République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 mars 2019 à 20h30
2e législature - 1re année - 10e session - 59e séance
IN 172 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous abordons notre premier point fixe en catégorie II, trente minutes. Je passe immédiatement la parole à M. le député Jean Batou.
M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, j'ai lu avec attention le rapport du Conseil d'Etat concernant notre initiative «Zéro pertes», et je dois dire que j'ai été profondément déçu. C'est un rapport totalement inepte - je pèse mes mots. Pourquoi ? Tout d'abord, le Conseil d'Etat nous explique qu'il nous a compris... (Rire.) ...et donc qu'il combat la concurrence fiscale intercantonale, ce qui est un des premiers thèmes de notre initiative. Eh bien non, ce n'est pas le cas: je rappelle tout le temps le rapport, ou plutôt l'étude du Crédit suisse qui montre que Genève va passer, du point de vue de l'attractivité des entreprises, du treizième au quatrième rang, devançant de loin le canton de Vaud. Avec le projet de RFFA cantonale, nous pratiquons une politique délibérée d'accentuation de la concurrence fiscale.
D'ailleurs, je me réjouis de vous rappeler que dans ce Grand Conseil, dont les rangs sont clairsemés à cette heure de la soirée, nous sommes 49 députés - si nous suivons les consignes de nos partis - à nous opposer à la RFFA cantonale. Et je pense qu'il y aura une majorité du peuple pour dire non à celle-ci. En effet, ce n'est pas seulement un enjeu de concurrence fiscale intercantonale, mais aussi un enjeu quant à la baisse des recettes de l'Etat et du financement des prestations de service public: cette baisse pour l'Etat et les communes sera non pas de 232 millions - comme on nous le répète parce qu'on ne parle que de la première année - mais de plus de 400 millions à l'échéance de cette réforme. J'ajoute que les communes vont être touchées non seulement par la perte de 80 millions résultant de la RFFA, mais aussi par celle de 90 millions représentant les charges que l'Etat veut déplacer vers elles. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Les communes vont donc subir une pression énorme à travers cette réforme de la fiscalité. J'invite évidemment ceux et celles qui nous écoutent, et les parlementaires qui sont prêts à y réfléchir, à lutter de toutes leurs forces contre cette réforme inique et antisociale de la fiscalité...
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, nous avons bien compris.
M. Jean Batou. ...et donc à soutenir notre initiative. Merci.
M. Jean Rossiaud (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, les Verts ont soutenu, soutiennent et soutiendront cette initiative populaire cantonale. Resituons le contexte: à la suite du refus en votation populaire de la réforme fiscale des entreprises RIE III, et avant d'entrer dans le débat sur le nouveau projet RFFA, les Verts - avec d'autres - avaient proposé cette initiative. Que disions-nous ? Comme vous, Mesdames et Messieurs les députés, nous étions en faveur de la fin des statuts spéciaux et nous trouvions justes et justifiées les demandes de l'OCDE et de l'Union européenne à la Suisse pour que soit harmonisée l'imposition des entreprises, quel que soit leur statut.
Ceci étant dit, que demande notre initiative ? Oui à la réforme de la fiscalité des entreprises, mais sans pertes fiscales - d'où son titre «Zéro pertes» - dès la première année; oui à la réforme, mais sans baisse des rentrées, des recettes fiscales; oui à la réforme, mais sans dumping fiscal, ni international ni intercantonal ! Cette initiative aurait donc dû être étudiée en même temps que les projets de réforme que nous avons nommés RFFA cantonale et qui portaient sur le même objet. C'est ce que nous avons demandé plusieurs fois en commission, sans jamais être écoutés. Nous nous rappelons que sous la pression du Conseil d'Etat, la majorité de la commission a toujours voulu coupler le vote sur le projet RFFA fédéral au vote sur la réforme fiscale cantonale, pour de mauvaises raisons de tactique politicienne. La commission fiscale a travaillé à l'aveugle et au pas de course. On en est arrivé à un faux-semblant de compromis. Ce compromis sans âme, ce paquet ficelé par le PLR et les socialistes, qui ne satisfaisait personne, a vite été annulé par la base même des partis qui l'avaient signé, le parti socialiste et l'UDC. Il sera donc probablement refusé par le peuple, Mesdames et Messieurs, et notre initiative arrivera à point nommé comme une véritable alternative à la politique fiscale irresponsable, anti-écologique et antisociale que nous propose le Conseil d'Etat et que soutiennent le PLR, le PDC et le MCG.
