République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 31 octobre 2019 à 17h
2e législature - 2e année - 6e session - 27e séance
PL 11609-A
Premier débat
Le président. Nous passons au premier point de l'ordre du jour, que nous traiterons en catégorie II, quarante minutes. (Un instant s'écoule.) La parole va à Mme la députée Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le PL 11609, issu des rangs du MCG et de certains UDC, provient de la perception de ses auteurs que le taux de chômage, dans notre canton, ne diminue pas et que le commerce de détail est une zone sinistrée. Ils en imputent une fois de plus la responsabilité à l'emploi de travailleurs frontaliers alors que, de leur point de vue, de nombreux résidents inscrits à l'office cantonal de l'emploi auraient pu prétendre à ces postes.
Leur remède ? Reprendre une mesure adoptée par la commune de Claro, au Tessin, prévoyant la mise à disposition des entreprises d'un macaron indiquant, par tranches de 20%, le taux de résidents employés. Le macaron en question permettrait aux entreprises qui en feraient la demande de se réclamer d'un label «Emplois +GE» contre un émolument d'un montant de 10 francs. Les recettes qui en résulteraient seraient affectées au développement de la formation et de la reconversion des chômeurs. Voilà donc pour la proposition contenue dans ce projet de loi. A noter simplement que les demandes adressées à la commune de Claro pour avoir un bilan de cette expérience sont restées lettre morte.
Voici en revanche la position de la majorité de la commission de l'économie. L'essentiel de cette proposition repose une fois encore sur le présupposé que les frontaliers seraient à l'origine de tous les maux que connaît l'économie genevoise en général et le marché du travail en particulier. Postulat auquel ne peut souscrire la majorité de la commission, pas plus qu'elle ne peut considérer qu'un parallèle existe entre un projet de macaron «Emplois +GE» énonçant le pourcentage de travailleurs résidents et le label «1+ pour tous». Celui-ci visait à l'origine à récompenser les entreprises ayant favorisé, durant l'année, l'emploi de chômeurs de longue durée; il a depuis été élargi à d'autres catégories de personnes et d'entreprises. Le parallèle n'existe pas non plus avec une déclinaison de ce label, la version «1+ pour tous Partenaire», réservée aux entreprises qui servent d'intermédiaires à l'engagement de personnes en recherche d'emploi et de personnes en situation de handicap. Il apparaît donc que ces deux derniers labels sanctionnent la pratique d'une responsabilité sociale des entreprises, d'une action dans l'intérêt de la collectivité et non une pratique discriminatoire, contraire par ailleurs aux accords sur la libre circulation des personnes.
Certains membres de la commission, comme certains auditionnés, se sont en outre insurgés contre un label qui validerait le ratio de travailleurs résidents et donnerait ainsi une fausse respectabilité à une entreprise alors même que celle-ci pourrait largement contrevenir à toute la réglementation sur le travail. Un représentant syndical, défenseur des travailleurs par essence, a relevé que la réalité transfrontalière du marché du travail dans notre canton est source de profit pour ce dernier. Il s'est ensuite montré dubitatif sur le lien sans nuance établi entre le taux de chômage à Genève et le nombre de travailleurs frontaliers. Il a indiqué qu'il y avait alors près de 17 000 demandeurs d'emploi - en tenant compte de l'ensemble d'entre eux et non uniquement des statistiques du SECO - pour près de 85 000 travailleurs frontaliers. Or, faisait-il remarquer, il n'est de loin pas démontré que ces chômeurs pourraient occuper les postes en question.
L'UAPG, l'union patronale genevoise, a exprimé le même sentiment général. Elle a indiqué que le projet de loi en question «méconnaît la réalité structurelle de l'économie genevoise et notamment la façon dont différents secteurs peuvent avoir besoin de façon différente de main-d'oeuvre frontalière [...] car ils ne trouvent pas sur le marché local le personnel dont ils ont besoin». L'UAPG était particulièrement sensible au caractère tronqué et biaisé de l'indication livrée par le label «Emplois +GE». Elle a par exemple évoqué le cas d'une entreprise employant cent travailleurs, dont un seul frontalier: selon le modèle du label instauré par la commune de Claro, l'entreprise en question afficherait seulement un taux de 80% de travailleurs résidents, tandis qu'une entreprise de cinq employés pourrait se targuer d'un taux de 100% et d'une respectabilité qui reste encore à prouver.
