République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 7 juin 2019 à 16h10
2e législature - 2e année - 2e session - 8e séance
R 881
Débat
Le président. Nous passons à l'urgence suivante, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. La parole est à la première signataire, Mme Alessandra Oriolo.
Mme Alessandra Oriolo (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, comme vous le savez probablement, en Suisse, les frais médicaux liés à une grossesse sont entièrement pris en charge dès la 13e semaine de grossesse, et ce jusqu'à la 8e semaine après l'accouchement. Cela signifie que, pendant la durée de leur grossesse, les femmes ne paient pas de franchise, ni la quote-part de 10% sur les frais médicaux, quelle que soit la prestation médicale. Mais que se passe-t-il si une femme subit une fausse couche, une grossesse non évolutive ou une grossesse extra-utérine ? Et bien si le malheureux événement survient après la 13e semaine, les frais sont totalement remboursés. En revanche, si ces grossesses s'interrompent avant la 13e semaine, le système les considère comme des maladies. C'est donc le régime classique de la LAMal qui s'applique, de sorte que le montant de la franchise et la quote-part sont à la charge de la femme en question.
Il faut bien savoir de quoi l'on parle. Les grossesses non évolutives sont des grossesses qui s'arrêtent prématurément, le plus fréquemment lors du premier trimestre. Elles sont liées à une anomalie chromosomique de l'embryon dans 70% des cas. Il en résulte alors une fausse couche, mais parfois, pour éliminer les débris restants, la femme a quand même besoin de recourir à un traitement par voie médicamenteuse ou chirurgicale, et je précise que ce type d'intervention coûte environ 2000 francs. Mais saviez-vous qu'en Suisse, il n'existe aucune statistique sur le nombre de grossesses prenant fin prématurément de manière involontaire ? En effet, les seules statistiques dont nous disposons concernent les interruptions de grossesse toutes catégories confondues. Cette absence de données démontre qu'il existe bien un tabou en la matière ou, pire, une volonté de cacher ces informations. Pourtant, il est communément admis qu'à peu près une grossesse sur cinq se termine avant la 12e semaine, et ce pour des raisons médicales, génétiques ou environnementales totalement hors du contrôle de la médecine et de la femme enceinte. On constate donc que la douleur subie lors d'une fausse couche et d'une grossesse extra-utérine ou non évolutive n'est pas encore assez reconnue par la société ni bien prise en considération.
Que demande ma résolution ? Rien de bien compliqué: elle invite simplement l'Assemblée fédérale à modifier la LAMal - la loi sur l'assurance-maladie - afin que son application soit étendue aux grossesses s'arrêtant avant la 13e semaine. Nous demandons en outre à notre Conseil d'Etat de soutenir cette initiative cantonale. Pourquoi ? Parce que le système actuel est opaque, qu'il engendre des inégalités de traitement entre les femmes et qu'il leur délivre un message punitif: «Vous n'avez pas pu aller au bout de votre grossesse, c'est donc à vous de payer.» Cette pratique est injuste, car elle implique une instrumentalisation du processus anatomique de la grossesse, dans le sens où celui-ci est considéré comme digne d'être protégé par le système de solidarité sociale uniquement si la grossesse aboutit ou dépasse un stade avancé, à savoir le premier trimestre. Monsieur le président, lorsque j'aurai épuisé mon temps de parole, je prendrai sur celui de mon groupe.
La souffrance des femmes qui perdent un enfant n'est pas entendue, elle n'est pas prise en compte. C'est tout simplement inacceptable, injustifiable, et il est temps que les pratiques évoluent. Les femmes ne doivent plus être pénalisées lorsqu'elles ne peuvent pas mener à terme une grossesse. Du reste, nous ne sommes pas les seules à nous mobiliser. Les Verts vaudois ont déposé la même initiative cantonale en novembre dernier, et le canton de Neuchâtel est en train d'examiner la question. Au niveau fédéral, après plusieurs interpellations l'année passée, la conseillère nationale Verte Irène Kälin a déposé en mars une motion allant encore plus loin que cette résolution, puisqu'elle demande la gratuité totale de l'ensemble des prestations médicales pendant toute la durée de la grossesse, et ce dès la première semaine. Cette parlementaire fédérale a été suivie par le conseiller national UDC Jean-Luc Addor, qui a déposé une motion similaire. Comme vous le voyez, Mesdames et Messieurs les députés, ce sujet nous rassemble donc toutes et tous, tous partis confondus.