Comme les Verts le répètent depuis le début de cette législature, les diminutions de rentrées fiscales accentuent les risques environnementaux et sociaux que Genève et la Suisse courent actuellement et qui s'avéreront toujours plus importants dans les années à venir: le risque financier, le risque systémique climatique. Le système actuel est tout sauf résilient. La politique fiscale peut et doit être l'outil de la réorientation vers davantage de résilience face aux crises et davantage de prospérité collective et partagée. Nous avons besoin d'une fiscalité écologique, c'est-à-dire une fiscalité qui favorise les entreprises et les individus qui ont des comportements vertueux et responsables en matière sociale et environnementale. Les Verts restent donc fidèles à leurs principes et continuent à soutenir l'initiative «Zéro pertes»: oui à une adaptation, oui à l'initiative ! Je vous remercie d'en prendre note. Merci de votre attention.
M. Yvan Zweifel (PLR). Permettez-moi tout d'abord de souscrire à une tradition qui n'est pas vieille - elle a été instaurée il y a quelque temps par notre collègue Pierre Eckert: je voulais me présenter, je suis Yvan Zweifel, nouveau chef de groupe du PLR. (Rires. Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Yvan Zweifel. Mesdames et Messieurs, j'ai lu cette initiative. Que demande-t-elle ? M. Rossiaud vient de le résumer: une réforme fiscale sans pertes. Mesdames et Messieurs, je suis d'accord avec cette proposition, mais je ne suis pas d'accord avec les propositions de ceux qui la soutiennent. On nous explique: «Ah ! Cette réforme va ruiner le canton parce qu'il y aura des pertes fiscales.» On les a estimées à 186 millions - c'est le bon chiffre. M. Batou est allé jusqu'à 400 millions. Voyons les choses plus clairement. Il y a dans ce canton, Mesdames et Messieurs, 33 000 personnes morales. Sur ce total, mille sont des sociétés à statut. Ces mille sociétés à statut paient 480 millions au titre des impôts cantonaux et communaux sur le bénéfice et sur le capital. Les 22 000 employés de ces entreprises paient en outre plus de 600 millions d'impôts sur le revenu. Au total, cela représente 1,1 milliard de recettes fiscales.
Avec votre proposition, Monsieur Rossiaud, Monsieur Batou, et tous ceux qui soutiennent cette initiative, ce ne sont pas des pertes fiscales de 186 millions que vous voulez éviter, ni même de 400 millions; ce que vous nous proposez, ce sont des pertes fiscales de 1,1 milliard ! C'est ça, la réalité ! (Applaudissements.) Et en plus des 22 000 employés qui paient 600 millions d'impôts, je ne compte même pas les 39 000 employés de toutes les autres sociétés qui offrent des services à ces mille sociétés à statut.
On pourrait se dire: «Ces sociétés à statut, on ne veut pas les voir, on ne les aime pas. Remplaçons donc ces mille sociétés à statut par des PME locales.» M. Rossiaud aime bien dire ça. Faisons le calcul: sur les 33 000 personnes morales, les PME locales, ce sont 28 000 sociétés qui paient 250 millions au titre de l'impôt sur le bénéfice et de l'impôt sur le capital. Faites une règle de trois: pour remplacer ces mille sociétés à statut, il faudrait 51 000 PME supplémentaires à Genève. Les Verts, qui sont contre le mitage du territoire, m'expliqueront où on les mettra.