Il apparaît très clairement que le PL 11609 repose sur des présupposés biaisés visant une fois de plus à stigmatiser les travailleurs frontaliers, qu'il s'appuie sur une analyse erronée de la situation économique de notre canton et qu'il n'apporte surtout aucune alternative crédible au problème de chômage que connaît Genève. Enfin, le label requis par ce projet de loi risquerait d'attester - et j'insiste encore sur ce point - d'une respectabilité trompeuse. C'est pourquoi la majorité de la commission vous invite à refuser cet objet. Je vous remercie de votre attention.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de première minorité. Il existe, pour les produits locaux, des labels se revendiquant du terroir genevois. Ainsi, on peut acheter une tomate produite à Genève plutôt qu'une tomate produite en Espagne, qui nécessite un long transport en camion et génère une grande pollution, avec des effets sur le CO2 et le réchauffement de la planète.
Pourquoi ne serait-il pas possible d'appliquer aux services rendus à la population ce qui est bon pour la production locale ? Si le consommateur exige de savoir la provenance de ces produits, n'aurait-il pas le droit de savoir si les services qui lui sont rendus proviennent de résidents genevois ? C'est le bon sens qui a présidé à l'élaboration de ce projet de loi. Ce n'est pas une invention genevoise puisque la commune tessinoise de Claro a mis en place une méthode qui permet de s'informer sur le pourcentage de frontaliers et de personnel local qui travaille par exemple dans un commerce. Ainsi, le consommateur peut en toute transparence faire son acte d'achat; la liberté du commerce doit s'accompagner de cette transparence.
Pour le MCG, l'essentiel est de protéger les travailleurs genevois et ce projet de loi peut contribuer à cette protection, qui va devenir de plus en plus nécessaire. Le MCG s'oppose à une libre circulation des personnes aveugle et fanatique, qui détruit les fondements de notre société genevoise. Le but des défenseurs de la mondialisation, qu'ils soient issus des rangs de la gauche ou de la droite, est au final de détruire notre société genevoise et ce qu'elle a d'humain, de consensuel et de solidaire. Le MCG réclame l'équité et la transparence; c'est pour cela que nous vous demandons de soutenir le présent projet de loi.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de deuxième minorité. L'objectif de ce projet de loi est uniquement et exclusivement de créer une incitation ou d'apporter une petite aide pour favoriser l'engagement de résidents ou de Suisses. Le moyen proposé est également très modeste. Pour les entreprises privées, la démarche est volontaire et non contraignante: toutes celles intéressées par le label «Emplois +GE» le recevraient. Un label similaire existe au Tessin, où il donne entière satisfaction. A Genève, il existe déjà différents labels, dont «1+ pour tous», créé pour valoriser l'engagement des chômeurs de plus de 50 ans. Ce label existe depuis 2012; 160 entreprises le possèdent à l'heure actuelle et personne ne le remet en question.
L'utilité d'un label «Emplois +GE» serait également incontestable. A Genève, le chômage est beaucoup trop élevé: le taux officiel y est actuellement de 3,8%. S'il était calculé avec la même méthode qu'en France, il bondirait à 11,8% ! Le taux de chômage à Genève est supérieur à celui en France voisine, où il est de 6,9%. Certains de nos secteurs sont tout particulièrement touchés. Dans la branche de l'hôtellerie-restauration, le taux de chômage atteint 8,1% selon les normes de l'OCE et 25% avec les normes du Bureau international du travail. Pour la branche du nettoyage, par exemple, le taux de chômage, selon les normes du BIT, est de 20%.