Depuis le mois dernier, plusieurs femmes ayant vécu des fausses couches, des grossesses extra-utérines et des grossesses non évolutives m'ont contactée pour partager leur souffrance ainsi que leur désarroi face à cette injustice. Ces événements sont traumatisants et très difficiles à vivre pour les femmes, alors comment est-ce possible qu'en 2019, en Suisse, nous leur fassions en plus payer ces interventions ? Sans compter que ces femmes, majoritairement jeunes, ont souvent des franchises élevées.
A une semaine de la grève nationale des femmes, je pense qu'il est temps que le sujet sorte du placard, que ces injustices soient corrigées et que les femmes puissent être accompagnées, entendues et reconnues dans leurs épreuves. Pour toutes ces raisons, Mesdames les députées, Messieurs les députés, je vous remercie d'accepter cette résolution sur le siège afin qu'elle puisse être traitée le plus rapidement possible à Berne. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à Mme Delphine Bachmann. (Un instant s'écoule.) Enfin peut-être...
Mme Delphine Bachmann (PDC). Excusez-moi, Monsieur le président, je n'avais pas compris que c'était à moi de m'exprimer ! Cette résolution met le doigt sur un mélange d'injustice et d'incohérence dans la LAMal. Il me semble en effet qu'on ne devient pas progressivement enceinte à treize semaines: soit on l'est, soit on ne l'est pas. On ne se lève pas un matin, après douze semaines, en se disant: «Waouh, je suis enceinte ! Désormais, l'assurance-maladie va couvrir intégralement mes frais de santé !»
Il est aujourd'hui nécessaire de reconnaître la souffrance engendrée par des fausses couches ou des interruptions involontaires de grossesse. On sait qu'environ une grossesse sur quatre se termine de cette façon, et cela occasionne des frais médicaux qui peuvent être élevés selon la franchise de la femme, à laquelle s'ajoute la quote-part. Ainsi, certaines femmes - particulièrement celles qui proviennent de milieux sociaux défavorisés - en constatant l'issue de leur grossesse, iront moins facilement chez leur médecin ou aux urgences avec une franchise à 2500 francs, si elles doivent payer de leur poche. Une grossesse extra-utérine ou une fausse couche peuvent pourtant entraîner de graves conséquences sur leur santé, et on sait que plus la consultation et la prise en charge médicale tardent, plus les complications seront importantes et les coûts élevés.
A Berne, il me semble que les parlementaires fédéraux se sont enfin réveillés. Ils discutent en ce moment du sujet et se rendent compte de ce non-sens qui perdure depuis bien trop longtemps. Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution permettra d'exercer une pression supplémentaire sur le Conseil fédéral et nos parlementaires nationaux pour qu'ils aillent dans ce sens, et nous vous remercions donc de la soutenir. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, à quelque stade qu'intervienne une interruption non souhaitée de grossesse, elle est toujours douloureuse et constitue chaque fois une épreuve. Etablir une forme de hiérarchie selon le moment où la grossesse s'interrompt et imputer une partie de la charge financière à la femme qui le subit en fonction de cela est donc non seulement un non-sens, mais aussi une injustice et un camouflet pour la personne confrontée à cette situation, d'autant plus que nous connaissons les inégalités face à l'accès aux soins induites par le développement de la pauvreté et de la précarité. Pour en finir avec cette discrimination aberrante et infondée, il s'impose de modifier l'article 64, alinéa 7, de la loi fédérale sur l'assurance-maladie, afin que le régime prévu par cet article soit étendu aux grossesses s'arrêtant avant la 13e semaine. Voilà pourquoi, comme d'autres ici ce soir, nous allons adresser ce texte à l'Assemblée fédérale. Nous savons le peu de cas que cette dernière fait généralement des résolutions que nous lui envoyons, mais nous estimons que ce n'est pas une raison pour nous abstenir de lui faire parvenir nos revendications et de lui demander d'écouter les besoins de la population genevoise. Ne nous résignons pas, ne laissons pas notre droit d'initiative cantonale se faire piétiner et efforçons-nous d'obliger l'Assemblée fédérale à entendre les besoins des Genevois. Pour toutes ces raisons, nous allons soutenir cette résolution et vous invitons à faire de même. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Mme Marion Sobanek (S). Mesdames et Messieurs les députés, il faut éviter les redites. L'excellente députée Oriolo a dressé un tableau très complet, qui a été encore enrichi par les deux autres intervenantes. J'aimerais juste mentionner un aspect qui n'a pas été évoqué: la gratuité s'applique dans deux situations, à savoir un accident ou une grossesse. Dans les deux cas il peut y avoir de grandes injustices, mais la grossesse ne concerne que les femmes. Voilà donc spécifiquement un élément injuste de notre système de santé qui touche à nouveau les femmes, raison pour laquelle il faut soutenir cette résolution. Je ne connais aucun homme qui, parce qu'il est un homme, subit un désavantage financier !