Mesdames et Messieurs, je termine sur l'étude du Crédit suisse qu'aime bien citer M. Batou. Il dit que selon l'étude, Genève sera le quatrième canton le plus compétitif. Il a raison, mais il a raison dans le cas d'une réforme à 13,79%. Ce n'est pas le cas à 13,99%, et ça l'est encore moins avec votre proposition à 16%, 18% ou 24%: avec ces taux, vous rendez Genève le canton le moins compétitif, d'où tout le monde va partir, où personne ne va venir. Vous expliquerez alors à vos électeurs pourquoi les caisses sont vides, parce que ce sera de votre faute. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le nouveau chef de groupe PLR. Je passe la parole à M. François Baertschi.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. L'initiative sur laquelle nous devons nous prononcer fait suite au projet RIE III qui laissait planer des inquiétudes au niveau suisse, surtout sur le financement de la réforme. Ces doutes sont maintenant levés. La RFFA, réforme de la fiscalité et de l'AVS, a deux axes: d'un côté, elle protège l'activité économique et l'emploi tout en garantissant le financement des services publics; de l'autre, elle renforce le financement de l'AVS, institution essentielle pour notre cohésion sociale suisse. Mais au niveau genevois, elle soutient aussi efficacement les assurés-maladie de la classe moyenne, les grands-parents et les parents qui verront les crèches davantage financées. La RFFA est un projet gagnant-gagnant qu'il faut à tout prix soutenir. Le MCG s'oppose au système de péréquation intercantonale, qui est un marché de dupes et permet une concurrence fiscale entre les cantons. Mais cette initiative n'intervient pas sur ce sujet central et sera donc complètement inefficace. En conséquence, le groupe MCG ne la soutiendra pas.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). J'aimerais faire deux remarques. La première s'adresse à M. Rossiaud, vous transmettrez, Monsieur le président: je ne suis pas d'accord qu'on dise que la commission fiscale a travaillé, je cite, de façon aveugle et au pas de charge. Pour une fois - ce n'est pas toujours la coutume - cette commission a travaillé de façon efficace et éclairée, parce que les délais qui nous étaient imposés étaient courts. Je pense que le compromis que nous avions trouvé - qui n'existe plus, malheureusement - pourvu d'un volet social important, avec plus de 20 millions pour des crèches et plus de 186 millions pour l'assurance-maladie, est un bon axe de travail, dont l'efficacité pourra être soumise au peuple sans qu'on ait aucune crainte, j'en suis persuadé.
J'aimerais aussi répondre à M. Batou, vous transmettrez. Il combat le fait que nous puissions enregistrer des déficits suite à l'adoption de la RFFA. Mais il est issu des mêmes partis qui ont présenté l'initiative 170 qui vise à plafonner les primes d'assurance-maladie à 10% des revenus du ménage, initiative dont le coût serait, la première année de son introduction, de plus de 400 millions, et atteindrait un montant de 970 millions d'ici dix ans. Il faut savoir de quoi on parle ! Je vous remercie.
M. Christo Ivanov (UDC). Je m'exprime en tant que président de la commission fiscale. Je remercie M. le député Jean-Marc Guinchard - vous transmettrez, Monsieur le président - d'avoir remis l'église au milieu du village. En effet, nous avons fait un travail colossal afin d'être dans les délais et que le peuple puisse voter le 19 mai prochain sur la réforme de l'imposition des entreprises.
J'aimerais dire que nous ne débattons pas ici sur l'initiative, nous devons seulement nous exprimer sur sa validité. Le texte a été validé, il conviendra donc d'en débattre en commission. Je me réjouis que nous puissions commencer ces travaux. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Romain de Sainte Marie (S). Certains pourront penser: «Mais que diable va-t-il faire dans cette galère ?», comme on l'entend dans «Les Fourberies de Scapin». C'est vrai, personnellement, je suis pleinement en faveur de la réforme de la fiscalité des entreprises, et je suis aussi en faveur de cette initiative, parce que je pense que la réforme entre dans son cadre. Mais il faut voir les choses de façon plus large et d'un peu plus loin.
D'abord, c'est une initiative constitutionnelle. Elle vise à fixer un cadre, elle a une portée générale sur la loi, ici la loi sur l'imposition des personnes morales. Le fait de donner un cadre est mentionné comme premier principe de ce texte qui permet de lutter contre la concurrence fiscale entre les cantons, ce mal qui touche notre pays. Autant le système fédéral est un atout de la Suisse, autant le système fiscal fédéral est un mal qui touche chacun des cantons. On connaît plusieurs exemples, comme celui de Lucerne, qui, sans prétexte, a baissé sa fiscalité et l'a ensuite chèrement payé à coup de suppressions de prestations, notamment dans l'enseignement, avec une semaine de vacances supplémentaires sans raison.
On peut regretter que la Confédération ne détermine pas au niveau national un seuil avec un impôt fédéral direct plus élevé que celui qu'on connaît aujourd'hui, qui permette de lutter contre la concurrence fiscale entre cantons. Cette initiative fixe dans la constitution genevoise - c'est un premier pas - la lutte contre cette concurrence fiscale, qu'on aimerait aussi voir figurer dans la Constitution fédérale, parce que ce serait encore plus efficace. Je pense que ni à gauche ni à droite, on ne peut contredire cet argument: aller de l'avant dans la concurrence fiscale, c'est entraîner les cantons vers leur perte. On pratiquerait alors une politique du pire qui voudrait jouer sur la concurrence pour attirer les personnes morales ou physiques au détriment des prestations à la population, ce qui reviendrait à mettre en péril la qualité de vie des habitants dans chacun des cantons.