Tous les Genevois savent que la recherche d'un emploi est de plus en plus difficile. Tous les Genevois s'étonnent que la création de 8000 à 10 000 nouveaux postes de travail par an n'ait quasi aucun impact sur notre taux de chômage. Cette année, le nombre de nouveaux postes créés a même augmenté, mais le taux de chômage reste malgré tout inchangé ! Les entreprises privées créent 90% des nouveaux postes de travail à Genève; une mesure d'incitation, sans aucune obligation, aurait un impact positif pour beaucoup de Genevoises et Genevois. Pour ces raisons, l'UDC vous recommande d'approuver ce projet de loi. Merci.
M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, voilà une idée simple émanant d'Eric Stauffer, qui n'en a d'ailleurs jamais manqué. Cette idée simple n'est toutefois pas complètement de lui puisqu'il s'est inspiré d'une mauvaise idée tessinoise, rebaptisée «label Emplois +GE». L'idée est donc de vendre un label aux entreprises genevoises contre un émolument. Sur le label serait indiquée la proportion de main-d'oeuvre locale - entendons résidente - et, par contraste, la proportion de main-d'oeuvre non locale.
Ce soir, le MCG et l'UDC sont les seuls à défendre cette idée simple. Ils n'ont visiblement pas de problème avec les relents xénophobes et discriminatoires de ce projet de loi. Pire encore, ils oublient 70 000 de nos concitoyens suisses vivant officiellement en France comme Suisses de l'étranger, qui ne pourraient bien sûr pas être comptés au nombre de la main-d'oeuvre locale. Ils oublient également quelques dizaines de milliers de citoyens vaudois et genevois qui travaillent à Genève mais n'y vivent pas et qui ne pourraient pas non plus être comptés dans la main-d'oeuvre locale. Vous le voyez: à continuellement cibler l'étranger, on finit par cibler aussi des Suisses ! Le MCG et l'UDC ne veulent toujours pas comprendre la complexité de notre région, dans laquelle les populations sont imbriquées.
Enfin, l'idée de vendre ce label est un peu baroque puisqu'on va demander aux entreprises de se porter volontaires pour payer un émolument. Eh bien on imagine tout à fait, pour les raisons que je viens d'évoquer, l'enthousiasme absolument débordant des entreprises genevoises à afficher leur taux de main-d'oeuvre locale ! Pourquoi est-ce qu'il n'y aura pas d'enthousiasme et pourquoi ça ne marchera pas ? Parce qu'aucune entreprise sérieuse ne ferait évidemment cela, d'abord par respect pour ses employés et ensuite par souci de paix à l'interne. Personne n'imagine qu'une entreprise genevoise discriminerait publiquement ses employés non résidents, à part bien sûr le MCG et l'UDC. Vous comprenez donc l'inanité de cette proposition, que les Verts vous recommandent de rejeter vivement. (Applaudissements.)
Mme Ana Roch (MCG). On parle ici de mettre en avant les entreprises qui jouent le jeu en engageant nos résidents. Vous transmettrez à M. Lefort, Monsieur le président: j'ai une entreprise et je ne discrimine pas mes employés selon le lieu d'où ils viennent. Mais je veux bien être mise en avant parce que je joue le jeu et engage 90% de mes employés parmi les résidents, que je forme, que je sors du chômage et de l'aide sociale.
Des voix. Bravo !
Mme Ana Roch. Si d'autres entreprises le font, je pense qu'on peut donc aussi les remercier et les mettre en avant, que ce soit avec un label ou autre - peu importe la manière. On ne doit pas toujours, à mon sens, considérer négativement les projets qu'on peut déposer; il faut plutôt positiver et mettre en avant les entreprises genevoises qui jouent le jeu en engageant nos résidents. Merci. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, on est là en plein paradoxe ! Alors qu'Ensemble à Gauche défend, semble-t-il, les travailleurs de ce pays, de ce canton, on entend la rapporteuse de majorité, membre de ce parti, nous dire qu'on va faire de la discrimination en voulant simplement mettre en avant les entreprises qui jouent le jeu. Mais on a justement intérêt à mettre en avant les entreprises qui jouent le jeu !