Je voudrais revenir sur un point qui a été relevé par la députée Bachmann, soit les franchises élevées. Beaucoup de jeunes choisissent des franchises très hautes pour faire baisser le montant de leurs primes maladie, or cette pratique constitue vraiment un frein à la consultation, avec tous les risques que cela comporte. Et je répète ce que j'ai dit hier deux fois, parce qu'il est important que vous l'entendiez: la Suisse possède certes un système de santé performant, mais il est foncièrement antisocial, et pas seulement à l'égard des femmes. Cela concerne tout le monde ! Il mérite donc une révision profonde. En attendant, soyons optimistes, renvoyons cette résolution à l'Assemblée fédérale et espérons que les choses vont bouger. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Thomas Bläsi (UDC). Cette résolution, telle que rédigée par son auteure - que je remercie au passage - correspond à la politique menée au niveau fédéral. Mme Oriolo a mentionné les différentes actions entreprises, et je la remercie d'avoir fait référence à la motion UDC qui est actuellement proposée au Conseil national. Le texte du conseiller national Addor a effectivement reçu le soutien du Conseil fédéral et devrait donc parvenir à passer la rampe. Il n'y a cependant pas à hésiter, car plus les demandes cantonales seront nombreuses et le socle large, plus les chances d'obtenir une législation juste seront grandes. Le groupe UDC appuiera par conséquent ce texte.
J'aimerais maintenant vous faire part d'une réflexion personnelle suite à certains propos que j'ai pu entendre tout à l'heure, car je pense qu'il s'agit d'une erreur. Une interruption de grossesse, quand elle est médicale, quand elle n'est pas volontaire, quand elle est subie, est certes endurée par la femme, mais elle est vécue par le couple. Vous avez dit beaucoup de choses sur les souffrances de la femme, et je trouve que vous avez assez facilement exclu l'homme de ces souffrances, ce qui, dans ce type de thématique, est une erreur à mon sens. C'est dogmatique et c'est une erreur ! (Remarque de Mme Salika Wenger. Protestations.) Je pense que vous allez regretter vos paroles quand vous aurez entendu la suite... Il reste par ailleurs beaucoup à accomplir s'agissant de la moralisation que tente parfois de faire une partie du corps médical lorsque le couple se trouve confronté à cet événement difficile. Cette situation existe ! Personnellement, j'ai malheureusement dû partager et vivre cette souffrance, et j'ai été particulièrement marqué par la violence des propos qui pouvaient être tenus par le corps médical, de même que par la moralisation et la culpabilisation, que ce soit de l'homme ou de la femme. Le groupe UDC soutiendra donc ce texte, remercie son auteure, mais demande aux personnes qui croient que cette thématique ne concerne que les femmes de se raviser, parce que je l'ai personnellement vécu, et ce n'est pas sans émotion ni difficulté que je m'exprime aujourd'hui sur ce sujet. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, le PLR appuiera cette résolution, que plusieurs députés de notre groupe ont d'ailleurs cosignée. J'aimerais formuler deux remarques. Premièrement, comme l'a dit mon préopinant, le Conseil fédéral a effectivement soutenu une motion UDC - qu'il soumettra prochainement au Parlement - qui va exactement dans le sens de la demande du texte qui nous occupe. Deuxièmement, je rappelle que l'assurance-maladie prévoit de ne pas mettre à la charge de la patiente les copaiements individuels - c'est-à-dire les frais inhérents à la franchise ainsi que les 10% de part personnelle sur les factures - mais la question qu'on doit se poser de manière beaucoup plus générale dans le cadre de notre assurance sociale, c'est celle de savoir quelle est aujourd'hui l'utilité... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît ! Une seconde, Monsieur Conne. (Un instant s'écoule. Le silence revient.)
