République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du mardi 14 mai 2019 à 17h
2e législature - 2e année - 1re session - 1re séance
Discours du président sortant
Discours de M. Jean Romain, président sortant
Le président. Monsieur le vice-président du Grand Conseil,
Messieurs les conseillers d'Etat,
Mesdames et Messieurs les membres du Bureau,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le sautier,
Après avoir séparé les trois pouvoirs - celui de ceux qui font les lois, celui de ceux qui appliquent les lois et celui de ceux qui sanctionnent ceux qui transgressent les lois - Montesquieu, en historien des idées politiques, pose un principe moral au fondement de la démocratie: la vertu. «C'est dans le gouvernement républicain», écrit-il, «que l'on a besoin de toute la puissance de l'éducation. La crainte des gouvernements despotiques naît d'elle-même parmi les menaces et les châtiments; l'honneur des monarchies est favorisé par les passions, et les favorise à son tour: mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu, l'amour des lois et de la patrie. Cet amour demand[e] une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre [...]», poursuit Montesquieu dans «L'Esprit des lois». «Tout dépend donc d'établir dans la république cet amour; et c'est à l'inspirer que l'éducation doit être attentive. Mais, pour que les enfants puissent l'avoir, il y a un moyen sûr: c'est que les pères l'aient eux-mêmes.»
Puisqu'il existe un lien nécessaire entre démocratie, vertu politique et éducation exemplaire, je me suis donc posé cette question, chers collègues: qu'avons-nous fait durant cette année, nous autres députés, pour donner à nos enfants l'exemple dont parle Montesquieu ? Qu'avons-nous fait pour que nos concitoyens non moins que les jeunes qu'on souhaite amener à aimer nos lois et notre patrie puissent dire: voilà l'exemple qu'il nous faut suivre ?
Nous avons d'abord renoncé à nous lancer des verres d'eau à la figure, ou des invectives, pour privilégier le débat argumenté. Plus d'une fois en vous écoutant, je me suis dit que cet effort était la victoire de la raison sur la basse passion et sur les inimitiés politiques; je le salue.
Lors des votes importants, certains ont été déçus, d'autres enthousiasmés, mais personne n'a été indifférent, parce que chacun a pu faire ce constat: nous nous sommes battus à la loyale; je le salue.
Nous avons su, aux moments décisifs, nous serrer les coudes pour travailler avec efficacité. Parfois, il est vrai, les débats sont un peu longs, un brin ennuyeux - mais c'est rare - quelquefois répétitifs - mais c'est pour être mieux compris des autres - non dépourvus d'humour - c'est pour apaiser les tensions. Ainsi, l'un dans l'autre, nous avons avancé dans ce que nous devions faire; je le salue.
Exemples donc de la raison, de la loyauté, du travail efficace. Mais il est une chose qui demeure encore un peu - un peu seulement ! - à améliorer: ensemble, nous devons faire un effort pour limiter nos objets parlementaires. Locres était une cité grecque de Calabre. Quiconque voulait y changer une loi ou en proposer une nouvelle devait se présenter devant l'assemblée avec une corde autour du cou qui servirait à le pendre s'il ne parvenait pas à convaincre une majorité pour voter son projet. Mais comme je vous sais de bonne composition, nous n'avons nul besoin d'imiter Locres ni de commander des écheveaux de corde.
Enfin, je sais de science certaine que parmi nous ne siègent pas ceux qui se font un point d'honneur de la déloyauté, ni non plus tous ces songe-creux qui s'évertuent à faire passer leur méchanceté pour de l'intelligence.
J'ai dû, à de très nombreuses reprises lorsque j'ai été amené à représenter le Grand Conseil, j'ai dû porter votre voix et parler en votre nom. Je crois pouvoir vous assurer que je n'ai jamais trahi votre confiance, car tout comme vous, je n'ai été animé que par un seul mot d'ordre: servir Genève.
Il me faut maintenant remercier ceux qui font que notre parlement tend à devenir exemplaire. D'abord M. le sautier, Laurent Koelliker, et son adjointe, Mme Irène Renfer; ils furent constamment présents et disponibles lors de mes nombreuses sollicitations. Leur compétence et leur dévouement sont sans faille, et je suis particulièrement chanceux d'avoir travaillé avec eux dans de si bonnes conditions. Ensuite, tout le personnel du secrétariat général du Grand Conseil qui oeuvre pour nous tous, quotidiennement, dans les commissions ou dans l'ombre du Mémorial; leur motivation est, elle aussi, exemplaire. Je remercie le Bureau du parlement qui, de manière consensuelle, a été animé d'une solide volonté de trouver une solution à chacune de nos difficultés. J'ai eu grand plaisir à travailler avec ce Bureau exemplaire et pragmatique. Il me faut remercier enfin tous ceux qui assurent notre sécurité dans cette salle qu'on nous prête gracieusement: le service d'ordre de la police ainsi que le personnel de l'UIT; leur professionnalisme est édifiant. Je remercie évidemment l'UIT de nous avoir prêté cette belle salle qui nous abrite depuis bientôt une année.