On ne va pas sacrifier sur l'autel de la compétitivité des entreprises les travailleurs, ceux qui sont ici, qui font l'effort d'aller au travail tous les jours et sont finalement discriminés par rapport à d'autres, qui travaillent souvent à des salaires inférieurs parce que certains employeurs ne jouent malheureusement pas le jeu ! Vous ne voulez d'ailleurs pas, dans le même temps, améliorer la protection des travailleurs en protégeant les salaires suisses alors qu'est en discussion l'accord-cadre avec l'Union européenne, qui veut justement que la Suisse supprime la protection des travailleurs, ou en tout cas la diminue fortement.
Et là, on dit non à ceux qui veulent agir, qui se disent: «Nous, on joue le jeu, et on veut mettre en avant le fait qu'on engage le plus possible de travailleurs qui habitent déjà dans notre région !», qui proposent une mesure concrète, positive et non négative ! C'est la contradiction de la gauche et d'une certaine droite, et ce sont finalement les travailleurs qui en paient le prix à travers les salaires qui leur sont versés. Je crois que cette approche est fausse; il faut accepter ce label si on veut essayer de la corriger. Acceptons ce texte de façon à mettre en avant et à récompenser les entreprises qui jouent le jeu pour le bien des employés et des habitants de notre région. Je pense que c'est ce qui est important aujourd'hui; merci de voter ce projet de loi.
M. Jacques Blondin (PDC). Un label de qualité ou de confiance, quel qu'il soit, ne peut être attribué que si les critères de son attribution se réfèrent à des conditions-cadres équitables, objectivables pour tous. Vous transmettrez à M. Baertschi, Monsieur le président, que c'est le cas du label GRTA. Or les secteurs de la vente, des soins à la personne, de l'hôtellerie-restauration et du bâtiment emploient davantage de frontaliers car ils ne trouvent pas sur le marché local le personnel dont ils ont besoin.
Une voix. Faux !
M. Jacques Blondin. Le label de «qualité» - et je mets le terme entre guillemets - que l'on veut créer ne pourrait donc pas être attribué dans ces secteurs alors qu'il pourrait par exemple l'être à des entreprises qui ne respecteraient pas des CCT, n'offriraient pas des conditions de travail acceptables ou feraient fi de tout aspect social. Ainsi, on montrerait du doigt et on discriminerait des entreprises qui n'ont pas d'autre moyen de fonctionner qu'en engageant des frontaliers, et ce dans des secteurs comme la santé et le social, domaines indispensables à une bonne qualité de vie pour nos concitoyens.
Ce projet de loi nie en outre la réalité structurelle de l'économie genevoise, et notamment la façon dont différents secteurs peuvent avoir besoin de façon différente de main-d'oeuvre frontalière, tout en fermant les yeux sur le fait que nous profitons largement des offres de formation et de logement de la France voisine.
Enfin, il vaut la peine de citer les auditionnés de l'UAPG lorsqu'ils déclarent que «le contrat social qui doit nous lier tous fonctionne par l'intégration plutôt que par la stigmatisation». Cet objectif hautement défendable et toujours d'actualité n'est pas atteint par le PL 11609, c'est pourquoi le groupe démocrate-chrétien vous invite à le refuser. Merci.
Mme Léna Strasser (S). Un label «Emplois +GE», ça sonne bien et ça a l'air tout simple, mais par en dessous, franchement, ça grince. Vous transmettrez, Monsieur le président, que les travailleurs frontaliers ne peuvent pas être comparés à des tomates espagnoles ! Ce projet de loi propose un label stigmatisant - et, mon préopinant l'a dit, stigmatisant une partie indispensable des salariés du canton. A un label qui pousse à la discrimination, nous disons, nous, non merci ! Non merci à un texte proposant une discrimination des salariés de ce canton en fonction de leur origine ou de leur lieu d'habitation.
Jouer le jeu et se montrer responsable pour lutter efficacement contre le chômage, c'est d'abord renforcer la formation continue, favoriser l'insertion des jeunes et soutenir le maintien des plus de 50 ans sur le marché de l'emploi. Lutter efficacement contre le chômage, ce n'est pas payer 10 francs pour un macaron discriminant et se congratuler de l'entre-soi. Le groupe socialiste refusera cet objet.