M. Pierre Conne. ...quelle est la conséquence individuelle du fait que ces copaiements pèsent toujours plus lourd sur le budget des ménages. On l'a évoqué hier, le poids des primes est de plus en plus insupportable, mais je tiens quand même à rappeler que le copaiement personnel des patients représente en lui-même le tiers de ce qui est à charge s'agissant des coûts de la santé. Alors nous sommes effectivement d'avis que dans le cas de l'assurance-maladie il est tout à fait souhaitable d'étendre ce qui est prévu à l'heure actuelle - c'est-à-dire que les frais liés à la maternité soient exonérés de franchise et de paiements personnels - mais de façon plus générale, et je conclurai par là, il faut peut-être se demander si les copaiements permettent de maîtriser l'augmentation des coûts. La réponse est vraisemblablement non. D'autre part, est-ce que notre système reste équitable du point de vue financier ? La question est posée. Il n'est pas nécessaire d'y répondre ici ce soir, mais dans le cadre des futures réformes de notre système, cette question devra sans doute être posée plus largement. Je vous remercie de votre attention.
Mme Danièle Magnin (MCG). Je tiens à dire qu'on touche là à un vrai problème de société, avec la question de savoir si on veut favoriser les naissances, si on souhaite que l'ensemble de la société participe aux coûts que cela engendre, ou si au contraire on veut considérer la grossesse comme une maladie. Non, la grossesse n'est pas une maladie. D'ailleurs, sans grossesse, aucun de nous ne serait là ! Je pense donc qu'il est tout à fait judicieux et justifié de demander que l'entier des soins liés à une maternité, qu'elle aboutisse ou pas, du tout début jusqu'à la fin, soit pris en charge par l'ensemble de la société, raison pour laquelle le MCG soutiendra cette résolution. Merci. (Applaudissements.)
Mme Alessandra Oriolo (Ve). Je voudrais juste rebondir sur les propos de mon collègue Thomas Bläsi - vous lui transmettrez, Monsieur le président. Il est bien évident que la souffrance concerne le couple, et je m'excuse de ne pas l'avoir mentionné dans mon intervention. Je l'avais évoqué dans le texte de la résolution, en parlant d'ailleurs de «son ou sa partenaire». En effet, le partenaire n'est pas forcément un homme, il peut aussi s'agir d'une femme ou autre. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Thomas Bläsi (UDC). Suite aux remarques de Mme Wenger, qui considère que je ne suis qu'un homme, je voudrais dire ceci. Quand votre couple est atteint, que votre femme porte un enfant souffrant d'une maladie génétique rare, qu'elle n'a absolument rien fait pour ça, que c'est injuste et qu'au moment où vous voulez enterrer votre enfant, on vous le refuse, parce que les HUG estiment en priorité qu'il y a un intérêt médical supérieur à réaliser des études, et que vous savez alors que le seul gamin que vous aurez dans votre vie va être découpé en morceaux dans un tube pour permettre éventuellement d'épargner des souffrances à d'autres personnes... J'aimerais que vous vous rendiez compte de ce que vous dites, Madame Wenger, et du peu d'humanité dont vous faites preuve ! Merci. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Je lui transmettrai, Monsieur Bläsi.
Mme Salika Wenger. J'ai été mise en cause, Monsieur le président !
Le président. Madame Wenger, j'ai vu que vous aviez demandé la parole. Attendez simplement que je vous la passe !
Mme Salika Wenger. Bien entendu !
Le président. Voilà, c'est à vous.
Mme Salika Wenger (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Chers collègues, je comprends les souffrances que vient de nous décrire M. Bläsi. Néanmoins, en tant que femme - d'un certain âge, de surcroît, puisque je suis grand-mère - je dois dire que je suis un tout petit peu gênée quand j'entends un homme me parler des difficultés de la grossesse. Il se peut qu'il soit compatissant, il se peut qu'il m'accompagne, et c'est vrai que le deuil est une épreuve qui se partage, mais pour ce qui est réellement des difficultés de la grossesse, de la difficulté de mettre un enfant au monde, je regrette infiniment, Monsieur Bläsi, mais vous n'êtes pas une femme ! (Exclamations. Commentaires.)
Le président. Je lui transmettrai, Madame. Bien, nous allons maintenant nous prononcer sur cette résolution.
Mise aux voix, la résolution 881 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 87 oui et 2 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)