Mesdames et Messieurs, cette initiative inscrit trois autres principes dans la constitution. Là encore, on fixe un cadre général, qui porte au-delà de la fiscalité des entreprises; c'est d'ailleurs dommage que le débat ne porte aujourd'hui que sur cette réforme-là, puisqu'il faut avoir des principes généraux qui garantissent le financement des prestations publiques, la progressivité de l'impôt et aussi un certain niveau de la fiscalité. Ces principes ont tout intérêt à figurer dans notre constitution pour le bien-être de la population. Je vous remercie, Monsieur le président.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, la récolte de signatures pour cette initiative s'est faite juste après l'échec de la RIE III et au moment où la commission fiscale du Grand Conseil avait, comme un seul homme, voté un taux de 13,49%. Les initiants étaient très inquiets, suite à cet échec de la RIE III, de voir le canton de Genève se retrouver dans une compétition ou une sous-enchère fiscale.
Les travaux menés en commission ont montré qu'il en allait tout autrement. Que vous le vouliez ou non, que certains se soient rétractés ou non, le projet ressorti des travaux de commission, Mesdames et Messieurs, était bien le fruit d'un compromis. La preuve de cela est que son taux a sensiblement augmenté, que les pertes, l'impact statique ont sensiblement baissé, que ce soit pour le canton ou les communes. Avec le taux qu'il a choisi, le canton de Genève n'est pas en train de faire de la sous-enchère fiscale, n'a pas augmenté ses pertes. Seize cantons ont un taux inférieur au sien, Mesdames et Messieurs, six autres ont un taux supérieur au sien. C'est dire si Genève n'a pas fait de sous-enchère fiscale. Ce sont des éléments importants à indiquer.
Il faut peut-être aussi rappeler à certains ce que signifie le taux tel qu'il est indiqué. Le canton de Genève a un taux de 13,99%, et il a un taux plancher - donc l'imposition minimale qui sera applicable, avec les mesures de déductions possibles - de 13,48%. Vous me direz, Mesdames et Messieurs, que ça ne correspond pas à l'initiative 172 qui nous est proposée, parce que le taux visé par celle-ci est de 16%. Fantastique, le taux de Zurich est de 18,1% ! Pensez-vous, Mesdames et Messieurs, que Zurich appliquera ces 18,1% ? Eh bien non, parce que Zurich fait une utilisation extensive des mesures de déduction fiscale et que son taux plancher sera d'environ 11,2%.
Mesdames et Messieurs, on peut se battre sur la question des taux. Ce n'est pas cette question qui est importante, mais celles des déductions fiscales possibles, du taux plancher, des pertes statiques calculées, des prestations offertes à la population en accompagnement de cette réforme. Que cela vous plaise ou non, le Conseil d'Etat a entendu ces questions-là. C'est dans ce contexte-là qu'il a conçu un projet de loi plus raisonnable et c'est aussi dans ce contexte-là qu'est ressorti un compromis de la commission fiscale, un compromis qui diminue l'impact pour les communes à 48 millions - il le diminue de 67 millions pour elles, et de plus de 200 millions pour le canton, qui se retrouve avec un impact global de 186 millions. Mesdames et Messieurs, des mesures ont été prises avec la suspension du frein au déficit, des prestations en faveur de la population, une aide aux classes moyennes pour que tout le monde puisse sereinement accepter cette réforme.
Un dernier mot avant que je vous laisse la parole, Monsieur le président - veuillez m'excuser: il ne faut pas se mentir, Mesdames et Messieurs, les statuts vont être supprimés. Quoi qu'il arrive, que nous acceptions la réforme ou non, les statuts seront supprimés par la Confédération. Le choix de ces entreprises sera d'avoir une imposition à 11,6% en moyenne aujourd'hui, ou, demain, si la réforme n'est pas acceptée, à 24,2%. Et dans ce cas, il n'est pas besoin d'être grand devin pour savoir que les 1,1 milliard dont vous parlait M. Zweifel iront sous d'autres cieux qui accueilleront mieux non seulement les 22 000 emplois mais aussi ces 1,1 milliard de recettes fiscales.
Mesdames et Messieurs, notre canton ne peut pas accepter cette perte. La population en sera consciente, elle nous écoute, elle ne raisonne pas de la même façon que certains et elle nous entendra. Le Conseil d'Etat ne soutiendra pas cette initiative. Merci, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat.
L'initiative 172 et le rapport du Conseil d'Etat IN 172-A sont renvoyés à la commission fiscale.