M. Marc Fuhrmann (UDC). Ce label amènerait une transparence utile. Je pense que chacun d'entre nous se rend compte, au gré de sa consommation dans le canton, que ce soit à travers l'Etat de Genève, dans les magasins, peut-être chez le médecin, dans l'immobilier ou dans d'autres secteurs, qu'on a affaire à des gens qui viennent d'endroits de plus en plus éloignés de Genève. Reconnaissons que la couronne autour du canton devient toujours plus riche, alors que Genève elle-même s'appauvrit de plus en plus. Je crois rêver ! Quelle entreprise aurait honte ou peur de dévoiler ses chiffres d'emploi, notamment locaux, comme nous le dit la droite ?
Je prends l'exemple des régies. J'ai vu certains grands responsables et parlé avec eux: certaines ont plus de 60% d'employés non résidents dans le canton. C'est scandaleux ! Scandaleux ! Avec un marché de l'emploi qui devient de plus en plus compétitif, où les plus faibles et les plus de 50 ans ont de moins en moins de chances, la moindre des choses que nous puissions faire, c'est d'offrir une certaine transparence. Que les Genevois puissent décider ce qu'ils veulent consommer et où ils veulent le faire ! Je ne peux donc qu'approuver cette mesure, et je vous enjoins de voter le projet de loi. Merci.
M. Jacques Béné (PLR). Au risque de répéter ce qui a été dit - mais je pense que c'est important - je rappellerai que ce projet de loi ne tient pas compte de la réalité structurelle de l'économie genevoise et des besoins réels de certains secteurs, qui ne peuvent tout simplement pas se passer de la main-d'oeuvre frontalière car le marché local des résidents ne permet pas de repourvoir l'ensemble de leurs postes. Il serait dès lors totalement inadmissible de clouer au pilori les entreprises qui, parce qu'elles n'ont pas d'autre choix, font appel à du personnel frontalier.
L'objectif d'embaucher des travailleurs résidents est louable, il peut être partagé, mais le PL 11609 ne répond pas à cette attente. Comme l'ont démontré plusieurs études sur le chômage, celui-ci n'est pas imputable à la main-d'oeuvre frontalière mais à la dégradation des conditions-cadres. C'est donc sur ces conditions-cadres qu'il faut continuer à travailler. Le credo du MCG est bien connu, avec ses slogans anti-frontaliers. Nous lui préférons le label «1+ pour tous», qui met en évidence de manière positive les entreprises qui recrutent des personnes sans emploi. Mesdames et Messieurs, y en a marre de ces projets qui stigmatisent les frontaliers, qu'ils viennent du canton de Vaud ou de France voisine, car nous avons aussi besoin d'eux ! Je vous invite donc à refuser fermement ce projet de loi.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, je ne sais pas si vous vous rendez compte du message que vous envoyez à la population ! On entend aujourd'hui qu'un Genevois est, dans son propre canton, moins bien considéré qu'un citoyen de l'Union européenne ! Et vouloir favoriser un Genevois dans son propre canton, c'est de la discrimination ! Mais c'est franchement scandaleux ! J'espère que les gens écoutent ce que vous êtes en train de dire ! Favoriser l'emploi des Genevois, c'est considéré comme de la discrimination ! Je crois que c'est le seul canton au monde qui tient un tel langage ! Je ne sais pas si vous avez perdu totalement la raison !
Quand on parle de frontaliers, on parle de personnes au bénéfice de permis frontaliers, qui sont octroyés à des citoyens de l'Union européenne - il ne s'agit ni de Vaudois ni de Genevois qui habitent en France. Il est donc tout à fait faux de dire que c'est une fausse mesure, Mesdames et Messieurs ! Ecoutez le message que vous envoyez à la population ! Franchement, je suis dégoûté ! Il y a au moins 60 000 à 70 000 personnes sur le carreau à Genève et vous ne voulez pas faire en sorte de favoriser l'emploi des Genevois ! Franchement, vous devriez démissionner et vous engager au parlement français ! Ou demander qu'on rejoigne la France ! Je suis dégoûté ! Merci beaucoup.
Une voix. Bravo, Marc ! Tu as raison !
