est un succès ! Dans les pays où l'on a instauré par des lois des salaires minimums, les collaborateurs sont les grands perdants. Négocier branche par branche et région par région profite plus aux salariés. Les rémunérations ne sont pas déterminées par un minimum, mais en fonction des capacités des secteurs économiques et des régions. On l'a dit, les revenus en Suisse sont parmi les plus élevés, il faut donc promouvoir ce modèle de partenariat social et non le contester.
Cette initiative est une fausse bonne idée. Les premiers perdants seraient les collaborateurs peu ou non formés, et selon les données de notre collègue Isabelle Pasquier, les victimes seraient pour deux tiers des femmes. Ce texte rate sa cible ! A Genève, nous avons des revenus trois fois supérieurs à ceux de la France voisine, mais notre canton affiche malheureusement aussi un taux de chômage bien plus élevé. Cette situation montre clairement que Genève connaît un problème de chômage et non de rémunération. Pour toutes ces raisons, il n'est pas question de soutenir une initiative qui favorise le chômage; je vous invite donc à la refuser, de même que le projet de loi. Merci de votre attention.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous le comprendrez bien, le Conseil d'Etat ne va pas entrer dans un débat sur le registre de la lutte des classes qui oppose le capital au travail. Nous allons essayer de rester factuels, au-delà des dogmatismes qui se sont largement manifestés depuis maintenant plus d'une heure.
Voilà une initiative séduisante. Cela dit, il ne suffit pas de séduire, il faut convaincre, or le Conseil d'Etat n'est pas convaincu, loin de là; il pense au contraire que c'est une très mauvaise idée. C'est la raison pour laquelle il vous demandera de rejeter l'initiative, sans lui opposer de contreprojet, de même que le PL 12267.
Certaines et certains d'entre vous ont sans doute lu il y a quelques jours dans notre quotidien local une référence au «Figaro», qui lui-même citait une étude du Trésor public français dans laquelle les hauts fonctionnaires des finances conseillaient à Bercy de s'inspirer de la Suisse. C'était suffisamment rare pour que cela retienne notre attention, et voilà qu'ici on propose précisément de copier un Etat qui lui-même souhaiterait nous ressembler.
Regardez autour de vous: la Suisse n'est pas une île, et Genève encore moins. La France a instauré - je parle de la France parce qu'elle se trouve à un jet d'avion en papier de là où nous sommes - un salaire minimum, qui se monte actuellement à 1521 euros. Que s'est-il passé depuis que le SMIG - devenu SMIC - a été introduit ? Eh bien les bas salaires, les moyens salaires ont été tirés vers le bas. C'est une réalité ! Le salaire minimum est devenu la bonne conscience d'un certain nombre d'employeurs, qui ont considéré qu'il suffisait de proposer ce revenu pour être en règle.
Chez nous c'est différent. Nous souhaitons que le partenariat social - dont on a largement parlé - s'étende encore davantage. Vous l'avez dit, 50% des travailleurs sont soumis à des conventions collectives, ce qui veut dire inversement que 50% ne le sont pas. Est-ce que cela signifie que ces personnes sont finalement livrées à des employeurs peu scrupuleux ? Certainement pas. Vous le savez, il existe des usages dans la profession ainsi que des organes paritaires, et lorsque l'on constate une sous-enchère salariale régulière dans un secteur, le Conseil de surveillance du marché de l'emploi - que j'ai l'honneur de présider - demande alors à la CRCT, le cas échéant, de mettre en place un contrat type de travail pour fixer des salaires minimums dans une branche. Il y a donc un contrôle qui se fait - même s'il est toujours perfectible, évidemment - pour que les salaires puissent être décents, et nous sommes exemplaires au niveau mondial en la matière.
Qu'est-ce qu'un salaire décent ? Nous pourrions bien sûr gloser longtemps sur la question. 4100 francs, grosso modo, soit ce qui est proposé ici, est-ce le seuil au-dessous duquel le salaire serait indécent ? Cela représente 2,4 fois le SMIC de l'autre côté de la frontière, puisque nous arriverions à un salaire minimum de 3650 euros. Nous l'avons indiqué, cela ferait du salaire minimum genevois le plus élevé du monde. Alors si le but est de figurer dans le «Guinness Book», faites-le, mais je pense que ce n'est pas l'objectif que nous devons viser.
Nous avons ici - cela a été dit lors des débats - 7,6% de salariés qui bénéficieraient de cette initiative si elle était adoptée, puisque leur revenu serait augmenté de façon à atteindre ce salaire minimum. Ce qui veut dire inversement que le reste des travailleurs gagnent plus, voire largement plus - on a parlé du salaire médian - que ce minimum de 4100 francs. Qui sont ces 7,6% de travailleurs qui touchent moins que 4100 francs - soit ce que vous avez déclaré unilatéralement être le seul salaire décent acceptable ? Il s'agit de personnes qui ont un bas niveau de formation, voire pas de formation du tout. Mais la question qui se pose et que vous devriez vous poser, Mesdames et Messieurs les initiants ou qui soutenez cette initiative, est la suivante: est-ce que ce texte bénéficierait précisément à celles et ceux que vous souhaitez protéger ?