Chers collègues, nous avons passé une première année de législature importante pour Genève en raison des sujets centraux que nous avons traités; je pense à la RFFA, à la CPEG, à la laïcité. Il y eut d'autres sujets, évidemment, il y en aura encore d'importants, mais peut-être de moindre poids dans l'immédiat que ceux que je viens d'évoquer. Cette année écoulée a montré une fois de plus que la politique n'est pas l'art de faire le bien - laissons cela à la morale - elle n'est pas non plus l'art de se préoccuper du bonheur des hommes - laissons cela à la philosophie - elle est l'art de pactiser avec ce qu'on n'aime pas pour éviter ce qu'on déteste. Cet art de pactiser est ce que nous avons trouvé de plus efficace pour unir les esprits, car il serait folie de prétendre amener tous les hommes à penser la même chose. Voltaire le dit: «On pourrait beaucoup plus aisément subjuguer l'univers entier par les armes que subjuguer tous les esprits d'une seule ville.» La politique de compromis qui vous a animés nous a permis d'éviter le pire.
Je terminerai en convoquant une dernière fois Montesquieu. Dans sa vision de la république, si la vertu nécessaire pour assurer le respect de l'esprit des lois est l'amour de l'égalité qui favorise la démocratie, il est une autre vertu qu'il appelle la frugalité. La frugalité: un mot qui résonne étrangement à nos oreilles, nous qui sommes grassement repus, nous qui mordons à belles dents dans le gâteau du monde, nous qui dépensons régulièrement plus que ce que nous possédons... Bref, nous qui sommes néomodernes. Ce mot de «frugalité» a de la noblesse, bien qu'il soit un brin désuet ou, plus justement, parce qu'il est un brin désuet. Son plus proche synonyme est «parcimonie». Montesquieu pense que la parcimonie, soit l'art de savoir mesurer avec justesse nos dépenses, est gage d'égalité. Un état dépensier crée de l'inégalité et de la dépendance, car c'est dans le juste usage de notre budget que les choses peuvent durer. Le fléau de notre dette pharamineuse - en légère diminution, il est vrai - nous place doublement en situation de dépendance: d'abord économiquement face à nos créanciers et à ceux qui nous notent, ensuite politiquement, car la dette entrave nos mouvements et notre action.
Les grands auteurs, toujours, sont ceux qui, à force de sonder une époque, finissent par rejoindre l'universel. En relisant l'incroyable livre V de «L'Esprit des lois», chers collègues, je ne pouvais me départir de l'idée que Montesquieu écrit pour nous: pour nous hier, pour nous aujourd'hui, et pour nous demain.
A demain, Genève ! Et merci à vous !
Vive notre système démocratique, vive notre parlement ! (Longs applaudissements. M. Jean-Marie Voumard serre la main de M. Jean Romain et lui remet un bouquet de fleurs. L'assemblée se lève.)
Je passe la parole à M. Yvan Zweifel.
M. Yvan Zweifel (PLR). Merci, Monsieur le président. Il est de coutume que le chef du groupe qui a la chance de compter dans ses rangs le président sortant lui adresse un petit mot, vous me permettrez donc de le faire maintenant.
Monsieur le président, vous avez présidé nos séances d'une main de maître - c'est normal, me direz-vous. Quand je dis «maître», je ne parle pas d'un maître dans les prétoires, même si votre élocution exceptionnelle, vos talents oratoires de tribun, votre vivacité d'esprit et votre intelligence littéraire vous auraient certainement conduit à mener une belle carrière sous la robe - je parle évidemment de celle d'avocat, pas de celle de curé, laïcité oblige. (Rires.)
Un maître d'école, également, qui a eu droit à une classe fort nombreuse et particulièrement dissipée, il faut le dire, mais qu'il a su tenir avec brio, et le groupe PLR tient à l'en remercier. Or si vous avez déployé la rigueur du maître d'école, Monsieur le président, vous avez aussi su développer la souplesse du motard, celui qui sait que certains virages parlementaires sont serrés et qu'il ne faut pas les prendre à trop grande vitesse; si notre ordre du jour reste chargé, il a tout de même largement diminué - là aussi, nous vous en sommes reconnaissants.
La réalité, Mesdames et Messieurs, c'est que nos séances ont été dirigées avec maestria et que nous avons été brillamment représentés à l'extérieur par notre président. Alors permets-moi, cher Jean, d'employer le tutoiement - même s'il résonne horriblement dans cette enceinte - et de profiter de ce moment de grâce parlementaire pour te dire à toi, homme de lettres - c'est l'homme de chiffres qui parle ici - que si le PLR regrette la perte d'un président, il est heureux de retrouver dans ses rangs un excellent député. Merci, Monsieur le président, pour tout ce que vous avez accompli cette année ! (Applaudissements.)