M. Serge Hiltpold (PLR). Après cette truculente intervention du député Falquet, je pense qu'il est important de considérer un petit peu l'essence du projet de loi. Le titre de la loi que le PL 11609 veut modifier est le suivant: «loi en faveur du développement de l'économie et de l'emploi». Est-ce que ce texte va créer des emplois supplémentaires ? La réponse est non ! Concernant les labels, j'aimerais juste rappeler une chose aux gens qui n'ont pas d'employés mais font de grandes théories. Vous parlez du label GRTA, vous faites une grande déclaration - c'est très bien. N'oubliez pas que dans les entreprises, il faut des personnes qui travaillent; s'agissant du label GRTA, je n'ai pas vu beaucoup de Genevois dans les vignes, dans les serres, dans la culture maraîchère. Donc soyez conséquents ! Les entreprises genevoises ont besoin de cette main-d'oeuvre, elles ont besoin d'un bassin relativement large.
Ensuite, le combat est complètement erroné. La vraie défense des travailleurs ne consiste pas à défendre les citoyens genevois. La vraie défense des travailleurs passe par la défense des conditions de travail et d'une rémunération juste du travail - voilà le combat que vous devez mener ! Il ne consiste pas à donner un travail sous-payé à un Genevois, avec un salaire en dessous des conventions collectives, mais à faire respecter les CCT pour qu'il existe une égalité salariale et qu'elle s'applique à tous, qu'on soit résident genevois, français, vaudois ou confédéré.
Concernant la formation, je vous rappelle simplement l'histoire de Genève et les échanges qu'il y a eu avec l'Europe: de nombreux Suisses sont partis à l'étranger acquérir des connaissances, que ce soit dans les domaines bancaire, de la construction ou de l'horlogerie. Vous ne pouvez pas baser la prospérité uniquement sur un modèle macroéconomique. Genève bénéficie d'énormément de retombées qu'elle doit aussi à des populations autres que celles venant de la région allant du Pays de Gex au Salève. Réfléchissez un tout petit peu: nous ne sommes pas en train d'attaquer les Genevois ! Il faut juste être conséquent et défendre des conditions de travail équitables pour tous. Stigmatiser des gens est une chose parfaitement déplorable. Merci.
Une voix. Bravo !
M. François Lefort (Ve). Monsieur le président, vous transmettrez à M. Falquet qu'il n'entend pas la réalité, rappelée d'ailleurs ce soir par plusieurs préopinants. Le scandale, c'est de trier les populations et de les monter les unes contre les autres ! Le scandale, c'est de repousser notre population à l'extérieur de nos frontières ! C'est de transformer des dizaines de milliers de Genevois en frontaliers ! C'est ce que le MCG, et l'UDC, ont contribué et contribuent encore à faire en s'opposant systématiquement aux projets de construction en zones de développement et à la densification ! Il faut être conséquent, Monsieur Falquet: le scandale, il vient de votre bord !
Une voix. Bravo !
Le président. Merci. La parole est à M. le député Daniel Sormanni pour quarante-sept secondes.
M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. En quelques mots: je crois qu'une entreprise a toujours le choix. C'est extrêmement rare qu'elle ne trouve pas sur notre territoire les employés dont elle a besoin; il y a des cas spécifiques, mais d'une manière générale, on peut les trouver ici. Si vous ne voulez plus laisser d'emplois pour ces petites mains, pour tous ces gens qui sont aujourd'hui au chômage, à l'office cantonal de l'emploi, eh bien continuez d'aller dans ce sens ! Je pense que vous faites fausse route et je vous invite à soutenir ce projet de loi.
Une voix. Bravo, Daniel !
M. Romain de Sainte Marie (S). Je ne voulais pas intervenir, mais en entendant les propos qui sont tenus... (Commentaires.) Je suis outré et je pense qu'il faut réagir. Aujourd'hui, il faut favoriser l'emploi ! Et favoriser l'emploi, ce n'est pas favoriser une population au détriment d'une autre. Non: favoriser l'emploi, c'est favoriser l'insertion professionnelle. A cet égard, il est bon d'avoir des labels qui mettent en avant par exemple la formation professionnelle.