Une voix. Oui !
M. Mauro Poggia. Je ne le pense pas, et le Conseil d'Etat avec moi. Pourquoi ? Il est clair qu'avec un salaire minimum vous pourriez lutter d'une certaine façon contre la sous-enchère salariale, car nous saurions que toute personne venant travailler chez nous gagnerait au moins ce salaire minimum. Mais il existe une autre sous-enchère, beaucoup plus pernicieuse, beaucoup plus perverse, à savoir la sous-enchère de compétences, Mesdames et Messieurs. Si l'on instaurait un salaire minimum de 4100 francs par mois, combien d'employeurs conserveraient en poste ces 7,6% de salariés gagnant moins que cette somme qu'ils font actuellement travailler ? Combien décideraient au contraire d'aller chercher des personnes plus compétentes, considérant que pour un salaire tel que celui-là, autant avoir quelqu'un qui rapporte davantage pour l'entreprise ? Je précise que le terme «rapporte» n'a pas ici de connotation péjorative.
Aujourd'hui déjà, Mesdames et Messieurs, des universitaires français qui peuvent tout juste espérer 1500 euros comme premier salaire à la fin de leur formation professionnelle viennent travailler ici dans la restauration, sans formation dans ce domaine, pour un peu plus de 3400 francs par mois. Ces personnes prennent le travail de résidents genevois - toutes nationalités confondues - de plus de 50 ans, qui se retrouvent au chômage. Pensez-vous que ces personnes travaillent mal ? Pensez-vous qu'elles sont incapables de faire tant bien que mal ce travail de service dans la restauration ? Certainement pas. Avec un salaire minimum tel que celui que vous proposez, vous risquez précisément de faire perdre leur emploi à ces travailleurs sans formation: ils seront remplacés par des personnes surqualifiées, qui - pour le marché suisse - toucheront un salaire inférieur à celui qu'elles mériteraient, mais néanmoins largement supérieur à celui qu'elles pourraient espérer de l'autre côté de la frontière.
A Genève, nous avons décidé de combattre la problématique, réelle, de ces personnes qui reçoivent un salaire insuffisant pour faire face aux charges - les working poors, comme on les appelle - au moyen des prestations complémentaires familiales, qui ont fait l'objet de larges débats. Nous avons considéré que s'agissant des personnes pour qui il était préférable de travailler, même pour un salaire insuffisant, que d'être à l'aide sociale, l'Etat pouvait apporter la petite rallonge nécessaire - parce que pour l'Etat aussi cela vaut mieux du point de vue économique, et là je ne parle pas de l'aspect humain, qui est bien sûr fondamental - pour qu'elles puissent conserver leur emploi malgré leur bas niveau de formation, et cela bien que l'on tente toujours prioritairement d'améliorer la formation des résidents de notre canton. Voilà la solution, Mesdames et Messieurs - et il s'agit d'une solution juste et équitable - pour éviter précisément que celles et ceux que vous voulez aider se retrouvent demain à l'aide sociale, remplacés par des personnes surqualifiées qui viendront d'ailleurs, attirées par un salaire minimum qui sera le plus élevé du monde. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Le président. Merci. Nous allons maintenant nous prononcer sur l'IN 173.
Une voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est le cas, nous passons donc au vote nominal. (Le système de vote ne fonctionne pas. Commentaires.) Attendons quelques secondes ! (Un instant s'écoule.) Bien, nous allons revoter. (Le système ne fonctionne toujours pas. Brouhaha.) Il y a visiblement un problème informatique, nous allons regarder ce qui ne va pas. (Un instant s'écoule.) Nous n'allons pas pouvoir procéder à un vote nominal, car il nous faudrait une heure. (Commentaires.) Sinon le vote se fera demain !
Des voix. Non !
Le président. On verra... Attendons encore quelques minutes, le problème va peut-être se résoudre ! (Un instant s'écoule.)
Une voix. On vote à bulletin secret ! (Rires.)
Le président. Vu l'ampleur du problème informatique, je propose que nous votions sur ces textes demain à 16h après les extraits. (Protestations.) Il n'y a pas d'autre possibilité ! (Brouhaha. Plusieurs députés se préparent à partir.) Attendez, la séance n'est pas terminée ! Le problème est peut-être résolu. (Un instant s'écoule.) Reprenez place, s'il vous plaît. On va essayer de voter une nouvelle fois sur l'IN 173. (Le système fonctionne. Exclamations. Applaudissements.)
Mise aux voix, l'initiative 173 est refusée par 56 non contre 41 oui (vote nominal).
Le président. Je mets aux voix le principe d'un contreprojet.
Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est refusé par 95 non (unanimité des votants).
Le président. Il nous reste à voter sur le PL 12267.
Mis aux voix, le projet de loi 12267 est rejeté en premier débat par 55 non contre 38 oui et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous souhaite une bonne soirée. A demain !
La séance est levée à 23h05.