Notre responsabilité est d'accompagner la croissance économique qu'a connue le canton et les emplois qu'elle a engendrés à Genève. Force est de constater que notre canton ne les a pas accompagnés en matière de logement. Le résultat est une France voisine qui a particulièrement grandi d'un point de vue démographique et s'est développée en matière de logement pendant que l'essor de Genève n'allait pas à la même vitesse que son développement économique. Prétendre aujourd'hui qu'il faut mener la guerre aux travailleurs frontaliers, aux étrangers, est une erreur ! C'est une pure discrimination et ça va même à l'encontre de la volonté de favoriser l'emploi des habitants du canton. Non à un projet de loi qui vise à discriminer encore et encore; on sait que c'est la recette de l'UDC et du MCG, mais non à cette politique-là !
Une voix. Bravo !
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de première minorité. Plusieurs préopinants ont parlé de discrimination, mais non: c'est de l'émulation ! Voilà ce que propose ce projet de loi. On entend toujours parler de discrimination mais c'est faux ! C'est un mensonge éhonté. Les préopinants Sainte Marie et Lefort disent que nous nous attaquons au développement de Genève, mais eux veulent 800 000 habitants ou 1 million. Ils veulent un développement fantasmagorique, gigantesque, qui va nous mener droit dans le mur; c'est ce qu'ils font. On va droit à la catastrophe et ensuite, comme il y aura une catastrophe, ils diront - c'est vraiment le pompier pyromane - qu'on va éteindre l'incendie. Un incendie qu'ils auront eux-mêmes allumé !
Le système posera un problème fondamental tant qu'on ne sortira pas de l'impasse actuelle: une infirmière gagne au maximum 1800 euros en France et 5000 à 6000 francs en début de carrière en Suisse. Quand il y a une telle différence de salaire, on est obligé d'avoir une protection. C'est une nécessité, mais ni la gauche ni la droite ne veulent le voir parce qu'elles ont des oeillères. Elles sont dans une fuite en avant, une course dramatique qui nous amène à avoir plus de 11% de chômage réel - plus de 11% de chômage réel à Genève - malgré des statistiques qui minorisent complètement ces chiffres; rappelons qu'il s'agit des statistiques du BIT. Nous allons droit dans le mur; ce projet de loi n'apporte qu'une solution très très partielle, mais quand bien même notre proposition repose sur une base volontaire, est très modérée, y va vraiment de manière très douce, il y a une opposition. Non ! Une majorité de ce parlement, une majorité de la classe politique genevoise veut aller dans le mur, veut que Genève aille à la catastrophe ! Excusez-nous, mais nous ne vous suivrons pas sur cette voie !
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Je suis également très étonné par certains arguments qui ont été avancés: je trouve que ça ne correspond absolument pas aux trois articles contenus dans ce projet de loi. Si on parle de structure économique, c'est effectivement vrai que certaines branches ont un grand besoin de main-d'oeuvre étrangère. Mais ça ne signifie pas qu'il ne faut strictement rien faire pour les résidents et les Suisses. Je rappelle ce que vient de dire mon voisin: il faut relever que notre taux de chômage, à Genève, est pratiquement de 12% selon les normes du BIT, et qu'il est même supérieur dans le canton à celui de la France voisine. Il faut donc absolument faire quelque chose.
Pour revenir au projet de loi lui-même, les mesures proposées sont vraiment minimes; il s'agit exclusivement d'une incitation, sans aucune contrainte. On entend dire que ce label poserait un problème; je crois qu'il faut nuancer un peu cette déclaration. Si on compare le projet de label «Emplois +GE» avec «1+ pour tous», qui existe depuis cinq ou six ans, on voit qu'on se trouve dans un cadre très très similaire. Le premier est pourtant très contesté alors que le second ne pose, lui, aucun problème à aucun parti. Je pense donc que si le label «1+ pour tous» a un sens, est utile et n'est contesté par personne - c'est effectivement une petite aide pour les chômeurs de plus de 50 ans - il faudrait être logique et accepter le label dont il est question ici. «Emplois +GE» concerne en effet des milliers et des milliers de Genevoises et de Genevois qui ont besoin d'un petit coup de main pour retourner dans la vie active. Pour ces raisons, je vous invite à accepter ce projet de loi. Merci.
Le président. Merci. La parole est à Mme la députée Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de majorité. Je vous remercie. Je prendrai au besoin sur le temps de mon groupe.
Le président. Vous parlez déjà sur le temps de votre groupe. (Rire.)
Mme Jocelyne Haller. Ah, merci ! J'aimerais simplement rappeler que Genève n'est pas une forteresse. Le canton interagit étroitement avec la région, et on ne défendra pas l'économie genevoise et ses emplois par des mesures protectionnistes, voire isolationnistes. M. Falquet disait tout à l'heure que nous avons 70 000 à 80 000 personnes en rade. C'est faux ! Il y a 17 000 demandeurs d'emploi - y compris des chômeurs en fin de droit, qui généralement disparaissent des radars. Nous avons en revanche 85 000 permis frontaliers, dont tous ne sont d'ailleurs pas utilisés.
J'aimerais conclure en disant qu'un label n'en vaut pas un autre ! Car un label qui sanctionne la responsabilité sociale des entreprises, ce n'est pas la même chose qu'un label qui vous donne une indication toute relative, et donc peu indicative, sur la manière dont se comporte cette entreprise. Parce que, finalement, que dira ce label «Emplois +GE» ? Il donnera le pourcentage de travailleurs résidents employés dans l'entreprise, mais que dira-t-il de plus ? Que dirait-il à propos des HUG ou de l'IMAD, qui aujourd'hui, quoi qu'en disent certains, ne trouvent pas dans le canton la main-d'oeuvre qualifiée qui leur permettrait de travailler ? Le message serait que ce ne sont pas de bonnes entreprises parce qu'elles ont un taux très bas d'employés résidents, et qu'elles devraient changer leurs pratiques - alors que nous savons que la réponse est ailleurs ! Que leur demanderait-on ? Qu'elles engagent plus de résidents ? Aujourd'hui, ce n'est pas possible ! Quant à l'émolument de 10 francs qui devrait être affecté à la formation ou au reclassement professionnel des chômeurs, croyez-vous qu'on pourrait financer la reconversion professionnelle et la formation des demandeurs d'emploi avec les 10 francs par entreprise qui réclamerait ce label ? On est bien loin du compte !
Si vous voulez réellement faire en sorte que les chômeurs qui se trouvent écartés du marché de l'emploi soient réinsérés, votons des crédits qui encouragent la formation, qui favorisent la reconversion professionnelle afin de permettre à ces personnes de retrouver un emploi à Genève. Et surtout, protégeons les conditions de travail des travailleurs ! Parce qu'une mauvaise protection est finalement ce qui permet à certains employeurs d'engager du monde en pratiquant de la sous-enchère salariale. S'il y avait une meilleure protection des travailleurs, ils ne pourraient pas le faire et ce sont des employés genevois qui profiteraient de ces postes ! Si vous voulez être conséquents et protéger l'emploi à Genève, alors protégez les conditions de travail des employés à Genève ! Et cessons de discriminer une population de travailleurs qui est tout aussi nécessaire et bénéfique à l'économie du canton ! Je vous remercie de refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, je prends la parole pour faire quelques commentaires sur le projet de loi, mais tout d'abord, je voudrais excuser notre collègue, M. Poggia, retenu actuellement à une conférence intercantonale à Lausanne, qui devrait bientôt nous rejoindre.
M. Poggia a eu l'occasion, lors de son audition en commission, de dire tout le mal qu'il pense de ce texte, relayant évidemment la position unanime du Conseil d'Etat en la matière. Plusieurs d'entre vous ont effectué, à mon avis de manière totalement inappropriée, une comparaison avec d'autres labels, comme «1+ pour tous»: ils n'ont absolument rien en commun puisque «1+ pour tous» est un label qui valorise alors que celui proposé par ce projet de loi stigmatise. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous invite à refuser cet objet. Merci.
Le président. Merci. Nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11609 est rejeté en premier débat par 75 non contre 17 oui.